Ethique et normesl'éthique dans tous ses étatsune

Le désaccord moral 1/2

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Jérôme Ravat Paris IV – Rationalités contemporaines (EA 3559)

Répercussions philosophiques d’une approche psychosociale

 

 


Introduction

Omniprésent, le désaccord moral est au centre d’innombrables polémiques, dissensions et controverses qui enflamment les sociétés contemporaines. Des sujets aussi divers que l’euthanasie, l’avortement, l’expérimentation animale, la peine capitale, la prostitution, la gestation pour autrui, ou plus récemment le mariage entre personnes du même sexe font ainsi l’objet de vives controverses régulièrement évoquées sur la place publique.

 Phénomène incontournable, le désaccord moral demeure pourtant une énigme, dès lors qu’il s’agit d’en déterminer les sources, les ramifications, et a fortiori les modalités de régulation. Comment rendre compte de l’apparition, de la propagation, de la stabilisation de désaccords moraux à l’intérieur d’une société, et entre les sociétés ? Et comment appréhender ces désaccords d’un point de vue pratique ? C’est à cette double interrogation que nous tenterons de répondre dans le cadre de cet article.

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Pour cela, nous nous attacherons plus précisément à poser les bases d’un dialogue entre savoirs empiriques et philosophie morale, afin d’éclaircir et de réguler le désaccord moral. Dans cette optique, nous avons choisi de prendre appui tout particulièrement sur les outils méthodologiques et conceptuels fournis par la psychologie sociale.

Précisons d’emblée qu’il ne s’agira absolument pas ici d’affirmer que la psychologie sociale peut ou doit se substituer à l’analyse philosophique. D’une part, en effet, la psychologie sociale n’a aucunement le monopole en ce qui concerne la compréhension du désaccord moral. D’autres approches sont également possibles et dignes d’intérêt pour la réflexion philosophique. Ainsi, l’approche artistique du désaccord moral (par exemple dans le cadre d’une analyse des textes littéraires) peut à ce titre être perçue comme tout à fait complémentaire de l’approche scientifique. D’autre part, l’articulation entre philosophie et psychologie est plurielle. Il existe des théories philosophiques et des théories psychologiques, qui ne cessent du reste de s’enrichir mutuellement au gré de leurs évolutions respectives. Le recours aux données psychosociales vise donc à prolonger un certain nombre d’interrogations inhérentes à la réflexion philosophique et ce, afin de faciliter l’application de cette dernière à un objet d’investigation précis : le désaccord moral.

Selon la conception que nous développerons ici, le désaccord moral résulte de l’entrecroisement de trois facteurs essentiels :

–     Les motivations, autrement dit les besoins sociaux communs à tous les êtres humains.

–     Les situations, c’est-à-dire l’environnement socio-historique dans lequel se trouvent les individus et qui influe sur leurs jugements et leurs décisions.

–     Les représentations que forment les individus au sujet de leur environnement social et d’eux-mêmes.

 

En se combinant, motivations, situations et représentations donnent naissance à des univers moraux divergents, localisés dans le temps et l’espace.

Nous commencerons dans une première partie par exposer ce modèle tripartite du désaccord moral, avant d’exposer dans une seconde partie ses implications normatives et pragmatiques.

1 – Situations, motivations, représentations

 

1.1 –     Motivations sociales et jugement moral

De prime abord, on pourrait penser qu’il existe un hiatus entre la façon dont philosophie et psychologie appréhendent toutes deux le désaccord moral. En effet, les méthodes auxquelles  ces deux disciplines ont recours semblent à première vue foncièrement hétérogènes. Globalement, la philosophie morale se focalise d’abord sur une approche théorique et conceptuelle du désaccord moral, tandis que la psychologie privilégie une approche expérimentale. Ainsi, au sein de la philosophie morale, la méta-éthique s’attache à comprendre les conditions de possibilité et la signification des jugements moraux. Dans le cas du désaccord moral, la méta-éthique s’interroge par exemple sur l’existence d’une réalité morale objective, qui sous-tendrait les divergences apparentes.

La psychologie, de son côté, s’efforce d’éclairer l’identité du sujet moral par le biais de méthodes spécifiques : entretiens semi-directifs, questionnaires, études statistiques sont autant de façons d’expliquer la variabilité des jugements moraux. Ainsi, les psychologues cherchent à déterminer les stratégies de justification des agents moraux au moyen de scénarios ou d’expériences de pensées.

Or, ce qu’il est important de souligner ici, c’est que par-delà cette opposition méthodologique apparente, philosophie morale et psychologie sociale ne sont nullement cloisonnées, mais peuvent au contraire approfondir leurs connaissances respectives au sujet du désaccord moral.

Pour saisir l’intérêt philosophique des données psychosociales, nous pouvons partir d’une question classique de la philosophie morale : pourquoi formulons-nous des jugements moraux ? Autrement dit, pourquoi distinguons-nous le juste et l’injuste, le bien et le mal, ou encore ce qui est moralement exigible, moralement recommandable, moralement blâmable, ou moralement inacceptable ? Face à cette interrogation, la psychologie sociale permet de prolonger la réflexion philosophique, en soulignant le fait que les jugements moraux dérivent de certains besoins sociaux, partagés par tous les êtres humains. Par exemple, selon la théorie des « motivations sociales primordiales » (core sociale motives theory)[1], cinq motivations de base guident les interactions sociales :

1.   Appartenir à un groupe. Tout individu a besoin d’entrer en relation avec d’autres individus. L’appartenance au groupe, et les interactions positives qui en découlent, constituent le meilleur moyen pour satisfaire de manière durable et sécurisée ce besoin relationnel.

2.   Comprendre le monde. Ainsi, nous cherchons à comprendre ce qui se passe autour de nous, nous voulons réduire l’incertitude et prédire certains événements. Nous visons également la compréhension commune, c’est-à-dire le fait que nos croyances soient partagées par les autres.

3.   Contrôler les comportements et les événements. Cette volonté de contrôle porte à la fois sur nous-mêmes et sur les autres. Ainsi, nous cherchons à être efficaces, à maîtriser notre environnement et nos représentations.

4.   Se mettre en valeur. Ainsi, nous cherchons à être valorisés aux yeux des autres, mais aussi à nos propres yeux. Nous voulons pour cela nous perfectionner, améliorer nos aptitudes dans différents domaines.

5.   Faire confiance aux autres. Nous avons besoin de croire que le monde, et les individus qui le composent sont bienveillants, afin notamment de nouer des relations coopératives.

La théorie des motivations sociales primordiales permet ainsi de consolider un point philosophique fondamental, maintes fois souligné par la philosophie pragmatiste : nos jugements moraux remplissent à la fois une fonction épistémique et une fonction pratique. Ils relèvent de ce que John Dewey nommait « l’enquête », c’est-à-dire « la transformation contrôlée ou dirigée d’une situation qui est si déterminée en ses distinctions et relations constitutives qu’elle convertit les éléments de la situation originelle en un tout unifié»[2].

Ainsi, lorsque nous formulons un jugement moral, nous instaurons un rapport de détermination pratique vis-à-vis de notre environnement social et moral. C’est en vertu de ce rapport pratique que nous pouvons agir ou réagir face à des situations morales présentes ou à venir. Les motivations sociales constituent la source d’une telle dynamique : en satisfaisant le besoin propre à chaque individu de faire partie d’une communauté humaine, de comprendre le monde social, de le contrôler, de se mettre en valeur et d’avoir confiance, le jugement moral permet d’organiser en pratique les relations sociales. Il remplit une fonction de coordination sociale grâce à laquelle les agents moraux peuvent instaurer, maintenir ou interrompre leurs relations réciproques.

1.2 – Situations et contexte de moralisation

à elles seules, toutefois, les motivations sociales ne suffisent pas à expliquer le désaccord moral. Ce dernier ne peut faire son apparition qu’à l’aune d’une certaine situation sociale dans laquelle sont immergés les individus. C’est en effet parce qu’elles s’incarnent dans un contexte sociohistorique précis que les motivations donnent lieu à des jugements moraux opposés. Autrement dit, c’est toujours à la faveur d’une situation précise qu’apparaît l’identité de l’Autre moral, qu’il soit contradicteur, adversaire, ou ennemi. Les désaccords moraux émergent à partir d’une modulation situationnelle des motivations. Ainsi, selon les situations, le besoin d’appartenir à un groupe, commun à tout être humain, est susceptible de s’incarner dans une multiplicité de communautés morales et politiques pouvant du reste s’affronter mutuellement : il peut s’épanouir dans un groupe composé de musulmans fondamentalistes, de  guérilleros marxistes, ou de partisans du Ku Klux Klan. Une fois solidement implanté, ce besoin pourra donner lieu à l’apparition de véritables « bloc identitaires » : « bons » contre « méchants », « civilisés » contre « barbares », Orient contre Occident…

Processus complexe, faisant intervenir de multiples facteurs (structures familiales, paramètres géographiques, conditions économiques…), la modulation situationnelle a pour conséquence l’émergence d’une hiérarchisation différentielle des motivations sociales. Ainsi, sans tomber dans l’opposition trop simple entre « cultures collectivistes » et « cultures individualistes », on peut raisonnablement admettre que le besoin d’appartenance au groupe est plus important dans certaines sociétés que dans d’autres, en raison de facteurs socio-historique singuliers. Ces différences socioculturelles se manifestent, entre autres, dans les jugements portant sur l’attribution de responsabilité. Différents travaux indiquent par exemple que les habitants de l’Inde, comparés aux occidentaux, ont davantage tendance à expliquer les comportements sociaux en faisant intervenir des facteurs externes aux agents (conditions sociales, historiques, économiques…) plutôt qu’en termes dispositionnels, faisant intervenir des facteurs internes (personnalité, traits de caractère…)[3].

Les données psychosociales indiquent également que les situations influent non seulement sur les jugements, mais aussi sur les comportements moraux, en particulier les comportements de soumission ou d’entraide. En témoignent d’innombrables études mettant en évidence l’influence situationnelle, récemment résumées dans un ouvrage du philosophe Ruwen Ogien[4]. Par exemple, selon le phénomène que les psychologues Bibb Latané et John Darley nomment la « dilution de responsabilité » les individus ont davantage tendance à apporter leur aide quand ils sont seuls face à une victime que quand ils sont en groupe[5],.

L’expérience la plus célèbre sur le poids des situations fut sans doute celle conduite à l’Université de Yale par le psychologue Stanley Milgram[6]. Dans le cadre de cette expérience, il était demandé aux participants d’administrer un certain nombre de chocs électriques à des volontaires et ce, d’après les expérimentateurs, afin de prouver les bienfaits pédagogiques de la punition. Les « victimes » (qui étaient en réalité des acteurs) réagissaient à ces pseudo-électrochocs par des réactions de douleur simulées. Si les participants à l’expérience manifestaient des signes de désapprobation, les expérimentateurs se montraient insistants, mettant l’accent sur la nécessité des électrochocs pour la réussite de l’expérience. Le résultat obtenu dépassa toutes les attentes des expérimentateurs. Les participants à l’expérience furent dans la majorité des cas favorables à l’administration des électrochocs. 62,5 % d’entre eux allèrent jusqu’à faire subir l’intensité maximale à la « victime », c’est-à-dire 450 volts. Ce résultat éloquent suggère donc que la situation de soumission a ici exercé une influence décisive sur le comportement individuel.

En bref, en mettant en lumière la modulation situationnelle des motivations humaines, la psychologie sociale fournit à la philosophie morale et politique un matériau empirique adéquat, lui permettant d’approfondir la compréhension du désaccord moral.

1.3 –     Désaccords moraux et représentations morales

 

Une explication adéquate du désaccord moral à partir des données psychosociales doit toutefois veiller à ne pas tomber dans le piège de ce que les psychologues sociaux nomment le situationnisme[7], c’est-à-dire l’idée selon laquelle les comportements seraient strictement déterminés par les situations. En effet, si la combinaison entre motivations et situations, à elle seule, pouvait expliquer les jugements et les comportements moraux, alors 100 % des sujets, dans l’expérience de Milgram, administreraient des électrochocs. Or, ce n’est pas le cas.

Les données psychosociales illustrent clairement ce point crucial et le fait qu’il ne faille pas surdéterminer le poids des situations. Ainsi, lorsqu’on répète l’expérience de Milgram, (initialement effectuée aux Etats-Unis), on observe que les Allemands acceptent à une écrasante majorité (85 %) de donner les électrochocs[8]. En revanche, les Australiens, pourtant placés dans la même situation, refusent majoritairement de se soumettre aux ordres des expérimentateurs : seulement 40 % des sujets australiens masculins et 16 % des femmes acceptent de donner les électrochocs[9]. Ces études indiquent que les comportements de soumission observés dans l’expérience de Milgram, ne dépendent pas uniquement des situations dans lesquelles sont placés les agents.

On peut, à l’encontre du situationnisme, attribuer ces différences importantes au fait que les sociétés et les individus forment des représentations divergentes, notamment au sujet de l’autorité, de la liberté, ou de la science. Le poids de ces représentations socialement partagées peut contrebalancer celui des situations. D’où la diversité des réponses dans l’expérience de Milgram, allant de la soumission totale à la rébellion, de l’accord grégaire au désaccord véhément.

En psychologie sociale, ces représentations sont tout particulièrement étudiées par la théorie des « schémas ». Le terme de « schéma » désigne un ensemble de concepts guidant notre connaissance du monde social, et nous permettant d’interpréter la vie sociale (nous comprenons les phénomènes sociaux à la lumière des schémas préexistants), de mémoriser de nouvelles informations (en les intégrant à un ensemble de schémas préexistants) et de prévoir les événements à venir (nous prenons appui sur les schémas mémorisés pour anticiper l’évolution des situations sociales).

Selon le modèle élaboré par la psychologue Susan T. Fiske, il existe quatre types de schémas :

1.   Les schémas relatifs aux personnes. C’est grâce à ces schémas que les connaissances relatives aux traits de personnalité (introversion, courage…) sont rattachées à des contextes sociaux précis.

2.   Les schémas relatifs aux rôles sociaux et aux stéréotypes. Ainsi, nous formons des schémas de « l’homme politique », du « grand patron », du « jeune de banlieue ».

3.   Les schémas relatifs aux événements (ou scripts). Ces schémas décrivent les séquences typiques d’événements dans un ensemble de situations communes. Ainsi, les individus peuvent activer des scripts, comme « assassiner une personne » ou « commettre une injustice ».

4.   Les schémas relatifs au soi. Ainsi, chaque individu est capable de former une représentation de lui-même, (capacités, dispositions, faiblesses…) mas aussi une représentation de son « soi idéal », c’est-à-dire de la façon dont il aimerait être perçu par les autres.

Les schémas permettent à chaque individu de constituer un univers moral, à l’issue de la multiplication et de la répétition de certaines situations. Ainsi, plus les individus sont confrontés à des situations précises, plus leurs schémas sont complexes, unifiés, structurés. L’hybridation permanente entre motivations, situations, et représentations schématiques produit des visions morales du monde susceptibles d’entrer en désaccord.

Surtout, il importe de comprendre que nos représentations morales ne sont pas isolées, mais au contraire organisées sous la forme d’un réseau. Toute connaissance sociale ne peut être appréhendée qu’au sein d’un réseau de représentations qui lui confère une signification. Une conception réticulaire du désaccord moral souligne le fait que les jugements formulés par les protagonistes d’un désaccord moral ne portent pas simplement sur un thème isolé (l’avortement, l’euthanasie, les mères porteuses…) mais plutôt sur un ensemble de représentations préexistantes. Cet ensemble de représentations, se déployant sous la forme d’un réseau, fournit une grille de lecture des situations morales. D’où le fait qu’aucun individu ne puisse avoir, stricto sensu, la même morale que son voisin.

Considérons, pour comprendre la structure réticulaire du désaccord moral, le cas du débat récent sur le mariage homosexuel. Les jugements moraux (positifs ou négatifs) relatifs au « mariage pour tous » ne peuvent faire sens que relativement à un ensemble de représentations mobilisés par les protagonistes du désaccord. L’explication du désaccord, ici, doit donc se garder de tout simplisme, par exemple en réduisant le débat à une opposition entre « défenseurs de l’égalité » et « homophobes », gauche et droite, progressistes et conservateurs. Les prises de position hostiles ou favorables au « mariage pour tous » ne sauraient en effet être considérées isolément, mais toujours en relation avec le réseau de représentations au sein duquel elles s’insèrent.

Par exemple, de part et d’autre du désaccord, se déploient certaines représentations du mariage, de la famille, de l’homosexualité,  de l’égalité, mais aussi (en vertu des particularités individuelles et sociales), des représentations de l’enfance, de l’adoption, ou de la procréation médicale assistée. Au sein même des représentations formées par les « anti », certaines affinités réticulaires seront présentes ou au contraire inexistantes. Ainsi, certains opposants au mariage pour tous n’hésiteront pas à associer la représentation de l’homosexualité avec celle de la pédophilie, ou de la polygamie. D’autres, tout en s’opposant également au « mariage pour tous », refuseront avec véhémence de faire de telles associations. De l’autre côté, les défenseurs du « mariage pour tous » pourront également être divisés, par exemple entre ceux qui associent ce mariage avec la gestation pour autrui et ceux qui refusent fermement une telle association. Au-delà de l’opposition entre « grands principes » (beaucoup trop vague sur le plan explicatif), seule une analyse réticulaire permet de saisir dans toute sa complexité le désaccord moral dont il est question ici.

Le modèle réticulaire du désaccord moral fait revenir sur le devant de la scène une notion quelque peu passée sous silence dans les travaux récents en philosophie morale et politique : l’idéologie. Au sens psychosocial, l’idéologie peut être définie comme un ensemble organisé de représentations faisant sens pour une communauté, et revêtent une fonction polémique. à la lumière de cette définition, nous comprenons que la raison d’être d’une idéologie, précisément, n’est autre que le désaccord. Toute idéologie (esthétique, politique, morale) n’existe en effet que parce qu’elle permet de s’opposer à d’autres idéologies concurrentes. En facilitant l’élaboration de clivages moraux, l’idéologie répond aux besoins sociaux fondamentaux dont nous faisions état précédemment : le besoin d’appartenance à un groupe, le besoin d’ordre et de compréhension, et le besoin de confiance notamment. Ainsi, les individus adhèrent d’abord à une idéologie parce qu’elle leur permet de se faire mutuellement confiance, et par là-même de rejeter tous ceux qui sont extérieurs à l’idéologie.

Toute idéologie est nécessairement organisée sous la forme d’un réseau stable de représentations. En ce sens, comme l’écrivent les psychologues Gaffé et Marchand, l’idéologie « constitue les axiomes de base du système de représentations partagé par un groupe »[10]. Dans un réseau idéologique, chaque nouvelle représentation ne fait sens que parce qu’elle se rapporte à d’autres représentations qui la précèdent, ontologiquement et chronologiquement. D’où le fait que nous puissions, dans une certaine mesure, prévoir les réactions des protagonistes d’un désaccord moral. Nous pouvons comprendre, par exemple, que c’est en vertu de schémas idéologiques que la plupart des Conservateurs américains sont à la fois en faveur de la peine capitale et opposés à l’avortement, ou que les écologistes militant pour la légalisation de la consommation du cannabis sont très majoritairement hostiles aux O.G.M. L’idéologie lie les prises de position, les opinions, les décisions, leur conférant une rationalité. En bref, l’idéologie joue un triple rôle au regard des désaccords moraux : un rôle d’explication de la réalité socio-morale, (rôles sociaux, hiérarchie des valeurs…) un rôle d’unification d’une communauté morale, et un rôle d’opposition vis-à-vis d’autres idéologies.


[1] Voir S. T. Fiske, Psychologie sociale, Bruxelles, De Boeck, 2008.

[2] J. Dewey, Logic: the Theory of inquiry (1938). Trad. Gérard Deledalle, Logique. La Théorie de l’enquête Paris, PUF, 1993, p. 169.

[3] J. Miller, J. et S. Luthar, S. « Issues of interpersonal responsibility and accountability: a comparison of Indians and Americans moral judgments », Social Cognition, 1994, 7(3), pp. 237-261.

[4] R. Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine, et autres essais de philosophie morale expérimentale, Paris, Grasset, 2011.

[5] Latané, B. et  Darley, J.M., « The Unresponsive Bystander: Why Doesn’t he help ? », in Century Psychology Series, New York, Appleton-Century Crofts, 1970.

[6] S. Milgram, Obedience to Authority: An Experimental View, trad. Emy Molinié, Soumission à l’autorité : un point de vue expérimental,  Paris, Calmann-Lévy, 1974.

[7] Pour un résumé des thèses situationnistes, voir J. Doris, Lack of character, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 ; W. Mischel, Personnality and assessement, New York, J.J. Wiley and Sons, 1968.

[8] D. M. Mantell, « The potential for violence in Germany », Journal of Social Issues, 1971, 27, pp. 101-112.

[9] W. Kilham et L. Mann, « Level of destructive obedience as a junction of transmission and transmitter and executant roles in the Milgram obedience paradigm », Journal of personality and Social psychology, 1974, 29, pp. 696-702.

[10] B. Gaffié et P. Marchand, « Dynamique représentationnelle et idéologie », in P. Moliner (dir.), La Dynamique des représentations sociales, Grenoble, PUG, 1999, p. 210.

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