Esthétique/TechniqueLes jeux vidéo: terrain philosophique?une

Dossier de l’été : les jeux vidéo, terrain philosophique ?

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L’échec de la captation philosophique du jeu

 

video-controller-336657_1920Ce nouveau dossier de l’été d’Implications Philosophiques poursuit la rencontre déjà initiée depuis quelques années entre la tradition philosophique et les jeux vidéo[1]. Le jeu lui-même, dans son acception la plus générale, est loin d’être un objet ignoré de la philosophie. Colas Duflo a fort bien relevé la fascination des philosophes pour les jeux, Aristote, Pascal, Rousseau, Kant, Schiller pour ne citer qu’eux[2].

Comme le montre Colas Duflo, dès les débuts de la philosophie, crainte par Aristote pour sa tendance à concurrencer la recherche du bonheur en tant qu’activité n’ayant pour d’autre fin qu’elle-même, l’essence du jeu n’est jamais niée, mais davantage captée par les philosophes. Pascal, trouvant dans le plaisir procuré par le jeu une façon de nous « divertir » de notre condition humaine, capture l’essence de la rationalité ludique afin d’inviter son lecteur à « parier » sur l’existence de Dieu, tandis qu’à son époque le comportement des joueurs émerveille les mathématiciens qui n’ont pas encore mis au point les techniques de calcul des probabilités. Il est salué notamment par Rousseau pour le rôle qu’il peut jouer dans l’éducation de l’enfant qui n’est pas encore rompu au sérieux des contraintes comme l’adulte, qui lui n’a plus besoin de jouer car il sait travailler. En réponse, Kant distingue strictement le jeu du labeur, excluant que l’un puisse mener naturellement à l’autre. Le jeu occupe néanmoins chez Kant, comme ensuite chez la place d’une expérience décisive où se trouve abolie la dichotomie entre la liberté et la contrainte, et où se fait l’expérience de la légalité.

L’histoire de la pensée du jeu, avant le jeu vidéo, montre l’échec de la tentative des philosophes de contenir le pouvoir du jeu dans les limites de leur propre philosophie. Néanmoins, chez Kant et Schiller, le jeu apparaît déjà comme un modèle d’où émergent des conceptualités nouvelles, pour Kant, le « jeu des facultés », et pour Schiller, la « tendance à jouer ». Quelque chose dans la nature ludique provoquerait donc l’activité philosophique.

La philosophie à l’épreuve du jeu vidéo

Évoquant la condamnation morale des jeux d’argents, Colas Duflo parvient à montrer que le potentiel perturbateur du jeu provient, notamment dans le cas de l’argent, à faire « sortir » l’argent de sa fonction sociale, puisqu’il circule désormais entre les joueurs sans autre but que de jouer. C’est ainsi que Cola Duflo (p. 18) remarque deux traits qui font la « puissance » du jeu : il crée une société de l’intérieur, (le jeu est « hors société »), d’une part, et produit un effet de « déréalisation » d’autre part. Qu’en est-il du jeu vidéo ?

Le jeu vidéo, tout comme le jeu au sens large, n’est pas « déréalisant » au sens où il nous situerait en dehors de la réalité, quoi que cela puisse signifier. Cet effet de « déréalisation » désigne davantage la capacité du jeu à produire une prise de distance, situant le joueur « de l’intérieur à l’extérieur ». Dès lors, on peut comprendre comment le processus de « déréalisation » et le rapport particulier du jeu à la société sont liés. Rappelons-nous l’exemple de l’argent ci-dessus : personne n’oublie lors d’un jeu que l’argent a une fonction sociale (pouvoir se procurer des biens), mais cette fonction est temporairement mise entre parenthèse. L’argent ne fait plus que circuler entre les joueurs sans autre but que de permettre au jeu de continuer, sans référence aucune à une échange de biens matériels ou immatériels. Aristote avait donc bien raison de considérer que le pouvoir de tout jeu réside dans le fait de n’avoir d’autre fin que lui-même. Le jeu ouvre un espace où toute autre finalité que lui-même semble suspendue.

 Or, le jeu vidéo réalise assurément davantage ce potentiel de « suspension » et de mise à distance, dans la mesure où il est plus « déréalisant » que le jeu qui n’est pas vidéo, ne serait-ce que par les moyens supplémentaires qu’il mobilise. Par conséquent, si le matériel utilisé ne permet pas de proposer une définition définitive et englobante des jeux vidéo[4], il participe à l’évidence d’une distinction générale de tout jeu vidéo avec les jeux « simples ». Le jeu vidéo réalise en effet davantage le potentiel de mise à distance qui est caractéristique de tout jeu à des degrés divers. C’est pourquoi le jeu vidéo est à la fois une aubaine et un défi pour le philosophe.

Les jeux vidéo placent la philosophie dans une position d’humilité, humilité face à la portée de ses concepts, réévalués et « secoués » par la pratique vidéoludique, et humilité dans sa méthode, puisque pour traiter les jeux vidéo comme « terrains philosophiques » à part entière, il importe de considérer la philosophie comme une pratique herméneutique, analytique, qui n’intervient que dans un second temps. Pourtant, c’est cette même humilité qui, poussant la philosophie à la réévaluation de ses propres concepts, conduit à l’émergence de nouvelles conceptualités. Les contributions que nous présentons ici répondent à cette exigence.

Présentation des articles

Une façon primordiale de rendre justice au pouvoir de questionnement des jeux vidéo est de s’intéresser à la manière dont l’expérience vidéoludique dans son ensemble affecte les réflexions traditionnelles sur les rapports entre corps et esprit et la façon dont notre corps nous permet de percevoir le monde qui nous entoure pour y agir.

Si l’existence de stimulations visuelles graphiques, même minimalistes, n’est pas commune à absolument tous les jeux vidéo, il reste correct d’affirmer que les jeux vidéo imposent au joueur de faire des choix en fonction des données qui sont livrées à ses sens. Cela apparaît d’autant plus clair dans les cas où les graphismes reproduisent un champ perceptif similaire à celui d’un être humain dans le monde « réel ». C’est pourquoi Martine Robert a choisi de mettre les évolutions de la pensée de Bergson à l’épreuve des jeux vidéo. Dans son article, « Le dispositif vidéoludique comme mode d’exposition à une situation de manière distanciée », elle s’intéresse notamment à la distinction entre sensation et perception. Si les jeux vidéo semblent d’abord tirer parti de la différence entre sensation affective et perception, et confirmer l’autonomie de cette dernière, ils permettent néanmoins de concevoir que les sensations affectives contiennent en elles-mêmes le « mouvement » caractéristique de l’acte de percevoir.

Cette réflexion pose aussi la question de la place du « corps virtuel » dans les jeux vidéo. En effet, si le jeu vidéo est une « expérience structurée »[5], il est avant tout une expérience qui ne saurait faire l’impasse de l’expérience de notre propre corporéité, corporéité d’autant plus centrale que de nombreux jeux la redoublent par l’existence d’un avatar, comme le note Julie Delbouille dans son article « Négocier avec un corps virtuel. Apports phénoménologiques à l’étude de la relation au corps dans le jeu vidéo. » Julie Delbouille prend notamment le cas de la « blessure » : comment le jeu communique-t-il au joueur les menaces « physiques » qui pèsent sur un corps virtuel ? Comment, à travers les outils qui lui permettent de contrôler le jeu, le corps physique du joueur entre-t-il en négociation avec un corps virtuel ?

S’il peut exister un « corps virtuel » dans les jeux vidéo, cela signifie qu’une autre question essentielle est celle de leur rapport avec la « réalité ». L’implication indéniable de notre corps dans les jeux vidéo, ainsi que leurs multiples liens avec le monde qui nous entoure abolissent immédiatement l’apparente dichotomie radicale entre le réel et le virtuel.

Cela nous paraît d’autant plus évident que, comme Laurent Muller le remarque dans son article « Pourquoi le réalisme ? Vers une nouvelle mimésis», la tendance à l’hyperréalisme est prégnante dans de nombreux jeux vidéo, alors que l’histoire vidéoludique ne fait pas du réalisme une condition sine qua non de la réussite d’un jeu. Loin de se limiter à cette question technique, Laurent Muller multiplie les aspects sous lesquels aborder cette question. L’éthique tout d’abord : si le jeu vidéo, par son extrême réalisme, entretient une confusion ontologique entre ce qui est réel, l’imité, et ce qui tient du jeu, ce qui imite, quels sont les risques pour le joueur d’agir selon cette imitation ? L’esthétique ensuite, car la course continue vers le réalisme semble ignorer que c’est d’abord la capacité d’un jeu à stimuler l’imagination, plutôt que le soin des détails, qui provoque l’immersion. Ludique, enfin, car la quête du réalisme pourrait avoir pour conséquence de délaisser le fondement ludique du jeu vidéo, mettant trop l’accès sur ses qualités visuelles.

C’est en utilisant une acceptation différente du terme « hyperréalité » que Jean-Daniel Thumser propose ses propres réflexions sur la prétendue fuite du réel pour le virtuel que constitueraient les jeux vidéo. Dans son article, « L’hyperréalité des jeux vidéo : phénoménologie d’un monde qui n’existe pas ? », il utilise le concept d’hyperréalité afin de ne plus réduire les jeux vidéo à ce est virtuel et n’existe tout simplement pas, pour les considérer davantage comme des mondes « hyperréels », dont la constitution ne dépend plus que de la subjectivité, et dont les cadres peuvent pénétrer le réel et s’y substituer. Cette approche phénoménologique lui permet alors de reposer la question des « dangers » des jeux vidéo dans des termes nouveaux. Loin de sombrer dans le pessimisme, Jean-Daniel Thumser s’interroge sur la capacité des jeux vidéo à constituer un monde commun. On retrouve ici les réflexions esquissés par Colas Duflo sur les liens entre le « jeu des facultés » kantien et la dimension essentiellement sociale du jeu. En effet, de la même façon que le jugement esthétique produirait un « sens commun » fondé sur une communauté de facultés, les jeux vidéo pourraient avoir le potentiel de constituer un horizon commun.

Qu’ils se situent dans un rapport d’imitation au monde « réel » ou qu’ils donnent à voir une « hyperréalité », les jeux vidéo sont, comme le notait Colas Duflo, en décalage de l’intérieur par rapport à notre monde. C’est cette caractéristique qui leur donne notamment la capacité de proposer une forme de « discours » critique. Néanmoins, le terme de discours fait problème, en ce qu’il peut faire d’un jeu vidéo un simple manifeste.

Il est évidemment possible pour le jeu vidéo de nous interroger sur des questions ontologiques, éthiques, esthétiques ou encore politiques et sociales. Néanmoins, tout medium affecte le message qu’il sert à transmettre autant qu’il le limite, et les questionnements que proposent les jeux vidéo ne peuvent atteindre leur cible qu’à la condition d’être formulés dans les termes des jeux vidéo eux-mêmes.

Il serait à la fois peu efficace et peu utile de faire du jeu vidéo une simple illustration d’un propos, transformant les jeux en manifestes, simples coquilles vides, contenants superflu d’un message essentiel, leur contenu. Ce problème, caractéristique de tout type d’œuvre, trouve une expression particulière au sein de chaque champ de création. Des jeux défendant un propos politique courent alors le risque, comme les jeux éducatifs trop « sérieux », de ne plus être des jeux. Pensons par exemple à Phone story, présenté comme un « jeu éducatif » ayant pour but de dénoncer les abus commis lors de la fabrication, de la distribution et du recyclage des smartphones[6]. Phone story se situe à la limite entre le jeu vidéo et le simple manifeste, voire la dépasse, puisqu’il offre peu de possibilités de jeu, puisque sa durée de vie est limitée, et parce que le discours politique est mis explicitement en avant. Néanmoins, une règle essentielle est respectée : c’est dans l’immersion propre aux jeux vidéo, et non pas dans un discours articulé, que l’essentiel du « message » est transmis. Le jeu obéit en effet à un principe simple : le joueur devient responsable de la maltraitance exercée sur les membres de la chaîne de production des téléphones, par exemple en « corrigeant » les mineurs qui extraient les métaux rares pour qu’ils travaillent suffisamment vite. Le « message » porté par le jeu n’est pas tant dans l’explicitation de la volonté politique dont il est l’expression que dans la mise en place d’un ensemble non-explicite de règles et de contraintes créant une expérience ludique spécifique.

En effet, le succès d’une œuvre « à thèse » repose sur le subtil mélange entre les impératifs artistiques propres au type d’œuvre choisi et les objectifs de son créateur. Pour convaincre, ou interroger, l’auteur, le cinéaste ou ici le concepteur de jeux vidéo doit utiliser les ressources propres au medium qu’il a choisi comme moyen d’expression. Ce n’est donc pas parce que de nombreux jeux ont un contenu narratif qu’ils questionnent à la manière de la littérature, ni parce qu’ils peuvent être entièrement construits autour de dialogues entre personnages qu’ils utilisent les mêmes ressources que le théâtre, ni encore parce qu’ils s’appuient majoritairement sur des ressources visuelles qu’ils ont le même potentiel de subversion que le cinéma. Ce que les jeux vidéo ajoutent à la narration, aux dialogues, à la mise en scène et à leur « réalisation », c’est leur interactivité particulière. C’est pourquoi les auteurs de ce dossier s’intéressent tout particulièrement au gameplay, à l’articulation entre le game, les structures et règles du jeu, et le play, la façon dont le joueur s’approprie les possibilités du jeu en mettant au point ses propres stratégies, pour répondre aux contraintes que les règles « constitutives » du jeu lui imposent. C’est dans les multiples « procédures » mises en place et produites par le jeu, et dans la façon que le jouer a de se les approprier que l’on peut évaluer le potentiel critique des jeux vidéo.

Maude Bonenfant et Dominic Arsenault se situent dans cette démarche avec leur article « Dire, faire, être: éthique, performativité et rhétoriques procédurale et processuelle dans les jeux vidéo ». Pour ces deux auteurs, si les discours et les représentations explicites ne sont en aucun cas absents des jeux vidéo, c’est d’abord par les actions qu’ils permettent aux joueurs de faire que leur contenu moral s’exprime. Ils s’intéressent alors aux éléments implicites de la rhétorique propre aux jeux vidéo, rhétorique procédurale d’une part, qui désigne l’ensemble des actions permises aux joueurs, et processuelle, qui se focalise sur les changements vécus par le joueur dans son appréhension des choses, d’autre part.

En effet, la simple existence de repères et de dilemmes moraux dans les jeux vidéo ne suffit pas à affirmer que l’expérience des jeux vidéo est intrinsèquement morale. Est-on nécessairement un « méchant » lorsque l’on choisit d’incarner un personnage présenté comme néfaste plutôt qu’un personnage censé faire le bien ? La réponse, négative, est le point de départ de la réflexion de Cédric Astay dans son article « Morale, délibération et responsabilité dans les jeux vidéo ». Ainsi, bien que les jeux aient un potentiel immense d’expérimentation morale, ce potentiel est irrémédiablement brimé par de nombreux impératifs, comme celui de la narration qui prime sur une présentation subtile des dilemmes moraux. Les ambiguïtés de l’action sont donc lissées au profit d’un story telling parfois caricatural, et d’une liberté de jeu somme toute limitée, qui neutralisent les questions morales.

Ce constat peut néanmoins être nuancé par l’article de Tristan Bera, « Conscientisation de l’acte dans Life is Strange de Dontnod ». Quiconque aura entendu parler de Life is Strange par l’un de ses joueurs sait combien ces derniers peuvent être bouleversés par son histoire et les dilemmes, cruellement moraux, auxquels ils ont été confrontés. Tristan Bera entend alors montrer comment les alternatives présentées par le jeu à un personnage ayant le pouvoir de remonter le temps conduisent le joueur à une prise de conscience de la nature de ses actes, et de leur limite. Il apprendrait notamment à faire du regret une manifestation de son inscription dans le monde plutôt qu’une volonté d’annuler l’action choisie.

Cette inscription dans le monde peut prendre la forme d’une expérience de la finitude dans les jeux vidéo, et c’est précisément cette possibilité que Yannick Kernec’h évoque dans son article « De l’angoisse de la mort dans les jeux vidéo, ou la possibilité d’une expérimentation vidéoludique de la finitude ». Tous les jeux ne rendent en effet pas inopérante la mort du corps virtuel de l’avatar que le joueur incarne. L’auteur s’interroge alors, dans une perspective phénoménologique, sur les conditions de possibilité d’une véritable angoisse face à la mort dans les jeux vidéo.

Ces différentes contributions montrent combien la définition du jeu vidéo comme « fiction du faire » peut être juste[7]. Il ne s’agit pas alors de fiction au sens d’imitation d’une réalité plus substantielle, ou encore de fiction au sens d’éloignement de la vérité, mais plutôt d’une fiction en tant qu’exploration des multiples dimensions de l’action. Cette fiction atteint le cœur de l’action elle-même, en ce qu’elle en décortique les différents éléments, à l’origine inséparables. Cela n’est pas sans rappeler l’intérêt suscité à l’époque de Pascal par les jeux de hasard, qui a conduit au développement des probabilités grâce à l’étude de cette rationalité étrange qui semble à l’œuvre dans les actions des joueurs.

Le potentiel général des jeux se trouve ainsi magnifié dans les jeux vidéo, qui étendent le champ de nos actions, les décortiquent et permettent ainsi un retour réflexif de l’agent sur ses propres actions. Ils rendent explicite la rencontre entre une volonté, ses outils, et un monde dans lequel il faut agir, mettant ainsi en défaite les distinctions exclusives comme celle qui opposerait conséquentialisme et déontologisme, et démontrant la nature contextuelle de l’action morale, ainsi que la nécessité de la prudence qui la caractérise. Certains jeux apparaissent alors plus « philosophiques » que d’autres, ce que ce dossier entend assumer pleinement. Tout comme Mathieu Triclot se refuse à lisser la différence entre le solitaire et des jeux beaucoup plus complexes[8], il ne nous est pas interdit, bien au contraire, de marquer la différence entre des jeux plus philosophiques que d’autres, parce qu’ils développent ce potentiel du domaine ludique.

C’est en prenant conscience de ce potentiel réflexif de certains jeux vidéo qu’il est possible, comme Rémy Sohier le montre dans son article « L’expérience émersive du jeu vidéo. Le cas d’une création vidéoludique portant sur la difficulté à s’approprier le vécu d’un migrant », de créer de toute pièce un jeu, Fuir la guerre, au propos éthique et politique. Il s’agit ici de « jouer » le parcours chaotique de migrants réfugiés en faisant alterner deux principes : l’immersion, bien connue, propre aux jeux vidéo, qui permet la projection dans un univers fictif, d’une part, et l’émersion, concept proposé par Rémi Sohier pour définir un type d’esthétique proprement réflexif.

C’est en quelque sorte ce potentiel « d’émersion » que Rémi Cayatte explore à travers le jeu Cannon Fodder (littéralement, « chair à canon ») dans son article « Cannon Fodder, le jeu de guerre antimilitariste ». Comme le montre Rémi Cayatte, le potentiel critique de Cannon Fodder ne réside pas dans un discours explicitement antimilitariste. Au contraire, seuls les mécanismes et les éléments formels du jeu suggèrent l’absurdité de tout conflit armé, alors qu’un joueur inattentif pourrait y voir une « trivialisation » et une déshumanisation de la guerre.

En plus de refléter ce qui peut être critiquable dans le monde, les jeux vidéo peuvent aussi devenir des espaces de créations d’alternatives à ce que nos sociétés imposent aux individus. C’est pourquoi Julie Descheneaux considère que les jeux vidéo ne doivent pas être seulement vus comme un lieu de reproduction des inégalités du monde social, mais aussi comme des lieux de subversion. C’est ce qu’elle propose de faire dans son article, « Réflexion queer sur les communautés furry et cosplay. Enjeux de l’identité sexuelle dans le jeu vidéo ».

Enfin, ce dossier de l’été se conclura en ouvrant des perspectives nouvelles à partir des jeux vidéo. Johann Château-Canguilhem nous présentera la soma-esthétique, discipline développée par Richard Shusterman, qu’il définit comme une pensée du corps, visant à développer une meilleure conscience somatique. Il esquissera dans son article, « L’implication soma-esthétique dans les jeux vidéo », des réflexions sur la façon dont les jeux vidéo peuvent participer du développement de cette discipline, en faisant du « virtuel » un mode de réalisation somatique.

La coordination éditoriale tient également à remercier chaleureusement les nombreux relecteurs qui se sont portés volontaires et dont le travail acharné a rendu la réalisation de ce dossier possible.

Marc Goetzmann

Thibaud Zuppinger


[1] Nous pensons notamment à Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, Zones, mai 2011.

[2] À propos de ces philosophes, nous nous en remettons humblement à son analyse, dans Colas Duflo, Le jeu. De Pascal à Schiller. Philosophies, PUF, 1997.

[3] Ibid., p. 18.

[4] Voir le « Prologue » de Philosophie des jeux vidéo, par Mathieu Triclot, Zones, 2011. Le texte en intégralité se trouve à cette adresse : http://www.editions-zones.fr/spip.php?id_article=135&page=lyberplayer.

[5] Mathieu Triclot, op. cit., « Prologue ».

[6] Le jeu peut être trouvé à cette adresse : http://www.phonestory.org/game.html

[7] Oscar Barda, « J’ai cherché une définition du jeu pendant seize ans et j’ai enfin trouvé », Rue89, 2/02/16 [http://rue89.nouvelobs.com/blog/extension-du-domaine-du-jeu/2016/02/02/jai-cherche-une-definition-du-jeu-pendant-seize-ans-et-jai-enfin-trouve-235197] (consulté le 18/07/16).

[8] Triclot, op. cit., « Prologue ».

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