Implications philosophiques

perception, axiologie et rationalité dans la pensée contemporaine

Dossier 2009 - L'habitat, un monde à l'échelle humaine





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Notes et remarques

[1] A. M. Lagarde, Les Basques, société traditionnelle et symétrie des sexes, Paris, L’Harmattan, coll. Recherches et documents Espagne, 2003, p. 52.

[2] Ibidem, p. 61.

[3] I. Gratacos, Les Femmes pyrénéennes. Un statut social exceptionnel en Europe, Toulouse, Privat, 2003 (1ière éd. : 1987), p. 43.

[4] Mañex Lanatua met en avant la relation entre la reine des abeilles et la maison. « Nous soulignerons d’abord que le même mot anderea –reine, désigne à la fois la maîtresse de maison et la reine des abeilles. Dés lors, lorsque l’on sait que l’harmonie de la ruche, de même que la condition de vie ou de mort de l’ensemble des individus que forment l’essaim, dépendent de la reine, la terminologie utilisée par la langue basque paraît évidente : la maîtresse de maison est l’égale de la reine. » Et l’auteur s’empresse d’ajouter « d’où peut être une certaine idée de noblesse liée à l’individu basque ? » On utilise le mot Il, pour la mort des abeilles, tout comme l’homme. Cet anthropomorphisme ne peut admettre de vente ni d’achat d’abeilles, elles doivent être échangées contre de l’étoffe, une brebis, ou encore simplement être données. Par le symbolisme du sanctuaire qu’est la maison basque, le seuil de la porte orientée vers le soleil (comme certaines sépultures préhistoriques) permet l’entrée du soleil dés la matinée dans la maison. Ce soleil féminin, « couleur de miel », imprègne la maison comme « le miel imprègne la ruche ». Mañex Lanatua, « Liens entre abeilles et anciennes croyances basques », trad. du basque au français, novembre 1999, consulté en avril 2004, http://www.suse00.ehu.es/euskonews/.0055zbk/gaia.fr.html. « Les Basques avaient encore un autre rite avec l’abeille. Lorsque l’ancien maître de maison décédait, le jeune maître se présentait au rucher. Il s’adressait ainsi aux abeilles : "Abeilles ! Abeilles ! Ecoutez-moi : votre ancien maître est mort, je suis désormais votre nouveau maître, faîtes du miel pour moi !". Idem.

[5] Etxekoandere « La dame de maison », traduit plus généralement par « maîtresse de maison ». L’etxekoandere veille à l’accomplissement de se maintenir en rapport avec les âmes des anciens, du respect des aînés, du bien et du mal, et des relations avec le voisinage.

[6] Selon Frédéric Le Play, dans la famille-souche un des enfant vit en communauté avec les parents, qui perpétuent la tradition des ancêtres, alors que les autres enfants s’établissent en dehors ou « font du célibat » au foyer paternel. On retrouve ce type en Scandinavie, au nord-est et midi allemand, dans les Alpes, les Pyrénées, et au centre de la France.

[7] Egilea Celaya Ibarra Adrian, « La Conjoncture actuelle du droit basque », in Castells J. M. Et Apalategui C. C., La Pratique actuelle du droit coutumier…, op. cit., p. 31.

[8] Sous l’Ancien Régime, les formes de coopération économique étaient en Biscaye et Guipuzcoa des auzolan (travail entre voisins). L’aide mutuelle peut aussi prendre la forme de troc (ordea) ou d’actions charitables lors de veuvage et de vieillesse, et concerne aussi les jeux, les naissances et les enterrements.

[9] Peio Etcheverry-Ainchart et Alexandre Hurel, Dictionnaire thématique de culture et civilisation basque, Urrugne, Pimientos, 2001, 178 p.

[10] J. M. Barandiaran, Dictionnaire illustré de la mythologie basque, Bayonne, Elkar, 1993, p. 319.

[11] F. Jauréguiberry, Question nationale et mouvement sociaux en Pays Basque, Paris, L’Harmattan, coll. Questions Contemporaines, 2007, p. 26.

[12] Idem.

[13] P. Bidart, La Singularité basque. Généalogies et usages, Paris, PUF, coll. Ethnologies, 2001.

[14] A. M. Lagarde, Les Basques. Société traditionnelle…, op. cit., p. 219.

[15] Idem. Soulignons que dès les années 1950, « la fonction d’aîné pèse, on le conçoit, à certain/es, qui auraient bien voulu vivre comme le cadet ou la cadette. Dans un complet bouleversement des valeurs traditionnelles, cette fonction est maintenant vécue par eux comme une contrainte infériorisante. Ceci d’autant plus que depuis les années 1970, l’activité des petites exploitations agro-pastorales est peu rentable. » I. Gratacos, Femmes pyrénéennes…, op. cit., p. 119.

[16] Gabriel Aresti, Herri eta herri, 1964, in Elorza Antonio, Garmendia José Marìa, Jauregui Gurutz, Domìnguez Florencio, Unzueta Patxo, ETA.Une histoire, trad. de l’espagnol par Annick Tréguier, Paris, Denoël, Impacts, [éd. originale 2000] 2002.

[17] A. M. Lagarde, Les Basques, société traditionnelle…, op. cit., p. 78.

[18] Ibidem, p. 52.

[19] P. Etcheverry-Ainchart et A. Hurel, Dictionnaire thématique de culture et civilisation basque…, op. cit., p. 37.

[20] Ibidem, p. 178.

[21] Idem.

[22] « Le fuero est un ensemble de règles juridiques qui sont en même temps la loi constitutionnelle et le code civil, pénal, et de procédure pénale. Il est issu de tout l’ensemble d’usages et de coutumes en vigueur parmi les habitants des provinces espagnoles au cours des siècles. On parle en français de droit foral, de système politique foral. » Initerm.net, « Mot clé : langue juridique », CEL : Centre d'Études Linguistiques, Université Lyon 3, dernier article publié le 12 janvier 2009, consulté en mars 2009, http://www.initerm.net/tag/langue%20juridique/page/2. L’Initerm est un projet d’« Initiation à la terminologie de spécialité et au système de la langue espagnole », associé au Centre d'Études Linguistiques (Université Lyon 3).

[23] F. Jauréguiberry, Question nationale…., op. cit., p. 32.

[24] Idem.

     Sandrine Bretou

L’imaginaire de la maison. Vues du Pays Basque  

Anciennement allocataire-monitrice et ATER spécifique, Sandrine Bretou est doctorante en sociologie de l’imaginaire à l’Université de Montpellier3–Paul-Valéry, et termine une thèse sur la construction identitaire du militant politique basque partant de bases mythologiques. Elle s’intéresse ainsi à tout l’univers symbolique et traditionnel du partisan. Elle a par ailleur co-créé avec une autre doctorante, un site, Rusca, consacré aux publications des doctorants et jeunes docteurs de l’ED 60, associé et hébergé par la MSH de Montpellier.

La maison est un bien matériel, comme le relève Claude Lévi-Strauss, mais aussi un bien immatériel, dans un sens traditionnel et spirituel. La maison est source et lieu de croyances et de traditions. En Pays Basque, elle possède un nom : l’etxe. Les habitants ont des droits et des devoirs leur incombant. C’est dans une analyse sociologique que nous allons emprunter un chemin à travers les fonctions juridiques et sociales de la maison. « Dans ce pays, la maison est bien plus qu’un bien (etxalde), une architecture : c’est une mémoire et une histoire (etxondo) ; elle donne le nom à la personne (izena versus sinatura). »[1] La possession des terres étant collective : « tout le système juridique est élaboré autour de la maison – etxea- véritable entité sans début ni terme, pierre angulaire de tout l’édifice politique et social basque. La maison vote aux assemblées alors que la noblesse et le clergé sont exclus. »[2] C’est une entité autonome personnalisée par un nom qui est un « bien antérieur au patronyme de ceux qui y vivent de nos jours. »[3] Son nom est donc invariable et s’inscrit dans l’imaginaire et l’histoire et, ainsi dans les rapports à l’autre.

La notion d’etxe, valorise l’identité, elle est une forme de médiation esthétique de l’appartenance culturelle, de par sa singularité mais également de par sa dimension collective. L’etxe est directement liée à la condition de la femme en Pays Basque. Pour Mañex Lanatua[4], la reine des abeilles est directement liée au rôle de l’etxekoandere[5], en effet celle-ci régit la ruche, comme la femme dans la maison, qui par suite, régit aussi bien les vivants que les morts, et tout le système symbolique qui en découle. Trois clés analytiques sont nécessaires à l’étude de la maison et sa fonction : la famille-souche[6], l’émigration et le droit d’aînesse. « La vie basque est centrée sur la famille comme base de l’organisation sociale. La famille n’est pas, comme on semble le croire dans certaines conceptions étatistes, la cellule de la société, ni l’embryon d’autres communautés. Ce n’est pas une fabrique de soldats ou de citoyens. Elle possède sa propre valeur et de ce fait elle est la base d’une société libre. »[7] L’organisation familiale est centrée sur la nécessité socioculturelle et économique. Aujourd’hui, la palette de situation familiale est très variée, on trouve désormais des familles souches, monoparentales et nucléaires. Toujours est-il qu’il reste encore un fort symbolisme représenté par l’entraide chez les Basques[8]. Cette valeur de solidarité a toujours été en Pays Basque, et devient même une caractéristique revendiquée de l’identité basque.

La maison avait plusieurs fonctions et symbolismes : espace sacré, hospice pour les vieux, ainsi que port d’attache en cas d’épreuves morales ou physiques, mais il convient d'observer également « sa fonction d’agence de placement des membres de la famille »[9], comme l’appelle Peio Etcheverry-Aintchart. La maison est un lieu d’ancrage pour l’identité, les individus y sont attachés par les souvenirs qu’elle suggère. C’est à travers la maison que le système familial prend toute son ampleur. La filiation est une part de notre identité individuelle nous ancrant dans une certaine pérennité collective. « L’identité […] était conçue en relation avec autrui, non pas dans le sacrifice mais dans le don que matérialisait la dot. Celle-ci constituait, et l’acquittement du droit d’entrée dans la filiation (ou plutôt, dans une germanité symbolique), et l’acquittement réciproque des sexes. Un "part-don" mutuel. »[10] La maison joue ainsi un rôle essentiel dans le maintien des traditions. Le chef de famille n’en est que le dépositaire[11]. « L’enfant grandit dans un esprit communautaire très vif, centré sur les lieux géographiques qui sont d’abord l’etxe puis, plus tard, la paroisse, le village ou la vallée qui constitueront ces espaces de référence. »[12] Le système de l’aînesse intégrale pousse les cadets à partir, et parfois à émigrer. L’émigration doit être vue comme une conséquence de ce système de gestion du patrimoine.[13] Sans départ, la maison n’est plus créatrice de lien social. « La théorie lacanienne, à la suite de Freud, permet d’éclairer le sens de ce départ des cadet(te)s et de montrer que loin de s’inscrire dans une logique sacrificielle, mutilante, de l’être humain […] il représente le déplacement de la notion de castration vers une fonction symbolique, la possibilité de l’émergence de l’être individuel. Grâce à ce départ, l’autre peut être pensé, la fonction paternelle peut s’affirmer, "la part impartageable" (l’expression est de Trigano) se symboliser, permettant d’échapper à la totalisation et sa conséquence le totalitarisme. »[14] Par l’échange des dots et des cadets, « la maison basque signe la possibilité de l’égalité démocratique la plus authentique. Elle se concrétise par la "ronde" des maisons-sœurs et l’échange des titres. »[15]

Gabriel Aresti disait en 1964 : « Ni hilen naiz/ nire arima galduko da, nire askazia galduko da, / baina nire aitaren etxeak/ iraunen du zutik. » « Je mourrai, mon âme et ma descendance disparaîtront, mais la maison de mon père sera toujours debout »[16]. La maison, bien avec les « meubles et immeubles, animaux domestiques, terres labourables, droit d’église et de sépulture »[17], bien symbolique regroupant le nom de la maison, ses morts et en même temps qu’être un point de ralliement, elle est le lien de transmission des valeurs, elle-même est transmise à un seul héritier, l’aîné (fille ou garçon) avec l’obligation à l’aîné de se marier à un cadet ou cadette. Les cadets se doivent donc de quitter la maison ou, s’ils veulent rester c’est en qualité de célibataire. La maison « ne pouvait et ne devait être vendue, sauf à se livrer à un crime contre soi-même et la communauté. »[18] L’etxe devient de surcroît une « personne morale »[19]. Voici selon Anne-Marie Lagarde les quelques règles de base du règlement intérieur de l’etxe : « aînesse intégrale sans distinction de sexe ; départ des cadet(te)s sans distinction de sexe ; attribution de la dot sans distinction de sexe ; co-seigneurie des maîtres jeunes et vieux ; généralisation des titres. »[20] Comme le démontre E. Celaya Ibarra Adrian, le droit basque est un droit populaire, dans ce système tous les hommes sont libres et toutes les maisons juridiquement égales, l’intérêt de chacun se confond avec l’intérêt général. Le système de premier voisin en Soule, est un bon exemple de type de relation collective que la maison génère. B. de Etchegaray souligne que « les éléments constitutifs du groupe de voisinage varient d’un village à l’autre. »[21] Mais, être voisin c’est maintenir surtout certaines relations se traduisant par des devoirs et des droits consacrés par l’usage. Il existe des Commissions Syndicales, gestionnaires d’un territoire, elles sont les héritières des États de Corps de Vallée qui ont géré le Pays Basque dès le XVième siècle. L'organe de décision de ce genre de collectivité est composé de délégués de chacune des communes. Aujourd'hui, son action est amenée à poser de multiples questions sur le développement durable, l'environnement ou le tourisme, par exemple. Les droits foraux[22] en Pays Basque sont basés sur la liberté de tester pour la plupart et de favoriser la famille. La coutume locale étant prioritaire sur la coutume générale, les représentants de chaque vallée qui allaient aux Juntas Generales n’étaient pas élus, mais plutôt désignés, en tant que meilleur représentant de la communauté, de la Tradition, des us et coutumes du village, afin de les défendre aux Juntas, et ceci de façon à ce que rien ne change, ou en tout cas ne soit pas complètement bouleversé. « Il ne s’agit pas de produire dans la division, mais de reproduire dans l’unité. »[23] Et en dépit de l’unification du droit français réalisée par la Révolution Française et achevée par le Code Civil de 1804, le droit coutumier tient encore une grande place en Pays Basque. Le droit basque a été élaboré par la population elle-même, selon le régime naturel de la propriété indivise et collective, et à partir d’une cellule de base qui est la famille. Celle-ci « était symbolisée par la maison, à laquelle elle s’identifiait et qui se perpétuait à travers les siècles grâce à un système conçu pour sa conservation. »[24]

Conclusion

Il est nécessaire de relever la constitution d’ensemble lignagers, avec des tensions et des conflits engendrés par ces pratiques, à tendance inégalitaire mais nécessaire au bon fonctionnement des maisons. Cela étant fortement lié à une géographie particulière et accidentée qui est la montagne. Une comparaison entre les différents types de gestion de la maison (ou de définition de celle-ci) est encore à faire. On traite encore plus facilement de la famille que de la maison.

Dans les « sociétés à maisons » comme les appelle C. Lévi-Strauss, les alliances sont primordiales, « on ne se marie pas avec n’importe qui » (désormais dans une vision idéal-typique de la maison), un aîné ne peut se marier avec un aîné, c’est par la mixité stricte des familles que les maisons subsistent. Le devoir primordial de chaque génération héritant de la maison est de la défendre, de la garder dans sa totalité. Et puis dans les cas de ce type de sociétés à maisons, plusieurs générations sont présentes à l’intérieur de la maison, renforçant ainsi son pouvoir et surtout sa « rentabilité » en faisant des anciennes générations présentes, de la main d’œuvre et une manne financière. Les mariages n’étant donc pas automatiquement le fruit de l’amour, mais bien de placement à la fois politique mais aussi et surtout économique.

L’individu n’est pas un maillon essentiel, c’est le groupe familial ou plutôt la « maisonnée » qui fait bloc. Les alliances et stratégies d’alliances sont loin d’être aléatoires, on ne peut pourtant parler de structures, mais plutôt de normes et traditions. Et si les statistiques relèvent d’un apparent désordre pour C. Lévi-Strauss, ce désordre n’en est que plus structurant et révélateur d’un certain type d’organisation sociale avec des éléments contradictoires mais utiles à sa survie.

Sandrine Bretou