Implications philosophiques

perception, axiologie et rationalité dans la pensée contemporaine

Dossier 2009 - L'habitat, un monde à l'échelle humaine



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Notes et remarques

[1] Paul Ardenne, extrait d’un entretien paru dans la revue Mouvement, n°50, janvier-mars 2009

[2] Pascal Nicolas-Le Strat , Expérimentations politiques, chapitre « Multiplicité interstitielle »

[3] Livre vert sur la cohésion territoriale: faire de la diversité territoriale un atout. Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité des régions et au Comité économique et social européen du 6 octobre 2008.

[4] Rapport Fabrice LEXTRAIT sur les Nouveaux territoires de l’art

[5] Le territoire, dans sa définition anthropologique, telle que Marc Augé peut le définir comme espace relationnel, identitaire et historique. Voir Marc Augé.- Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité.- Paris- Ed. Seuil, 1992.

On parle ici de (non) lieu. En effet il ne suffit pas d’être quelque part pour être en un lieu. Les lieux au sens où on l’entend ici ne sont pas de simples portions d’espace (endroits, positions, places). Les lieux sont produits, et parfois même institués. Ils se vivent, ils se disent, inséparables de l’espace social où ils ne se juxtaposent pas simplement à d’autres, mais s’interposent, se composent, se superposent et, parfois, se heurtent

[6] Multitudes n°31, Agir urbain, hiver 2008.

     Clara Guillaud - Page 1

Interstices urbains et pratiques culturelles 

« Dans les sociétés très normalisées qui étouffent sous le consensus, relèveront de l’art le plus intéressant a priori les créations qui instillent dans la mécanique du contrôle une figure d’indiscipline, d’irréductibilité à la normalisation. La poésie doit être transformative. »[1]

« Du fait de leur statut provisoire et incertain, les interstices laissent deviner ou entrevoir un autre processus de fabrication de la ville, ouvert et collaboratif, réactif et transversal. Ils nous rappellent que la société ne coïncide jamais parfaitement avec elle-même et que son développement laisse en arrière plan nombre d’hypothèses non encore investies. (…) L’interstice se constitue donc à un niveau politique ; il tente de faire rupture avec l’ordonnancement classique de la ville. »[2]

vers une nouvelle manière de vivre/d’investir la ville ?

Alors que l'espace public semble se « normaliser », s'émietter, raréfiant les circonstances de sociabilité et d'échange qui permettent à l'individu de prendre part et d'agir sur son environnement, apparaissent dans le tissu urbain spatial et mental pour des durées plus ou moins longues, des vides, des espaces en transition, en attente. Toujours situés en marge, même s’il s’agit d'interstices « intra » urbains, ils représentent un enjeu particulièrement intéressant et un défi pour les responsables du développement urbain, les architectes, les urbanistes, les artistes, les habitants. Leur caractère indéterminé et vague est peut-être, nous le verrons, ce qui en fait des lieux de possibles.

Des squats aux friches en voie d’institutionnalisation, de la ville en chantier aux espaces délaissés investis par des projets architecturaux, la définition et les usages de ces interstices sont fondamentalement multiples, en France comme à l’étranger.

Notre propos n’est pas de dresser une typologie exhaustive de ces espaces, mais de comprendre en quoi ils peuvent constituer des laboratoires de nouvelles pratiques sociales et culturelles, où l’intermédiaire se conjugue avec le pérenne, et tentent de produire de nouveaux espaces partagés.

Éminemment politiques, dans la lignée des « nouveaux territoires de l’art », ces démarches dessinent de nouvelles formes de vivre ensemble. Loin des espaces artistiques et culturels formels et matériellement définis, il existe des espaces vides, indéterminés, vagues, qui sont réinvestis par le champ artistique et culturel en lien direct avec la notion de territoire. Comment ces espaces de rencontre et de confrontation se façonnent-ils ? Quels liens s’établissent avec le territoire ?

Il s’agira de comprendre ce que sont ces espaces interstitiels urbains ou périurbains, de quelle nécessité et de quel désir ces démarches sont le fruit.

Contexte d’émergence

Ces « nouveaux lieux » de l’espace urbain émergent depuis la fin des années 60 un peu partout dans les villes post-industrielles européennes et américaines.

Mais c’est surtout dans les années 90, lorsque l’espace urbain devient de plus en plus saturé, et que se développe à forte allure la privatisation de l’espace public et les gated communities, l’artificialisation du milieu urbain et les problèmes environnementaux. Les fractures sociales et économiques influencent les mobilités des populations, les mouvements de protestation et les actions urbaines. La structure du tissu urbain sur le territoire de l’Union Européenne est unique, avec des villes de toutes tailles et de tous types. Aujourd'hui, plus de 70% des citoyens européens vivent en zone urbaine. Les villes représentent des lieux stratégiques pour accroître la compétitivité et créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité. Toutefois, elles offrent autant d’opportunités qu’elles recèlent de difficultés, dont l’exclusion sociale, la montée du chômage et la dégradation de l'environnement.[3]

La ville contemporaine se voit confrontée à de nombreuses mutations. C’est dans ce contexte qu’émergent généralement ces espaces «alternatifs», offrant alors un cadre non institutionnel à diverses activités artistiques.

L’importance de la réutilisation (dans une structure urbaine saturée de lieux vacants, par exemple) conduit certains artistes à développer leur art en interaction très forte avec l’ « espace » qu’ils investissent. C’est notamment ce qu’on a vu avec la genèse des friches industrielles. Les «nouveaux territoires de l’art»[4], qui concernaient principalement les friches industrielles, désignent plus largement aujourd’hui des « (non) lieux »[5], bâtis ou non, institutionnels ou pas….

Ces discussions interrogent notamment le rôle et la place des artistes dans la création d’une « ville de substitution » qui invente, intensifie et restitue d’une manière critique ces nouvelles formes de réappropriation de l’espace urbain.

Certains architectes parlent de la nécessité de rétablir le sens d’un territoire commun à partager dans la ville. Il est de plus en plus clair que cela ne pourrait pas se faire sans l’initiative et la participation directe des populations qui y habitent. Si les débats théoriques ont beaucoup avancé dans ce sens, la pratique de ces démarches « participatives » n’en est qu’à ses débuts.

En pratique nous ne cessons d’inventer des modes, des usages, des démarches urbaines qui requalifient les frontières de la ville. Un peu partout en Europe et aux Etats-Unis, on constate l’émergence de démarches revendiquant d’autres manières de vivre et d’autres politiques de la ville, à travers des revendications interventionnistes et des actions urbaines— telles que Reclaim the Street, This Land Is Ours — et des initiatives citoyennes, comme les ateliers populaires d’urbanisme en France. Ces différentes formes peuvent être considérées comme des expériences interstitielles, dans la mesure où elles détournent les usages, recréent un nouvel espace en allant à la marge pour retrouver du sens dans les villes fragmentées, où les zones de ghettos et d’exclusion se multiplient. Le mouvement citoyen, commencé dans les squats des quartiers anciens, continue à marquer la ville d’un interstice, d’une rupture dans le lissage général.

Finalement, en quoi peut-on parler d’interstices urbains ? Si l’« agir urbain »[6] interstitiel et la production d’une zone temporaire ne présentent aucune « recette », on peut toutefois tenter, à l’aide de théoriciens et de praticiens, de dégager certaines caractéristiques interstitielles qui permettra d’en saisir les enjeux.


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