Implications philosophiques

perception, axiologie et rationalité dans la pensée contemporaine

Dossier 2009 - L'habitat, un monde à l'échelle humaine



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Notes et remarques

[1] Kirkpatrick Sale, Rebels Against the Future: The Luddites and Their War on the Industrial Revolution: Lessons for the Computer Age, Addison Wesley, 1995.

[2] Kirkpatrick Sale, La révolte luddite. Briseurs de machines à l'ère de l'industrialisation, L'échappée, 2006.

[3] Article disponible sur internet à l'adresse :

http://www.monde-diplomatique.fr/1997/02/SALE/7773.

[4] Kirkpatrick Sale, Human Scale, New Catalyst Books, 2007 [1980].

[5] Nous pourrions traduire le titre par « Habiter le territoire. La vision biorégionaliste ».

Kirkpatrick Sale, Dwellers in the Land: The Bioregional Vision, Sierra Club Books, 1985.

[6] Kirkpatrick Sale, After Eden: The Evolution of Human Domination, Duke University Press, 2006.

[7] Ce géographe américain a publié De l'inégalité parmi les sociétés, Paris, Gallimard, 2000 et, plus récemment encore, son fameux Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Paris, Gallimard, 2006.

[8] « The Middlebury Institute for the study of separatism, secession, and self-determination », http://middleburyinstitute.org/

[9] « The virtue of small government is that the mistakes are small as well. […] If you want to leave a nation you think is corrupt, inefficient, militaristic, oppressive, repressive, but you don’t want to move to Canada or France, what do you do? Well, the way is through secession, where you could stay home and be where you want to be », in Peter Applebome, « A vision of a Nation no Longer in the U.S. », The New York Times, 18 octobre 2007.

Article disponible à l'adresse http://www.nytimes.com/2007/10/18/nyregion/ 18towns.html?_r=1.

[10] Effectué par l'institut de sondage Zogby International à la demande et avec le financement du Middlebury Institute, consultable sur http://www.zogby.com/News/ReadNews.cfm?ID=1531. Les questions et la répartition des réponses sont les suivantes: « “I believe any state or region has the right to peaceably secede and become an independent republic”- Agree 22%, Disagree 73%, Not sure 5%; “I would support a secessionist effort in my state” - Agree 18%, Disagree 72%, Not sure 10%. »

[11] Kirkpatrick Sale, Human Scale, op. cit., p. 38.

[12] Ibid., p. 168: « But the idea of human scale began to be lost somewhere in the early industrial era – around the time, not coincidentally, of the beginnings of the nation-state. With the rise of government-sanctioned science and the solidification of architecture into royal academies in the eighteenth-century “Enlightenment”, the idea of objective “scientific” rules came to supersede subjective “humanistic” ones; this is when we get long, abstract building shapes like Wren’s Naval College at Greenwich and absurdly rectangular formal gardens like those of Le Nôtre’s Tuileries in Paris. Then with the rise of industrialism and the triumph of engineering in the nineteenth century, mechanical considerations came to outweigh visual and aesthetic ones and the “utility” of a building became its prime consideration; hence the look of those red-brick factory towns in industrial factory towns in industrial New England and of many squat and squalid prison and military installations still standing today. Ultimately with the rise of the technological prowess and modern architecture in the twentieth century, the building took on a form of its own quite unrelated to human or even social perceptions, where the objects are to let the materials simply perform to their utmost – thus the triumph of steel in the Seagram Building, of glass in Lever House, of cement in the Guggenheim Museum, and so on – and to let technology provide, God help us, “a machine to live in”. ».

[13] L’expression est – c’est Sale qui le signale – de Le Corbusier. Il ajoute également que certaines des réalisations de ce dernier peuvent effectivement être qualifiées ainsi [anti-human machines], à l’instar de son Unité d’Habitation de Marseille ou de sa Ville Radieuse.

[14] Kirkparick Sale, Human Scale, op. cit., pp. 168-169. La citation provient de Bruno Zevi, Architecture as Space, Horizon, 1957. « Scale means dimension with respect to man’s visual apprehension, scale means dimension with respect to man’s physical size ».

[15] Le recueil d’interventions d’Ivan Illich porte un titre qui évoque précisément cela ; y sont explorées non seulement les conditions historiques de la perte du sens de la mesure, mais également celles de la perte d’autres qualités sensorielles, relevant par exemple de l’ouïe ou de l’odorat. Ivan Illich, La perte des sens, Paris, Fayard, 2004.

[16] Par exemple Serge Latouche, La déraison de la raison économique. Du délire d’efficacité au principe de précaution, Paris, Albin Michel, 2001.

[17] Kirkparick Sale, Human Scale, op. cit., p. 170. « The visual aspect of a building is, after all, the first, and always the most indelible, whatever other sensory impressions may later accrue ; the eye, if not precisely the window of the soul, may still be regarded as the gateway of the brain and the organ from which our most basic mental and emotional comprehension derives. Various scientific studies of the eye have been undertaken over the years, though remarkably the first complete ergonomic studies were not carried out until Henry Dreyfuss, a New York industrial designer, set his studio to the task in the early 1960s ».

[18] Henry Dreyfuss, Humanscale, MIT, 1974. Les schémas que Sale reproduit dans son ouvrage et que je reprends ici à mon tour en proviennent ; il se peut que certains soient issus d’un autre ouvrage du même auteur (Sale ne le précise pas), The Measure of Man, Whitney Library of Design, 1966.

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La notion d’échelle humaine chez Kirkpatrick Sale  

Philippe Gruca travaille sur la taille des sociétés humaines et se penche sur le gigantisme des nôtres.

Après un mémoire intitulé "De l'hubris à la human scale. La notion d'échelle humaine chez Kirkpatrick Sale", il commence actuellement une thèse consacrée à Günther Anders sous le titre "L'échelle de la responsabilité. Günther Anders face à une question de taille".


Kirkpatrick Sale est aujourd'hui quasiment inconnu en France. Ceux toutefois qui se montreraient intéressés par le luddisme et les luddites auront certainement entendu son nom ; peut-être même auront-ils lu son ouvrage dédié à l'histoire de la révolte luddite – Rebels Agains the Future[1] – traduit très récemment en langue française par Célia Izoard sous le titre La révolte luddite[2]. En février 1997, Le Monde diplomatique publiait un article de Sale[3], « Résistances américaines aux nouvelles technologies », dans lequel celui-ci rendait compte de la convergence de différents « mouvements », aux États-Unis d'Amérique, vers une remise en question de « l'inévitable progrès technique » : la création d'une « société Jacques Ellul », la tenue d'un Forum international sur la mondialisation et l'intérêt croissant pour la voluntary simplicity – la simplicité volontaire. Néanmoins, hormis ces deux « importations » qui permettent au lecteur français de se familiariser avec ses thèses plus récentes sur la technologie, aucun de ses écrits portant sur le thème qui nous intéresse présentement n’a été jusqu’ici traduit.

Ce dossier, titré « Un monde à l’échelle humaine. Imaginaire et symbolique de l’habitat », pouvait difficilement se passer d’une contribution au sujet de Kirkpatrick Sale et de sa « bible » traitant de la notion d’échelle humaine. Puisque c’est la dimension architecturale qui est ici privilégiée, je présenterai les idées développées par l’auteur de Human Scale qui s’y rapportent directement, au dépend des nombreuses autres dimensions qu’il aborde dans son ouvrage, et en particulier celles qui concernent l’organisation de sociétés humaines à une échelle qui soit adéquate. Il est important de préciser cela, car l’une et l’autre ne relèvent pas nécessairement des mêmes préoccupations, comme nous le verrons plus loin. Mais d'abord, quelques mots au sujet de l'auteur s'imposent.

Qui est Kirkpatrick Sale ?

Après des études d'histoire à la Cornell University dans les années 50, Sale a choisi de mener une carrière de journaliste en travaillant pour The New Leader puis pour le prestigieux New York Times. Il continue néanmoins son activité en freelance et publie à partir des années 60 des ouvrages sur différents sujets, avant de faire paraître son opus magnum, Human Scale[4], en 1980. Ce travail est prolongé ensuite dans Dwellers in the Land: The Bioregional Vision[5]. Entre 1990 et 2001, il publie un important travail historique sur des thèmes touchant à l’écologie et aux fondations des Etats-Unis d’Amérique, et en particulier sur la technique moderne qui a permis leur avènement. Son ouvrage le plus récent est After Eden: The Evolution of Human Domination[6]; s’y trouvent réunies des études paléontologiques, archéologiques et anthropologiques qui lui permettent de retracer l’histoire de l'espèce humaine en tant qu'elle s'est imposée en espèce dominante, par une approche qui n'est pas sans nous évoquer celle de Jared Diamond[7].

La culture de Sale et la richesse des références mobilisées dans ses ouvrages en font un véritable chercheur indépendant, condition qui lui permet d'associer librement dans ses ouvrages l'analyse, la critique et la proposition politique. Aujourd’hui âgé de 78 ans, il est le théoricien majeur de l'idée d'échelle humaine, ce qui le conduit à se faire le défenseur, sans doute le plus vigoureux et le plus entendu aujourd'hui, du sécessionnisme. Son lieu de vie est le Vermont, état du nord-est des USA bordé par les états de New York, de Massachussetts et du New Hampshire, et par le Québec. Cet état a été une république indépendante entre 1777 et 1791, avant de rejoindre l’Union des treize états alors constituée. Sale est le co-fondateur, avec d'autres membres de la « Seconde République du Vermont », du Middlebury Institute, institut « pour l'étude du séparatisme, de la sécession et de l'auto-détermination »[8]. Dans une interview accordée au New York Times en 2007, Sale déclare : « La vertu d'un petit gouvernement consiste en ce que les erreurs que l'on peut y commettre sont petites également »[9]. Il y présente son positionnement de la manière suivante:

Si vous voulez quitter une nation dont vous jugez qu'elle est corrompue, inefficace, militariste, oppressante, répressive, mais que vous ne voulez pas déménager au Canada ou en France, que faites-vous ? Eh bien, la résolution se fait par la voie de la sécession, ce qui vous permet de rester chez vous et de vivre à l'endroit où vous juger bon de vivre.

Il n'est pas inintéressant de noter qu'un sondage publié en juillet 2008[10] indique qu'un cinquième de la population des États-Unis considère que les états sont en droit de faire sécession. 22% approuvent en effet la déclaration « J'estime que tout état ou région a le droit de faire sécession pacifiquement et devenir une république indépendante » et 18% souscrivent à la suivante: « Je serais prêt(e) à soutenir un mouvement sécessionniste dans mon état ».

Un habitat adéquat

L’idée d’échelle humaine provient de l’architecture ; Sale nous dit également que dans le domaine de l’architecture, cette notion est sans doute primordiale. On en trouve la marque dans le système métrique anglo-saxon, où l’inch équivaut à la longueur de la première phalange du pouce, le foot à celle de l’avant-bras et le yard à celle d’un pas normal – ou à la distance entre le bout des doigts et le nez lorsque le bras est étendu – tandis qu’en France, le système métrique ne fait plus référence à rien d’ « humain », puisque c’est une convention de 1799 qui en fixe l’unité à un quarante-millionième du méridien terrestre, comme nous le rappelle Sale [11].

Dans l’ « architecture » au sens large, tout d’abord, en ce que de nombreuses sociétés, à l’instar des Dogons de l’Afrique de l’ouest, vont jusqu’à construire leurs habitats en imitant délibérément le corps humain. Dans la plupart des cités des civilisations préhelléniques, dont les archéologues ont pu trouver les vestiges – ceux par exemple de Çatal Hüyük en Turquie ou Mohenjo-Daro en Inde – les bâtiments sont généralement assez petits et les maisons divisées en fonctions des familles et des fonctions sociales. Sale souligne que même les constructions les plus grandes comme le centre communautaire ou les bains publics de Mohenjo-Daro restent dans des limites de ce que nous pouvons ressentir comme étant de taille à la fois humaine et publique [human public scale]. Pour les Grecs, le corps humain était pris comme l’unité servant à la construction, à l’instar du Parthénon, des bâtisses de Delphi, du temple de Bassæ, du théâtre de Dionysos à Athènes et des bâtiments que nous pouvons observer encore aujourd’hui ; ainsi que Protagoras l’affirmait : « l’homme est la mesure de toute chose ». Il nous est également rappelé que si les Romains ont pour une large part ignoré les notions liées à l’échelle humaine, comme en témoignent les appartements de huit voire dix étages datant de leur période de « grandeur », ce n’était pas faute de connaissances : l’architecte Vitrivius a montré, un siècle av. J.-C., comment les bâtiments individuels tout comme les espaces publics devaient correspondre aux limites spécifiques à la vue et la mobilité humaines normales. Les cités médiévales d’Europe ont quant à elles grandi en restant dans certaines limites consciemment établies : des bâtiments de trois à quatre étages, un espace généralement circonscrit avec des murs et des fortifications permettant d’être parcouru en une demi-journée. La cité de Berne, par exemple, laisse percevoir une disposition découlant de l’imitation des formes humaines, avec une cathédrale et un pond fortifié au niveau de la tête, des parcs rayonnant à la manière de bras, le marché et la place publique se tenant à l’endroit des parties génitales et des fortifications arrangées semblablement à des pieds. Durant la Renaissance, où le corps humain était célébré comme probablement jamais auparavant, les architectes avaient pour intention de se rapprocher le plus possible de la mesure humaine dans l'espoir d'y découvrir des indices divins. Luca Pacioli, dans son fameux De Divina Proportione, garantit en effet que « Du corps humain dérivent toutes les mesures et leurs dénominations, et en elles doivent être dévoilées toutes et chacune des relations et des proportions par lesquelles Dieu révèle les plus profonds secrets de la nature ». Sale ajoute que les églises qui ont été construites dans toute l’Europe à partir du quatorzième siècle témoignent d'une stupéfiante volonté d'imitation du corps christique ; l'observateur reconnaitra dans nombre d'absides la position de la bouche et des yeux.

Il fixe la fin de cette recherche de correspondance avec le corps humain au commencement de l’industrialisation[12] :

Toutefois, l’idée d’échelle humaine commença à se perdre vers le début de l’ère industrielle – à peu près au même moment, et ce n’est pas qu’une coïncidence, que les débuts des états-nations. Avec la montée d’une science approuvée par les gouvernements et la consolidation de l’architecture en académies royales durant l’ « Illumination » du dix-huitième, l’idée de règles « scientifiques » vint se substituer aux règles « humanistes » subjectives; c’est ainsi que nous avons ces longues formes abstraites de l’Université Navale de Wren à Greenwich ou ces rectangles absurdes des jardins précieux comme celui des Tuileries de Le Nôtre à Paris. Par la suite, avec la montée de l’industrialisme et le triomphe de l’ingénierie au XIXème siècle, les considérations mécaniques vinrent détrôner des considérations visuelles ou esthétiques et l’ « utilité » d’un bâtiment devint la première de toutes ; d’où l’aspect de ces villes ouvrières de briques rouges dans la Nouvelle Angleterre industrielle ou de ces nombreuses installations carcérales et militaires sordides qui sont toujours là aujourd’hui. Enfin, avec la montée des prouesses technologiques et de l’architecture moderne du XXème siècle, le bâtiment prit une forme qui s’est autonomisée jusqu’à devenir presque sans lien avec les perceptions humaines ou même sociales. Ce dont il s’agit, c’est d’optimiser simplement les matériaux – ainsi triomphent l’acier sur le Seagram Building, le verre sur la Lever House, le ciment sur le Guggenheim Muséum, et ainsi de suite – et de confier à la technologie le soin de nous façonner, avec l’aide de Dieu, « Une machine à habiter »[13].

La forme géométrique est à ses yeux venue remplacer le référentiel humain. Faisant siennes les considérations de l’architecte italien Bruno Zevi, qui explique : « L’échelle désigne la dimension associée au respect de l’appréhension visuelle de l’homme, l’échelle désigne la dimension associée à la taille physique de l’homme »[14], il confère aux constructions modernes le qualificatif de scaleless, c'est-à-dire « sans échelle ». Cet environnement, en même temps qu’il en est le produit, engendre un défaut de sens de la mesure[15] qu’il nomme la scalelessness de l’homme moderne. Sale nous invite à puiser dans les connaissances de la science moderne, telles qu’elles se sont développées depuis une cinquantaine d’années sous les noms d’ « ergonomie », « anthropométrie » « sociométrie », « ingénierie humaine » ou encore « biomécanique ». Quelques passages partant de cette idée peuvent irriter le lecteur français qui, sensibilisé à la critique de la recherche effrénée de « l’efficacité »[16] ou le lecteur qui, ayant lu Orwell, peut y projeter plus facilement des images de ce que pourrait être un totalitarisme sur mesure : les travaux de deux ergonomistes américains sont évoqués, dont ceux d’Alexander Kira qui dans son ouvrage The Bathroom (« la salle de bain ») a démontré le caractère largement inadéquat de certains éléments – comme les toilettes, qui pourraient d’après ses nombreux travaux empiriques présenter une bien meilleure concordance avec l’anatomie, tout particulièrement l’anatomie masculine – et a construit des instruments correspondant de plus près à l’usage qui en est fait. Néanmoins, la démonstration que Sale propose ensuite a quelque chose de bien plus pertinent en ce qu’elle ne propose pas de déterminer le meilleur instrument ou le meilleur bâtiment possible (conduisant au meilleur des mondes possibles) mais de déterminer, à l’aide de quelques calculs, des seuils qui, lorsqu’ils sont dépassés, nous font habiter autre chose et autrement.

Sale commence par expliquer l’importance de l’œil humain[17] :

L’effet visuel que produit un bâtiment est, après tout, le premier et le plus indélébile de tous, bien qu’il puisse être par la suite nourri par d’autres impressions sensorielles ; l’œil, en même temps qu’il est la fenêtre de l’âme, peut être considéré comme l’ouverture menant au cerveau et comme l’organe dont dérive notre compréhension mentale et émotionnelle la plus basique. De nombreuses et diverses études scientifiques sur l’œil ont été entreprises des années durant, mais les premières études ergonomiques complètes n’ont été diffusées que dans les années 60, après que Henry Dreyfuss, un designer industriel new-yorkais, ait mis son atelier à la tâche.

Les travaux de son équipe ont été publiés en une compilation de diagrammes commentés, sous le titre de… Humanscale[18]. Suivons leur raisonnement ; l’amplitude visuelle, tout d’abord, peut se schématiser ainsi :

FIGURE 1 – LA PERCEPTION VISUELLE. VISION VERTICALE ET HORIZONTALE.

A partir de ces mesures, et prolongeant la considération aristotélicienne d’après laquelle la manière la plus satisfaisante pour l’esprit d’apercevoir un objet est de le saisir dans son ensemble afin que son unité soit comprise, ils en développement les implications dans le domaine de l’architecture. Si, d’après la FIGURE 1, la rotation des yeux peut aller jusqu’à 30° vers le haut, et que la rotation dite « optimale » est de 25°, vers le haut également – ce qui semble correspondre, d’après le schéma de droite où cela est précisé, au champ de vision « normal » n’exigeant aucun mouvement de l’œil – alors un angle de vue vertical idéal pourrait se situer vers les 27 degrés. Cela correspond exactement à l’angle entre un bâtiment vu de face, l’œil et son sommet, lorsqu’on se trouve à une distance de deux fois sa hauteur, et Sale ajoute que ce rapport permet à la fois d’en discerner les détails et de le percevoir dans son ensemble. Ce simple calcul de trigonométrie permet donc d’établir que pour avoir une vue d’ensemble d’une maison d’un étage d’un seul coup d’œil et sans lever la tête, il faut se tenir à une distance d’environ 16 mètres [52 feet] de celle-ci (en mesurant 1,70m [5’6’’] et en comptant 10m [32’] pour la maison – 4 mètres [13’] par étage et 2m [6’] sous le toit). Ceci peut être représenté de la manière suivante :

FIGURE 2 – LA PERCEPTION D’ENSEMBLE D’UN BATIMENT, EN HAUTEUR.

Quant aux angles latéraux, Sale nous dit qu’ils sont de moindre importance car nous regardons usuellement les bâtiments de la même manière que les personnes – du haut vers le bas – mais qu’il est tout aussi possible de faire le même calcul pour déterminer les angles de vues horizontaux maximums. Si nous revenons à la FIGURE 1, nous pouvons constater qu’il est possible de balayer des yeux un angle pouvant aller jusqu’à 120° et que les angles de vue normaux vont de 10 à 60 degrés – un angle de 60° peut donc être considéré comme « moyen ». Ainsi, en se tenant, comme précédemment, à une distance de 16m, la largeur maximale à laquelle la bâtisse peut être perçue d’un simple coup d’œil sans mouvement de la tête serait de 18m [60 feet], ainsi que le résume ce diagramme :

FIGURE 3 - LA PERCEPTION D’ENSEMBLE D’UN BATIMENT, DANS SA LARGEUR.

Ces calculs permettent en quelque sorte d’objectiver le sentiment de bien-être que Sale dit éprouver, et que nous éprouvons sans bien savoir pourquoi, il est vrai, lorsque nous marchons dans des rues dont les habitations se situent à une quinzaine de mètres – au-delà ce cette distance, elles semblent se perdre dans l’arrière-plan, et en deçà, elles provoquent une sensation de débordement ou de submersion.


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