Sécurité et politique : sur qui et quoi porte la sécurité ?

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II – Sécurité et politique

La sécurité, son exigence et la position de son problème, se présente ainsi comme ayant pour lieu de déploiement propre la société civile. En effet, son sujet est bien le membre de la société civile en tant qu’homme de besoins, besoins marqués par la naturalité, la contingence et la particularité ; son objet, son domaine d’application, est déterminé par les contradictions et contingences produites par le procès de la société civile elle-même ; ce sont enfin des institutions de la société civile, des institutions sociales et non proprement politiques, qui sont chargées de l’assurer. Sujet social, c’est aussi ici de l’homme en tant qu’être vivant, instance de besoins et poursuivant son bien-être qu’il s’agit et qui se présente comme sujet de la sécurité, de telle sorte que, notant l’émergence de la police et de cette science et domaine de savoir émergents qu’est, en Allemagne au XVIIIe siècle, la Polizeiwissenschaft, Foucault souligne avec raison que l’une de ses caractéristiques principales est d’ « avoir l’homme pour vrai sujet »[25].  Cependant, dire que la sécurité est avant tout une question sociale ne signifie évidemment pas que la sécurité soit sans aucun rapport avec la politique et l’État. Sécurité et sphère proprement politique sont d’une part liées pour autant que la sécurité n’est pas que sécurité des personnes et des biens comme tels, mais encore question de la sûreté de l’État, de sa défense, de sa protection — de son existence même. D’autre part, l’une et l’autre se rencontrent pour autant que la conception hégélienne ne consiste aucunement à poser une césure définitive entre société civile et État, entre social et politique : ce qui est alors en jeu et qu’il s’agit d’éclairer est la conception hégélienne du rapport entre ces deux moments de l’éthicité. Dès lors, ce sont maintenant ces deux points que nous allons tour à tour examiner, afin de comprendre ce qu’il en est du rapport entre sécurité et politique.

La sûreté de l’État

Si, nous l’avons vu, la sécurité des individus particuliers et de leurs biens ne peut, pour Hegel,  passer pour fin absolue de l’État qu’à la faveur d’une confusion entre société civile et État, quelle est donc, bien comprise, cette fin ? Elle n’est rien d’autre, affirme le paragraphe 328 des Principes de la philosophie de du droit, que la « souveraineté de l’État », laquelle est alors désignée comme « véritable fin ultime absolue »[26]. Or, si la souveraineté de l’État se détermine de manière générale comme « idéalité des sphères et des affaires particulières »[27], comme ce par quoi aussi l’État est un État, la conception hégélienne de la guerre en fait précisément ce qui porte à la conscience la nullité de la vie, de la propriété et de ses droits en regard de la sauvegarde de la souveraineté et de l’indépendance de l’État et, en dernière instance, de la liberté véritablement entendue. En posant comme vain ce qui est vain, la guerre est ce qui pose l’idéalité des besoins et de la vie, de la particularité en général dans sa naturalité présente-là jusque dans l’éthicité, les rappellent à ce qu’elles sont, c’est-à-dire finies, contingentes et nécessairement relatives, quant à leur épanouissement et à leur satisfaction, à l’existence et à la subsistance de ce tout éthique effectif qu’est l’État :

La guerre, en tant que situation où l’on prend au sérieux la vanité des biens et des choses de ce monde, qui d’ordinaire a coutume d’être une locution édifiante, est ainsi le moment en lequel l’idéalité du particulier reçoit son droit et devient effectivité.[28]

Là se tient proprement la justification véritablement rationnelle de la guerre et de sa violence[29] et, en cela, Hegel parle de « moment éthique de la guerre », par lequel la « santé éthique des peuples en son indifférence vis-à-vis des déterminités finies »[30] peut être conservée. Dès lors, ce qui se manifeste à travers la guerre et l’obligation faite aux individus de défendre la sauvegarde et la souveraineté de l’État au péril de leur vie et de leurs biens, c’est la dépendance de leur sécurité à l’effectivité et l’existence de cette unité et tout éthique qu’est l’État, la dépendance aussi du droit de la particularité à l’universel qu’est l’État véritable comme effectivité de la liberté : la vertu propre de la guerre consiste précisément en ce qu’elle conjure le risque de “naturalisation” que présente aussi l’habitude de l’existence de l’État, le risque de ne voir en l’État que ce qui doit assurer la satisfaction de la particularité — le risque de réduction de l’État à la société civile par quoi l’État n’est plus comme véritable État, comme être-là de la liberté pleinement réalisée. La guerre est remède à l’absolutisation du particulier, à la dépolitisation qu’elle est, elle rappelle le particulier à la dépendance dans laquelle il est en regard de ce dont il n’est qu’un moment et sur la base de quoi, seul, il peut avoir droit et effectivité[31]. Elle rappelle qu’un État disloqué en ses particularités n’est pas un véritablement un État – ou, du moins, est un État moribond – et que sans l’existence d’un État véritable il ne peut non plus y avoir de société civile pleinement développée, que l’épanouissement du droit de la particularité trouve lui-même sa condition dans l’existence effective de l’unité politique qu’est l’État.

Du rapport entre société civile et État, entre individu particulier et citoyen

Il serait pourtant faux de dire que cette détermination de la guerre et de la souveraineté de l’État témoigne de ce que la pensée politique de Hegel consiste en une subordination totale de l’individu à l’État, voire même en une négation complète de celui-ci et de ses aspirations par un État tout puissant, détermination par laquelle Hegel se présenterait comme un opposant farouche à la « société ouverte » et qui lui vaut, au yeux de K. Popper, cette triste gloire d’être celui par qui la philosophie « devient le plus servile de[s] laquais [de l’État] »[32]. Qu’il ne s’agisse pas ici, entre les individus particuliers et l’État, d’un tel rapport de négation, ni même de subordination unilatérale, c’est ce que l’explicitation de ce rapport, en tant qu’il implique également la compréhension de la relation entre société civile et État, doit permettre de montrer. A cet égard, deux écueils sont pour Hegel à éviter qui reposent sur la confusion de la société civile et de l’État, la réduction de celui-ci à celle-là, et dont l’exposition permet d’éclairer le rapport de la sphère politique avec l’exigence de sécurité des individus particuliers. Ce sont ces écueils que pointent avec une inégale virulence la longue remarque du paragraphe 258. Ne pas distinguer entre société civile et État conduit en effet :

– Ou bien à faire relever de la contingence de l’arbitre individuel l’appartenance du sujet particulier à l’État. Là vient se loger la critique hégélienne du contractualisme dont le geste – qui consiste en réalité, en déterminant le rapport entre individus-singuliers sous la forme du contrat, à faire reposer le droit public sur les principes du droit privé[33] – revient à donner pour assise à l’État « [l’arbitre des individus-singuliers], leur opinion et leur consentement exprès [et] relevant du bon plaisir »[34].

– Ou bien à ne voir dans l’État, alors simplement conçu comme le règne de la contingence, de la violence et de la force, qu’une contrainte imposée de l’extérieur à l’individu, une « violence externe » brimant l’excellence de la volonté individuelle telle qu’en elle se manifesterait « la loi divine naturelle » en tant qu’elle s’enracine dans le cœur et la pensée de chacun, loi en regard de laquelle la loi telle que déterminée par le droit ne serait jamais qu’une injuste oppression[35].

Or, on le voit, pour opposées qu’elles puissent paraître, ces deux conceptions du rapport entre individu-singulier et État et qui ne peuvent, pour Hegel, s’établir qu’à partir d’une confusion entre société civile et État, reposent en réalité sur une même saisie de ce rapport : une détermination de la relation entre les deux comme rapport de finalité externe. Que l’État, en effet, soit conçu comme utile ou nuisible à l’individu particulier, cela suppose bien, dans un cas comme dans l’autre, de saisir le rapport de l’un à l’autre sous la modalité du rapport de moyen à fin, sous la modalité de l’utilité. Cependant, c’est, pour Hegel, tout autrement que ce rapport se laisse saisir : l’État n’est pas plus moyen pour l’individu que celui-ci n’est moyen, instrument, de l’État, pour cette bonne raison que l’État n’est pas quelque chose de purement objectif qui viendrait se dresser face à la particularité subjective, soit pour l’empêcher, soit pour la servir. L’État est bien plutôt ce à travers quoi, ce “en quoi”, les individus peuvent mener « une vie universelle », sont véritablement libres. Si, en effet, la rationalité en général se laisse saisir comme « unité de compénétration de l’universalité et de la singularité », dans le cas de l’esprit objectif qui doit s’incarner pleinement dans l’État rationnel, « elle consiste en l’unité de la liberté objective, c’est-à-dire de la volonté universellement substantielle, et de la liberté subjective, celle du savoir individuel et de la volonté cherchant [à atteindre] des fins particulières [ ;] et, de ce fait, [elle consiste] quant à la forme en un agir qui se détermine d’après des lois et des principes pensés, c’est-à-dire universels »[36]. De la sorte, relativement à la question de la sécurité, s’il est faux de considérer que l’État est moyen de la sécurité des biens et des personnes, moyen pour les individus particuliers de la jouissance tranquille de leurs propriétés et de la sécurité de leur vie, il n’est pas non plus tout à fait juste de dire que l’État a pour fin la liberté des individus si l’on entend par là un rapport d’extériorité de telle sorte que l’on aurait encore affaire ici à un rapport d’utilité : il ne s’agit pas ici de faire valoir la liberté comme fin externe alternative et préférable à la sécurité, de telle sorte qu’on aurait ici affaire à un conflit et une concurrence entre une conception soutenant que l’État est moyen de la sécurité des citoyens d’un côté et une autre soutenant que l’État est d’abord et avant tout moyen de leur liberté.

Loin de se comprendre à partir de la relation d’utilité, le rapport entre société civile et État à partir duquel doit aussi être déterminé le rapport de l’individu particulier, de ses intérêts et de ses fins particulières à l’État – qui est aussi rapport entre individu particulier et citoyen — doit être saisi comme un rapport de médiation réciproque de ces deux moments de l’éthicité : c’est en étant médiatisé par la politique que le social peut obtenir ses droits et recevoir les principes de son effectivité, de sa (toujours relative) stabilité, de son unité et universalité et, réciproquement, c’est en étant pleinement médiatisée par le social comme moment de la particularité, en affrontant la particularité, la supportant et l’intégrant en elle, que la politique peut se présenter comme instance d’un universel véritable (par distinction de l’universalité vide et abstraite d’entendement qui n’est universalité qu’abstraction faite de la particularité) et l’État comme véritablement concret[37].

Patriotisme, bravoure et courage

Dès lors, le « droit de la particularité » ne se trouve pas nié, tout au contraire, par la conception hégélienne de l’État, et la sécurité, en tant qu’elle se présente également comme condition d’épanouissement de ce principe, ne se présente pas moins comme une préoccupation nécessaire et légitime. Dire qu’elle ne saurait passer pour la fin ultime du politique lui-même revient simplement à rappeler que, « de manière générale, ma particularité, tout comme celle d’autrui, n’est un droit que dans la mesure où je suis un être-libre »[38], c’est-à-dire dont la volonté est déterminée d’après des lois et des principes universels.

La conception hégélienne de la disposition-d’esprit politique (politische Gesinnung) témoigne encore de ce que le sujet politique, le citoyen, n’est pas conçu par lui comme négation pure et simple du sujet social, de l’individu particulier comme membre de la société civile. Au contraire, Hegel insiste sur cela que ce n’est pas abstraction faite de ce que l’on peut désigner comme sa détermination sociale que, en contexte de modernité, l’individu est citoyen, qu’il reçoit une détermination politique : bien plutôt celle-ci est-elle corrélée à celle-là, tant il est vrai que c’est aussi en tant que membre de la corporation que le sujet acquiert « la droiture et l’honneur attaché à l’état »[39], disposition-d’esprit éthique spécifique au système des besoins et par la médiation de laquelle seulement la véritable disposition-d’esprit politique peut être acquise[40]. Plus encore, si la politique n’a pas pour fin ultime la sécurité, la vie en tant que telle et sa protection, mais bien la liberté ainsi comprise comme « vouloir de l’universel » [41], la conception hégélienne du patriotisme – qui est la disposition-d’esprit proprement politique – montre bien qu’être “patriote”, ce n’est pas, fondamentalement, manifester une propension sans limite à se sacrifier pour l’État, à accomplir de grands actes d’héroïsme et de bravoure pour servir l’État au prix et au mépris de son individualité particulière. Le véritable patriotisme est bien plutôt patriotisme ordinaire, par quoi il ne faut pas entendre une disposition à des actions extraordinaires ou à de grands sacrifices mais, comme le précisent le paragraphe 268 et sa remarque « la disposition-d’esprit qui, dans la situation et le contexte de vie habituels, est accoutumée à savoir que la communauté est l’assise substantielle et la fin »[42] — chose dont il est bien moins facile de se vanter que cette grande aptitude à se sacrifier pour l’État qui, précisément, n’est rien d’ordinaire et que l’on peut toujours pour cette raison s’imaginer avoir pour se dédouaner du patriotisme véritable. De la même manière, de « la vertu proprement dite » — qui n’est pas quelque chose de moral mais répond plutôt de l’areth grecque comme excellence — Hegel affirme qu’elle n’est pas exigée et n’a pas lieu d’être dans une situation éthique où les rapports sont pleinement développés et effectués : la droiture la supplante alors qui est « conformité simple de l’individu aux obligations tenant aux rapports dont il relève »[43].

Sur ce point, la comparaison de la détermination hégélienne de la bravoure aux propos d’Hannah Arendt sur le courage dans leur rapport à la politique est éclairante. Si tous deux, en effet, peuvent bien s’accorder sur le fait que la vie et la satisfaction de ses besoins ne sont pas l’objet propre de la politique mais que, dans une certaine mesure, celle-ci émerge là où ceux-là cessent de se faire exclusivement valoir, quand, pour Arendt, le courage se présente en politique comme « indispensable » en ce qu’il « libère les hommes de leur souci concernant la vie »[44], pour Hegel, la bravoure n’est, en dernière instance, qu’une « vertu formelle »[45]. C’est que, pour le Hegel de la maturité, la conduite proprement politique – c’est-à-dire aussi l’agir et la conduite véritablement libres – n’est pas d’abord et essentiellement cet aspect négatif par lequel elle serait arrachement aux nécessités et aux contingences de la vie et, pour reprendre l’expression de J. Hyppolite, elle ne réside pas dans une « conception héroïque de la liberté »[46], mais elle se détermine bien plutôt positivement dans l’ordinaire d’un vouloir universellement déterminé, de telle sorte que la véritable disposition-d’esprit éthique est avant tout disposition durable à agir en prenant l’universel pour assise et pour fin.

Remarques conclusives : sécurité et « inquiétude du concept »

La sécurité se rapporte ainsi à la part de naturalité et de contingence que contient et affronte l’esprit objectif et ce de manière particulièrement frontale, à même l’éthicité, dans le moment de la société civile. En ce sens, elle est essentiellement liée au « droit de la particularité » et c’est pourquoi, si ce droit n’est déterminé comme n’ayant d’effectivité que par l’effectivité de l’État lui-même comme « tout éthique », l’exigence de sécurité des individus, de leur personne et de leurs biens se voit relativisée par ce dont elle dépend et est redevable, à savoir la fin supérieure qu’est la sauvegarde et la souveraineté de l’État – relativisation qui, nous l’avons vu, ne revient pourtant ni à un sacrifice, ni même à une subordination unilatérale, de l’individu à l’État.

Pourtant, cette fin qualifiée d’ultime et même d’absolue se voit elle aussi, en dernière instance, relativisée par l’histoire mondiale elle-même en tant qu’en elle s’exerce le droit supérieur de l’esprit du monde. En effet, si l’« État rationnel », en tant qu’il fait sa part au droit de la subjectivité et au droit du penser libre, se présente comme « réconciliation avec l’effectivité » à même l’objectivité, que cette réconciliation ne puisse en réalité passer pour définitive, c’est précisément ce que montre l’insertion de l’histoire du monde dans cette ultime partie de la doctrine de l’esprit objectif. “Au-dessus” en effet de l’État (rationnel), l’histoire du monde se présente comme lieu d’exercice du « droit de l’esprit du monde », seul « droit absolu » qui, tout à la fois, donne à chaque droit (comme ses différentes configurations) sa place, évalue entre les différentes sphères de l’éthicité et, par là-même, les borne. Ainsi, de la même manière, mutatis mutandis, que le droit de la particularité du sujet – la protection et la sécurité de celui-ci – se voit relativisé par le droit supérieur de la souveraineté de l’État qui est essentiellement idéalité des sphères particulières, le droit de l’État lui-même, qui passe d’abord pour ultime et absolu, se voit relativisé à son tour par l’exercice du « droit de l’esprit du monde » qui, en tant que figure mondaine de l’esprit absolu, est, lui, véritablement ultime, puisqu’à travers son exercice, c’est la fin de la raison elle-même qui s’effectue, sa fin n’étant rien d’autre que son effectuation et son effectivité même. Comme « droit le plus élevé de tous » [47], l’esprit du monde est ce qui pose le borné comme borné, par lui tous autres “droits” – et celui de l’État à sa sécurité, à sa sauvegarde, son indépendance et sa souveraineté aussi bien – sont ramenés à leur caractère borné et fini, c’est-à-dire aussi voués à la contradiction, et à leur relativité : le droit de l’esprit du monde est,  seul, droit absolu qui, tout à la fois, pose ces droits et leur idéalité[48].

Par là apparaît aussi la finitude de l’esprit objectif, là se manifeste aussi qu’il n’y a pas de réconciliation objective qui puisse passer pour définitive, mais que ce n’est en réalité que dans et par la pensée que la réconciliation s’opère, qu’une « paix […] chaleureuse »[49] peut être apportée – parce que la pensée est aussi saisie de ce que, ce qui advient dans l’effectif, c’est la raison[50]. Dès lors, bien plutôt que la sécurité, l’esprit objectif manifeste l’« inquiétude du concept » aux prises avec la finité et la négativité. Plus encore : c’est précisément pour cette raison que la question de la sécurité se pose dans le monde éthique, et c’est aussi pourquoi c’est une exigence qui, dans son champ de légitimité propre, doit trouver réponse.

Elodie Djordjevic


[25] Michel FOUCAULT, Sécurité, territoire, population, Paris, Seuil/Gallimard, 2004, p. 329.

[26] PPD, §328, p. 423. Rappelons que l’idéalité, qui ressortit à la Logique de l’être, n’est en rien une suppression.  Elle est l’être-sursumé du fini, par lequel le réel, en tant qu’affecté de non-être, est tout aussi bien l’irréel, le fini, le non-vrai, ce par quoi l’idéalité est « vérité de la réalité » (cf. Science de la logique I, p. 129 sq.).

[27] PPD, R§375, p. 377.

[28] PPD, R§324, p. 420.

[29] Laquelle se distingue de sa justification du point de vue phénoménal, du point de vue de l’extériorité. Dans le phénomène en effet, la guerre procède du « bien-être effectivement blessé ou menacé dans sa particularité déterminée » d’un État et requiert alors d’autres justifications (cf. PPD, § 337 et Remarque, p. 428-429).

[30] Ibid. Ce passage témoigne d’ailleurs de la permanence de la conception hégélienne de la guerre puisqu’ici Hegel pratique l’autocitation : ce passage est en effet repris de l’article de 1802 sur le droit naturel, cf. Über die wissenschaftlichen Behandlungsarten des Naturrechts in Ienaer kritische Schriften, W II, p. 481 ; Des Manières de traiter scientifiquement du droit naturel, tr. fr. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1972, p. 55-56.

[31] Sur ce point, voir l’importante remarque du §256, p. 332, où il est distingué entre ordre de l’exposition conceptuelle et ordre des configurations historiques. Parce qu’elle est un moment plus abstrait de l’éthicité, la société civile précède l’État dans l’exposition scientifique, de telle sorte que celui-ci semble dès lors se présenter comme résultat de celle-là. Cependant, dans l’effectivité, c’est bien plutôt l’État qui est premier et c’est à partir de son existence seulement que peuvent se déployer et se développer pleinement famille et société civile. C’est qu’en réalité, l’État précède ontologiquement celles-ci : ce sont elles qui le présupposent et non l’inverse. La remarque est d’ailleurs fort éclairante quant à la conception hégélienne de l’Aufhebung : elle rappelle que si le dernier terme apparaît comme résultat, les moments qui le précèdent dans l’ordre d’exposition sont en réalité ses présuppositions, c’est-à-dire aussi qu’il est bien ontologiquement premier.

[32] Karl POPPER, The Open Society and its Enemies, II, London, 1965 / La Société ouverte et ses ennemis II, Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 32.

[33] Droit privé qui, tout en ayant son champ de légitimité propre, est tout à fait insuffisant pour penser le rapport politique puisqu’il ne met en jeu que des volontés particulières.

[34] PPD, R§258, p. 335. De manière qui peut sembler assez curieuse, c’est ici Rousseau qui, parmi les contractualistes, est explicitement attaqué : c’est que s’il a bien conçu – et le mérite doit lui en être attribué – la pensée et « en l’occurrence l’acte-de-penser même, à savoir la volonté » comme principe véritable de l’État, son tort est pour Hegel d’avoir conçu cette volonté véritablement rationnelle comme étant dépendante et finalement subordonnée aux volontés particulières, de l’avoir conçue comme émergeant sur la base de celles-ci — ce que manifeste pour Hegel la conception de la « volonté générale » comme réunion de ce que les volontés particulières ont en commun, conception qui suppose l’antériorité et, en dernière instance, la primauté de la volonté particulière.

[35] Ibid., p. 336-343. C’est ici Haller et, à travers lui, l’éthique de la conviction comme l’une des formes que prend la « haine de la loi », qui est visé.

[36] Ibid, p. 334.

[37] Cf. L’énonciation très claire de ce rapport par Jean-Philippe Deranty dans son article « Lectures politiques et spéculatives des Grundlinien der Philosophie des Rechts », Archives de Philosophie, vol. 65, 2002/3, p. 455 : « … il y a une médiation nécessaire du politique par le social, puisque l’idée ne peut venir à soi qu’en étant passée par son autre, et il y a aussi une médiation nécessaire du social par le politique puisque le social ne peut parvenir à son effectivité que par un principe tiré d’une autre sphère qui réalise son unité seulement formelle ». Cette affirmation, ainsi que le concept de médiation réciproque, renvoie à la nécessité de comprendre le rapport entre société civile et État comme relevant du rapport entre Logique de l’essence et Logique du Concept tel qu’il se joue dans la Logique. Sur ce point, voir les analyses éclairantes de Jean-François Kervégan dans la seconde partie de l’ouvrage déjà cité sur Hegel et Carl Schmitt.

[38] PPD, §126, p. 222. Dans l’addition de ce même paragraphe, Hegel rapporte l’anecdote (qu’il se plaît à relater) du libelliste qui, « s’excusant [de son métier] par un “il faut bien que je vive”, se vit répliquer : “je n’en vois pas la nécessité” » (RPh, p. 238. Les passages en italique sont en français dans le texte).

[39] PPD, §207, p. 297.

[40] PPD, R§308, p. 405-406. Le paragraphe 308 ouvre l’exposition de la « Chambre des députés » et sa remarque insiste sur la nécessité, sous peine de donner dans l’abstraction, de concevoir la médiation qu’est la représentation politique comme étant elle-même médiatisée par la structuration prépolitique en « états » permise, dans la société civile, par les corporations. Si, en effet, « l’État concret est le tout articulé en ses cercles particuliers », « le membre de l’État (Staat) est membre de tel ou tel état (Stand) ; c’est seulement dans cette détermination objective qui est la sienne qu’il peut entrer en ligne de compte dans l’État » (il faut ici entendre « état » / Stand selon l’acception que le terme prend, par exemple, dans l’expression « tiers-état »).

[41] PPD, R§308, p. 406.

[42] PPD, p. 350.

[43] PPD, §150, p. 255.

[44] Hannah ARENDT, « Qu’est-ce que la liberté ? » in La Crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972, p. 203.

[45] PPD, §327, p. 422. La bravoure est « formelle » parce qu’elle n’est précisément, en elle-même, que la vertu par laquelle la liberté fait abstraction « de toutes les fins particulières, possession, jouissance et vie ». En raison d’une telle détermination, son contenu et sa fin sont encore pour elles-mêmes indéterminées. Or la bravoure – qui est aussi vertu de la mise en jeu de sa vie — ne “vaut” que par rapport à ce en quoi sa teneur réside. En effet, aussi bien les aventuriers que les brigands sont capables de risquer leur vie, mais la fin décide ici de la valeur de la chose (cf. PPD, R§328, p. 423-4).

[46] Jean HYPPOLITE, Introduction à la philosophie de l’histoire de Hegel, Seuil, 1983, p. 94.

[47] PPD, §340, p. 430.

[48] Cf. PPD, R§30, p. 139 : « La moralité, l’éthicité, l’intérêt de l’État, chacun de ces degrés est un droit en propre, parce que chacune de ces figures est une détermination et un être-là de la liberté. Ils ne peuvent entrer en conflit que dans la mesure où ils se tiennent sur une même ligne, [consistant à] être des droits ; si le point de vue moral de l’esprit n’était pas aussi un droit, la liberté dans une de ses formes, elle [i.e. la moralité] ne pourrait pas du tout entrer en conflit avec le droit de la personnalité ou avec un autre droit, parce qu’un tel droit contient au-dedans de soi le concept de liberté, la plus haute détermination de l’esprit, concept face auquel autre chose est dépourvu de substance. Mais le conflit contient en même temps cet autre moment : il borne, et en ceci aussi l’un [des moments] est subordonné à l’autre ; seul le droit de l’esprit du monde est, sans restriction, le droit absolu ».

[49] PPD, Préface, p. 107.

[50] Ces assertions reposent en réalité sur la saisie et l’explicitation entières de l’identité processuelle de la rationalité et de l’effectivité, du mouvement d’effectuation du rationnel et de rationalisation de l’effectif que concentre la (trop ?) fameuse affirmation de la Préface des PPD selon laquelle « Ce qui est rationnel est effectif ; / et ce qui est effectif est rationnel » (p. 104) — identité qu’il n’est pas ici le lieu d’expliquer complètement.