Philosophie de la corrida (1)

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Par François Carrière.

Interdire la corrida ce serait :

céder à un dangereux appauvrissement du raisonnement moral : réduction de toutes les espèces animales à l’ « animal», réduction de l’animal à la victime (et de l’homme au bourreau), réduction de l’animalité à la disneylandisation, réduction de la « nature » au règne de l’harmonie des peuples et de la tranquillité bourgeoise, réduction des sentiments moraux à la pitié, réduction de la valeur de la vie pour le vivant à l’absence de douleur, assimilation de la douleur de l’animal, essentielle à sa survie, à la souffrance humaine et au mal absolu dans la nature1.

Cette citation, extraite d’une réponse à un article publié dans le journal Libération, résume assez bien la position de Wolff. Lorsqu’il anticipe une attaque accusant son argumentation en faveur de la corrida d’anthropomorphisme il répond ceci : « il y a nécessairement, dans toute éthique (..), une vision de ce qu’est l’homme et de ce qui fait sa valeur »2. La corrida se trouve investie, chargée, porteuse d’une forte valeur éthique et devient « le support d’une éthique raisonnable vis à vis des animaux et d’une éthique possible pour l’homme lui même »3.

Une question dés lors se pose : peut-on défendre la corrida en ayant une autre conception de l’homme que celle proposée par Francis Wolff ? Lorsque l’on se penche sur l’argumentation d’un autre philosophe défenseur de la corrida, l’homme lui aussi se trouve mis en valeur, placé au centre de la réflexion. Ainsi Alain Renaut voit dans la corrida la mise en scène de l’humanisme, la victoire de la liberté sur la nature ; l’homme étant défini, dans une perspective kantienne, comme arrachement à la nature.

Parce que le toro représente la force brute, parce qu’il incarne tout ce qui n’est pas humain, la corrida symbolise le combat de l’homme avec la nature – une nature qui, présente en lui ou hors de lui, menace sans cesse de reprendre en elle un être qui, en opposant la raison et le calcul à la violence et à l’agressivité, tente de s’en arracher 4.

Nous verrons que, même si le projet de Wolff ne va pas dans ce sens (le taureau est ni ami ni ennemi mais est l’adversaire), la victoire de l’homme sur le taureau est, et demeure une nécessité. La corrida «  ne traite pas le toro en égal de l’homme, et c’est pourquoi celui ci doit en triompher – à condition d’avoir le courage et l’intelligence d’en affronter la redoutable puissance »5 (nous soulignons) .

Si nous voulions présenter la question de manière provocatrice ou naïve nous pourrions nous demander dans quelle mesure une défense de la corrida est possible avec, par exemple, l’éthique du care ? Toutefois il ne faut pas en déduire pour autant que Wolff n’a que faire des problématiques relatives aux éthiques animales. Il est vrai qu’il se montre particulièrement sévère à leur égard, considérées comme un « brouhaha » tant elles font référence à des principes généraux, et tant elles ne considèrent pas la complexité des problèmes. En effet :

Dans ce brouhaha, on entend des voix défendre le sort des bêtes souffrantes, et d’autres voix protéger les espèces menacées, parmi lesquelles il faudrait bientôt compter les taureaux de combat si l’on écoutait les premières. On confond les conditions de vie du taureaux (les meilleures possibles) et celles des porcs (les pires), les conditions des morts des taureaux (dans la lutte et en public) et celles des animaux d’abattoir (ni vues ni connues), la violence du combat qui mènent les taureaux dans l’arène et l’expérimentation animale qu’on méne sur des bêtes impuissantes 6.

Rentrons dès à présent dans le cœur de l’argumentation. La construction de l’auteur se tourne, dans un premier temps, contre ce qu’il appelle la critique « animaliste » de la corrida. Sont par ce terme désignées toutes les éthiques prenant pour fondement l’animal, qu’elles théorisent ou non d’éventuels droits leur revenant. L’animal, illusion dont le fondement est éthico-politique, ne sert qu’à penser l’homme, celui ci est un animal, certes, mais pas semblable à tous les autres, puisque rationnel et en conséquence moral. L’animalisme des droits animaux, reconduisant cette différence homme/animal (à la différence prés que l’animal devient un être moral) ne peut aboutir qu’à des contradictions internes. L’animal, doté d’une personnalité morale a des droits naturels que l’homme ne respecte pas.

Seulement, selon Wolff, une telle conception ne peut aboutir qu’à vider de sa substance toute idée de droit subjectif car

si on pose que les hommes ont des droits naturels, c’est parce qu’on pose qu’ils ont tous les mêmes, qu’ils ont les ont tous également, et que les devoirs de chacun ne sont que la contrepartie inversée des droits reconnus à tous. 7

Et reconnaître des droits naturels aux animaux, droits que seuls les hommes peuvent reconnaître et déclarer, n’est possible qu’à la condition que l’homme s’exclut « lui même de ces droits pourtant déclarés naturels » et qu’il s’oblige « aux devoirs qui en sont la contrepartie sans pouvoir ni devoir y obliger ceux à qui les droits sont reconnus »8. Au delà de cette critique sur laquelle Wolff s’étend peu, une riche conception de notre rapport aux animaux est ensuite élaborée.

Après avoir renvoyé dos à dos les défenseurs des droits animaux et ceux pour qui la nature n’est qu’une chose à la disposition des hommes avec l’argument selon lequel dans les deux cas « l’homme est seul au milieu de la nature indifférenciée » (l’essentiel est le mot « indifférencié ») Wolff privilégie une approche par les sentiments moraux en accordant un primat aux sagesses populaires sur les conceptions philosophiques.

En effet pour Wolff, toute morale vis à vis des animaux n’est pensable que si elle s’origine dans une pensée de la singularité des espèces et des relations nous liant à chacunes d’elles. Ainsi, la question de savoir qui doit être protégée de l’individu animal ou de l’espèce est posée. Distinction permettant à l’auteur de discréditer à nouveaux le camp des animalistes dont les raisonnements utilitaristes sont jugés « hors de propos » et absurde. En effet dans la cas qui nous occupe, la corrida, choisir de « secourir les individus (condamne) à mort l’espèce et par conséquent aussi tous les individus »9. D’une manière plus générale notre souci doit se porter aux individus animaux domestiques et aux espèces sauvages, (en préservant un écosystème permettant à l’espèce de se développer). Cette séparation entre le sauvage et le domestique nécessite cependant d’être dépassée.

Wolff propose deux grands principes devant guider toute réflexion sur nos rapports aux animaux. Le premier principe est dit de subordination et se résume dans cette formule : « l’universalisme moral s’étend à l’espèce humaine et s’arrête à elle ». En conséquence de quoi il nous faut « toujours et inconditionnellement sauver l’enfant inconnu contre l’animal familier »10. Évident selon l’auteur il n’est nul besoin de le fonder. Cela n’exclut nullement un souci envers les individus ou les espèces, l’auteur parle de contrat tacite entre les hommes et les animaux « domestiques », de relation « quasi contractuelle »11, de « contrat moral »12 ; ainsi dans le mouton nous devons respecter « la relation d’échange, pâturage contre laine, nourriture aujourd’hui contre nourriture demain »13. Il en va autrement pour le chat ou pour le chien, animaux de compagnie auxquels nous sommes affectivement liés.

Seulement, ce critère de domestication est bien trop étroit pour rendre compte de la multiplicité des affects nous liant aux animaux. Cette multiplicité étant la source de la réflexion éthique. C’est pourquoi, reprenant les thèses de François Sigaut, il distingue trois critères différents que le concept de domestication tend à confondre. Le principe d’appropriation de l’animal (comme dans le don, le prêt, l’échange…), le principe de familiarisation et le critère d’utilisation. Le premier principe peut exister sans les deux autres ; en effet, « pour qu’un animal soit approprié il suffit qu’il ait une valeur d’échange ». Et le deuxième peut exister sans le troisième, par exemple avec les animaux de compagnie, et le troisième peut exister sans les deux autres car pour utiliser un animal il ne doit en effet pas nous être trop familier14.

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1Wolff, Francis, « Ne mettez pas à mort la corrida » , journal Libération 29/08/07 .

2Wolff , Francis, « Le statut éthique de l’animal dans la corrida » in cahiers philosophiques n°101, Avril 2005 p.90.

3Ibid, p.63 .

4Renaut, Alain, « L’esprit de la corrida », in La règle du jeu, Printemps 1972 n°6.

5 Ne mettez pas à mort la corrida ..

6Wolff, Francis, philosophie de la corrida, fayard, 2007.

7Wolff, Francis, « Le statut éthique de l’animal dans la corrida » p.67.

8Ibid.

9Ibid, p.72 .

10Ibid, p.70.

11Ibid, p.73

12Ibid, p.76.

13Ne mettez pas à mort la corrida .

14Sigaut, François, « Critique de la notion de domestication » .

3 Comments

  1. Toutes les considérations « philosophiques » que je viens de lire ne sont que de la masturbation intellectuelle. Évoquer Kant est hors du temps actuel donc hors de propos en ce qui concerne cette question précise. Nombre de « philosophes » d’aujourd’hui ne sont, hélas, que des phraseurs hors de toute réalité. Je n’ai aucune ou du moins peu de compassion pour le taureau qui dans sa fureur ne doit pas beaucoup souffrir et ne « sait » pas qu’il va mourir. Je suis convaincu que d’autres animaux, dans des abattoirs et surtout dans des laboratoirs souffrent davantage et pour ces derniers souvent inutilement. Ce qui me choque au plus haut point, c’est la jubilation du spectateur devant un SPECTACLE DE TORTURE, DE SANG ET DE MORT. C’est cela qui domine dans les gradins de l’arène et non des considérations « philosophiques » d’un onanisme intellectuel ridicule. Parler de l' »honneur » du taureau en le comparant à des bêtes d’abattoir est absurde. Il s’en fout de cet « honneur » le taureau, ce n’est qu’un animal, du vivant pour lequel l’humain devrait avoir du respect s’il n’a pas ces sentiments barbares d’un autre temps.
    En 2000 l’homme n’a plus besoin de se prouver qu’il est humain, intellectuellement supérieur à l’animal, dominateur de la nature en organisant des spectacles barbares pareils, mais bien au contraire il devrait se prouver qu’il est humain en respectant le vivant et la nature, en les protégeant.

  2. L’animal nous regarde et devrait nous rendre plus humain, car notre humanité est une tâche et encore à venir. La vision de ce qu’est l’homme et de ce qui fait sa valeur m’entraîne hors de l’arène que sont malheureusement trop souvent nos sociétés. Là, tort aux faibles condamnés d’avance, enfermés dans un lieu où ils tentent de survivre sans espoirs, humiliés et tourmentés jusqu’à leur mort dans un rapport de force honteux qui incite à l’empathie et à la justice pour la victime. Si l’arène est la métaphore de ce à quoi nous devons renoncer pour construire d’autres relations plus respectueuses de l’altérité et moins destructrices, alors c’est qu’elle doit disparaître déjà comme spectacle cruel qui exploite l’autre vivant pour une jouissance malsaine.

  3. Pour moi,c’est un spectacle absolument barbare,qui n’à aucun sens, si ce n’est la jouissance et jubilation des spectateurs face à la souffrance animale. Un combat inégal regardé par des sadiques innomables. Je ne frequenterai jamais ces gens là, cette race humaine

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