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AAC – Littérature et absurde

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 Quand l’ombre de la croisée apparaissait sur les rideaux, il était entre sept heures et huit heures du matin. Je me retrouvais alors dans le temps et j’entendais la montre. C’était la montre de grand-père et, en me la donnant, mon père m’avait dit : Quentin, je te donne le mausolée de tout espoir et de tout désir. Il est plus que douloureusement probable que tu ne l’emploieras que pour obtenir le reducto absurdum de toute expérience humaine, et tes besoins ne s’en trouveront pas plus satisfaits que ne le furent les siens ou ceux de son père. Je te le donne, non pour que tu te rappelles le temps, mais pour que tu puisses l’oublier parfois pour un instant, pour éviter que tu ne t’essouffles, en essayant de le conquérir. Parce que, dit-il, les batailles ne se gagnent jamais. On ne les livre même pas. Le champ de bataille ne fait que révéler à l’homme sa folie et son désespoir, et la victoire n’est jamais que l’illusion des philosophes et des sots[1].

Il y a chez Faulkner comme chez d’autres grands auteurs de la littérature contemporaine ce sentiment que les questions de l’absurde et du sens de la vie échappent au philosophe. On pourrait ainsi citer également les ruminations du Bardamu de Céline dans le Voyage : « Philosopher n’est qu’une autre façon d’avoir peur et ne porte guère qu’aux lâches simulacres[2]. »

Si ces écrivains n’ont que peu d’estime pour les approches philosophiques de la question, c’est toutefois un thème qui n’a eu de cesse de fasciner et de dérouter les philosophes. Albert Camus, probablement de la façon la plus frontale, affirme ainsi dès le début du mythe de Sisyphe qu’« il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide[3]. » À la manière d’un Pascal, l’ultime refuge de la foi en moins, Camus déjoue ce qu’il perçoit comme des stratagèmes, ou des divertissements, qu’ils soient théoriques ou pratiques, et dont nous usons pour trouver un sens qui transcenderait nos vies. La discussion philosophique sur le sujet serait probablement sans fin et la question de l’illusion des philosophes eux-mêmes sur le sujet également.

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Dans ce dossier, nous souhaiterions moins voir exposés les différents points de vue philosophiques sur la question de l’absurde que de s’interroger sur ce que la littérature elle-même apporte à cette question. La philosophie en passe par le concept, elle « définit une façon de penser[4] », la littérature en revanche nous fait entrer de plein pied dans la vie. Les portraits des vies qu’elle dépeint, les façons de vivre qu’elle saisit sont, à travers la lecture, donnés en partage. En quoi les différentes façons de décrire des situations ou des vies absurdes peuvent-elles enrichir, étoffer le concept d’absurde que Camus définit comme le sentiment qui « naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde[5] » ? En quoi les situations concrètes et quotidiennes décrites en littérature peuvent-elles mener à une réflexion philosophique sur ce qu’est l’absurde de façon plus conceptuelle ? Aussi, les expériences absurdes décrites en littérature ne sont-elles pas par ailleurs le moyen le plus propice pour rappeler la philosophie à l’expérience concrète que les hommes font du monde et l’enjoindre à s’y intéresser ?

De ce lien entre la littérature et l’absurde, naissent alors plusieurs axes de réflexion :

– Y a-t-il autant d’absurdes que de récits ou bien peut-on trouver à l’absurde une (ou plusieurs) caractéristique(s) générale(s) ?

– Les styles des écrivains eux-mêmes ne sont-ils que le reflet d’une époque ou quelque chose à travers les époques permet de distinguer un « auteur de l’absurde » d’un autre qui ne le serait pas ? Qu’est-ce qui caractérise l’auteur absurde ?

– La création littéraire elle-même est-elle une façon de donner à voir l’absurde ou une pratique qui relève elle-même de l’absurde dans la mesure où l’écrivain serait tenté de faire de son œuvre le sens qu’il manque à l’univers ?

– Que cherche le lecteur d’un Kundera, d’un Camus, d’un Becket… ? Que cherche-t-on quand on lit les auteurs de l’absurde ? Que nous révèlent ces auteurs et ce goût pour la littérature absurde sur nous-mêmes ?

INFORMATIONS PRATIQUES

Coordination éditoriale : Stéphanie Favreau

Contact : s.favreau@implications-philosophiques.org

Nous invitons les auteurs à soumettre des propositions portant sur l’un ou l’autre des thèmes évoqués. Les propositions, sous forme d’un résumé compris entre 300 et 1000 mots (formats .doc, .rtf,), seront anonymes, accompagnées d’un document séparé contenant le titre de l’article, le nom de l’auteur, son statut, son affiliation institutionnelle et une adresse email. Les propositions seront évaluées anonymement par un comité de lecture à partir des recommandations de deux relecteurs anonymes.

Les propositions doivent être adressées à la rédaction : redaction@implications-philosophiques.org

CALENDRIER

Date limite de réception des propositions : 13 avril 2015

Notification de la première phase de sélection : 27 avril  2015

Soumission des articles complets : 15 juin 2015

Publication : juillet/août

Les articles définitifs ne devront pas dépasser 35 000 signes.


[1] William Faulkner, Le bruit et la fureur, Paris, Gallimard, 2008, p.99.

[2] Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard, 2005, p.206.

[3] Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, 2008, p.17.

[4] Ibid., p.92.

[5] Ibid., p.46.

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