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Crime et réconciliation. La justice restaurative face aux émotions du conflit

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Crime et réconciliation. La justice restaurative face aux émotions du conflit

 

Olivier Chassaing, Docteur, laboratoire Sophiapol, université Paris Nanterre.

Résumé

La justice restaurative promet la réconciliation des individus et la reconstruction des relations abîmées par le crime. Elle prétend que la réponse aux infractions fortifie la cohésion sociale en exprimant les émotions des parties, là où le droit pénal les tient à distance. Cet article étudie la nature et les justifications d’un tel usage des émotions pour renouer les liens sociaux. Il décrit tout d’abord la transaction émotionnelle au cœur de la procédure restaurative. Il évalue ensuite la possibilité d’exiger de l’infracteur qu’il donne à la victime des raisons de le pardonner. Il analyse enfin la capacité de la justice restaurative à retisser les liens à partir d’émotions antagonistes. Il conclue de manière critique sur la difficulté qu’il y a à faire de l’expression du conflit, dans sa part émotionnelle, une condition pour en sortir.

Mots-clés : justice restaurative – ressentiment – honte – pardon – peine

Abstract

Restorative justice promises the reconciliation of individuals and the reconstruction of relationships damaged by crime. It claims that the treatment of offenses fortifies social cohesion by expressing the emotions of the parties, where criminal law keeps it at distance. This article studies the nature and justifications of such a use of emotions to renew social bonds. It first describes the emotional transaction lying at the core of the restorative procedure. It then assesses the possibility to require from the offender to give the victim reasons to forgive. Finally, it analyzes the capacity of restorative justice to tighten social bonds based on antagonistic emotions. It concludes critically on the difficulty implied in making the expression of conflict, in its emotional aspect, a condition to get out of it.

Keywords: restorative justice – resentment – shame – forgiveness – punishment

 

Introduction

Aujourd’hui, au sein de nombreuses démocraties libérales, le droit pénal inclut des mesures de justice restaurative en complément des sanctions répressives. Ces mesures visent à réparer les relations sociales abîmées par les infractions, au-delà du seul objectif de punir. En France, plusieurs textes prévoient depuis 2014[1] des dispositifs « permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission »[2]. Un nouvel objectif traverse ainsi la réponse aux infractions : restaurer l’intégrité des parties et reconstruire les liens sociaux, entre elles et avec la communauté.

Qu’elle se présente comme un complément ou une alternative à l’institution pénale, la justice restaurative vise à réparer la victime fragilisée par l’infraction en enjoignant l’infracteur à répondre du mal, afin de recréer un rapport d’égale reconnaissance entre eux. Pour parvenir à cet objectif, deux conditions s’imposent : traduire l’infraction sous la forme d’un conflit interindividuel ; obtenir la réconciliation des parties à travers leur accord sur la nature, les conséquences et la valeur des faits. Une telle réconciliation est conditionnée par la reconnaissance des faits par l’infracteur et l’octroi du pardon par la victime[3]. Dans le cas français, la circulaire du 15 mars 2017 précise la mise en œuvre des mesures de justice restaurative et affirme leur autonomie, leur confidentialité et leur « imperméabilité » à l’égard de la procédure pénale[4]. Pour éviter que l’exigence de reconnaissance des faits ne reconduise la logique punitive à laquelle la justice restaurative prétend échapper, il y est rappelé que cette reconnaissance n’a pas valeur d’aveu[5], c’est-à-dire de preuve de culpabilité répondant au besoin de punir. Elle a pour horizon l’espoir de réconcilier. De manière générale, nul élément de la procédure restaurative n’est versé au dossier de l’accusé. Son déroulement n’influence pas les décisions prises par le juge (et inversement).

La justice restaurative soumet la réparation des liens sociaux à l’expression des émotions diverses et conflictuelles des parties sous le contrôle d’un tiers neutre. Les émotions, et leur affirmation publique, y jouent un grand rôle. La colère, le ressentiment ou la vulnérabilité de la victime, tout comme la honte, la culpabilité ou l’hostilité de l’infracteur, sont censés être dépassés dans l’excuse et le pardon. Robert Cario, pénaliste et défenseur de ce modèle, soutient que

la modalité restaurative accomplie a pu offrir la chance à l’infracteur d’exprimer des regrets, de présenter des excuses, de demander pardon à la victime, à ses proches et/ou à la communauté. Et à chaque fois que celui-ci a pu être accordé, le processus restauratif a conduit à la réconciliation intersubjective et, au-delà, à la consolidation des liens sociaux intra-communautaires[6].

Pour lui, expliquant son geste et exprimant sa honte et sa culpabilité, l’infracteur en vient à formuler des excuses sincères. La victime, voyant alors sa vulnérabilité ou son indignation reconnues, lui accorde son pardon. Les émotions ressenties de part et d’autre entretiennent un lien avec autrui et avec la communauté car quiconque peut s’identifier à cette transaction.

Toutefois, si l’indignation, la colère ou le remords peuvent s’énoncer facilement, le ressentiment, la culpabilité ou la honte semblent plus difficiles à dire. Ces émotions, inavouables dans certains contextes, peuvent enfermer le sujet qui les éprouve dans le ressassement et le replier sur lui-même. Les émotions ressenties n’entretiennent donc pas les mêmes attitudes à l’égard d’autrui et ne motivent pas le même type de comportement. Certaines tendent à être aisément partageables et contribuent à faire société, d’autres ont tendance à individualiser les sujets. Pour résoudre cette difficulté, la justice restaurative offre un cadre institutionnel à l’expression et à la validation par autrui de telles émotions, selon la volonté des parties et sans fixer d’exigences a priori.

Cet article voudrait clarifier le rôle des émotions au sein de la justice restaurative, modèle qui propose de répondre aux actes antisociaux par la réconciliation des parties en conflit. Les émotions semblent y posséder un caractère double. Elles représentent d’une part un vecteur ou une dimension du conflit. L’infraction est en effet un acte intentionnel (à un degré au moins minimal), qui place les individus dans un rapport antagoniste (victime/agresseur) et génère des émotions conflictuelles (souffrance/honte, ressentiment/culpabilité, vulnérabilité/hostilité). Mais elles sont d’autre part une condition du processus restauratif, censé accorder les émotions des parties à travers une médiation, afin de réparer la victime, de réhabiliter l’infracteur et de reconstruire les liens détruits. Or, en raison de ce double statut, les émotions étant à la fois vecteur du conflit et enjeu de sa résolution, cette institution paraît paradoxale : en invitant chaque partie à manifester son état émotionnel, elle veut faire de l’expression du conflit une condition pour en sortir.

Notre démarche sera critique. Nous évaluerons la justice restaurative à partir de ce paradoxe et essaierons d’étayer le scepticisme que nous inspirent certaines de ses prétentions. La première partie sera consacrée à décrire la prétention de la justice restaurative à opérer une transaction émotionnelle entre victimes et infracteurs, alors même que leurs émotions semblent conflictuelles, versatiles et irrationnelles, et peuvent manquer de transparence aux sujets eux-mêmes. La deuxième partie cherchera à savoir s’il est possible de justifier la justice restaurative comme une rétribution qui redonne à l’infracteur le sens de sa responsabilité et à la victime celui de sa dignité, le problème étant que cette transaction émotionnelle peut alimenter à l’infini la culpabilité de celui-ci et le ressentiment de celle-là. Enfin, la dernière partie aura pour objectif d’évaluer le bien-fondé de la justice restaurative comme institution se substituant à la peine, pour savoir si les émotions doivent jouer un rôle de réintégration face aux actes qui mettent en péril le lien social, a fortiori dans des contextes où celui-ci est déjà précaire.

I. La transaction émotionnelle : promesses et soupçons

La justice restaurative a émergé depuis plus d’une trentaine d’années et alimente profondément le renouvellement des réflexions et des pratiques en matière de régulation sociale[7]. Elle imprègne les réformes pénales de nombreux pays, comme les États-Unis, le Canada, la Belgique, les Pays-Bas ou encore le Brésil, ainsi que plusieurs directives du Conseil européen[8]. Son essor vient du constat d’échec qui entaille les systèmes pénaux des démocraties libérales contemporaines, confrontés à plusieurs problèmes : engorgement des parquets face à l’augmentation des poursuites, surpopulation et coût de l’institution carcérale suite au recul des libérations conditionnelles et à l’allongement de la détention, impuissance face à la récidive, manque d’accompagnement des victimes et réparations insuffisantes, souffrance au travail des agents pénitentiaires, etc.[9] Face à ces difficultés, la justice restaurative réinscrit la qualification du tort et du dommage, comme les modalités de leur réparation, au sein de la relation particulière victime-infracteur.

La médiation ainsi recherchée a pour vecteur l’expression d’émotions à première vue antagonistes et inconciliables (colère, vulnérabilité ou ressentiment d’un côté, honte, culpabilité, haine de soi ou hostilité de l’autre) et pour finalité leur apaisement : l’infracteur reconnaît sa responsabilité, la victime s’estime réparée et les parties se réconcilient. L’obtention d’un tel accord repose sur deux actes solidaires, l’excuse et le pardon, qui découlent, et à ce titre garantissent, des attitudes : assumer ses fautes et sa culpabilité pour l’agresseur, s’engager à épuiser sa colère pour la victime. S’excuser et pardonner révèlent donc la tendance à l’action d’émotions comme la culpabilité ou le remords, le pardon[10] ou la compassion. Celles-ci sont dirigées vers autrui et engagent le sujet à adopter une certaine attitude à son égard. Leur expression motive la reconstruction des liens entre infracteurs et victimes, rompant avec la logique d’exclusion de la peine appliquée par et au nom de la puissance publique. En outre, le pardon dépasse le calcul de souffrance opéré par la justice pénale, le châtiment étant traditionnellement proportionné à hauteur et en retour de la faute, selon un critère de rétribution.

La justice restaurative est-elle vouée à remplacer ou simplement à compléter la justice pénale ? Son application prend deux orientations, l’une minimaliste qui propose des mesures restauratives en accompagnement de la procédure pénale, et l’autre maximaliste qui substitue la justice restaurative au système pénal classique[11]. Trancher ce débat nourri n’est pas décisif ici car le rôle socialement intégrateur des émotions est affirmé dans les deux cas. Minimalistes comme maximalistes estiment que la justice restaurative sert à exprimer les émotions qui suivent l’infraction et à permettre leur confrontation au sein d’un cadre neutre[12]. La procédure restaurative se présente comme une réponse à l’abstraction et au formalisme du droit pénal, tourné vers la faute à rétribuer au détriment de l’état affectif des victimes et de leurs rapports aux infracteurs. Elle se veut donc correctrice, à un triple égard[13]. Elle est censée redonner une place à la victime, à travers un ensemble de médiations et de soutiens, notamment psychologiques. Elle sort l’infracteur du face-à-face avec l’État en tenant compte des liens qu’il peut entretenir avec la victime, notamment dans les affaires d’atteinte à l’intégrité des personnes qui interviennent souvent au sein d’un cercle proche. Enfin, en réunissant condamnés et victimes, les mesures, rencontres et « conférences » restauratives visent à libérer la tendance à l’action de l’excuse et du pardon, et à atteindre la réconciliation, « la production d’accords consensuels[14] ».

Ces dispositifs réinscrivent le traitement de l’infraction dans une économie affective, au sens où elles relèvent d’un art de produire, d’échanger et de purger des émotions. L’accord visé suppose une transaction de nature émotionnelle et morale : émotionnelle, parce qu’à travers l’expression des émotions de chacun, ces procédures cherchent à nouer un dialogue entre victimes et infracteurs, afin qu’ils s’entendent sur la valeur du tort subi et sur les intentions qui y présidaient ; et morale, parce qu’elles supposent de recréer un rapport de réciprocité entre infracteur et victime, par la reconnaissance des droits, de la dignité et des raisons d’agir de chacun. À travers l’expression et la compréhension de leurs émotions, infracteur et victime évitent de s’isoler dans leur vécu particulier[15]. En exprimant remords et excuses, celui-là participe à la reconnaissance de la victime. En épuisant colère et ressentiment, celle-ci manifeste son pardon.

D’après la lecture que fait Didier Fassin des évolutions du droit pénal[16], la défense de la justice restaurative repose sur une inversion du cours de l’histoire et traverse à rebours le chemin parcouru depuis le XVIIIe siècle. On revient d’une « économie morale du châtiment » à une « économie affective de la dette[17] ». La justice restaurative porte sur les conséquences du conflit créé par l’infraction et a pour enjeu l’échange d’un don et d’un contre-don entre infracteur et victime : aux excuses pour le tort commis répond idéalement le pardon[18]. Cette transaction émotionnelle place l’infracteur dans un rapport intersubjectif avec la victime, il se retrouve face à un individu particulier, selon les termes d’un rapport privé, et non plus à la communauté toute entière, dans un cadre public. La question est alors de savoir si un tel décrochage est souhaitable, et dans quelle mesure il faut le poursuivre : dès la qualification des faits, ou seulement une fois le jugement rendu ?

Méfiants vis-à-vis des prétentions de la justice restaurative à juguler les émotions déclenchées par l’infraction, certains auteurs pointent le risque de libérer les passions que l’édification du droit pénal moderne, centralisé et étatisé, a normalement canalisé[19]. Ils s’inquiètent de voir l’idéal de réconciliation faire dévier la justice restaurative vers une procédure auto-accusatoire, déjà présente dans le droit pénal traditionnel[20]. Ils jugent que les mesures restauratives font peser des attentes excessives sur l’infracteur, l’enjoignant à reconnaître les faits, à s’expliquer dans les moindres détails sur ses intentions et à en porter à jamais la charge morale[21]. La justice restaurative s’apparente selon eux à une entreprise de communication morale, au cours de laquelle l’infracteur prend conscience de sa culpabilité et cherche à se racheter[22]. Ils font enfin remarquer que si le médiateur intime à l’infracteur d’exprimer ses remords et d’affirmer son désir d’amendement, tout en laissant à la victime le choix d’accorder ou non son pardon, il est alors peu probable qu’un rapport symétrique, d’égale reconnaissance, s’instaure entre eux. Ces soupçons nous amènent à nous demander si la procédure restaurative constitue une rétribution méritée de l’infracteur, obligé de réparer le mal qu’il a fait à la victime. L’accent mis sur la honte, la culpabilité et les excuses qu’il doit manifester pourrait alors se justifier.

II. S’excuser et réparer : la restauration comme rétribution

Les doutes exprimés à l’égard de la transaction émotionnelle opérée par le processus restauratif peut aussi viser les objectifs plus modestes des « mesures de justice restaurative » prévues en droit français[23]. Dans les textes, ces mesures incluent : la rencontre condamnés/victimes ou détenus/victimes – des groupes de parole de victimes, de condamnés et de représentants de la société civile autour d’infractions similaires à celles commises ou subies ; la médiation auteur/victime, qui réunit les parties pour parvenir « à la régulation du conflit et à la réparation du préjudice[24] » ; les cercles de soutien et de responsabilité, voués à lutter contre l’exclusion et le risque de récidive des condamnés, notamment pour les affaires sexuelles ; enfin, la conférence de groupe et le cercle restauratif, qui concernent les infractions commises par et sur des personnes proches, au sein de la famille par exemple. Les justifications de ces mesures sont présentées comme mixtes, à la fois guidées par des critères déontologiques (respect de la personne de la victime et du condamné) et d’utilité (prévention générale des conduites infractionnelles et réinsertion du condamné), ce qui rend parfois confus leurs critères d’application. La circulaire de 2017 affirme ainsi que « les propos tenus par les parties […] ne peuvent être utilisés comme aveu judiciaire ou extra-judiciaire » mais insiste sur le fait que « l’auteur doit reconnaître les faits, c’est-à-dire à la fois son implication et sa responsabilité [et que] les parties en présence doivent pouvoir s’accorder sur les faits principaux de la cause[25]. » La justice restaurative ajoute-t-elle donc une autre dimension, psychologique et émotionnelle, au contrôle dont les condamnés font l’objet et aux injonctions qui pèsent sur eux, comme le soulèvent les critiques abordées auparavant ? Ses procédures respectent-elles la volonté et les droits des parties, ou bien exigent-elles que ces dernières contrôlent leurs émotions dans le but avant tout de reconstituer le lien social ?

Ces questions incitent à mieux cerner les justifications qui soutiennent les mesures restauratives[26]. Selon une justification rétributiviste, les attentes qui pèsent sur le condamné et qui l’enjoignent à exprimer sa honte, ses remords et à s’excuser découlent du fait même qu’il a causé du tort à autrui[27]. La réparation de la victime permet alors au coupable de racheter sa dette. Celle-ci ne découle plus de la transgression d’une règle générale, comme dans le cas de la peine, mais de la souffrance réellement éprouvée par autrui. L’infracteur répond de la vulnérabilité de la victime, et non plus de sa faute au regard de la loi. Si les tenants de cette justification affirment la nécessité pour l’État de conserver le monopole sur la procédure judiciaire, des poursuites au jugement[28], ils préconisent l’application de mesures restauratives à titre de sanctions alternatives ou complémentaires. À la différence du châtiment, ces mesures sont censées réparer le tort causé.

Cette défense rétributiviste de la justice restaurative rencontre néanmoins plusieurs obstacles. En dessaisissant l’État de son rôle prééminent dans l’exécution des sanctions, et en indexant les obligations imposées au condamné au degré de vulnérabilité des victimes, elle assouplit certains principes fondamentaux du droit pénal, comme l’économie, la proportionnalité́ et l’individualisation des peines, qui imposent aux autorités de limiter la peine selon la culpabilité de l’individu, afin d’éviter les sentences cruelles, démesurées ou automatiques. Une justice qui a pour fin l’état émotionnel des parties, et notamment l’apaisement de la victime, soumet le condamné à des demandes qui sont en droit illimitées[29], alors que la procédure judiciaire classique donne une limite a priori à la peine[30]. Certains auteurs craignent même que les mesures restauratives ne libèrent les émotions vindicatives de la victime et de ses proches[31], que loin de favoriser leur communication pacifique avec l’infracteur, elles n’entretiennent le différend en rivant chacun à sa colère ou à sa honte. Le cadre privé et confidentiel de ces mesures maintient selon eux les parties dans le conflit qui les oppose, ce qui limite les chances qu’elles n’éprouvent et n’expriment du repentir ou de l’indignation, ces émotions qui impliquent une attente de reconnaissance à laquelle chacun peut s’identifier et qui contiennent donc en germe un lien social. Pour ces critiques, le procès pénal aide mieux les parties, et notamment les victimes, à partager leurs émotions et fournit un meilleur point de départ à leur réintégration sociale car il expose le conflit aux yeux de tous[32]. Plus radicalement, on peut même mettre en doute la possibilité de résoudre le conflit et de réparer les relations abîmées, que ce soit par procédure pénale ou restaurative, et ainsi questionner la légitimité d’exercer des contraintes sur les individus tant que cette résolution n’a pas été obtenue.

Les défenses rétributivistes de la justice restaurative affirment qu’en privilégiant la réparation sur la punition, la violence de la procédure judiciaire est neutralisée mais que l’infracteur peut tout de même payer sa dette envers la victime. Alors que la peine ne fait qu’amplifier sa relégation sociale, la procédure restaurative le réhabilite aux yeux des autres. Elle lui offre la chance de reconnaître et de réparer le mal commis, redonnant en même temps sa dignité à la victime. Cette thèse suppose de tracer une frontière nette entre la punition des fautes et la réparation des torts – selon les concepts de Durkheim, entre « sanction répressive » et « restitutive[33] » – tout en supposant qu’elles partagent une même fonction expressive. La peine soude la communauté au détriment du condamné[34], alors que la procédure restaurative les rassemble, mais toutes deux constituent des véhicules aux émotions de réprobation et de honte et donc aux standards moraux de la communauté, toutes deux rétablissent la solidarité sociale en exprimant une exigence de rétribution à l’égard des infracteurs. Cette exigence, qu’elle soit exprimée par une peine ou une mesure restaurative, implique une situation de départ équilibrée, d’égale reconnaissance juridique et sociale. L’infracteur, ayant entamé l’intégrité d’autrui et violé des normes acceptées par tous, est déchu de son statut et contracte une dette envers la victime. C’est parce que son acte est injuste qu’il doit en répondre. Cependant, au sein des démocraties libérales contemporaines, marquées par de fortes inégalités matérielles et statutaires, soutenir que la peine ou les mesures restauratives ont pour fonction d’exprimer une exigence de rétribution semble plus difficile. Michel van de Kerchove insiste par exemple sur la difficulté à

avaliser les présupposés “consensualistes” auxquels cette fonction est souvent associée dans le sillage de Durkheim […], les incriminations pénales et leur hiérarchisation légale [étant] loin de toujours bénéficier d’un véritable consensus et [reflétant] souvent les valeurs dominantes de l’une ou de l’autre fraction de la société […]. La peine, en effet, en raffermissant une norme déterminée, est toujours susceptible sans doute de conforter ceux qui y adhèrent. Dans le même temps, cependant, elle peut être perçue par d’autres comme le désaveu confirmé de leurs convictions divergentes et renforcer leur sentiment d’appartenance à une catégorie sociale particulière qui, à la limite, risque de se percevoir comme entièrement marginalisée[35].

Les critiques abordées jusque-là appliquent le même argument a posteriori à la justice restaurative et à sa justification rétributiviste. On ne peut certes pas postuler que toutes les incriminations pénales entretiennent les inégalités d’une société ni qu’elles font l’objet d’un conflit axiologique. Mais, dans le contexte pluraliste des démocraties libérales, l’idée que les mesures restauratives permettent de rétribuer les infracteurs pour le mal commis sur autrui fait débat. Comme le montrent plusieurs travaux sur la justice ou la prison[36], la dimension expressive du contrôle des infractions s’exerce le plus souvent au détriment des mêmes individus ou des mêmes groupes, dont l’exclusion et la stigmatisation sont amplifiées au-delà de ce qu’ils méritent de subir, quelles que soient les réponses adoptées, classiques ou alternatives, punitives ou réparatrices. La mise en œuvre de mesures restauratives à titre de rétribution présente donc le même risque de renforcer les hiérarchies sociales parce qu’elles restent ici des réponses alternatives ou complémentaires à la peine et qu’elles découlent d’une procédure de jugement accusatoire et condamnatoire classique.

III. Pardon, réconciliation et contrôle social

Face aux défauts de cette justification rétributiviste et à la conception du lien social comme consensus moral qu’elle présuppose, certains auteurs proposent d’aller au-delà de simples mesures alternatives implémentées au sein de l’institution judiciaire[37]. Rejoignant les thèses abolitionnistes de Nils Christie[38], Thomas Mathiesen[39] ou encore Louk Hulsman[40], ils pensent la justice restaurative comme une institution à part entière et en préconisent la mise en œuvre dans tous les conflits dont les victimes sont identifiables. Le recours à des procédures d’arbitrage, de médiation et de réparation ont, selon eux, de meilleures conséquences que la peine. Elles sont plus à même de réintégrer les agresseurs, de lutter contre la récidive, de manifester le caractère nuisible et injuste des actes concernés et de rétablir l’agentivité – le pouvoir de décision et d’action – des personnes agressées. Ce modèle se présente donc comme une justification conséquentialiste de la justice restaurative. L’agresseur s’explique sur ce qui l’a poussé à agir sans avoir à subir la réprobation du public et comprend ainsi mieux la portée de ses actes. La personne agressée joue un rôle à part entière, elle peut si elle le souhaite répondre à l’agresseur et travailler à la résolution du conflit, sortant ainsi des enjeux d’indemnisation, de soutien psychologique ou de protection auquel le procès pénal la cantonne comme victime. Les parties redeviennent ainsi des sujets moraux, capables d’exprimer un jugement et d’agir sur ce qui les oppose[41].

Cette justification échappe-t-elle aux présupposés consensualistes de sa version concurrente ? Une telle institution, libérée de l’administration publique de l’accusation et de la condamnation, n’affirme-t-elle pas en filigrane des valeurs et des normes prétendument communes ? Permet-elle de sortir du paradoxe consistant, par exemple, à restaurer des relations sociales marquées dès le début par de nombreuses injustices, ou à rétablir coûte que coûte une certaine conception du bien en société ? Cette justification conséquentialiste tente de résoudre ces tensions en proposant une procédure de qualification inédite. Élever la réparation au rang de principal objectif du système de contrôle social, et non seulement de certains de ses instruments, engage de substituer à la notion d’infraction, qui implique la logique punitive, celle de conflit[42] ou de « situation problématique[43] ». On ne part plus d’un point de départ idéal dans lequel l’agresseur a transgressé une règle acceptée par tous. Au contraire, la qualification des faits et l’opportunité d’engager une procédure de médiation font elles-mêmes l’objet d’une concertation. Ces deux phases ne sont plus assurées par l’État ou ses représentants (procureur, juge d’instruction) et l’action publique se limite à donner un cadre aux différentes médiations restauratives (cercles de détermination de la réponse, de soutien et de responsabilité). Le traitement du conflit est donc abstrait de son cadre légal et le rôle de l’État devient secondaire.

La mise en œuvre d’une telle institution restaurative rencontre néanmoins plusieurs obstacles. On peut d’une part se demander si, en escamotant les garanties juridiques accordées à l’agresseur (présomption d’innocence, charge de la preuve incombant à l’accusation, droits au silence, à une défense, à un procès équitable, etc.), celle-ci ne l’expose pas aux émotions vindicatives de la société civile ou aux intérêts de ses membres les plus puissants. La justice restaurative affronte ici l’hypothèse du retour de ce que le droit pénal classique refoule en principe – la vengeance populaire et les intérêts de classe. On peut d’autre part demeurer perplexe quant à l’issue de cette procédure dès lors que la qualification des faits est incertaine, par exemple quand la condition de la victime constitue une circonstance aggravante (personne mineure, en état de faiblesse ou vulnérable) mais que l’agresseur l’ignorait[44].

La réponse proposée par les conséquentialistes consiste à étayer l’équité, la parcimonie et l’efficacité des instances de jugement et d’arbitrage populaires à partir d’exemples passés ou contemporains : modes traditionnels de règlement de conflit, conciliations et arbitrages durant le Moyen Âge, cercles de guérison ou de sentence chez les Inuits, conférences de groupe et rituels de médiation chez les Maoris, Commissions de vérité en Afrique du Sud et en Amérique latine[45]. La permanence historique de telles procédures, parallèlement à l’édification du droit moderne, devient une source de légitimation pour la justice restaurative. Un tel constat ne prouve néanmoins pas encore le caractère caduc de l’institution pénale. Plusieurs auteurs insistent alors sur le fait que la procédure pénale classique n’est pas plus à l’abri de l’influence des émotions collectives que les procédures restauratives ou coutumières. Postuler que seule une institution aussi complexe que le droit, alliant normes générales et procédures d’individuation, garantirait l’autonomie de ses sanctions à l’égard de la sensibilité collective, suppose « l’application à l’histoire du droit pénal d’une idéologie évolutionniste de type “téléostatique”[46] »[47]. L’étanchéité de l’institution judiciaire n’étant pas assurée, l’approche conséquentialiste entend alors démontrer que la justice restaurative est mieux armée que cette dernière pour gérer le trouble émotionnel suscité par le tort.

Cet argument perd néanmoins de sa force lorsque l’on s’aperçoit que la défense du système restauratif partage une même prémisse avec l’idée que seul le cadre étatique garantit des peines utiles et mesurées. Ces deux thèses posent que peines et mesures restauratives sont différentes en nature. L’une est punitive, ou répressive, l’autre réparatrice, ou correctrice. Cette distinction est fondamentale pour justifier la justice restaurative d’un point de vue conséquentialiste, comme institution capable de remplacer le droit pénal. Or, elle paraît stipulative et purement nominale. Soumettre les agresseurs à des mesures qui demeurent in fine des réactions à la violation de certains intérêts ou de certains droits, c’est toujours punir. Les mesures restauratives se distinguent certes de ce que le droit nomme une peine, mais elles n’en excèdent pas le concept. Approfondissant la définition de la peine proposée par Jeremy Bentham[48], Herbert Hart distingue cinq traits pour distinguer le concept standard de peine parmi les autres formes de contrainte : pour être une peine, un acte doit être afflictif (infliger une souffrance), légal (réagir à une offense définie par la loi), individuel (viser une personne déterminée), intentionnel (supposer une procédure condamnatoire) et autorisé (être valide du point de vue du système dont la règle a été violée)[49]. Aussi, dès lors que les mesures restauratives découlent de la reconnaissance d’une culpabilité, de l’affirmation d’une responsabilité et, en conséquence, de la soumission d’un individu à des obligations, elles peuvent s’apparenter à une peine. Que la procédure soit organisée par l’État ou des membres de la société civile n’est pas décisif.

Par conséquent, on ne peut pas dire a priori si les mesures restauratives infligent ou non une souffrance à ceux qui y participent. Comme c’est le cas avec les alternatives à la détention, cette souffrance ne porte pas sur le corps de l’individu mais peut être psychique, ou morale, en raison des effets symboliques de la procédure (réprobation, désaveu, stigmatisation de l’agresseur). Critiquant l’idée selon laquelle on n’aurait plus à faire souffrir si le crime disparaissait[50], Durkheim récuse l’hypothèse d’un

fléchissement général de tout le système répressif ; seul, un système particulier fléchit, mais il est remplacé par un autre qui, tout en étant moins violent et moins dur, ne laisse pas d’avoir ses sévérités propres et n’est nullement destiné à une décadence ininterrompue[51].

On se paie donc de mots quand on déclare fini le temps des peines. Adopter la justice restaurative comme système de contrôle social n’a pas pour effet de faire disparaître la sphère des actes indésirables mais simplement de la reconfigurer, ce qui met aussi en doute la valeur définitive des réconciliations obtenues. Sa mise en œuvre masque la permanence de pratiques punitives, malgré leur requalification et en dépit de ses intentions. Le recours exclusif à des procédures restauratives pourrait même faire craindre l’élargissement de la sphère punitive. Indexée à l’état émotionnel des parties, et notamment à l’apaisement des victimes, la durée et les formes de ces mesures sont en principe illimitées. Le risque de peines indéfinies, contre lesquelles le droit pénal moderne s’était promis de lutter, réapparaît donc.

Conclusion

Nous avons interrogé le pouvoir transformateur des procédures restauratives sur les émotions des auteurs et des victimes d’une infraction. La justice restaurative pose qu’à travers des procédures adaptées à chaque cas, ceux-ci expriment leurs émotions, en interprètent les raisons, formulent des excuses, octroient un pardon et se réconcilient. Au lieu de ressasser ressentiment, colère, honte ou culpabilité, ils énoncent leur état respectif, explicitent leurs attitudes antagonistes et formulent leurs conditions pour solder le différend. Malgré le conflit qui l’avait entamé, le lien social est ainsi restauré. La justice restaurative repose sur une économie des émotions qui pose différents problèmes selon que l’on adopte une justification rétributiviste ou conséquentialiste. Dans le premier cas, la procédure restaurative tend à placer l’infracteur dans un rapport d’obligation envers un individu particulier et non plus la communauté, bien que l’État conserve son monopole sur la poursuite et le jugement. Les mesures restauratives sont adaptées aux actes qui brisent un consensus moral mais, dans les cas de conflits axiologiques, elles peuvent individualiser les agents et amplifier des émotions difficilement partageables, au-delà de ce qu’ils méritent. Dans le second cas, la justice restaurative se donne comme une meilleure solution que la peine pour épuiser les émotions qui agitent les parties à la suite du mal. Cependant, la rupture qu’elle est censée incarner face à la logique punitive paraît illusoire. Indexée à l’état émotionnel des individus, sa procédure peut même fragiliser le respect des droits des individus et étendre le champ de la punition. La justice restaurative affronte donc la possibilité que le différend ne se referme jamais et que l’exigence de réconciliation qui la sous-tend demeure inatteignable. Si elle rend les individus acteurs du conflit qui les oppose et permet d’éviter leur assignation à des figures de vulnérabilité ou d’hostilité stigmatisantes, elle ne peut être seulement fondée sur le désir, et a fortiori le devoir, de s’excuser ou de pardonner.


[1] Loi n° 2014-896 du 15 août 2014.

[2] Code de procédure pénale (CPP), article 10-1.

[3] « À l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative. » CPP, art. 10-1.

[4] Circulaire du 15 mars 2017 (NOR : JUST1708302C).

[5] « […] les propos tenus par les parties, et notamment la reconnaissance des faits par l’auteur, ne peuvent être utilisés comme aveu judiciaire ou extrajudiciaire. » Ibid., p. 5.

[6] Robert Cario, « La justice restaurative : vers un nouveau modèle de justice pénale ? », AJ Pénal, vol. 9, 2007, p. 372-375.

[7] Sur l’institutionnalisation de la justice restaurative : Raisons politiques, vol. 59, n° 3, 2015.

[8] Directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant les normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité.

[9] Robert Cario, « La justice restaurative : vers un nouveau modèle de justice pénale ? », art. cit., p. 372.

[10] András Szigeti définit le pardon comme une émotion qui a pour attribut de motiver la réconciliation. András Szigeti, « Focusing Forgiveness », The Journal of Value Inquiry, vol. 48, 2014, p. 217-234.

[11] Christophe Béal, « Justice restaurative et justice pénale », Rue Descartes, n°93, 2017, p. 63.

[12] Robert Cario, Victimologie. De l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale, Paris, L’Harmattan, 2006.

[13] Andrei Poama, « Restorative Justice: The Institutional Turn », Raisons politiques, op. cit., p. 7-16.

[14] Robert Cario, « La justice restaurative : vers un nouveau modèle de justice pénale ? », art. cit., p. 6.

[15] La honte implique par exemple une image dégradée du moi, que la procédure restaurative peut avoir pour objectif de corriger. Julien A. Deonna, Raffaele Rodogno et Fabrice Teroni, In Defense of Shame: The Faces of an Emotion, New York, Oxford University Press, 2012.

[16] Didier Fassin, Punir, une passion contemporaine, Paris, Seuil, 2017, p. 75.

[17] Pour D. Fassin, la souffrance est devenue centrale dans la punition parce que le droit a basculé d’une « économie affective de la dette » (la vengeance est canalisée par la compensation du tort) à une « économie morale du châtiment » (le coupable est rédimé pour son péché). Ibid., p. 75.

[18] Exemple de procédure restaurative pour la place qui y était faite au pardon, la Commission Vérité et Réconciliation sud-africaine est analysée par Paul Ricœur selon le « modèle du don et sa dialectique de contre-don ». Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, « L’Ordre philosophique », 2000, p. 630.

[19] Cette inquiétude voit dans les formes de justice informelles et infrajudiciaires une menace pour les principes de légalité, d’impartialité et de proportionnalité au cœur du droit moderne, « le retour à une logique vindicatoire refoulée par l’ordre juridique » et « une dérive néolibérale de la sphère pénale », abandonnée par l’État. Christophe Béal, « Justice restaurative et justice pénale », art. cit., p. 62.

[20] En France, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (ou « plaider-coupable ») permet à la personne en cause d’éviter le procès. CPP, art. 495-7 à 495-16.

[21] John Braithwaite, « Restorative Justice: Theories and Worries », Annual Report for 2003 and Resource Material Series, n° 63, 2004 ; Dennis Sullivan et Larry Tifft, Handbook of Restorative Justice: a global perspective, Londres-New York, Routledge, 2006.

[22] La procédure restaurative deviendrait ainsi l’instrument pour arracher les remords du condamné lorsque cela n’a pas eu lieu pendant le procès. Susan A. Bandes, « Remorse and Criminal Justice », Emotion Review, vol. 8, n° 1, 2016, p. 14-19.

[23] Circulaire du 15 mars 2017, op. cit.

[24] Ibid., p. 11.

[25] Ibid., p. 5.

[26] Souvent tenue pour le blason du mouvement pour la justice restaurative, la Déclaration de Louvain du 14 mai 1997 affirme par exemple que « la fonction principale de la réaction sociale à la criminalité n’est ni de punir ni de rééduquer, ni de traiter mais de promouvoir la réparation des torts causés par le délit. » Déclaration de Louvain, « On the Advisability of Promoting the Restorative Approach to Juvenile Crime », European Journal of Criminal Policy and Research, vol. 5, n° 4, p. 118.

[27] Plusieurs travaux sur les transactions émotionnelles dans les conférences restauratives insistent sur le fait que les médiateurs ont conscience du risque d’humilier publiquement (« shaming ») l’infracteur, quand leur but est la réparation du tort. Raffaele Rodogno, « Shame and Guilt in Restorative Justice », Psychology, Public Policy, and Law, vol. 14, n° 2, 2008, p. 142-176.

[28] Pour une justification rétributiviste de la justice restaurative : Antony Duff, « Restoration and Retribution », in Andrew von Hirsch et al. (dir.), Restorative Justice and Criminal Justice. Competing or Reconciliable Paradigms, Hart Publishing, 2003; Antony Duff, « Restorative Punishment and Punitive Restoration », in Antony Duff et Lode Walgrave (dir.), Restorative Justice and the Law, Cullompton-Portland, Willan Publishing, 2002, p. 82-100.

[29] Jankélévitch insiste par exemple sur le fait que le pardon se tient toujours « en marge de toute légalité, il est un don gratuit de l’offensé à l’offenseur ». Vladimir Jankélévitch, Le Pardon, Aubier-Montaigne, 1967, p. 12.

[30] Comme l’exige le principe de nécessité des peines : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ; et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. » Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, art. 8.

[31] Chris Cunneen et Carolyn Hoyle, Debating Restorative Justice, Oxford, Hart Publishing, 2010.

[32] Magali Bessone insiste ainsi sur l’écart qui sépare le ressentiment vindicatif de l’indignation mise en scène par le procès pénal. Le ressentiment renvoie à une attente normative qui a été violée, attente valable pour tout agent moral. Cette violation doit donc pouvoir être énoncée et justifiée (ou récusée), or seul le procès pénal permet de transformer « le ressentiment – colère rentrée qui a du mal à se dire – en indignation. » Magali Bessone, « Ressentiment et sentiment d’injustice : quels enjeux pour la justice pénale ? », in Antoine Grandjean et Florent Guénard (dir.), Le Ressentiment, passion sociale, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, p. 197-198.

[33] Émile Durkheim, De la Division du travail social [1893], Paris, Presses Universitaires de France, 1967, p. 33-34.

[34] Sur la dimension expressive de la peine, voir: Joel Feinberg, « The Expressive Function of Punishment » [1965], dans Doing and Deserving, Essays in the Theory of Responsibility, Princeton, Princeton University Press, 1970, p. 95-118; Igor Primoratz, « Punishment as Language », Philosophy, vol. 64, n° 248, 1989.

[35] Michel van de Kerchove, « Les fonctions de la sanction pénale. Entre droit et philosophie », Informations sociales, n° 127, 2005, p. 30-31.

[36] Dan Kaminski, Condamner. Une analyse des pratiques pénales, Toulouse, Erès, « Trajets », 2015 ; David Garland (dir.), Mass Imprisonment, Social Causes and Consequences, Londres, Sage, 2001.

[37] John Braithwaite et Philip Pettit, Not Just Deserts: A Republican Theory of Criminal Justice, Oxford, Clarendon Press, 1990.

[38] Nils Christie, Crime Control as Industry, New York, Routledge, 1993.

[39] Thomas Mathiesen, Prison on Trial, Londres, Sage Publications, 1990.

[40] Louk Hulsman, « Critical Criminology and the Concept of Crime », Contemporary Crises, vol. 10, n° 1, 1986.

[41] Pour ses défenseurs, la justice restaurative assume mieux que la peine les enjeux de reconnaissance qui traversent les sorties de conflit, elle parvient mieux à « transformer une victime dominée et impuissante en agent reconnu comme tel, ainsi qu’un criminel réduit à sa faute ou son crime en agent lui aussi reconnu comme tel. » Magali Bessone, « Ressentiment et sentiment d’injustice : quels enjeux pour la justice pénale ? », art. cit., p. 191.

[42] Nils Christie, « Conflicts as Property », British Journal of Criminology, vol. 17, 1977, p. 1-15.

[43] Louk Hulsman, « The Abolitionist Case: Alternative Crime Policies », Israel Law Review, vol. 25, n° 3-4, 1991, p. 686-687.

[44] En common law, la doctrine du « willful blindness » (aveuglement volontaire) permet de condamner l’infracteur même s’il ignorait certaines circonstances des faits, comme dans le cas d’un viol sur une personne mineure dont l’auteur ne connaissait pas l’âge. Face à la difficulté de déterminer la conscience de cet aveuglement et du devoir de l’éviter, cette doctrine pose des problèmes de justice lorsqu’elle sert par exemple à qualifier des infractions statutaires, à responsabilité stricte.

[45] Voir Sandrine Lefranc, « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? », Droit et cultures, vol. 56, n° 2, 2008.

[46] Jean-Marie Carbasse, Introduction historique au droit pénal, op. cit., p. 16.

[47] Soutenir que l’État constitue le garde-fou d’un usage impartial, équilibré et nécessaire de la contrainte est une thèse qui, d’un point de vue historiographique, « est exagérément simplificatrice [et] même inexacte ». Benoît Garnot, Histoire de la justice, France, xvi-xxie siècle, Paris, Gallimard, « Folio histoire », 2009, p. 14.

[48] « Punir, c’est infliger un mal à un individu, avec une intention directe par rapport à ce mal, à raison de quelque acte qui paraît avoir été fait ou omis. » Jeremy Bentham, Œuvres, t. II, Théorie des peines et des récompenses, Londres, B. Dulau, 1811, p. 2.

[49] Herbert L.A. Hart, Punishment and Responsability, Oxford, The Clarendon Press, 1968, p. 4-5.

[50] Émile Durkheim, « Deux lois de l’évolution pénale », in Année sociologique, vol. 4, 1899-1900, p. 65-95 (nous soulignons).

[51] Ibid.

 

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