Tour d'horizonune

Actualité de la recherche – éthique publique et gouvernance

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Convaincu que la recherche ce n’est pas seulement des articles, mais c’est aussi des institutions, des hommes et des femmes qui s’investissent dans ces structures, nous avons décidé de proposer un tour d’horizon de la recherche, afin de proposer aux lecteurs un panorama des organismes et des institutions qui produisent aujourd’hui de la recherche.

Ces vignettes ont pour but de présenter l’actualité de la recherche telle qu’elle se produit partout dans le monde, avec des moyens et des manières de fonctionner différentes. En plus d’élargir notre horizon sur les manières de faire de la recherche, ce tour d’horizon est aussi un moyen de faire connaitre des institutions, et de se tenir informé des nouveaux auteurs et nouveaux domaines qui émergent dans le monde.

Pour ce premier tour d’horizon, nous souhaitons tout particulièrement remercier S. Cloutier qui nous témoigne sa confiance en acceptant d’inaugurer ce format. Si vous souhaitez également présenter votre structure, n’hésitez pas à prendre contact avec la rédaction.

Centre de recherche en éthique publique et gouvernance, Université Saint-Paul (Ottawa, Canada)

Par Sophie Cloutier, Ph.D., Directrice du Centre de recherche en éthique publique et gouvernance

Le Centre de recherche en éthique publique et gouvernance de l’Université Saint-Paul (Ottawa, Canada) a été créé en 2012. Il rassemble plus d’une quinzaine de chercheurs francophones et anglophones canadiens en philosophie, sciences politiques et sciences sociales. Le Centre a été pensé comme un lieu de visibilité et de diffusion de la recherche, favorisant la collaboration entre les chercheurs de l’Université Saint-Paul et ceux d’autres institutions et centres de recherche canadiens et internationaux. Il mise aussi sur la formation à la recherche des étudiant(e)s. Les activités du centre sont axées sur la réflexion en commun et les échanges intellectuels afin de promouvoir l’avancement des connaissances en éthique et plus particulièrement, sur les problématiques éthiques et politiques contemporaines. La plupart des chercheurs s’inscrivent dans la tradition de philosophie continentale, mais de par notre situation géographique en Amérique du Nord, nous sommes aussi influencés par la tradition anglo-saxonne. Il s’agit probablement d’une des grandes originalités de notre centre d’être un lieu de dialogue entre ces deux traditions. Le fait d’être situé dans la capitale nationale du Canada favorise en outre notre travail d’analyse éthique des politiques publiques canadiennes.

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Nous remarquons en effet que notre monde contemporain est marqué par une désaffection politique soutenue par une certaine forme de cynisme face à la politique. Difficile d’échapper à ce cynisme quand les citoyens se transforment en spectateurs impuissants des scandales politiques et des manquements à l’éthique de leurs représentants, en victimes des différentes crises – politiques, économiques, financières et environnementales. Comment gouverner dans un monde dominé par l’incertitude et l’urgence ? Comment établir des principes éthiques dans un monde marqué par le pluralisme des valeurs et des conceptions du monde ? Nos sociétés complexes appellent un renouvellement de la pensée politique et éthique. Le Centre de recherche veut contribuer à ce renouvellement de la pensée par le biais de ses deux principaux axes de recherche : la gouvernance et l’éthique publique.

Mais que signifie au juste ce nouveau concept de « gouvernance » ? Une des difficultés de ce terme c’est qu’il est utilisé dans différents contextes, autant dans les situations d’administration publique que dans la gestion d’entreprise. Au 13e siècle, les Français utilisaient ce terme comme synonyme de gouvernement, il désignait plus exactement l’art et la manière de gouverner. Au siècle suivant, les Anglais adoptèrent le terme governance dans la même acception. L’utilisation de gouvernance tomba par la suite en désuétude et refit son apparition dans les années 1980 dans un discours de la Banque mondiale.  Plusieurs agences de coopération, telles que le Fonds monétaire internationale (FMI) et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) reprirent l’expression et en vingt ans elle est redevenue d’usage courant. Dans un article de 2005, le directeur des programmes mondiaux à l’Institut de la Banque mondiale, Daniel Kaufmann, décrivait en ces termes la gouvernance :

On entend par gouvernance l’ensemble des traditions et des institutions par lesquelles le pouvoir s’exerce dans un pays pour le bien commun. Cela recouvre les procédures selon lesquelles les dirigeants sont choisis, contrôlés et remplacés (aspect politique); la capacité du gouvernement à gérer efficacement ses ressources et à appliquer des politiques avisées (aspect économique); et le respect des citoyens et de l’État envers les institutions nationales (respect institutionnel).[1]

Comme le concept de gouvernance ne se limite pas au niveau de l’administration publique, mais touche aussi le domaine privé, les organisations civiques, les régions, les continents, voire le niveau mondial, nous pouvons étendre sa définition. Gilles Paquet soutient par exemple qu’étudier la gouvernance voudrait donc dire : examiner la distribution des droits, des obligations et des pouvoirs qui fondent l’arrangement des organisations; comprendre comment ces organisations coordonnent leurs activités parallèles et maintiennent leur cohérence; examiner les moyens par lesquels procèdent la coordination entre les organisations et les pré-requis de leur collaboration; explorer les sources de dysfonctionnement et les problèmes de réseaux d’organisations et finalement, proposer des suggestions et des moyens de redéfinir l’architecture des organisations et des réseaux quand certains problèmes de gouvernance apparaissent[2]. Il convient aussi, à l’instar de Alain Denault[3], de réfléchir de manière critique à ce concept de « gouvernance » dont le projet sous-jacent pourrait se révéler n’être qu’une manière d’adapter l’État aux intérêts et à la culture de l’entreprise privée.

D’une manière générale, la réflexion des chercheurs du centre s’articule autour d’une double problématique :

1)    Existe-t-il une éthique propre au domaine politique ? Ou pour le dire autrement, doit-on et peut-on moraliser la politique ? L’État moderne a été conçu à même le processus de sécularisation, entendu comme séparation entre l’État et la religion. Machiavel, penseur de cette modernité politique, ne conseillait-il pas justement au Prince de ne pas chercher à être bon ? Comment donc élaborer une éthique publique, une éthique qui s’adresse au domaine politique, dans ce contexte séculier et pluraliste ? Comment distinguer et juger la bonne pratique de la mauvaise dans le contexte d’un État libéral qui se dit neutre au niveau des valeurs et du bien ?

2)    Notre monde contemporain est le théâtre de changements sociaux profonds qui affectent le domaine politique. Face à ces transformations du monde, dont la globalisation est le signe marquant, il importe de prendre un nouveau point de vue sur la politique. Le terme de « gouvernance » vient marquer cette tentative de repenser le domaine politique, de repenser sa fonction. Comment faire de la politique « une sphère d’innovation » (Daniel Innerarity) qui pourra répondre aux nouveaux enjeux et problèmes ? Cette deuxième problématique, reliée à la première, devra aussi prendre en compte la question éthique, c’est-à-dire la question de la bonne gouvernance – ou est-ce que le concept même de gouvernance n’implique pas déjà une certaine éthique implicite ? Le terme de gouvernance n’est pas limité au domaine politique, il s’agira donc de réfléchir ce concept dans ces différents champs d’application – société civile, domaine privé, domaine de la santé… Afin de mener à bien ce travail de réflexion, le Centre de recherche en éthique publique et gouvernance privilégiera l’interdisciplinarité et les réseaux de recherche.

Depuis sa création, le Centre de recherche a tenu plusieurs conférences, colloques et ateliers. Voici quelques publications à venir qui rendent compte des recherches menées :

  • Luc Vigneault, Blanca Navarro Pardiñas, Sophie Cloutier et Dominic Desroches (éds.), Le temps de l’hospitalité. Réception de l’œuvre de Daniel Innerarity, Québec, Presses de l’Université Laval (à paraître au printemps 2015). La catégorie de l’hospitalité n’est pas une nouvelle notion éthique, mais une des plus vieilles de l’humanité. Daniel Innerarity, à la suite de Derrida et de Lévinas, en montre la richesse et l’actualité dans son essai Éthique de l’hospitalité. Ce livre ne se veut pas une étude exégétique de l’essai d’Innerarity, mais cherche plutôt à l’inscrire dans un jeu de dialogues avec des chercheurs de différents horizons qui ont comme sens commun de faire résonner le concept d’hospitalité dans leurs perspectives distinctes. Cet ouvrage se termine avec un texte inédit de Daniel Innerarity sur l’hospitalité.
  • Sophie Bourgault et Julie Perreault (éds.), Éthiques et politiques du care. Langage féministe actuel, Montréal, Éditions du Remue-ménage (à paraître en août 2015). Cet ouvrage collectif interroge la pertinence et l’actualité de l’éthique du care dans une perspective de réflexion féministe. Les contributions, venant d’horizons et de disciplines différentes, reprennent à leur compte l’éthique du care pour en élargir la portée politique et en montrer la fécondité. Il s’agira aussi d’un premier livre sur l’éthique du care qui rassemble exclusivement des recherches de femmes franco-canadiennes.
  • Numéro spécial de la Revue Philosophy, Culture and Traditions, sous la direction de William Sweet et Rajesh Shukla, sur le dialogue entre la philosophie, la religion et la culture (à paraître à l’automne 2015). Le Québec a été secoué, dans les dernières années, par des débats publics houleux concernant l’aménagement de la diversité culturelle et religieuse et la place de la religion dans l’espace public. Les diverses contributions de ce numéro spécial abordent les questions de la laïcité, des droits des minorités culturelles et religieuses et des accommodements raisonnables dans une perspective philosophique, théologique, juridique, éthique et politique.
  • Matthew McLennan, Philosophy, Sophistry, Antiphilosophy : Badiou’s Dispute with Lyotard, New York, Bloomsbury Academic (à paraître en 2015). Ce livre aborde la question de la définition de la philosophie à travers le débat entre Badiou et Lyotard.

[1]   Kaufmann, Daniel.  «10 idées reçues sur la gouvernance et la corruption», Finances & Développement, Septembre 2005, p. 41.

[2]   Voir Gilles Paquet, «Introduction» dans Mémoires de la Société royale du Canada, La gouvernance au 21e siècle, Sixième série, Tome X, 1999, pp. 14-15.

[3]  Voir Alain Denault, Gouvernance. Le management totalitaire, Montréal, Lux Éditeur, 2013.

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