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Arendt héritière de Kant : une lecture controversée

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  Marie-Véronique Buntzly – Agrégé – Docteur à l’EPHE

Résumé Les derniers travaux d’Hannah Arendt sur le jugement, bien qu’inachevés, révèlent un héritage inattendu, celui de Kant. En cherchant dans la Critique de la faculté de juger les éléments d’une compréhension politique du jugement, Arendt est souvent accusée de méconnaître ou de trahir le philosophe : par ses infidélités, elle s’approprie et transforme des concepts et des problèmes typiquement kantiens. Mais n’est-ce pas pour mieux le dépasser ?

 

Mots-clés Arendt, Kant, jugement, schématisme, désintéressement

 

Arendt, Keeper of Kant’s Legacy: A Controversial Interpretation

 

Abstract Hannah Arendt’s last works concerning judgment, although left unfinished, reveal an unexpected legacy, that of Kant. When exploring the Critique of Judgment for elements of a political understanding of judgment, Arendt is often accused of disregarding or betraying the philosopher’s spirit: through her inaccuracies, she appropriates and distorts concepts and issues that are typically kantian. But doesn’t this help to exceed him?

 

Keywords Arendt, Kant, judgment, schematism, disinterestedness

 

« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » : cette citation de René Char  (Feuillets d’Hypnos, 1946), longuement commentée par Hannah Arendt dans sa préface à  La crise de la culture, illustre selon elle la rupture profonde du monde moderne face à la tradition. Or, dans ces circonstances, la philosophe nous engage à en revenir à l’exercice de notre faculté de juger : « Une crise nous force à revenir aux questions elles-mêmes et requiert de nous […] des jugements directs. »[1] Mettre en lumière ce que peut le jugement, et la façon dont il relie l’intériorité du sujet à l’extériorité des apparences, est une manière, pour Arendt, de redonner espoir, par la philosophie, dans les capacités humaines de compréhension face à l’effondrement du sens commun.

Cet intérêt pour la faculté de juger, qui naît en partie du choc du procès Eichmann, prendra toute son ampleur à la fin de son œuvre ; lorsqu’Hannah Arendt arrive au soir de sa pensée et s’attelle à la rédaction de La vie de l’esprit, elle décide d’accorder un tome complet au jugement, qui devra suivre et conclure l’analyse de la pensée et de la volonté. Bien qu’elle n’ait pas eu le temps d’achever cette œuvre et que le tome sur le jugement reste non écrit, nous savons qu’elle avait choisi pour cette analyse de s’appuyer sur Kant, l’auteur qu’elle lut à quatorze ans et dont Eichmann se réclamait à tort. Choix surprenant quand on sait que la philosophie arendtienne de l’action s’oppose à toute idée de liberté intérieure ou de présupposition d’une volonté libre individuelle, alors que cette notion constitue le cœur même de la philosophie morale chez Kant. Choix d’autant plus déconcertant qu’Arendt cherchera dans la première partie de la Critique de la faculté de juger, consacrée au jugement esthétique, les éléments d’une compréhension politique du jugement.

Pourtant, Kant aurait pu représenter par excellence cette tradition qui a échoué à faire barrage à la barbarie, comme elle le note dans le Journal de Pensée[2] :

« Les sentiers de l’injustice : antisémite, impérialiste, historico-mondial (= marxiste), totalitaire » : ce qui est effrayant, c’est qu’eux seuls aient constitué en général des sentiers, tout le reste n’étant que fange, broussailles, chaos du déclin. Il n’y aura pas d’issue tant que nous ne saurons pas pourquoi on n’est pas parvenu à frayer des chemins à partir de la grande tradition, en sorte que c’est l’escalier de service qui a pu indiquer les sentiers.[3]

Mais si Arendt décidera de s’appuyer sur Kant pour développer sa conception du jugement, c’est qu’elle voit en lui une exception, celle d’un philosophe qui n’est pas hostile au politique. Contrairement à Platon, ou même à Aristote, qui selon Arendt placent clairement la vie contemplative (bios theoretikos) au-dessus de la vie publique (bios politikos), Kant abandonne cette hiérarchie car il ne considère pas le philosophe comme un être à part : « Le « philosopher », ou l’activité pensante de la raison […] est pour Kant un « besoin » général de l’humanité, le besoin de la raison en tant que faculté humaine. Cela n’oppose pas le petit nombre à la multitude. »[4]

Le philosophe allemand deviendra donc l’unique référence d’Arendt lorsqu’elle entamera l’analyse de la dimension politique du jugement. Mettant délibérément de côté les analyses aristotéliciennes du phronimos, elle affirme en effet que « [ce] n’est qu’avec la Critique de la faculté de juger de Kant que cette faculté est devenue centre d’intérêt essentiel pour un penseur de premier plan. »[5] Cette analyse du jugement à travers la lecture de Kant sera présentée par Arendt lors de plusieurs conférences à partir des années 1960[6], et l’on s’accorde à reconnaître que ces cours – comme les notes préparatoires de ces séminaires – auraient constitué l’armature principale du troisième tome de La vie de l’esprit. Mais on trouve également dans toute son œuvre de multiples traces d’un intérêt précoce pour la question du jugement, presque systématiquement liée à la figure de Kant, « l’auteur le plus présent du Journal de Pensée après Platon »[7]. De 1951 à 1964, toute avancée explicite sur la question du jugement dans l’œuvre publiée d’Arendt est doublée dans le Journal de Pensée d’annotations de lecture d’ouvrages kantiens, du Projet de Paix perpétuelle à l’Anthropologie du point de vue pragmatique. On y trouve même un cahier spécifique d’annotations sur Kant[8], vraisemblablement élaborées en vue d’un séminaire sur sa philosophie morale en 1964, considéré comme « un document décisif dans l’évolution de la philosophie politique d’Arendt, [qui] indique le pas définitif en direction de la Critique de la faculté de juger de Kant […]. »[9]

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En effet, ce qu’Arendt retient en premier lieu du philosophe allemand, c’est l’attention portée au jugement comme faculté autonome, distincte selon elle de la pensée et de la volonté, puisque chez Kant il ne représente pas un mode du connaître, mais le fait de mettre en relation nos pouvoirs de connaître (l’imagination présentant des intuitions particulières, l’entendement et ses concepts universels, la raison pourvoyeuse d’Idées). Arendt va jusqu’à s’étonner que cette autonomie du jugement n’ait pas été relevée plus tôt : « Il est néanmoins énigmatique que seul Kant ait eu l’idée de s’occuper de la faculté de juger comme d’une faculté séparée. »[10] C’est au concept de jugement réfléchissant qu’Arendt fait allusion, puisqu’elle s’intéresse aux jugements appréciatifs et non aux jugements de connaissance. Pour Kant, la faculté de juger n’est réellement productrice que lorsqu’elle est réfléchissante, parce qu’en cherchant un universel qui corresponde à un particulier donné dans l’intuition, elle se donne à elle-même un principe a priori, celui de finalité. Pour Arendt, le jugement est créateur car il permet, en l’absence de tout repère du fait de l’effondrement du sens commun, indépendamment de catégories préétablies ou de normes issues de la tradition, d’apprécier et de comprendre les actions humaines.

Toutefois, l’analyse arendtienne diffère radicalement de celle de Kant sur un premier point : alors que ce dernier considérait que seul le jugement esthétique faisait appel à un type particulier d’universalité, d’ailleurs taxé de « […] singularité, sinon pour le logicien, en tous cas pour le philosophe transcendantal »[11], Arendt considère que le même modus operandi s’applique au jugement politique, moral ou esthétique. Dans ses conférences, la philosophe indique certes que cette conception n’est pas celle de l’auteur de la Critique de la faculté de juger : « […] derrière la question du goût, […] Kant avait découvert une faculté humaine tout à fait nouvelle, à savoir le jugement ; mais en même temps, il soustrayait les propositions morales à la juridiction de cette nouvelle faculté. »[12] Néanmoins, sa démarche consiste à considérer que les caractéristiques que Kant tenait comme propres au jugement esthétique sont en réalité celles de tout jugement, ce qui reste hautement problématique au regard du système kantien.

Paul Ricœur, dans un article consacré aux conférences d’Arendt, met à l’épreuve cette tentative en se demandant s’il est possible de tirer de la Critique de la faculté de juger « […] une théorie du jugement politique qui satisferait aux critères appliqués au jugement esthétique. »[13] Il évoque les « dangers d’une esthétisation du politique »[14], sans toutefois penser qu’Arendt tombe dans ce travers ; selon lui, les traits du jugement esthétique, « […] désintéressement, après coup, communicabilité, […] peuvent être étendus de façon convaincante de l’esthétique à la politique. »[15] Mais si l’on cherche, comme le fait Arendt, à reconstituer ce qu’aurait pu être la philosophie politique non écrite de Kant, ne devrait-on pas s’appuyer d’abord sur les écrits kantiens traitant du jugement téléologique ou de l’histoire ? Selon Ricœur, « […] l’esquisse de philosophie du jugement politique que propose Hannah Arendt dans le prolongement du jugement esthétique, ne saurait être dissociée de la philosophie explicite de l’histoire [de Kant]. »[16] L’analyse du jugement esthétique ne permet pas de comprendre l’articulation  kantienne entre les dispositions innées de l’espèce humaine et la tâche politique de cette espèce : Ricœur propose de montrer plus clairement que ne le fait Arendt le rapport étroit entre le jugement réfléchissant, tel qu’il est thématisé dans la troisième Critique, et des textes antérieurs comme l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique ou le Conflit des facultés. Par exemple, lorsque Kant commente l’enthousiasme des spectateurs devant la Révolution Française, il y voit un signe de la présence en l’espèce humaine d’une tendance propre à nous donner espoir dans le progrès moral de l’humanité. Ces écrits relient donc effectivement la réflexion sur l’histoire à une forme de jugement téléologique, guidé par des Idées directrices sur la fin finale de la nature, et au sein de cette nature sur la fin finale de l’espèce humaine.

Ricœur n’est pas le seul à pointer cette liberté prise par Arendt vis-à-vis de Kant. Ronald Beiner, auteur d’un essai commentant les conférences, écrit ainsi : « [Arendt] pense que Kant avait négligé de développer pleinement cette philosophie politique latente contenue dans la Critique de la faculté de juger, et elle cherche à réaliser ses potentialités. En dévalorisant l’importance de ses écrits politiques réels (au profit d’une philosophie politique non écrite), [elle] a peut-être sous-estimé la portée de la philosophie politique que Kant avait écrite. »[17] Comme le note également Myriam Revault d’Allonnes, « [d]u commentaire, elle ne se donne même pas les apparences […]. Il se peut que cette manière de faire et de dire ne soit pas l’affaire des historiens de la philosophie, scandalisés par tant d’audace. »[18] D’autant que l’élargissement de la compétence de la faculté de juger, ainsi que l’oblitération des écrits kantiens sur l’histoire, ne sont pas les seuls problèmes soulevés par la lecture arendtienne de Kant.

En effet, Arendt tire directement de Kant l’idée selon laquelle la condition de possibilité du jugement est une forme de désintéressement ; mais l’interprétation qu’elle élabore autour de ce concept l’éloigne de la lettre kantienne. Dans la Critique de la faculté de juger, la déduction des jugements de goût se fonde sur la possibilité d’un plaisir désintéressé, et sur la communicabilité universelle de ce plaisir :

« [T]ous les jugements de goût sont des jugements singuliers, parce qu’ils associent leur prédicat de satisfaction, non pas avec un concept, mais avec une représentation empirique singulière donnée.

Ainsi n’est-ce pas le plaisir, mais la validité universelle de ce plaisir, perçue comme associée au simple jugement d’appréciation porté sur un objet, qui est, dans un jugement de goût, représentée a priori comme règle universelle pour la faculté de juger, valant pour chacun. »[19]

Le plaisir du beau tire sa validité du fait qu’il n’est qu’un pur « plaisir de la réflexion »[20] où le sujet perçoit le libre accord de l’imagination (faculté de l’intuition) et de l’entendement (faculté des concepts). Cette satisfaction est réflexive car l’individu fait retour sur son propre plaisir : il me plaît que l’objet me plaise, parce qu’il met en mouvement deux facultés, sans que rien ne les contraigne. Aucune de ces deux facultés n’est légiférante ou dominante dans le plaisir du beau. Il s’agit pour la faculté de juger « simplement de percevoir l’adéquation de la représentation à l’opération harmonieuse (subjectivement finale) de deux pouvoirs de connaître en leur liberté, c’est-à-dire de sentir avec plaisir l’état où une représentation place le sujet »[21]. Ce qui nous paraît universellement communicable, face à l’objet beau, ce n’est pas une simple sensation, mais le sentiment de plaisir éprouvé lorsque nous sentons en nous se répondre et s’associer des intuitions formelles et une multiplicité de concepts possibles, quoique jamais déterminés. On peut affirmer l’universalité a priori d’une telle satisfaction parce que cet accord entre l’imagination et l’entendement est requis pour la moindre opération de connaissance : l’harmonie des pouvoirs de connaître est la condition de possibilité de toute connaissance en général.

Or, lorsqu’Arendt affirme que le désintéressement est la condition du jugement, elle ne s’intéresse pas à cette déduction kantienne, mais aux passages de la Critique de la faculté de juger traitant de la mentalité élargie. Pour le philosophe allemand, penser en se mettant à la place de tout autre signifie posséder la « […] capacité à s’élever au-dessus des conditions subjectives et particulières du jugement, à l’intérieur desquelles tant d’autres sont comme enfermés, et à réfléchir sur son propre jugement d’un point de vue universel (qu’il ne peut déterminer que dans la mesure où il se place du point de vue d’autrui) »[22]. Cette maxime du sens commun est interprétée d’une manière assez particulière par Arendt. Tout d’abord, elle associe systématiquement la notion de désintéressement à celle d’impartialité, comprise comme détachement vis-à-vis de l’intérêt personnel : « Les conditions privées nous conditionnent ; l’imagination et la réflexion nous permettent de nous en libérer et d’atteindre cette impartialité relative qui est la vertu propre du jugement. […] Chez Kant, l’impartialité se nomme « désintéressement », la satisfaction désintéressée concernant le beau. »[23]

En insistant sur la valeur relative de cette impartialité, Arendt entend nous mettre en garde contre la fiction d’un point de vue surplombant qui prétendrait pouvoir saisir la totalité du spectacle qu’il juge, et par conséquent posséder une neutralité parfaite vis-à-vis de son objet : « […] on accède à l’impartialité en prenant en compte le point de vue des autres ; l’impartialité ne résulte pas d’une position supérieure qui, parce qu’elle se situe complètement hors de la mêlée, trancherait la querelle. »[24] Subsiste alors une ambiguïté vis-à-vis du texte kantien, puisque pour Arendt, il s’agit, lorsqu’on juge, d’atteindre un point de vue général et non universel : « Plus vaste est la portée de la pensée – plus étendu est le domaine dans lequel l’individu éclairé est capable de se mouvoir d’un point de vue à un autre – plus le penser sera « général ». »[25] La généralité dont il est question ici ne correspond guère à l’universalité a priori présente dans le jugement réfléchissant kantien. Comme le remarque Myriam Revault d’Allonnes, Arendt choisit d’ailleurs de traduire systématiquement l’adjectif « allgemein » par « général » et non par « universel ». Le « point de vue universel » kantien se transforme donc en « point de vue général » dans la lecture arendtienne, certes libéré « […] de la partialité et de l’engagement que suscitent les intérêts immédiats, déterminés par la situation dans le monde et le rôle qu’on y joue »[26], mais loin d’atteindre une universalité propre à lui donner le statut de jugement a priori.

Cette torsion du concept a été diversement interprétée. Les uns, comme Jean-François Lyotard, y voient une confusion entre empirique et transcendantal, « une définition réaliste, empirique, anthropologique »[27] du sensus communis, ou encore une « lecture abusivement sociologisante »[28] de Kant. D’autres, comme Myriam Revault d’Allonnes, font l’hypothèse que « […] la « généralité » est la marque ou le signe d’un écart positivement revendiqué par Arendt, à l’encontre de toute tradition qui oppose l’infaillibilité de la vérité rationnelle à la déchéance native de l’opinion. »[29] Au-delà de la controverse, il est toutefois possible de trouver chez Arendt elle-même une justification de son écart vis-à-vis de Kant, non pas dans les notes de conférences cette fois, mais dans le Journal de Pensée. Les traces d’une lecture approfondie de la Critique de la faculté de juger apparaissent dans le Journal de Pensée dans des notes datant de 1957 ; son intérêt spécifique pour cette œuvre semble en effet provenir de sa lecture du chapitre sur Kant dans le livre de Jaspers paru en 1957, Les Grands Philosophes. Bien que ces notent soient très antérieures aux conférences de 1970, on y trouve des affirmations très précises qui permettent d’éclaircir les transformations qu’Arendt fait subir, dans ses conférences, à la théorie kantienne.

L’objection principale que formule Arendt est très claire : elle récuse l’idée selon laquelle la validité universelle du jugement pourrait être a priori, indépendante de toute condition concrète d’existence :

La raison pour laquelle Kant n’a pas pu accomplir le pas de l’a priori à l’a posteriori pourrait bien consister en ce que la découverte de la faculté de juger fait éclater le schème de l’a priori–a posteriori. Car la validité universelle du jugement n’est pas a priori – on ne peut pas la déduire du soi –, mais elle dépend du sens commun, c’est-à-dire de la présence des autres. Kant en avait plus qu’un pressentiment lorsqu’il plaçait sous les « maximes de l’entendement sain de l’homme », c’est-à-dire du sens commun, à côté du penser par soi-même et du fait de « penser en accord avec soi-même », le fait de « penser en se mettant à la place de tout autre être humain ». Ainsi ajoute-t-il au principe de non-contradiction, de l’accord avec soi-même, le principe de l’accord avec les autres, et il s’agit là du plus grand pas jamais accompli en philosophie politique depuis Socrate.[30]

On voit ici que, pour Arendt, l’effort fourni par Kant en vue de déduire l’universalité du jugement de goût d’un rapport a priori entre nos facultés, et donc du soi, semble entrer en contradiction avec les analyses du §40 sur la mentalité élargie, où ce n’est plus le rapport à soi qui prime mais bien le rapport entre notre pensée et celle de tout autre. Arendt reconnaît donc à Kant d’avoir mis au jour l’importance de la dimension de pluralité dans la formation de nos jugements, mais elle lui reproche de n’avoir pas tiré les conclusions de cette découverte, à savoir la remise en question radicale du schème a priori/a posteriori. Ou encore, Arendt considère que Kant aurait dû généraliser à toute forme de jugement (esthétique, moral, politique) l’analyse qu’il fournit concernant la pensée et son rapport à l’espace public :

La condition de possibilité de la faculté de juger est la présence des autres, l’espace public. C’est pourquoi Kant, et il est le seul, estime qu’une liberté de pensée ne serait pas possible sans espace public : c’est ce que signifie chez lui l’ultime maxime du sens commun, le « mode de penser élargi », qui est à même de s’élever au-delà « des conditions subjectives, d’ordre privé », du jugement (Critique de la faculté de juger, 1074). Ainsi l’espace public garantit-il la validité du jugement, et l’équivalent de ce qu’est la présence de l’universel pour la « faculté de juger déterminante », à savoir l’a priori dans la raison, est, pour la « faculté de juger réfléchissante », la présence des autres. Ou : à la présence du soi en ce qui concerne l’absence de contradiction formelle correspond la présence des autres pour la validité générale concrète, laquelle n’est toutefois jamais universelle, et dont la prétention à la validité ne peut jamais aller plus loin que les autres à la place desquels je pense.[31]

Ce que Kant considère simplement comme une maxime du sens commun, c’est-à-dire un principe devant réguler l’usage de l’entendement, devient chez Arendt la condition de possibilité a priori de tout jugement, au sens où il ne peut se constituer en dehors de la dimension de pluralité. Les hommes n’ont besoin de juger que parce qu’ils existent au pluriel ; ils ne peuvent juger qu’en prenant en compte la présence des autres. Mais il ne s’agit certes pas d’un a priori au sens kantien, c’est-à-dire d’un élément qui soit indépendant de toute expérience, puisque l’expérience elle-même, chez Arendt, est constituée par la pluralité, elle est vécue au sein du monde des apparences. Autrement dit, il n’existe rien pour elle qui soit indépendant de l’expérience, puisque même la pensée qui tente de s’en détacher ne peut la transcender tout à fait.

Finalement, si Arendt refuse d’accorder une validité universelle au jugement, c’est parce qu’elle lui préfère la notion de validité exemplaire. En effet, selon Arendt, c’est l’imagination qui prépare au jugement, en lui fournissant des exemples, ou inversement en nous permettant de donner à un cas particulier la valeur d’un exemple ; l’imagination fait ainsi le lien entre la position détachée du spectateur et le monde concret des apparences. Lorsqu’elle expose cette conception dans une conférence de 1970 entièrement consacrée à cette faculté, Arendt ne s’intéresse plus seulement à la Critique de la faculté de juger, mais y ajoute les analyses du schématisme dans la Critique de la Raison Pure. Cette incursion dans la théorie kantienne de la connaissance lui permet de traiter de l’imagination non plus simplement comme force motrice, rendant possible le voyage mental entre différents points de vue (comme c’est le cas dans l’analyse de la mentalité élargie), mais comme disposition à « […] saisir dans le particulier ce qui vaut au-delà de l’unicité de l’événement. »[32] L’exemple dans le jugement fonctionne pour Arendt de manière analogue au schème kantien, qui fait la liaison entre une diversité d’intuition et les concepts de l’entendement qui classent ce divers. Ainsi, si je perçois une action singulière, c’est grâce à l’existence préalable d’exemples/schèmes présents à l’esprit que je peux la qualifier :

Quand on juge, on dit spontanément, sans que cela dérive aucunement de règles générales, « cet homme a du courage ». Si vous étiez des Grecs, vous auriez « dans les profondeurs de votre âme » l’exemple d’Achille. L’imagination est à nouveau nécessaire : il faut avoir Achille présent à l’esprit en dépit bien sûr de son absence.[33]

Ainsi, de même que pour Kant l’imagination est en définitive ce qui permet la connaissance, cette « racine commune, mais inconnue de nous »[34] unissant les deux souches du connaître que sont la sensibilité et l’entendement, « une fonction de l’âme, aveugle mais indispensable, sans laquelle nous n’aurions absolument aucune connaissance »[35], ou encore un « art caché dans les profondeurs de l’âme humaine »[36], de même pour Arendt l’imagination, faculté distincte de la fantaisie ou de l’irrationalité, est notre seule « boussole intérieure »[37] dans le dédale des opinions, et qui nous autorise à ne pas rester sans voix face à la nouveauté constante des actions humaines.

Mais pourquoi utiliser ainsi les analyses kantiennes de la connaissance pour expliciter le modus operandi d’une faculté qui nous autorise à juger sans, justement, faire appel à des vérités universelles ? La question du traitement arendtien de l’héritage kantien devient ici particulièrement aigüe : la philosophe peut sembler piocher à son gré dans les analyses kantiennes, en tirant des affirmations propres à consolider sa propre conception du jugement, sans égard pour la cohérence du système des trois Critiques. Toutefois, un examen plus approfondi nous fera peut-être voir qu’Arendt hérite moins de concepts kantiens, susceptibles d’être maniés dans des directions étrangères à l’intention première de leur auteur, que d’un problème plus large, qui doit être résolu et dépassé par de nouveaux moyens spéculatifs.

Kant, en effet, ne s’est résolu à écrire la troisième Critique que parce qu’il se trouvait face à une impasse théorique. Dans cet ouvrage, il s’agit d’abord pour lui de donner sa cohérence au système de la philosophie, divisée en philosophie théorique et philosophie pratique. L’une considère la légitimité des concepts purs de l’entendement dont il use dans sa connaissance de la nature. L’autre entend montrer comment l’Idée de liberté peut déterminer la volonté. Or, si ces deux législations ont été présentées comme pouvant coexister sans contradiction par les deux premières critiques, il n’en reste pas moins qu’on ne peut comprendre comment la liberté peut avoir des effets dans le monde sensible si on ne trouve pas un passage entre d’une part, le mode de connaissance théorique de la nature en tant qu’ensemble de phénomènes, et d’autre part, la pensée pratique de la liberté comme chose en soi. Le problème se trouve formulé très clairement en ces termes dans la deuxième introduction de la Critique de la faculté de juger :

Bien que, cela étant, un abîme incommensurable soit installé entre le domaine du concept de la nature – le sensible – et le domaine du concept de la liberté – le suprasensible – au point que, du premier au second (donc par l’intermédiaire de l’usage théorique de la raison), nul passage n’est possible, tout à fait comme s’il s’agissait de deux mondes différents, dont le premier ne peut avoir sur le second aucune influence, celui-ci doit avoir pourtant une influence sur celui-là, autrement dit : le concept de liberté doit rendre effectif dans le monde sensible la fin indiquée par ses lois. [38]

De fait, si la liberté ne peut jamais avoir aucune influence sur la nature, l’homme aurait en lui l’idée de la loi morale sans jamais pouvoir l’actualiser concrètement. La liberté, qui comme la chose en soi ne saurait être ni connue ni perçue, resterait alors une Idée vaine, rendant le monde lui-même absurde.

Or, c’est d’une impasse du même type que tente de s’extraire Arendt lorsqu’elle s’attelle à la rédaction de La vie de l’esprit. Sa philosophie pratique confrontait jusqu’alors frontalement la métaphysique des deux mondes, puisque la liberté s’y éprouvait dans la pluralité concrète de l’action. Refusant déjà dans Condition de l’homme moderne toute ontologie de la nature humaine, elle affirme à présent la coïncidence de l’être et des apparences, rendant inopérant le concept même de domaine suprasensible. Opposant partout dans son œuvre la pensée détachée du monde des apparences, activité solitaire par excellence, et l’action qui au contraire lui est inhérente, et qui ne peut se déployer que dans la pluralité, Arendt se voit pourtant contrainte de redéfinir leurs rapports face au cas Eichmann. En effet, la seule caractéristique notable de cette personnalité, en elle-même banale, qui puisse expliquer ses crimes monstrueux, est selon elle son absence de pensée. Mais si la pensée, intérieure et invisible, n’est aucunement reliée à l’action, extériorité visible, comment comprendre que l’absence de pensée produise la destruction de l’action libre ? La question de l’origine du mal pousse donc Arendt à chercher un passage de la pensée à l’action, et ce en dépit de sa répugnance initiale pour tout concept de liberté intérieure. Dans l’économie de La vie de l’esprit, l’analyse de la volonté permet uniquement de mettre en lumière cette impasse : cette faculté, qui aurait naturellement pu constituer un intermédiaire entre pensée et action, se révèle au mieux une spontanéité absolue dont nous ne pouvons rendre raison, au pire l’impuissance par excellence, à l’image de celui qui voit et veut le bien mais s’avère incapable de l’accomplir. La liberté comme capacité de produire du nouveau, comme pure spontanéité, contient en elle-même la possibilité d’être interprétée comme une simple faculté de produire de l’arbitraire. Comment justifier de notre préférence pour telle ou telle action ? C’est alors qu’intervient la faculté de juger, de donner du sens à ce que nous vivons et percevons, de nous orienter face à l’imprévisibilité des affaires humaines.

On voit que l’analyse arendtienne prend sa source dans un questionnement moral et non plus seulement politique : l’analyse du jugement doit pouvoir entériner la critique de la volonté comme organe de la moralité. Cette tentative cible donc expressément la philosophie morale kantienne, considérée par Arendt comme une « morale de l’impuissance »[39], soumettant la volonté à l’impératif d’obéissance à la raison, et lui ôtant par là même sa capacité à trancher, à initier des actions. En effet, Kant n’est-il pas contraint de détacher la volonté de son exécution, afin de préserver sa pureté ? Il écrit ainsi :

La bonne volonté ne tire pas sa bonté de ses effets ou de ses résultats, ni de son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, mais seulement du vouloir, c’est-à-dire qu’elle est bonne en soi […]. Quand un sort contraire ou l’avarice d’une nature marâtre priverait cette volonté de tout pouvoir d’exécuter ses desseins, quand ses plus grands efforts n’aboutiraient à rien, et quand il ne resterait que la bonne volonté toute seule […], elle brillerait encore de son propre éclat, comme un diamant, car elle a en elle-même toute sa valeur.[40]

Une telle éthique de conviction reste en tant que telle inattaquable. Pour la dépasser, Arendt ne peut que soustraire la morale à l’emprise de la volonté et de la raison, et elle pense pouvoir y parvenir grâce à l’examen de la faculté de juger, intermédiaire entre le particulier et l’universel, l’unité et la pluralité, la pensée et l’action. « La question est la suivante : est-il possible d’élaborer une éthique de la puissance à partir de la faculté de juger ? »[41] Ou encore : « Au lieu de l’impératif catégorique : peux-tu supporter de voir figuré en image ce que tu es sur le point de faire ? »[42]

Nous sommes donc face à un paradoxe évident, puisqu’il apparait qu’Arendt cherche à dépasser Kant par lui-même. En invoquant les analyses de la Critique de la faculté de juger, elle tente de mettre un point final aux objections qu’elle porte contre la Critique de la raison pratique. Les infidélités de la lecture arendtienne visent en dernier ressort à montrer que Kant aurait pu corriger lui-même les insuffisances de sa philosophie morale, s’il avait pris conscience de la dimension politique de ses écrits sur le jugement. L’abîme que Kant tentait de combler entre domaines sensible et suprasensible, se retrouve chez Arendt sous la figure du gouffre séparant le visible et l’invisible. « La question : que signifie la pensée pour un être destiné de par sa naissance à l’action ? équivaut à demander : que signifie la réalité de ce qui n’apparaît jamais pour un être qui vit non seulement dans le monde des phénomènes, mais aspire lui-même à apparaître ? »[43] C’est donc bien une nécessité théorique, l’urgence de rendre à nouveau pensable la capacité à fonder un sens commun, qui explique les torsions infligées à la lettre kantienne. La brèche séparant tradition et modernité, rendue béante par les crimes du XXe siècle, ne peut être dépassée que par la confrontation active à notre héritage. C’est ainsi le sens même de la philosophie qu’Arendt interroge par son infidélité, qui se révèle, à plus d’un titre, exemplaire.


[1] Hannah Arendt, « La crise de l’éducation », in La Crise de la culture : huit exercices de pensée politique, trad. de l’anglais sous la dir. de P. Lévy, Paris, Gallimard, 2000, p. 225.

[2] Le Journal de Pensée, publié pour la première fois en 2002 et traduit en français en 2005, regroupe vingt-huit cahiers manuscrits où Arendt couchait par écrit et sans ordre particulier des notes de lecture, réflexions diverses, extraits de poèmes, etc. Ce journal philosophique s’étend de 1950 à 1973.

[3] H. Arendt, Journal de pensée : 1950-1973, éd. par U. Ludz et I. Nordmann, trad. fr. par S. Courtine-Denamy, Paris, Seuil, 2005, p. 85.

[4] Ead., Juger. Sur la philosophie politique de Kant, trad. fr. par M. Revault d’Allonnes, Paris, Seuil, 1991, p. 52.

[5] Ead., La vie de l’esprit, Trad. Fr. L. Lotringer. Paris, PUF, 2014, p.275

[6] À l’Université de Chicago en 1964, à la New School for Social Research de New York en 1965, 1966 et 1970. Un dernier séminaire sur la Critique de la faculté de juger était prévu en 1976, mais Arendt ne put jamais le présenter, car elle décéda en décembre 1975.

[7] Ead., Journal de pensée, op. cit., p. 1027.

[8] Arendt cite et commente dans ce cahier des extraits de la Métaphysique des Mœurs, des Fondements de la métaphysique des mœurs, de La Religion dans les limites de la simple raison, de la Critique de la raison pratique, de la Critique de la raison pure et de la Critique de la faculté de juger.

[9] Ead., Journal de pensée, op. cit., p. 1041.

[10] Ibid., p. 161.

[11] Immanuel Kant, Critique de la faculté de juger, trad. fr. par A. Renaut, Paris, GF-Flammarion, 1995, p. 192.

[12] H. Arendt, Juger, op. cit., p. 26.

[13] Paul Ricœur, «Jugement esthétique et jugement politique chez H. Arendt», in Le Juste I, Paris, Esprit, 1995, p. 143.

[14] Ibid., p. 158.

[15] Ibid., p. 157.

[16] Ibid., p. 152-153.

[17] Ronald Beiner, « Hannah Arendt et la faculté de juger », in H. Arendt, Juger, op. cit., p. 197.

[18] Myriam Revault D’Allonnes, « Le courage de juger », in Juger, op. cit., 1991, p. 217.

[19] I. Kant, Critique de la faculté de juger, op. cit., p. 274.

[20] Ibid., p. 277.

[21] Ibid.

[22] Ibid., p. 280.

[23] H. Arendt, Juger, op. cit., p. 111.

[24] Ibid., p. 70.

[25] Ibid., p. 72.

[26] Ead., La vie de l’esprit, op. cit., p. 275.

[27] Jean-François Lyotard, « Sensus communis », in Le Cahier du Collège international de philosophie, n° 3, 1987, p. 86.

[28] Id., « Le survivant », in Ontologie et Politique, Paris, Tierce, 1989, p. 275.

[29] M. Revault D’Allonnes, art. cit., p. 231.

[30] H. Arendt, Journal de pensée, op. cit., p. 763-764.

[31] Ibid., p. 764.

[32] Ead., Juger, op. cit., p. 126.

[33] Ibid., p.125

[34] I. Kant, Critique de la raison pure, op. cit., p. 86.

[35] Ibid., p. 139.

[36] Ibid., p. 193.

[37] H. Arendt, « Compréhension et politique », in La nature du totalitarisme, trad. et préf. par M.-I. B. de Launay, Paris, Payot, 1990, p. 60.

[38] I. Kant, Critique de la faculté de juger, op. cit., p. 154.

[39] H. Arendt, Journal de pensée, op. cit., p. 1011.

[40] I. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Editions Bordas, 1998, p. 16.

[41] H. Arendt, Journal de pensée,  op. cit., p. 1012.

[42] Ibid., p. 836.

[43] Ibid., p. 924.

1 Comment

  1. Article très intéressant et précis. Peut-être que l’opposition vie contemplative (bios theoretikos) à la vie publique (bios politikos) effectuée par Aristote et Platon est nuancée cependant moins par la figure du « philosophe » kantien que celle de « l’humanisme »de Cicéron qui, ne se liant pas à la Vérité, préserve cependant une culture de l’âme donc de goût au sens kantien, et retrouve ainsi une forme de contemplation qui cette fois-ci « parait » mais en tant qu’amitié qui partage un monde commun.

    « … Ce que Kant a découvert, c’est que le jugement de goût n’est soumis à aucun principe a priori, à aucune vérité indiscutable. Il relève d’un véritable exercice de liberté, de quelque chose qu’aucun producteur de bien culturel ne peut simuler, imposer ou suggérer. C’est une phrase de Cicéron qui, au bout du compte, s’avère décisive. Il écrit, dans les Tusculanes : “Je préfère au nom du ciel m’égarer avec Platon plutôt que voir juste avec ses adversaires.”(…) Ce que dit Cicéron en fait, c’est que pour le véritable humaniste ni les vérités du scientifique, ni la vérité du philosophe, ni la beauté de l’artiste, ne peuvent être absolues. L’humaniste, parce qu’il n’est pas un spécialiste, exerce une faculté de jugement et de goût qui est au-delà de la contrainte que chaque spécialité fait peser sur nous. Cette ‘humanitas’ romaine s’appliquait à des hommes qui étaient libres à tous points de vue, pour qui la question de la liberté – ne pas subir la contrainte – était la question décisive, même en philosophie, même en science, même en art. Cicéron dit : en ce qui concerne mes liens avec les hommes et les choses, je refuse d’être contraint même par la vérité, même par la beauté.
    Cet humanisme est le résultat de la ‘cultura animi’, d’une attitude qui sait prendre soin, préserver, et admirer les choses du monde. En tant que tel, il a pour tâche d’être l’arbitre et le médiateur entre les activités purement politiques et celles purement fabricatrices, opposées sur bien des plans. En tant qu’humanistes, nous pouvons nous élever au-dessus de ces conflits entre l’homme d’état et l’artiste, comme nous pouvons nous élever jusqu’à la liberté, par-dessus les spécialités que nous devons tous apprendre et pratiquer. Nous pouvons nous élever au-dessus de la spécialisation et du philistinisme dans la mesure où nous apprendrons à exercer notre goût librement. Alors nous saurons répondre à ceux qui souvent nous disent que Platon ou quelque autre grand écrivain du passé est dépassé ; nous pourrons répondre que, même si toute la critique de Platon est justifiée, Platon peut pourtant être de meilleure compagnie que ses critiques. En toute occasion, nous devons nous souvenir de ce que, pour les Romains – le premier peuple à prendre la culture au sérieux comme nous -, une personne cultivée devait être : quelqu’un qui sait choisir ses compagnons parmi les hommes, les choses, les pensées, dans le présent comme dans le passé. » (Arendt,  »La crise de la culture » Folio essais, chapitre VI)

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