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Recension – Les émotions démocratiques

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Une éducation démocratique : à quoi bon les humanités ?

  Martha Nussbaum, Les émotions démocratiques, Flammarion, coll. Climats, 208 pages, 19 euros

A quoi bon étudier Homère, Balzac, Dickens, la poésie indienne, l’histoire des religions ou du féminisme, Platon, Kant, la métaphysique, les arts plastiques ou la danse, ou tout simplement, en particulier lorsqu’on est Américain, le français ? Et en temps de crise, à quoi bon financer, aussi bien publiquement que par des fonds privés, ces mêmes cursus et enseignements ? En quoi contribuent-ils à la croissance ? Dans ce petit essai, Les émotions démocratiques, Martha Nussbaum affronte ces questions en substituant aux fins économiques de l’éducation des fins morales et politiques. Dans ce livre écrit en des temps de tourmente pour les humanités[1] qui ont empiré depuis, elle propose une vision à la fois traditionnelle et originale de l’éducation, traditionnelle en ce qu’elle vise à sauvegarder ou restaurer un modèle éducatif en perdition, originale par les ressources philosophiques propres qu’elle déploie pour le défendre. Il faut d’abord saluer la très bonne traduction de l’ouvrage par Solange Chavel[2] qui vient enrichir la liste des ouvrages de la philosophe traduits en français[3]. Les lecteurs familiers de celle-ci reconnaîtront sans peine des thèmes qui lui sont chers et qu’elle applique ici à l’éducation nécessaire au citoyen des démocraties contemporaines. On aurait cependant tort de n’y voir qu’une application artificielle tant l’éducation est essentielle à la philosophie morale et politique de l’auteur. Axée sur les capabilités censées être garanties aux individus par les Etats comme fondement d’une vie humaine digne et épanouie, son approche repose — en termes méthodologiques — sur l’imagination et les émotions comme ressorts de l’extension de la considération morale (et de la justice) à tous les individus, égaux en dignité. Sept chapitres composent l’ouvrage, qui alterne entre le sombre constat d’une importance déclinante accordée aux humanités et la défense enthousiaste de celles-ci comme ferments de la démocratie. Martha Nussbaum s’appuie dans cette défense sur les leçons de grands pédagogues, de Socrate à Dewey en passant par Rousseau, Pestalozzi, Froebel, Bronson Alcott, Horace Mann et Rabindranàth Tagore[4] (les pages sur Dewey et Tagore sont particulièrement éclairantes), mais surtout sur de nombreuses études de cas, souvent informées en première personne et puisées dans une multitude de contextes, du jardin d’enfant aux prestigieuses universités, de Chicago au Gujarat.

Le constat de l’auteur est d’abord celui d’une tendance mondiale à privilégier, aussi bien au niveau gouvernemental et administratif qu’au niveau des établissements d’enseignement eux-mêmes, et à tous les moments de l’éducation, du primaire au supérieur, une éducation axée sur la compétence technique, directement utile et évaluable en termes de bénéfices économiques. Cette tendance se constate partout dans le monde, en Europe comme en Inde et aux Etats-Unis, bien que le pays de l’auteur fasse parfois a contrario office de modèle par la place qu’y occupent les arts libéraux dans l’enseignement supérieur. A l’opposé, la gestion bureaucratique des institutions, le bon dos de la crise économique et le processus de Bologne semblent avoir justifié çà et là des coupes budgétaires allant jusqu’à la suppression de départements entiers jugés inutiles, en Angleterre par exemple, tandis que  les mesures d’ « impact » déterminent les attributions de fonds dans les disciplines fondamentales et les sciences humaines et sociales (une critique très juste de l’évaluation par l’impact est faite dans le dernier chapitre). Deux grands types d’éducation sont ainsi disponibles aujourd’hui, une « éducation pour la démocratie » et « une éducation pour profit », le premier étant mis en danger par le second. Notons néanmoins qu’un des moments de l’argumentation de l’auteur est que les fins visées par le second (innovation et croissance économique) nécessitent certaines compétences que seul le premier type fournit. Il serait donc rationnel même pour celui qui ne viserait que la croissance de promouvoir certaines valeurs proprement démocratiques dans l’éducation. Mais comme Nussbaum fixe comme fin à la communauté politique une culture de la démocratie, plus apte à garantir des capabilités égales à tous, cela ne peut passer que par une culture des humanités, puisque le second type d’éducation exclut des compétences essentielles à la démocratie et essentiellement démocratiques.

Le chapitre 2 de l’ouvrage propose une critique documentée et efficace du paradigme fondé sur le PNB auquel elle attribue par exemple le dévoiement de l’éducation en Inde (l’Université Visva-Bharati fondée par Tagore à Santiniketan, initialement dédiée à la mise en œuvre de sa pédagogie réformatrice a perdu son indépendance au profit du gouvernement qui l’a rapidement privée de son cursus en arts libéraux). En effet, les Etats alignés sur ce paradigme font de la croissance non plus un moyen mais une fin en soi, et justifient à ce titre la suppression des disciplines inutiles (arts et humanités). Celles-ci ne sont d’ailleurs pas seulement inutiles mais également dangereuses pour paradigme en question : « La liberté d’esprit de l’élève est dangereuse pour qui souhaite produire un groupe de travailleurs obéissants et techniquement experts, qui appliquent les plans des élites pour attirer l’investissement étranger et produire le développement technologique » (p. 32). Parce qu’il est intrinsèquement voué à être dominant, ce paradigme doit décourager l’esprit critique et l’imagination d’autres formes d’organisation possibles. Or c’est ce même paradigme que Amartya Sen et Martha Nussbaum ont critiqué, au profit d’un « paradigme du développement humain », axé sur les capabilités. La liste de capacités nécessaires aux citoyens d’une « démocratie soucieuse des individus » montre que le bien du pays mais aussi du monde, s’il est soumis au réquisit d’égale garantie des capabilités, dépend pour Nussbaum de compétences intellectuelles et émotionnelles variées fondées sur l’esprit critique et l’imagination empathique[5]. Ce citoyen doit être « actif, critique, curieux, capable de résister à l’autorité et à la pression des pairs » (p. 95).

A l’aune du triste constat qu’elle dresse, l’auteur veut promouvoir un modèle qu’elle estime illustré par l’importance des arts libéraux dans le cursus de premier cycle états-unien et dans certaines expériences pédagogiques en Inde (terrain bien connu de l’auteur[6]) dans la première moitié du xxe siècle, ainsi que dans les écrits des pédagogues évoqués (« tradition vivante qui utilise les valeurs socratiques pour produire un certain type de citoyen », p. 94). Ces modèles encouragent la discussion active et critique plutôt que l’ingurgitation passive de contenus (en vue de QCM ou de tests standardisés), l’imagination empathique et la sympathie plutôt que la soumission aux autorités, au nombre et à la tradition. Ces modèles, en d’autres termes, reposent sur l’essence même du dialogue socratique d’une part, et la fonction cognitive-évaluative des émotions d’autre part. Deux piliers que Nussbaum entend ici articuler comme piliers de la compétence démocratique. Les capacités socratiques de critique, d’argumentation et d’humilité seront renforcées par la capacité de se projeter à la place d’autrui (pour comprendre les raisons de sa position et son contexte, les hypothèses communes aux différents interlocuteurs). A l’inverse, les capacités imaginatives seront aiguillonnées et passées au crible par l’argumentation, afin de rejeter les projections trop partiales et discriminatoires. Voilà comment les émotions peuvent devenir démocratiques, même si l’apparente facilité avec laquelle Nussbaum fait du Socrate de Platon un démocrate peut apparaître un peu forcée.

Ce sont ces émotions que le Chapitre 3 étudie, dans la prolongement des travaux précédents de Nussbaum[7]. Le Chapitre 4 est consacré à la postérité de la pédagogie socratique et comment s’y trouvent illustrés des principes qu’elle promeut, et le Chapitre 5 montre comment ces émotions démocratiques peuvent et doivent faire du citoyen un « citoyen du monde », assurant la continuité entre justices nationale et globale. A travers l’idée d’une culture de l’imagination empathique, dès l’enfance (à l’école comme en famille), le Chapitre 3 montre comment les émotions de honte vis-à-vis de sa propre vulnérabilité et de dégoût vis-à-vis de l’autre, occultant son égale humanité, peuvent être dépassées au profit de la sympathie, d’où l’articulation à la communauté mondiale, la diversité à prendre en compte étant aussi bien chez nous qu’en dehors. Le Chapitre 5 montre comment certaines disciplines (histoire, économie, science politique), introduites de façon critique, peuvent exploiter et cultiver cette faculté pour faire comprendre les injustices nationales et globales plutôt que glorifier la nation, remettre en cause l’organisation sociale plutôt que transmettre dogmatiquement des savoirs. Devenir citoyen du monde suppose de prendre conscience de l’existence d’une pluralité de formes politiques et sociales, de cultures et de religions, ainsi que d’apprendre comment se constituent les savoirs : raconter l’histoire en s’appuyant sur des preuves et en croisant les sources, saisir les liens argumentatifs. Il s’agit aussi d’interroger la répartition des richesses et des pouvoirs dans telle ou telle culture à telle ou telle époque, la place des femmes et des minorités, les implications socio-économiques de la production de nos biens de consommation, etc. Pour ces raisons, ces matières seront associées aux disciplines intrinsèquement critiques : la philosophie en particulier, mais aussi les études de genre, afin d’éclairer les problèmes actuels de justice. Le Chapitre 6 quant à lui est consacré à l’éducation artistique, pendant imaginatif des disciplines articulées autour de l’argumentation et de l’esprit critique : « le rôle des arts  à l’école et à l’université est double. Ils cultivent les capacités de jeu et d’empathie de manière générale et ils traitent des points aveugles culturels spécifiques » (p. 137). Ce chapitre aussi bien sur la place accordée à la danse et au théâtre par Tagore qu’à l’analyse du jeu par le pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott.

L’une des ambiguïtés du livre, qui est peut-être le ressort d’un cercle vertueux, est qu’on ne sait jamais bien si Nussbaum envisage la démocratie comme un type de régime politique ou comme l’exercice de certaines compétences. En effet, le développement de capacités démocratiques n’est pas suffisant pour l’obtention et le maintien d’une démocratie institutionnelle ; à l’inverse, l’existence de celle-ci ne garantit pas l’existence de celles-là : « Ces capacités — la pensée critique ; la capacité à dépasser les intérêts locaux pour affronter les problèmes mondiaux en “citoyen du monde” ; enfin la capacité à imaginer avec empathie les difficultés d’autrui — dépendent de l’étude des humanités et des arts » (p. 15-16). Mais le lien exact entre ces compétences et ces institutions n’est pas fourni, ou plutôt il semble parfois que le système éducatif et les vertus qu’il produit soient le seul fondement de la démocratie, comme si la nature des institutions était indifférent[8]. C’est que Nussbaum se contente d’exposer des conditions nécessaires mais non suffisantes de la démocratie. On comprend ainsi que le caractère multiculturel et égalitaire d’une démocratie, pour faire face aux différences et inégalités réelles à partir desquelles elle est construite (religion, appartenance ethnique, richesse, handicap, genre, etc.) exige des capacités d’empathie supérieures. « Sans le soutien de citoyens convenablement éduqués, aucune démocratie ne peut être stable » (p. 19).

Il ne faudrait cependant pas glisser de la reconnaissance de la nécessité de ces capacités démocratiques pour le débat démocratique à l’espoir qu’elles suffiraient par elle-même à garantir des « institutions décentes ». Le maintien de celles-ci ne saurait dépendre entièrement de l’éducation car les bons citoyens issus d’une bonne éducation ne font pas nécessairement et par eux-même une bonne démocratie. L’optimisme de l’auteur, quand elle évoque celui de Winnicott[9], ne doit pas laisser penser que la justice dépend des capacités démocratiques. L’ambiguïté devrait donc se résoudre en comprenant que l’Ecole instruit des bons citoyens en les rendant aptes à être plus moraux et ouverts au dialogue, en leur prêtant des compétences démocratiques, mais que le débat démocratique lui-même n’est pas celui qui a cours dans la salle de classe, notamment parce que l’ensemble des citoyens est plus large que celui de ceux qui auront reçu l’éducation (en particulier supérieure) promue par Nussbaum. On peut en effet concevoir l’application des principes éducatifs de Talore et Dewey comme une démocratie en miniature, développant des réflexes utiles à la démocratie, mais nulle part l’auteur ne nous montre comment ces mêmes réflexes seront mis en œuvre sur la place publique quand la fin des cours aura sonné. Nussbaum ne manque certes pas de mentionner l’application de ces principes d’éducation démocratique hors des murs de l’Ecole, par exemple l’expérience du Choeur d’enfants de Chicago (p. 142-147). Et son livre est une défense des humanités face à la menace qui pèse sur leur enseignement. Mais les arguments auraient aussi bien pu établir (a fortiori, puisqu’ils s’appuient sur des fins démocratiques) la nécessité de diffuser les humanités en dehors des établissements scolaires. Or l’auteur n’insiste guère sur ce point. A défaut d’un tel programme, l’auteur encourage leur implantation aux niveaux primaire et secondaire, de façon à généraliser l’accès aux connaissances pertinentes, même de ceux qui n’auront pas l’occasion de poursuivre des études supérieures.

Le modèle promu par Nussbaum ne manquera pas de titiller le lecteur français. Si l’auteur traite souvent un peu trop comme un bloc le modèle européen (même antérieur au processus de Bologne), elle a raison de souligner la prépondérance des cursus mono-disciplinaires et du cours magistral (du moins en France). Sur ce point, la défense qu’elle fait du cursus pluridisciplinaire aux Etats-Unis est convaincante — pour autant que sa défense de l’éducation démocratique l’est, puisque celle-ci est illustrée par un tel cursus. Elle l’est si l’on comprend par ailleurs sa défense des humanités comme celle de compétences et de méthodes plutôt que de contenus. Il ne s’agit en effet pas tant de perpétuer l’enseignements des classiques que de revenir aux sources de leur œuvre, à savoir l’esprit d’invention, la curiosité et la remise en cause des autorités.

Cette défense est moins convaincante quand le meilleur moyen présenté pour sauvegarder le modèle est la perpétuation d’un sous-produit d’un système peu ou prou inégalitaire : la philanthropie, et qui, par lui-même, ne garantit rien moins que l’idéal que l’auteur pense que les philanthropes eux-mêmes partagent. Nussbaum semble en effet considérer comme une chance que de bénéficier d’une telle tradition de donation, plutôt que de dépendre « servilement », comme les Européens, « des administrateurs »[10] (p. 166). On comprend que cela permet aux universités américaines de ne pas dépendre pour leur survie des appels à projets, orientés par l’applicabilité directe (« impact »), décriés à raison. Mais l’alternative n’est telle que si l’on exclut le maintien de financements publics impartiaux, c’est-à-dire si l’on considère comme inéluctable l’infléchissement économique des politiques publiques actuelles. Comme c’est ce que craint mais entend combattre l’auteur, on ne sait pas s’il s’agit intrinsèquement d’une « bonne fortune » ou simplement d’un moindre mal que de dépendre (certes moins servilement puisque de façon désintéressée) des donations privées. A en croire l’auteur, c’est une « bonne fortune » parce que, comme les autres pays, les Etats-Unis souffrent d’une culture politique de plus en plus indifférente aux humanité ; et que, contrairement à eux, elle a la chance d’avoir au moins ces donateurs. En contexte de crise, on peut considérer qu’il s’agit là d’une chance, en particulier pour les institutions publiques qui, sans ces fonds privés, seraient directement touchées. Mais les philanthropes ne donnent généreusement aux filières en danger que parce qu’ils sont eux-mêmes issus de cette éducation, comme l’explique l’auteur. Or c’est un fait contingent ; les tendances qu’elle met au jour laissent en effet penser que les philanthropes de l’avenir pourraient bien n’avoir retenu de leur éducation (eût-elle compris le fameux noyau d’arts libéraux) que ce qui leur a permis d’occuper ces positions mêmes dans la société qui aujourd’hui justifient l’évolution tant regrettée. Bref, si l’on peut éventuellement regretter que le financement actuel de la recherche et de l’enseignement en France soit tant allergiques aux financements extérieurs, il n’est pas sûr que l’exemple états-unien constitue comme tel un modèle général[11]. Toutefois, le constat alarmant dressé par l’auteur à la fin de l’ouvrage sur les tendances ayant cours un peu partout dans le monde, révèle que ce n’est là qu’un aspect mineur et que son objectif est bien d’introduire aux cœur des préoccupations de la démocratie elle-même l’éducation sans laquelle elle ne peut fonctionner.

On pourrait enfin imaginer une deuxième réserve, plus philosophique, que pourraient émettre des « minimalistes » (Ruwen Ogien par exemple). Dans sa discussion du rôle des arts dans l’éducation (Chapitre 6), Martha Nussbaum pose en effet comme condition à l’association des arts à la démocratie que ce rôle soit subordonné à « une conception substantielle de la manière dont les êtres humains doivent se relier les uns aux autres » (p. 137). Cette conception est celle d’humains « égaux, dignes, dotés de profondeur intérieure et de valeur ». Il ne s’agit pas là de valeurs contestables et l’on comprend les fins d’une telle condition : éviter à l’art de promouvoir l’exclusion, le renfermement sur soi et un fonctionnement inégalitaire de la sympathie (qu’il est censé, dans ce rôle, favoriser). « Ces buts supposent donc de sélectionner les œuvres d’art utilisées. » Mais la « sélectivité soigneuse » ainsi requise ne satisfera pas celui qui, concédant la vertu formellement éducatrice de l’art refuse de lui prêter une fonction substantiellement édifiante. Soyons charitable : l’auteur ne veut limiter la liberté d’expression qu’en contextes éducatifs, laissant la « mauvaise » littérature (raciste, pornographique) hors les murs. Toutefois, l’articulation même d’un programme éducatif à une « conception substantielle » (normative) de la démocratie laisse penser que l’ouverture des « yeux intérieurs » des élèves et étudiants pourra paradoxalement recevoir des œillères qui ne sont pas, en tant que telles, favorables au maximum de démocratie.

Les Emotions démocratiques est une lecture hautement recommandée. L’argument général est convaincant, malgré quelques réserves qui tiennent probablement à l’audience relativement large visée par l’auteur, l’aspect d’urgence de la question posée, et au fait qu’il s’agit là avant tout d’un manifeste. L’ouvrage apportera à ceux qui connaissent bien l’auteur un précieux éclairage sur les conditions mêmes d’application de sa théorie morale ; les autres y trouveront l’occasion d’une première rencontre qui devrait en encourager d’autres. Ceux qui en revanche auraient des doutes ou bien quant à la valeur intrinsèque ou bien quant à l’efficacité de la démocratie, ou qui seraient à la recherche de distinctions précises sur les sens de ce concept seront peut-être déçus, mais ce sont là des déceptions qu’une démocratie sans humanités ne permettraient même pas de voir émerger.

  Nicolas Delon – Université de Picardie Jules Verne, CURAPP


[1] Un aperçu du climat de rédaction est livré par exemple par ce débat, « Do colleges need French departments? » dans le New York Times: http://www.nytimes.com/roomfordebate/2010/10/17/do-colleges-need-french-departments

 (consulté en ligne le 10 janvier 2012).

[2] Le titre original est Not for Profit. Why Democracy Needs the Humanities, paru chez Princeton University Press en 2010.

[3] Women and Human Development: The Capabilities Approach, New York, Cambridge University Press, traduction C. Chaplain, Femmes et développement humain : l’approche des capabilités, Paris, Des Femmes, 2008 ; La connaissance de l’amour, op. cit. Sur Martha Nussbaum, mentionnons Pierre Goldstein, Vulnérabilité et autonomie dans la pensée de Martha C. Nussbaum, PUF, 2011 et Raison publique, n° 13, Martha Nussbaum : émotions privées, espace public, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2010.

[4] Nussbaum ne mentionne pas que l’acquisition de compétences autonomes plutôt que de savoirs et l’activité de l’esprit étaient déjà des idéaux de l’humanisme renaissant, en particulier d’un Montaigne.

[5] L’insistance sur l’importance de l’imagination (empathique et/ou narrative) dans le raisonnement moral, juridique et politique est un aspect central de la pensée de Nussbaum. Voir Poetic Justice: The Literary Imagination and Public Life, Boston, Beacon Press, 1995 ; Love’s Knowledge: Essays on Philosophy and Literature, Oxford, Oxford University Press, 1990, traduction S. Chavel, La connaissance de l’amour, traduction S. Chavel, Paris, Cerf, 2010.

[6] Voir notamment The Clash Within: Democracy, Religious Violence, and India’s Future, Cambridge, Harvard University Press, 2007.

[7] Voir Upheavals of Thought. The Intelligence of Emotions, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 et Hiding from Humanity. Disgust, Shame, and the Law, Princeton, Princeton University Press, 2004.

[8] Le reste de l’œuvre de Nussbaum est heureusement là pour dissiper cette impression Voir Frontiers of Justice: Disability, Nationality, Species Membership, Cambridge, The Belknap Press, 2006 et Creating Capabilities. The Human Development Approach, Cambridge, The Belknap Press, 2011.

[9] « En tant que médecin qui avait pu observer de nombreux enfants sains, Winnicott était confiant dans l’avancée du processus de développement : lorsque les choses se passent suffisamment bien, celui-ci conduit à l’attention éthique à l’autre, et constitue le fondement d’une démocratie saine, au fil du dépassement des luttes antérieures. » (p. 124) Toute la question est évidemment de savoir quand (et à quelles conditions et selon quels critères) « les choses se passent suffisamment bien », et comment l’on passe de l’enfant attentif à l’autre à une démocratie saine.

[10] « Dans ma propre université [Université de Chicago], par exemple, nous n’avons pas à aller voir servilement des administrateurs qui n’ont nulle sympathie pour ce que nous faisons. Au contraire, nous allons trouver de riches anciens élèves qui partagent nos valeurs pédagogiques puisqu’ils ont apprécié leur instruction de premier cycle en arts libéraux, quelle qu’ait été leur carrière ultérieure. » (p. 166)

[11] L’auteur le reconnaît : « Il ne serait pas facile pour un autre pays de parvenir à ce système, parce que le nôtre dépend d’une large base d’éducation libérale au niveau du premier cycle, avec une grande attention individuelle de la part des enseignants — chose que les gens apprécient et veulent transmettre aux générations futures — , des incitations fiscales pour les dons et une culture enracinée de philanthropie. » (idem)

Il n’est pas sûr que le désir de transmettre un modèle éducation qu’on a suivi soit lui-même un facteur décisif : il ne l’est que parce qu’il a conduit au succès. Si les universités françaises, et même les grandes écoles, rendaient un nombre suffisants de leurs anciens étudiants fortunés au point de devenir de généreux philanthropes (aux contributions comparables à celles qui ont lieu outre-Atlantique), la question se poserait autrement. Ce n’est pas qu’une question de culture et de cursus.

Notons cependant que l’auteur n’est pas avare de critiques à l’égard de son pays, en particulier du reste du système éducatif primaire et secondaire (programme No Child Left Behind, tests standardisés, discours d’Obama, pp. 168-173).

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