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Appel à Communication : Sexe et genre : concepts, objets, science et politique

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Appel à Communication : Sexe et genre : concepts, objets, science et politique

Numéro « genre » de la revue Implications Philosophiques

En mai 2019 est paru l’ouvrage Sexe et genre. De la biologie à la sociologie. Dirigé par Bérengère Abou et Hugues Berry, dans la foulée d’un séminaire CNRS interdisciplinaire consacré aux rapports entre sexe et genre, cette parution témoigne de l’importance et du crédit progressivement acquis par une question habituellement confinée aux études de genre. L’objectif de l’ouvrage est de dresser, pour les biologistes qui s’intéressent à cette question, un panorama des consensus en matière de sexe et de genre dans une série d’articles synthétiques, quoique stimulants. En particulier, il montre comment des représentations ou des réflexes sexistes peuvent produire des sciences hautement orientées, soit qu’elles occultent des pans entiers d’une question, soit que les méthodes elles-mêmes soient grevées de biais sexistes. 

Toutefois, l’ouvrage ne prend pas en compte l’inscription de l’interdisciplinarité sur ces questions dans un horizon politique polarisé par un ensemble de hiérarchies qui rendent le dialogue entre disciplines ardu. Ces hiérarchies existent pourtant, qui donnent prioritairement la parole (et les crédits de recherche) à des travaux naturalistes plutôt qu’aux études de genre. À cela s’ajoute un contexte politique qui s’empare sélectivement des résultats de la science pour en discréditer d’autres. Parler de « récupération » dans ce dernier cas ne rendrait toutefois pas justice au phénomène car ce serait envisager les scientifiques comme des êtres en dehors du social et imperméables à ses demandes ; or, comme le montrent d’ailleurs avec succès les auteurs et autrices de Sexe et genre, les sciences ne sont pas épargnées par l’incursion de tropes sexistes, homophobes ou de raisonnements androcentrés qui produisent des résultats contestables voire faux. C’est au sein de l’élaboration scientifique elle-même que se nichent des biais sexistes (questions posées, méthodes adoptées, etc.), et non pas seulement dans des usages après-coup.

En outre, au-delà des représentations produites et utilisées par les sciences de la vie, ce sont leurs objets qui demanderaient également à être réinscrits dans le champ social, car les sexes et sexualités des humains, quand bien même ils sont étudiés par les sciences de la nature, ne sauraient être tenus pour de pures « données de la nature ». Les pratiques historiques, sociales et quotidiennes les façonnent au cours des vies et au fil des générations. Là encore, imaginer un fondement naturel au sexe et à la sexualité que viendraient amender en surface des conditions historiques et des situations de vie particulières ne rend ni justice à la complexité intrinsèque de ces objets ni raison des acquis des études de genre depuis plusieurs décennies.

Or ces questions ont déjà été abordées, même dans le seul cadre français. On pense notamment au dialogue entre disciplines restitué dans l’ouvrage dirigé par Peyre et Wiels en 2015, Mon corps a-t-il un sexe ? Sur le genre, dialogues entre biologies et sciences sociales ; au dossier de la revue GSS, dirigé par Elsa Rodriguez, Michal Raz et Alexandre Jaunait à l’automne 2014, « Sexonomie », et à leur remarquable introduction qui fournit un état de l’art des oppositions virulentes qui ont cours en matière de distinction du genre et du sexe, avec des accusations de parti-pris discursif à l’encontre des discours féministes d’un côté (oubli de la matérialité des corps), et de réductionnisme biologique à l’encontre des discours scientifiques de l’autre (mépris des traits sociaux de toute catégorie de pensée, fût-elle scientifique) ; aux travaux de Thierry Hoquet et à l’ANR Biosex qu’Elsa Dorlin dirigea avec lui sur le concept biologique de sexe, autrement dit à un travail d’épistémologie de plusieurs années portant sur la catégorie de sexe depuis 2012 ; à l’ouvrage d’Eleni Varikas qui rend compte en 2006 des soubassements philosophiques de l’adoption du terme de genre par les études féministes et revient sur la complexité des rapports entre les noms et les choses qu’ils désignent, la futilité d’une croyance en quelque référence stable, objective et unique à même de déterminer une bonne fois pour toute qui est homme et qui est femme dans une société.

Ainsi, la fameuse question de la « construction sociale » y compris de la réalité a été prise à bras-le-corps par les études de genre, de même que les oppositions fortes qui la structurent : nature/culture, sexe/genre, naturalisme/constructivisme. Le débat existe au sein du féminisme et on ne saurait par conséquent réduire ce dernier à une entreprise idéologique de négation de la nature ou de la biologie. En effet, les études de genre se sont employées à interroger la prémisse d’une biologie première (par rapport au social) et apparaissant inévitable dès lors qu’il est question d’établir l’identité d’une personne. Elles ont montré la fragilité d’une telle (fausse) évidence, la critique gagnant encore en puissance quand elle s’appliquait à l’examen de l’activité scientifique. Se révélait alors en effet non pas l’inconsistance des catégories scientifiques mais leur dette vis-à-vis des mondes sociaux auxquels elles appartiennent. De ce point de vue, et puisque l’ouvrage d’Abou et Berry nous sert de prétexte pour pousser plus loin le questionnement, on pourra trouver dommage que l’ordre de présentation des sections dans l’ouvrage parte justement de la biologie pour s’ouvrir seulement dans un deuxième temps aux sciences sociales, comme si le discours des sciences de la vie était le plus élémentaire – un trajet que le titre reprend également à son compte.

C’est pourquoi le rappel des travaux sur la question ne se veut pas un catalogue exhaustif, mais une incitation à examiner le chemin parcouru – les étapes et la logique d’où proviennent les interrogations contemporaines sur la science. Car si le débat n’en finit pas, ses termes évoluent à mesure que les analyses reviennent sur leurs propres angles morts. Ce qu’on croit être vrai du sexe est d’abord apparu socialement construit, avant que son socle biologique ne soit lui-même intégré à la critique. Les études de genre ont permis d’historiciser 1/ les catégories scientifiques autour du sexe, 2/ leur pouvoir effectif (oppressions induites et production de corps et sujets hiérarchisés), et enfin 3/ la nature complexe des objets de l’investigation scientifique autour du sexe et de la sexualité. Dans cette veine, nous souhaitons revenir sur la construction sociale du sexe aujourd’hui en portant le regard sur le pôle science, tout en gardant en tête les hiérarchies et les rapports parfois conflictuels entre disciplines, dans le sillage des problématiques féministes sur les sciences et les techniques. Il ne s’agit pas d’opérer une brutale analogie entre le champ politique et le champ scientifique mais de comprendre les longues chaînes de médiations qui lient les énoncés et productions scientifiques à la diversité des mondes sociaux et inversement. Davantage, il s’agit de montrer en quoi la diversité des arrangements sociaux ont des effets sur les objets étudiés par la science – y compris le « sexe ». Dans une perspective qui intégrerait donc les liens compliqués entre science et politique, nous proposons à nos contributeurs/trices venant de tout domaine des sciences deux axes principaux.

Axe 1 : 

Les études de genre et leur attention particulière aux conditions de production du savoir se sont aguerries pour repérer les écueils androcentriques, ou du moins s’interroger sur la possibilité de leur survenue. C’est pourquoi le premier axe de ce numéro s’intéressera à la manière dont la prise en compte du genre permet de construire de meilleures théories scientifiques et en particulier des théories dans le domaine de la biologie et des sciences bio-médicales. Dans la lignée des épistémologies féministes, nous invitons les autrices et auteurs à proposer des articles qui montrent comment des champs d’études se trouvent, se sont trouvés ou se trouveraient bousculés par une perspective féministe. Il peut donc aussi bien s’agir de travaux qui reviennent sur l’histoire d’une discipline ou d’une controverse ; de débats en cours ou encore de l’examen des fondements conceptuels, méthodologiques ou théoriques d’un programme de recherche.

Axe 2 :

Un tel panorama ne serait cependant pas complet si ce numéro ne proposait pas de bousculer un certain nombre de nos conceptions les plus solidement ancrées comme la séparation entre nature et culture et la manière dont on pense que les sciences se répartissent ces domaines. Les études de genre brouillent en effet la frontière en montrant comment les régimes de genre et leurs justifications scientifiques façonnent les corps dès leur conception. Les corps, et non pas seulement les représentations que l’on a des corps. En effet, si les régimes de genre contraignent les corps selon leur appartenance (construite) à un sexe, alors ces corps doivent être marqués, façonnés, matérialisés eux-mêmes par cette structure de domination. Nous invitons ainsi les autrices et auteurs qui choisiraient cet axe à s’inscrire dans la généalogie esquissée plus haut et à montrer et interroger comment l’organisation sociale genrée s’inscrit durablement dans des corps à la fois objets des sciences et normées par l’idéologie scientifique, de telle manière qu’il devient difficile de s’en tenir à un strict partage entre genre et sexe. On pourra entre autres s’interroger sur les rapports entre évolution culturelle et « naturelle » quant au sexe dans notre espèce ; la manière dont nos sociétés façonnent les corps pour les accorder à des normes binaires « découvertes » par de nombreux travaux scientifiques ; les effets de sédimentation que possèdent les catégorisations scientifiques dans les corps et les subjectivités. 

Ainsi, là où le premier axe propose une entreprise réflexive sur la manière dont se font les sciences de la nature ; le deuxième invite à montrer comment la domination s’inscrit jusque dans les corps qui ne peuvent être dits « sexués » sans faire référence à la manière dont ce sexe est produit par une série d’arrangements sociaux traversés par les dominations de genre. Dans tous les cas, il s’agira de tenir ensemble les rapports complexes entre genre et sexe, science et politique, nécessité critique et besoin de connaître, en n’ignorant pas les obstacles pratiques à l’introduction des études de genre dans des disciplines ne relevant pas des sciences « molles ». En définitive, et en écho avec l’actualité des débats contemporains sur la question, pour « réencastrer » la science dans le social et donc le politique (sans pour autant abandonner l’ambition d’une connaissance du réel), nous proposons un cheminement inverse de celui auquel nous avons été habitués, à savoir un mouvement d’expansion critique allant de la sociologie vers le terrain de la biologie. La question n’est alors pas de savoir qui des sciences naturelles ou des sciences humaines et sociales a la primeur, mais comment les unes et les autres peuvent et doivent dialoguer alors qu’elles sont – de fait – en concurrence.

Calendrier et informations pratiques :

Les propositions de contribution, d’une longueur de 4 000 signes (espaces comprises) maximum, devront être remises à claire.grino@gmail.com ET thomas.crespo@ens-lyon.fr avant le 15 janvier 2020. Les réponses parviendront avant le 15 février 2020 et les auteurices retenu.e.s auront alors jusqu’au 31 mai pour rédiger leur article. La publication est prévue pour l’automne 2020. Pour constituer leur proposition, les personnes intéressées peuvent consulter la bibliographie indicative (et donc non exhaustive) en fin d’appel. Nous sommes tout à fait sensibles aux propositions originales qui pourraient nous être faites, dans la mesure où elles mettent en avant des réflexions ayant pris à bras le corps les rapports entre genre et biologie.

Bibliographie indicative

Abou Bérengère et Hugues Berry (éd.), Sexe et genre. De la biologie à la sociologie, Editions Matériologiques, Paris, coll. « Science et Philosophie », 2019.

Anderson Elizabeth, « Feminist Epistemology and Philosophy of Science », dans The Stanford Encyclopedia of Philosophy, 2019 (en ligne : https://plato.stanford.edu/archives/sum2019/entries/feminism-epistemology/, consulté le 18 septembre 2019).

Fausto-Sterling Anne, « Gender/Sex, Sexual Orientation, and Identity Are in the Body: How Did They Get There? », The Journal of Sex Research, vol. 56, no 4-5, 13 juin 2019, p. 529-555.

Grino Claire, Corps, genre et nouvelles technologies biomédicales: reconfigurations antinaturalistes au sein des théories féministes, Paris I – Panthéon Sorbonne et Laval, 2015.

Hacking Ian, Entre science et réalité: la construction sociale de quoi?, Paris, La Découverte, 2008.

Haraway Donna Jeanne, Primate visions: gender, race, and nature in the world of modern science, New York, Routledge, 2006 (édition originale : 1989).

Jaunait Alexandre, Michal Raz et Eva Rodriguez, « La biologisation de quoi ? », Genre, sexualité & société, no 12, 1er décembre 2014 (DOI : 10.4000/gss.3317, consulté le 6 septembre 2019).

Jordan-Young Rebecca M, Hormones, sexe et cerveau, Odile Fillod (trad.), Paris, Belin, 2016.

Löwy Ilana, « Le féminisme a-t-il changé la recherche biomédicale ?: Le Women Health Movement et les transformations de la médecine aux États-Unis », Travail, genre et sociétés, No 14, no 2, 2005, p. 89.

Peyre Évelyne et Joëlle Wiels (éd.), Mon corps a-t-il un sexe? sur le genre, dialogues entre biologies et sciences sociales, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2015.

Touraille Priscille, « Sexe et genre : sortir de l’imbroglio conceptuel », dans Pierre-Henri Gouyon (éd.), Aux origines de la sexualité, Paris, Fayard, 2009, p. 466-489.

Varikas Éléni, Penser le sexe et le genre, 1re éd, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Questions d’éthique », 2006.

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