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Comment conjuguer science et conscience dans l’art in vivo ?

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  Catherine Voison – Professeure agrégée d’arts plastiques Ph. D. Esthétique et sciences de l’art – Paris I CREDE 

            Les réalisations qui portent le label d’ « art biotechnologique » sont généralement le produit d’une collaboration étroite entre scientifiques et artistes. Elles sont produites en laboratoire selon des protocoles rigoureux et mettent en jeux les pratiques les plus récentes de la biologie contemporaine. Qu’il s’agisse du transfert d’un gène d’une espèce à une autre, de la modification génétique d’une bactérie, de la co-culture de cellules tissulaires d’espèces différentes ou de xénotransfusion sanguine, les bio-artistes font des expériences in vivo leur permettant de produire, hors de tout programme de recherche appliquée à la médecine et à l’industrie, des artefacts inédits qui s’inscrivent dans la logique d’une quête perpétuelle du possible et du non encore possible en matière de renaturation du vivant.

Ces artistes « hors limites », interfèrent l’organisation spontanée des organismes vivants et interviennent, non sans risque, au cœur même de la cellule pour produire sur mesure, toutes sortes d’organismes chimériques qui transgressent la barrière des espèces et dessinent les contours d’une biosphère inédite.

Notre propos consistera à interroger cette production non d’un point de vue artistique, mais d’un point de vue éthique, l’art ayant transgressé depuis longtemps les normes esthétiques convenues au nom de son autonomie. En effet, il nous est permis de douter de la pertinence du choix des outils et des matériaux utilisés par les artistes. Lorsqu’ils sont immergés dans les laboratoires de recherche, ces derniers ne sont peut-être plus en mesure d’envisager les retombées sanitaires et les dérèglements sociaux et environnementaux issus de leurs pratiques.

Pour autant, nous ne pouvons pas nous en tenir à une attitude sceptique à l’égard de l’ « art biotechnologique » pour la seule raison qu’il alimente plus que jamais nos craintes, exposant de surcroît des « œuvres » qui dépassent la relation contemplative que nous entretenons traditionnellement avec l’art. Ceci nous conduirait à adopter une position régressiste face aux nouvelles avancées de la science et serait la preuve d’un certain obscurantisme à l’égard des réalités techniques de la biologie et plus encore de notre société.

Mais, l’évolution technique du vivant à travers le prisme de l’art, ne serait-elle qu’une stratégie visant à nous faire croire que ces pratiques de la biologie contemporaine sont inoffensives et accessibles à tous ?

Le fait que des scientifiques se prêtent aux projets expérimentaux des artistes semble accréditer l’idée que cette forme d’art pourrait être perçue comme un « jeu sérieux » et non comme le résultat de quelques actes intrépides. Ces actes sont-ils pour autant moralement acceptables ?

Ces pratiques sur le vivant, et donc sur nous-mêmes, font peur et réveillent les angoisses d’un déterminisme biologique que la science, rend désormais possible. Tant que ces pratiques restaient cloisonnées dans les laboratoires, et étaient contrôlées par les comités d’éthique, nous nous sentions protégés des dérives potentielles de la science. L’entrée de ces artistes dans les laboratoires fissure ces barrières de protection

souligne Stéphan Barron. [1] Créer un lapin bioluminescent en vue d’en faire son animal de compagnie, créer une plante contenant en germe de l’ADN humain ou se faire transfuser du sérum équin dans le corps sont autant de manipulations biologiques contre-nature dont les artistes seraient donc capables d’évaluer les risques.

Dès lors, n’y a-t-il pas lieu de prendre en compte cette peur (peut-être irrationnelle) dont nous sommes plus ou moins victimes et de convoquer l’avis de différents experts afin que soient envisagées sereinement des expérimentations de laboratoire qui sont à la périphérie des réglementations étatiques et qui répondent à des désirs individuels ? À défaut, faut-il laisser se développer de manière incontrôlée des transactions biologiques donnant vie à des organismes vivants possédant des propriétés auxquelles on ne s’attendait pas et susceptibles d’engendrer des désordres sanitaires ou de métastaser davantage dans notre écosystème ?

     Pour évaluer le bien-fondé de ces manipulations biologiques qui sortent des laboratoires pour occuper le devant de la scène artistique contemporaine nous étayerons notre propos par deux projets récents qui ont donné lieux à des expositions et plusieurs performances publiques en France. L’un s’intitule l’Histoire naturelle de l’énigme d’Eduardo Kac. Il se concrétise par le développement d’un Pétunia contenant des gènes humains provenant des cellules sanguines de l’artiste, l’autre est une performance du duo Art orienté Objet (AoO)[2] durant laquelle Marion Laval-Jeantet reçoit de son compagnon une injection de sérum de sang équin. Ces artistes trouvent dans l’évolution des techniques biotechnologiques un moyen commode d’hybrider artificiellement des organismes vivants, naturellement incompatibles, prouvant qu’il est possible d’effacer les différences entre les organismes vivants quelle que soit leur espèce. En d’autres termes, ce nouveau média est une nouvelle alternative technique permettant de mettre un terme à l’anthropocentrisme, attitude consistant à considérer l’homme comme le seul être moral parmi les vivants.

Examinons tout d’abord en quoi consistent les réalisations de ces artistes qui expérimentent de manière inédite les manipulations in vivo.

L’Histoire naturelle de l’énigme est un projet initié par Eduardo Kac. L’artiste, après plusieurs années de recherches, parvient à transférer l’ADN contenu dans les immonoglobulines de son sang (des molécules qui participent de notre système immunitaire) dans le génome d’un pétunia. L’incarnation effective de cette manipulation est un plantimal nommé Edunia (contraction du prénom de l’artiste et du nom de la plante) qui met radicalement à mal la frontière entre le végétal et l’humain. Le titre résultant de la performance technique réalisée en laboratoire grâce à la collaboration de biologistes, fait référence à l’énigme légendaire qu’Œdipe dut résoudre pour entrer dans Thèbes et accomplir à son insu la prophétie de Tirésias : tuer son père et épouser sa mère. Le héros légendaire en transgressant l’interdit de l’inceste sema le chaos dans la cité.

  Eduardo Kac, Histoire Naturelle de l'Énigme (août 2003-2008)  a été réalisée grâce au soutien du Pr. Neil Olszewski du Collège des sciences biologiques et du département de biologie végétale de l’Université du Minnesota, St. Paul


Eduardo Kac, Histoire Naturelle de l’Énigme (août 2003-2008)
a été réalisée grâce au soutien du Pr. Neil Olszewski du Collège des sciences biologiques et du département de biologie végétale de l’Université du Minnesota, St. Paul

Eduardo Kac qui aime à manipuler le langage humain autant que celui des gènes présente ce plantimal comme une métaphore de l’inceste. Cette union filiale interdite, perçue comme une déréglementation sociale et culturelle correspond dans le cas de ce pétunia transgénique au dérèglement provoqué par l’union artificielle de gènes d’espèces différentes. En effet, le gène humain de l’immunité forcé d’intégrer le génome de la plante perd ses fonctions protectrices pour fusionner avec des éléments qui lui sont étrangers. En d’autres termes, la biologie contemporaine et plus précisément la transgénèse aurait donc la possibilité de neutraliser la charge négative que nous attribuons à ce qui nous est étranger ou différent. L’artiste résume ainsi son projet : Dans cette œuvre c’est précisément ce qui identifie et rejette l’autre que j’incorpore à l’autre[3] .

Les notions d’identité et de parenté biologique qui permettent de différencier les individus d’une même espèce n’est plus de mise, pas plus que la notion d’altérité perçue par l’artiste comme une construction sociale. Il suffit donc, selon l’auteur, d’un réarrangement technique du matériel génétique pour effacer ce qui différencie les individus les uns des autres.

Destinées, selon les vœux de son auteur à accroître la biodiversité, les graines issues de la plante génétiquement modifiée ont été acquises par des collectionneurs privés, certains les ont planté et ont prêté les fleurs pour des expositions.

C’est à eux que revient la responsabilité de poursuivre le projet de l’artiste en cultivant et en préservant cet OGM, mais cette dissémination ne risque-t-elle pas, d’un jour à l’autre de créer de nouveaux désordres environnementaux ? Cette solidarité morale entre l’humain et sa chimère, telle que le souhaite Eduardo Kac laisse dans l’ombre les risques de dérégulation d’un écosystème devenu de plus en plus fragile. La bienveillance de l’artiste à l’égard du vivant transgénique, (qui rappelle l’affection particulière qu’il porta à la lapine bioluminescente Alba qu’il créa en 2000) n’aurait d’autre fonction que d’anticiper le fait que tout organisme vivant génétiquement modifié est un sujet de droit au même titre que l’humain qui l’a fabriqué. Ainsi, l’art transgénique aurait pour but de nous familiariser avec les formes de vie artificielles et mutantes qui prennent corps sous nos yeux.

Quant aux collectionneurs d’Edunia, ne sont-ils pas plus soucieux de la valeur marchande de leur chimère végétale que des retombées environnementales causées par la dispersion de ce spécimen sur la planète ? Le processus de commercialisation de cette plante transgénique sur le marché de l’art laisse également à penser que les gènes humains dont elle est porteuse, sont envisagés comme des marchandises au même titre que n’importe quel objet de consommation.

Une autre forme  d’hybridation « hors limite » qui met à mal la barrière des espèces est celle que réalise le duo d’artistes AoO afin d’incorporer l’étrangeté animale. La performance a eu lieu en 2011 dans une galerie de Ljubljana. Intitulée Que le cheval vive en moi, la performance consistait en une xénotransfusion de sérum de cheval dans le corps de l’artiste, en l’occurrence celui de Marion Laval-Jeantet. Cette forme d’hybridation, inspirée de la figure légendaire du Centaure, aurait ainsi permis à l’artiste, selon ses propos d’éprouver et de partager physiquement l’état de conscience du cheval.

 Benoît m’injecte le sérum du sang de cheval, ensuite je reste un peu allongée pour être sûre qu’il n’y a pas de choc anaphylactique. Pendant ce temps-là un film est projeté à l’intention du public qui assiste à la performance. Ensuite j’enfile cette paire de prothèses pour faire plusieurs tours de la salle avec le cheval, puis je vais m’allonger à nouveau. (Les prothèses que chausse l’artiste sont des prothèses articulées qui imitent la jambe et le sabot de l’animal et lui permettent d’être à la hauteur de la bête, de croiser son regard et de déambuler à ses côtés). En fait le timing est organisé pour que vingt minutes plus tard on prenne mon sang au moment où les marqueurs des antigènes du corps humain qui témoignent de la présence d’un corps étranger équin en moi sont les plus présents. Ce sang va être ensuite lyophilisé devant le public pour en faire une sorte de fétiche que vous retrouvez dans ces boîtes métalliques qui sont un peu comme des reliquaires, dans lesquels vous avez donc – aussi étrange que cela puisse paraître – du sang de ‘centaure’, c’est-à-dire le sang au moment du croisement entre les deux, mais lyophilisé, donc sous forme de poudre .

Pour mener à bien cette performance biologique sans être inquiétés par les services sanitaires, le duo argue d’un travail de recherche sur la modification du cerveau humain par des immunoglobulines animales (sans en évoquer la dimension artistique), et obtient ainsi la collaboration d’un laboratoire suisse spécialisé dans la recherche de sérums animaux comme thérapie potentielle des cancers. (Les animaux étudiés sont des vaches, des porcs, des moutons, des chevaux). Pour réussir cette expérience corporelle qui consiste à intégrer biologiquement une part de l’autre qu’elle-même c’est-à-dire de l’animal, Marion Laval- Jeantet subit durant plusieurs mois un traitement immunosuppresseur, c’est-à-dire un traitement relativement lourd et périlleux, qui diminue voir inhibe les défenses immunitaires de l’organisme (ce que l’on nomme aplasie). Après plusieurs mois de traitement, son organisme est parvenu à développer une tolérance à certaines cellules sanguines de l’animal normalement incompatibles avec celles de l’organisme humain.

Art Orienté objet Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin), Que le cheval vive en moi ("May the Horse Live in me"), performance, Ljubljana (Slovénie), 22 février 2011. Photos: Miha Fras

Art Orienté objet Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin), Que le cheval vive en moi (« May the Horse Live in me »), performance, Ljubljana (Slovénie), 22 février 2011. Photos: Miha Fras

En fin de la performance l’artiste « cobaye » revêt une blouse blanche mais est-elle à présent artiste laborantine ou animal laborantin ? La réalisation qui met en scène une expérimentation biologique hors norme et qui incarne la figure symbolique du Centaure prend l’allure d’une véritable cérémonie durant laquelle sont convoquées toutes sortes de rituels permettant à l’artiste de renaître sous une entité « enrichie ». En effet, après avoir pénétré des domaines d’expérimentation scientifique aux frontières de l’interdit et dépassé les limites biologiques de son corps à travers une série d’épreuves douloureuses, Marion Laval-Jeantet affirme avoir ressenti l’hyper-réactivité du cheval dans sa chair. Mais faut-il transgresser biologiquement les frontières de l’humain pour témoigner d’une telle réciprocité avec l’animal? Cette expérience hors limite réactualise sous une forme high-tech un rite archaïque auquel s’est initié le duo AoO lors d’un séjour au Gabon en présence d’une tribu Pygmée[4]. Cette dérégulation biologique du corps humain, passage obligé pour atteindre la conscience animale serait-elle la seule alternative, susceptible de neutraliser la place privilégiée de l’homme au sein de nos sociétés ? Les travaux d’AoO participent d’un dépassement de la notion de barrière inter-espèce tout en visant à protéger la biodiversité et à défendre la condition animale. Or, d’un point de vue moral, que devient cette bienveillance à l’égard des espèces en voie de disparition et plus largement à l’égard de la nature lorsqu’on transgresse ses lois ?

Se désidentifier en incorporant un de ses gènes dans une plante, se rendre autre, s’altérer à la place de l’autre que l’homme (comme le fait Marion Laval-Jeantet) en recevant son humeur au sens duel du terme (médical en latin et psychologique en grec) est une mise à l’épreuve technique du corps humain, une exploration des limites biologiques du vivant pour atteindre les frontières d’un post-humanisme naissant.

La question qui nous occupe est bien de savoir jusqu’où l’artiste, dans son emprise technique sur le vivant, dans une société libérale où prévaut l’autonomie artistique, peut effacer la figure de l’homme, le métamorphoser en chimère, le végétaliser ou l’animaliser. En d’autres termes, l’artiste a-t-il « la possibilité d’avoir toutes les possibilités »[5]. Possibilité que précisément n’ont pas les scientifiques qui expérimentent toutes sortes de manipulations in vivo à des fins thérapeutiques et qui dans le respect du principe de précaution sont assujettis à une réglementation particulière.

La présence symbolique des figures mythiques et transgressives d’Oedipe ou du Centaure auxquelles se réfèrent les artistes fait écho au potentiel de la biologie contemporaine et à tous ces possibles qui dépassent la fiction. Ce potentiel inquiète et fait surgir les zones grises qui planent autour des problèmes éthiques liés à l’artificialisation du vivant.

Or, les bio-artistes font aujourd’hui leur miel de ces zones grises de la science puisque leur fascination et leur audace à l’égard de pratiques biologiques contemporaines les conduisent à s’inviter dans le débat bioéthique.

À cet égard, il nous faut souligner un événement sans précédent dans le monde du bio-art et dont le caractère est particulièrement novateur en matière d’éthique : les artistes se confrontent à des comités d’éthique pour que soient débattus publiquement leurs projets et que soit engagée non seulement leur responsabilité mais également celle des spécialistes siégeant dans le comité. Initiatrice de cet événement dont le titre générique est Trust me, I’m an artist (Ayez confiance en moi, je suis artiste), l’artiste Anna Dumitriu précise que les membres du comité sont amenés à prendre en considération et à débattre des questions morales et légales que le projet soulève ainsi que des responsabilités et du rôle des artistes, des scientifiques et des institutions concernés.

La performance consiste à proposer à un artiste de renommée internationale d’exposer devant un comité d’éthique constitué de biologistes, de sociologues, philosophes, d’historiens, de critiques d’art, d’avocats, une expérimentation biologique inédite mettant en jeu des problèmes sociétaux et nécessitant des protocoles de sécurité particuliers.

Ces audiences publiques ont eu lieu hors des galeries et des lieux traditionnels de l’art. Citons quelques exemples : en décembre 2011 Adam Zaretsky présentait son projet Mutate or Die au théâtre anatomique d’Amsterdam[6], en mai 2012 le duo AoO présentait son projet Que le Panda vive en moi dans les locaux de l’Ecole Normale Supérieure de Paris[7]. Cette audience était l’occasion pour le duo d’artistes de présenter un projet ancien qui n’avait pu aboutir et qui consiste en une transfusion de sang comptabilisé de deux pandas à Marion Laval Jeantet. (Ces deux pandas séjournent au Zoo de Beauval et ont été prêtés à la France par le gouvernement chinois). Ce projet permettrait à l’artiste et ressentir un état « ursidé » et de créer un lien de sang avec une espèce en voie de disparition, selon les propos contenus dans le texte soumis au comité.

Les confrontations publiques entre bio-artistes et comités d’éthique visent à rationnaliser nos craintes et à offrir à l’opinion publique une plus grande transparence en ce qui concerne les expérimentations de laboratoire tant en termes d’éthique qu’en termes de sécurité.

En effet les projets « artistiques » soumis à l’avis consultatif d’un comité permettent non seulement de mettre en évidence les questions éthiques que pose le dépassement de la notion de barrière interspécifiques mais révèlent également des problèmes juridiques importants qui ne sont toujours pas résolus à ce jour. Peut-on laisser une artiste s’exposer à risquer sa vie lors d’une xénotransfusion par exemple. D’autre part, chaque audience témoigne de la dissonance qui règne au sein de l’activité scientifique où la prolifération d’experts reconnus ou auto proclamés ne peut qu’engendrer le doute. Citons pour exemple les propos de Pierre Henri Gouyon à propos de la transfusion de sang de panda à l’homme. Il se demande quel médecin peut prendre le risque d’un tel acte, précisant que Marion pourrait recevoir au cours de cette transfusion un virus qui, après être demeuré parfaitement calme chez l’ursidé pourrait devenir extrêmement actif et par mutation devenir extrêmement dangereux chez l’humain. « Le risque est absolument infinitésimal mais il n’est pas inenvisageable » souligne le biologiste, ajoutant que si le fait se produisait, il engendrerait une épidémie. En revanche le duo AoO rapporte que les immunologues qui ont étudié le projet considèrent que la transmission virale est hors de propos. De telles divergences ne peuvent que générer le doute sur l’innocuité du projet et entretenir nos craintes à l’égard des pratiques de la science.

En diligentant des comités d’éthique, les artistes prendraient-ils la relève des scientifiques qui peinent à se sentir comptables des inquiétudes que produisent les manipulations de laboratoire auprès du public ?

Les artistes entendent que les projets expérimentaux qu’ils mettent en jeu soient partagés par tous et pour tous. Pour autant, cet art de laboratoire est-il à même de fournir au public les preuves de l’inoffensivité d’expériences biologiques novatrices que ni les experts en biologie, ni les spécialistes en sciences humaines sont en mesure de nous fournir ?

Avant que s’établisse une confiance mutuelle entre les sciences humaines et la biologie et que les manipulations biologico-artistiques fassent sens, les projets des artistes ne peuvent se définir que sous la forme d’expériences méta-disciplinaires mettant en jeu nos doutes comme outil capable d’améliorer nos connaissances sur la science.

D’autre part, si l’art peut en toute légitimité transgresser les mécanismes naturels du vivant et pratiquer une science « décomplexée », c’est-à-dire se dédouaner d’actes qui heurtent l’opinion publique, la question n’est plus de savoir que penser de la science mais comment penser avec la science.



[1] Stéphan Barron, « Bioromantisme », Art et biotechnologies, (sous la dir. de Louise Poissant et Ernestine Daubner). Presses de l’Université du Québec, (Collection Esthétique), Canada, 2005, p.62.

[2] Le duo français est composé de Marion-Laval Jeantet et de Benoît Mangin. Leurs travaux portent sur des questions écologiques, la défense de la cause animale, les relations inter-espèces et interrogent les outils de la science.

[3] Eduardo Kac in catalogue  de l’exposition La vie, la lumière et le langage, Ed. Centre des arts d’Enghien-les-Bains, 2011, p. 68

[4] Les artistes ont été initiés au Bwiti (un rite ésotérique important au Gabon). Au cours de la cérémonie l’initié perd conscience en absorbant des plantes aux effets psychotropiques (l’iboga) pour se laisser habiter par des entités animales.

[5] Anne Talon Hugon, Morales de l’art, Presses Universitaires de France, coll. « Lignes d’art », Paris, 2009.

[6] Soulignons que la première dissection publique à Amsterdam eut lieu vers 1550, dans une salle du couvent de Sainte Ursule, le théâtre anatomique fut ensuite installé à l’église Sainte Marguerite.

[7] Le comité éthique était constitué par Jean-Baptiste Labrune (chercheur spécialisé dans la relation homme/machine au MIT), Catherine Millet (critique d’art, directrice de la revue d’art contemporain ArtPress), Dominique Lestel (philosophe et éthologue), Jocelyne Granger (avocate) et Pierre-Henri Gouyon (biologiste et spécialiste des questions d’éthique et des relations entre science et société).

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