AxiologieDroitéthiqueÉthique et politiqueNos ActualitésPhilosophie socialePolitiqueSociétéune

Souffrance et grande dépendance. Le care à l’épreuve.

Print Friendly, PDF & Email

 

Souffrance et grande dépendance.
Le care à l’épreuve.

 

Claire ETCHEGARAY (Maître de conférences, Paris Nanterre, IREPH, EA 373).

Résumé Que nous apprend, sur le soin (care) lui-même, la souffrance résistante qui bien souvent conduit les personnes âgées au « refus de soin » ? Loin de signer nécessairement une faillite du soin (care), elle indique qu’il ne fait jamais cesser la vulnérabilité. C’est pourquoi, afin de mieux caractériser les défis que la grande dépendance pose au soin (care) nous commencerons par prendre l’exemple d’une personne entrée en EHPAD en 2015. Sur ce cas réel, nous montrerons qu’il faut admettre que la vulnérabilité est maintenue par et dans le soin (care) et qu’il en découle une souffrance potentielle. Cela ne signifie nullement que le soin (care) soit par essence oppressif. Mais cela signifie, comme nous le verrons ensuite, qu’il ne faut pas penser le soin (care) comme une réponse faisant cesser la vulnérabilité, dans un rapport à la dépendance qui soit seulement d’opposition (comme si la dépendance devait disparaître avec le soin) ou d’insuffisance (comme si la dépendance ne persistait qu’en l’insuffisance de soins). C’est dans ce cadre que la finalité du soin (care) doit être repensée : si le soignant et le soigné sont en situation de vulnérabilité par le soin (care), alors que peut le soin (care) ? Il ne suffit pas de dire que la dépendance est notre humaine condition pour résoudre ce problème éthique. En considérant la grande dépendance comme l’épreuve du soin (care) c’est-à-dire comme une situation qui non seulement le met en difficulté, mais en révèle l’expérience même, nous proposons de reconsidérer la finalité et la légitimité du soin (care).

Mots-clés : Care – soin – vulnérabilité – dépendance – autonomie.

Abstract : What do we learn about care from the fact that suffering may make people resistant and refuse calls for treatment or care ? This refractory suffering is not necessarily the sign of any failure of the care. Rather, it points to the idea that care does not inherently suppress vulnerability. In order to offer a conceptual characterization of the challenges faced by caring when applied to dependent elderly people, we shall examine an actual case of an elderly person who has been housed at a senior care home since 2015 and who is highly dependent. This example illustrates how vulnerability is maintained by care and why, for this reason, any caring entails her potential suffering. This is not to say that care, in itself, is oppressive. Nonetheless, since vulnerability does not disappear with care, a latent potential for suffering can be said to be implied within care. Certainly dependency is the universal human condition. But still, there is an ethical challenge to face. The finality and the legitimacy of care have to be reassessed – especially in aging and situations of high dependency : what must caregivers do ? What can they do ? We endeavour to provide an answer based on an analysis of the high dependency of elderly people that acknowledge the evident hardship inherent in such an experience – a “proving” experience.

Keywords:  Care – healthcare – vulnerability – dependency-autonomy

 

Parfois, la souffrance résiste. Les moyens destinés à la soulager sont mis en place, et pourtant elle demeure, incompréhensible et persistante. Or, s’intéresser aux cas où le soin (care) est mis à l’épreuve par la souffrance résiduelle pourrait bien jeter une lumière significative sur les fins et les attentes qui le caractérisent. Le soin (care) est une tâche méritoire qui répond à une exigence éthique[1]. Qu’il soit travail salarié ou tâche domestique, il vise apparemment le bien d’autrui. Sa finalité ne semble donc pas poser problème. Pourtant, à l’aune des situations de grandes dépendances, elle paraît moins claire. Quand la souffrance demeure, quand l’autonomie est perdue, quand soulager est impossible, que demander aux travailleuses et travailleurs du care ? Il n’est pas rare que chez les patients une telle souffrance s’accompagne d’un « refus de soin ». Le présent article découle de la conviction qu’en considérant cette difficulté fréquente et en se demandant de quel trait essentiel du soin (care) elle peut être le signe, on se donne les moyens de reconnaître que la souffrance du malade n’est pas une circonstance contingente ou inessentielle de la dépendance, et ainsi de mieux définir ce qu’il faut attendre du soin (care) sans imposer aux soignants des exigences impossibles.

Mais une telle intuition doit laisser place à une réflexion critique. Le lien conceptuel entre la grande dépendance et la possibilité de la souffrance est manifeste si l’on observe que la vulnérabilité essentielle à la dépendance inclut la souffrance dans son concept, en vertu de l’étymologie vulnerare (blesser). La conséquence sur la finalité du soin (care), dans les situations de grande dépendance, paraît évidente. Le soin (care) aurait pour fin d’empêcher la souffrance et plus généralement de la prévenir en « maintenant ou restaurant la santé », ou bien quand la fin de vie arrive, de la réduire par un accompagnement palliatif. Tels sont d’ailleurs les termes usuels d’une fiche de poste d’Infirmière Diplômée d’Etat en Ehpad (Etablissement Hospitalier pour Personnes Âgées Dépendantes)[2]. Dans ce cadre, la résistance de la souffrance, si fréquente malheureusement, paraît être l’effet de l’échec ou de l’insuffisance du soin (care).

Il nous semble que cette conséquence peut pourtant être discutée à la faveur d’une réflexion sur le rapport du soin (care) à la dépendance. Car ce lien est faussement évident. Le droit français conçoit la dépendance comme un état caractérisé par l’aide et la surveillance requises malgré les soins. Ainsi, la dépendance fut d’abord définie par la loi n°97-60 du 24 janvier 1997 comme « l’état de la personne qui, nonobstant les soins qu’elle est susceptible de recevoir, a besoin d’être aidée pour l’accomplissement des actes essentiels de la vie ou requiert une surveillance régulière »[3]. Lorsque, en 2001, cette loi fut abrogée à l’occasion de la mise en place de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), insistance fut mise sur le « manque ou la perte d’autonomie », mais la nouvelle loi continuait de la définir comme un état nécessitant « aide » et « surveillance » « nonobstant les soins »[4]. La notion positive d’autonomie fut donc promue dans la loi comme l’envers normal de la grande dépendance, son état perdu. En outre, ce « nonobstant les soins » ne laisse pas d’interroger. Sans doute s’agit-il des soins visant à rétablir la vie normale, par opposition à l’aide et la surveillance qui ne peuvent qu’assister la dépendance. D’un côté donc le législateur, réaliste, prend acte que dans ces situations, les soins ne peuvent pas tout. D’un autre côté peut-être est-ce précisément parce que la finalité qu’on assigne aux soins est le recouvrement de l’autonomie ou le rétablissement des capacités qu’ils sont, par définition, en échec dans les cas de grande dépendance.

Le présupposé selon lequel le soin (care) devrait viser l’autonomie de la personne dépendante mérite d’être interrogé[5]. Les éthiciennes du care contestent que l’autonomie, conçue en un sens rationaliste ou kantien, puisse définir ce qui mérite respect ou ce qui fait la dignité de la vie humaine[6]. Elles font valoir que les capacités qui font cette dignité sont également émotionnelles et relationnelles. Mais, même en élargissant le concept d’autonomie jusqu’à lui donner le sens, que l’on rencontre parfois dans le discours des soignants ou des éthiciens, d’une capacité à agir par soi, qu’elle soit physique ou mentale, et à décider pour soi, qu’elle soit rationnelle ou émotionnelle, qu’en est-il lorsque, malgré les soins, toutes ces capacités restent déficientes [7]? Le soin doit-il viser à les restaurer ? Suffit-il de pallier ces déficiences, physiques, cognitives et psychiques, en comblant les besoins que ces capacités doivent satisfaire ? Ou bien encore faut-il trouver un substitut à l’agentivité déficiente de la personne, que ce soit en agissant avec elle ou agissant pour elle ?

Pour mieux caractériser les défis que la grande dépendance pose au soin (care) nous prendrons l’exemple d’une personne entrée en EHPAD en 2015. Sur ce cas réel, nous montrerons qu’il faut admettre que la vulnérabilité est maintenue par et dans le soin (care) et qu’il en découle une souffrance potentielle. Cela ne signifie nullement que le soin (care) soit par essence oppressif. Mais cela signifie, comme nous le verrons ensuite, qu’il ne suffit pas de penser le soin (care) comme une réponse faisant cesser la vulnérabilité, dans un rapport à la dépendance qui soit seulement d’opposition (comme si la dépendance devait disparaître avec le soin) ou d’insuffisance (comme si la dépendance ne persistait qu’en l’insuffisance de soins). C’est dans ce cadre que la finalité du soin (care) doit être repensée : si le soignant et le soigné sont en situation de vulnérabilité par le soin (care), alors que peut le soin (care) ?

Qu’entendre par « grande dépendance » ?

Le soin (care) est une activité qui n’a de sens que dans des circonstances toujours singulières, c’est pourquoi, comme l’a montré Sandra Laugier, l’analyse conceptuelle se nourrit d’exemples, de cas présentés en contexte[8] . Nous nous appuierons dans ce qui suit sur le cas d’une personne résidant en EHPAD suite à un infarctus lui ayant causé un accident vasculaire cérébral. En raison de graves troubles locomoteurs et cognitifs, Mme D. vit depuis trois ans dans un établissement qui a mis en place, de l’avis de l’association des familles comme des organismes indépendants, un accueil de qualité, cherchant à s’adapter aux besoins de chaque malade (horaires de toilette flexibles, adaptation matérielle, espace de relaxation, etc.). Mais, après une période de recouvrement partiel des capacités physiques et langagières, l’état psychique de Mme D. s’est dégradé.

Depuis plusieurs mois, elle exprime une plainte incessante, appelle les soignants à tout instant et crie douloureusement et bruyamment : « s’il vous plaît »,  « emmenez-moi, il faut y aller », etc. Son refus de soins s’étend progressivement à la moindre stimulation. Les soignants et les autres résidents sont très éprouvés par sa litanie plaintive. Peu à peu, sans qu’une pathologie ne soit clairement identifiée, elle perd toute envie, ne se lève plus, devient incontinente, ne se tourne même plus dans son lit. Elle a des difficultés à parler hormis pour lancer ses appels gémissants ou hurlants. Aux soignants la psychologue et la cadre de santé offrent un espace d’écoute tel que l’on peut dire qu’elles remplissent peu ou prou la fonction de doulia que Joan Tronto jugeait si importante dans les sociétés traditionnelles, c’est-à-dire la fonction de prendre soin de ceux qui soignent ; mais, lors d’une réunion pluridisciplinaire, l’une des cadres laisse échapper « ici, on est au bord du suicide ». Elle exprime sans doute par là des craintes pour les voisins dont les conditions de vie à l’EHPAD sont très affectées. Mais dans cette phrase le pronom « on » peut faire référence à différentes personnes par des effets de renvois : le sentiment d’échec des soignants renvoie à la souffrance persistante de Mme D. et à celles qu’elle cause à ses voisins, qui suscite à son tour un sentiment d’impuissance chez les proches.

L’état de Mme D. peut être appréhendé dans des catégories nosologiques plus ou moins consensuelles dans la littérature spécialisée (dépression « vasculaire », « sub-syndromique » ou « mineure », etc.). En l’occurrence, le diagnostic différentiel est délicat, les médecins constatant que les traitements deviennent vite inefficaces et conduisent finalement à une forme de sédation qui aggrave l’apraxie. Mais cette souffrance qui s’exprime dans ce cas de grande dépendance, quelles qu’en soient les causes et les corrélats physiologiques, éventuellement liés à des antécédents de l’histoire de la patiente, peut aussi être décrite à partir de son rapport au care. Dans les échanges qu’elle a avec nous, Mme D. dit souffrir de son état de dépendance : « C’est trop dur, je veux mourir, enfin pas mourir vraiment, mais partir, que ça s’arrête ». Et elle oppose un refus à toute stimulation : « Je ne veux plus de tout cela (en montrant le plateau et la porte), je n’en peux plus ».

Il est commun de noter, sur un tel cas, que c’est une forme du care qui est remise en question. Non seulement soigner n’est pas synonyme de guérir, mais il ne l’est même plus, ici, de soulager. Care n’est plus cure.Soigner ce n’est plus que – et c’est tellement – s’occuper d’autrui tandis qu’il demeure dans la souffrance[9]. Encore faut-il entendre cet « accompagnement », dont le terme est devenu si commun qu’il semble affaiblir désormais la tâche réelle qu’il désigne, comme consistant à s’occuper de l’autre sans faire des soins un luxe. Il s’agit bien de continuer, malgré tout, à subvenir aux besoins premiers (alimentation, hygiène, repos). Mais pourquoi la dépendance s’accompagnerait-elle de souffrance, alors que tout est en place pour subvenir aux besoins fondamentaux ? En se laissant instruire par la douloureuse expérience de Mme D., la réflexion morale se met en mesure, selon nous, d’éclairer les paradoxes de la vulnérabilité et les défis propres au travail (éthique ou social) du soin (care).

Mme D. a besoin de manger. Elle ne peut pas le faire seule. Elle a besoin d’aide pour manger. Alors le soin (care) est-il le substitut de l’autosuffisance – un mode d’action de soi aidé par d’autres pour subvenir à ses besoins ? Certes non. La dépendance n’est pas seulement un moyen pour satisfaire des besoins, car si c’était le cas, le soin « réussi » ferait disparaître la dépendance. Or l’aide aux repas ne fait pas disparaître la dépendance – elle en est même une modalité. Mme D. n’a pas besoin de nourriture mais a besoin qu’on l’aide à manger. Lorsque son état s’aggravera encore, on lui donnera à manger – et ce sera elle, encore, qui mangera. La nutrition artificielle interviendra en fin de vie seulement lorsqu’elle ne pourra plus le faire. Le soin (care) n’est donc pas seulement une façon de combler des besoins. L’aide procurée par l’infirmière et l’aide-soignante ne vient pas seulement combler un besoin d’hygiène, d’alimentation ou de confort. Une conception strictement économique de la dépendance, comme moyen de subvenir aux besoins, occulterait le fait qu’elle est une manière de vivre – et peut-être même la manière de vivre pour nous, humains : une condition qui n’est pas économique mais existentielle[10]. Admettons donc que l’existence humaine est relationnelle. La dépendance est notre condition même – c’est ce que rappellent les éthiciennes du care. Pour autant comment comprendre la souffrance de la grande dépendance ? Ne serait-elle pas, paradoxalement, en lien avec le soin (care) lui-même ?

Poursuivons l’élucidation de la notion de soin (care). Il apparaît, sur l’exemple de l’aide au repas, qu’il est la réponse à une déficience de certaines capacités (visuelles, kinesthésiques, cognitives), qui tente, autant que possible, d’en préserver d’autres (ici, manger). C’est pourquoi il semble très juste de caractériser le soin (care) à l’égard des personnes grandement dépendantes dans les termes d’une éthique des capabilités, comme le fait Sylvie Pandelé. Cherchant à éviter de réduire le soin (care) à une attitude affective, telle que la sollicitude ou l’empathie, celle-ci promeut une éthique de la « vigilance » consistant à veiller aux conditions d’exercice des capabilités fondamentales, même dans le cas où les compétences cognitives et physiques sont détériorées. L’expérience de la grande dépendance l’a en effet convaincue des limites d’une éthique de la sollicitude, telle qu’envisagée par Nel Noddings[11]. Elle fait valoir que l’empathie et la compassion peuvent s’étioler et s’amenuiser quand le soin (care) reste nécessaire et que, dans la grande vulnérabilité, il arrive que la souffrance reste cachée ou que les signes en soient très énigmatiques. Dans l’exemple que nous prenons, celui de Mme D., bien que la souffrance s’exprime clairement par les cris, les « comportements d’agitation pathologique » et d’autres signes dépressifs, l’usage des antidépresseurs empêche les larmes et neutralise également l’empathie des soignants exténués ou exaspérés. Mais surtout, Sylvie Pandelé rappelle que l’éthique relationnelle de la sollicitude suppose une réceptivité du soigné qui peut faire totalement défaut dans le cas de la grande dépendance. Il est des comportements dans la démence, par exemple, qui rendent impossibles un « feed-back attendu par l’aidant »[12].

Il n’est certes pas exclu que la « vigilance » prônée par Pandelé ait pour justification ou motivation une sollicitude ou une « bienveillance », mais convenons, avec elle, que l’acte de soin par là requis ne peut consister en un sentiment compassionnel, et qu’il doit mettre en place les conditions permettant, autant que possible, l’exercice des capacités d’expression, d’action et de réflexion[13]. Amartya Sen indique en effet qu’il ne faut pas confondre une inaptitude physique ou psychologique et un handicap : la première pourrait ne pas être handicapante si des conditions matérielles, sociales et institutionnelles étaient mises en place pour que la personne puisse bénéficier des mêmes droits que les autres (travail, accès aux établissements de loisir, etc.) tandis que le second lèse la personne lorsque ces conditions font défaut. Une capabilité n’est donc pas seulement une capacité, mais la possibilité donnée par des conditions sociales et institutionnelles d’exercer une capacité qui est un droit fondamental[14].

À ce point de notre enquête, que conclure de la souffrance de Mme D. ? Elle est apparemment liée à la perte de ses capacités antérieures (importants déficits cognitifs, linguistiques et moteurs). Le soin (care), en réponse, doit mettre en place les conditions qui rendent possibles, malgré ce déficit de capacités, l’exercice de ses droits fondamentaux (ses « capabilités fondamentales ») à s’exprimer, agir et penser dans les limites laissées par l’accident cérébral. Mais poursuivons. Sans invalider cette approche, nous souhaitons mettre en lumière certaines des questions qu’elle soulève.

D’abord, défini comme ce qui vise à rétablir les capabilités, le soin (care) reste l’objet d’une réflexion éthique : la fin justifie-t-elle toutes les démarches à titre de moyens, ou encore comment proposer la mise en place de moyens sans les imposer aux personnes dépendantes, sous peine de vider l’activité de son sens ? Il serait par exemple contradictoire de forcer un résident à participer aux animations. On ne force pas à jouer. C’est donc par l’exercice volontaire que la capabilité se recouvre. Mais les tentatives de stimulation, qui ont toujours, par définition, quelque chose d’adventice, ne peuvent être infinies sous peine d’épuiser les soignants et d’harceler le patient. Comment faire face au refus total d’exercice ?

En outre, demeurent des questions relevant d’une philosophie morale ou d’une méta-éthique. On peut interroger les présupposés de l’évaluation morale qui considère le rétablissement des capacités d’expression, d’action et de réflexion comme un bien. Ainsi, une expression, une action, une réflexion sont-elles dignes parce qu’elles sont autonomes ? Ici se pose alors la question rencontrée en introduction : le soin (care) doit-il viser à rétablir une certaine forme d’autonomie ?

On peut enfin se laisser instruire par la douloureuse expérience de Mme D. et prendre acte de la résistance que sa souffrance oppose au soin. On se demandera alors ce qui, dans le soin (care) maintient la vulnérabilité et favorise la persistance de la souffrance.

La grande vulnérabilité n’est pas supprimée par le soin (care)

Nous commencerons par ce dernier point, car en jetant une lumière sur la relation entre soin (care) et vulnérabilité, il permettra de mieux envisager la finalité assignée au soin (care). Les raisons de la souffrance liée à la dépendance sont pour une part circonstancielles et pour une autre part inhérentes au soin. Ainsi, un aspect circonstanciel de la dépendance de Mme D. consiste dans sa soumission à un certain nombre de contraintes liées à la vie en collectivité. Comme le rappelle Isabelle Pariente-Butterlin, en s’appuyant sur Asiles d’Erwing Goffman, l’entrée en Ehpad va de pair avec une forme de dépossession « de tous les arrangements » qui étayent l’identité personnelle, en particulier de ses biens matériels comme une bibliothèque propre. Et dans ce contexte, la personne doit « négocier », au sein d’un cadre collectif nécessairement rigide par endroits, des processus permettant de « soutenir un moi idéal », une forme de subjectivation ou tout au moins une « présence de soi au monde »[15]. Même dans le cas où l’Ehpad cherche autant que possible à personnaliser les soins (par des « projets de vie », des ateliers, des animations ou des activités diverses), la vulnérabilité y est accrue.

En outre, la vulnérabilité est impliquée par le soin (care) – elle y est intrinsèquement comprise. Il suffit de remarquer la nuance qui la distingue de la fragilité pour s’en convaincre. Alors que la fragilité connote une faiblesse interne, constitutive ou naturelle, la vulnérabilité invite à considérer ce qui dans l’interaction avec l’extérieur, l’altérité ou « ce qui ne dépend pas de nous » est susceptible de nous atteindre et nous blesser[16]. La vulnérabilité ne consiste pas seulement à être fragile, mais à l’être par et dans la relation à autrui. Elle s’accompagne donc de la souffrance que Ricœur analysait comme « l’expérience de la “perte du pouvoir sur…”, d’être “à la merci de…”, livré à l’autre »[17].

Eriger en modèle du soin une image idyllique de la maternité serait doublement trompeur. En effet, concevoir le soignant comme une mère de substitution pour le soigné, c’est fantasmer ses motivations et ses pouvoirs, mais c’est surtout oublier que le soin (care) porte en lui-même les conditions de la vulnérabilité, pour le soigné comme pour le soignant. Même s’il peut rendre moins vulnérable à tel ou tel événement ou adversité, à telle inaptitude ou telle déficience, et même moins vulnérable au regard des autres en nous attestant une reconnaissance, il est une forme de dépendance bienfaisante toujours susceptible d’être retournée. En ce sens, il accroît paradoxalement la vulnérabilité. Le risque est la soumission à une forme de paternalisme (ou, dirait-on en l’espèce, de « maternalisme »), lequel consiste à prétendre gouverner la vie des autres. Une éthique du soin est bien entendu possible, en réponse à ces risques de domination. Elle demande au soignant de tisser et entretenir la confiance, et de ne pas projeter ses attentes[18]. Mais le refus de soin qui se rencontre dans la grande dépendance, y compris lorsque le soin n’est pas douloureux, est caractéristique de cette souffrance qui met le soin (care) à l’épreuve.

Quant au soignant, même s’il évite la servilité épuisante et le paternalisme dominateur, son effort comporte toujours le risque d’échouer – échouer non seulement à soulager, mais aussi à être bienfaisant, précisément en raison des questions éthiques évoquées ci-dessus. Jusqu’où pousser la stimulation ? Jusqu’où « forcer » à marcher, manger, etc. ? Il lui faut veiller à modérer ses incitations ; et plus encore peut-être, il lui faut admettre que le sens bienfaisant de son acte ne relève pas totalement de son intention bienveillante. La « souffrance du soignant » est le risque d’une bonne intention en échec. Soigner c’est entrer dans cette vulnérabilité.

En somme, le soin (care) n’est pas le remède qui efface vulnérabilité – il la pratique. Et la vulnérabilité est redoublée par la relation à l’autre instaurée dans le soin. Si le soin (care) est à l’épreuve dans la grande dépendance c’est non seulement au sens où ces situations le confrontent à des difficultés remarquables, mais au sens où elles en manifestent l’expérience même.

Ce que ne peut pas le soin (care), dans la grande dépendance

Dans la grande dépendance, la réponse apportée par le soin (care) n’équivaut pas à la suppression du déficit de capabilités. Cela implique que cette réponse ne peut être moralement ni justifiée ni exigée au seul motif qu’elle rétablirait les capabilités fondamentales. Lorsqu’elle le peut manifestement, elle le doit assurément. Mais prendre soin d’une personne grandement dépendante consiste parfois en une prise en charge des besoins (d’hygiène notamment) doublée d’une présence ou une écoute qui ne sauraient se justifier par la restauration d’une capabilité et qui doivent prendre acte de l’échec de toute tentative visant une telle restauration. C’est notamment le cas dans les situations liées au « syndrome de glissement », où la détérioration des capacités de la personne âgée est inexorable.

Face au maintien de la dépendance, on serait tenté de penser que le soin (care) est réduit à l’alternative suivante : ou bien substituer l’action du soignant à celle du soigné, au nom duquel celui-là agira, ou bien restituer une forme d’autonomie en créant une nouvelle agentivité autosuffisante, que serait celle du duo soignant-soigné. Mais il nous semble que la finalité éthique est ailleurs. Il arrive que le soin (care) prenne l’une de ces formes. La tutelle juridique pourrait être un exemple typique du premier cas, et le partenariat dans un jeu de société une bonne illustration du second[19]. Mais il ne saurait s’y réduire. Un aspect exemplaire de la dépendance cognitive dont Mme D. est affectée permet de le montrer.

« Désorientation ». Tel est le terme qui sonne souvent comme une litote aux oreilles de l’entourage, et qui désigne l’incapacité à savoir où l’on est, ce que l’on va faire, ce que l’on a fait, donnant lieu à des comportements ou des propos irrationnels[20]. Le fait que Mme D. entende le parent ou le proche lui assurer qu’elle est dans une institution bienfaisante ne suffit pas à compenser la désorientation. Le fait qu’on la guide (aux repas, aux toilettes), et qu’on l’oriente, pas davantage. L’opuscule de Kant intitulé Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? fournit des éléments éclairants sur ce point. Pour s’orienter géographiquement il faut non seulement connaître comment les points cardinaux sont disposés les uns par rapport aux autres, mais également savoir pointer la boussole vers un repère qui est au-delà de ce qui se présente immédiatement à nous (le Nord par exemple) et savoir se situer dans l’espace en distinguant la droite et la gauche. S’orienter suppose ainsi un « principe subjectif » de différenciation, c’est-à-dire sentir, par rapport à soi-même, ce qui est d’un côté ou de l’autre. La Rose des vents n’est utile que si, me tournant vers le Nord, je peux distinguer ce qui est à l’Ouest comme ce qui est à gauche et ce qui est à l’Est comme ce qui est à droite.

Dans un domaine qui dépasse l’expérience possible, la raison ne peut plus discriminer le vrai du faux à l’aune de principes objectifs. La question que pose Kant dans cet opuscule, qui prend place dans une fameuse controverse des Lumières allemandes, est la suivante : pour s’orienter dans la pensée, c’est-à-dire pour savoir que croire dans les questions qui dépassent l’expérience possible, comment faire ? Pour répondre, il envisage les conditions qui permettent de s’orienter dans une pièce familière, plongée dans l’obscurité : il faut au moins reconnaître un objet ; puis par le simple sentiment de la place des choses par rapport à nous-mêmes, il est ensuite possible de se déplacer. De la même façon que l’on a besoin de poser le Nord dans l’orientation géographique ou de reconnaître la place d’un objet dans la pièce obscure, Kant affirme que la raison a un besoin subjectif de poser un inconditionné (une cause première) lui permettant de justifier la recherche causale et tout jugement empirique causal. Selon lui, la raison le trouve dans le concept de Dieu, cause inconditionnée de toute la chaîne des causes, Idée nécessaire pour justifier que notre enquête causale soit possible, mais également pour justifier l’attente que l’obligation morale ait pour résultat la félicité. C’est ainsi, d’après Kant, que la raison peut subjectivement situer pour elle le vrai et le faux, et donc, se donner sa propre loi qui fait en la matière son autonomie, c’est-à-dire se rendre capable de « foi rationnelle »[21].

Toute cette analyse de Kant peut jeter une lumière intéressante sur l’expérience de l’incapacité à se diriger, qu’est la désorientation. La personne désorientée, ayant des troubles de la mémoire antérograde ou rétrograde, aura bien du mal à se situer dans l’espace « par rapport à soi-même ». Elle ne saura pas dire pourquoi elle est en institution – une partie de l’histoire qui l’a conduite en ce lieu en ce moment lui échappe. Mais surtout, elle a le besoin subjectif d’avoir un repère sans que rien ne soit jamais susceptible de le constituer. Souvent, elle cherche un objet perdu (qui peut changer lui-même de nature), ou elle exprime la nécessité d’aller quelque part sans savoir où, a le besoin qu’on l’emmène sans jamais préciser où. Mme D. demande constamment : « Et après ? On fait quoi, après ? ». C’est cet état d’intranquillité qui décrit le mieux sa dépendance cognitive et fait toute la misère de son état. Ce besoin subjectif n’est pas éteint par le fait qu’on la guide ou qu’on la rassure sur l’endroit bienveillant où elle se trouve. Elle a besoin d’un repère au-delà de l’expérience présente pour pouvoir s’y orienter car c’est à partir de ce repère qu’elle pourra se situer dans un espace qui dépasse le champ sensible de l’expérience présente pour lui donner une place par rapport à ce qui vient ou ce qui est au-delà, et pour donc donner un sens à l’expérience présente. La perte de sens est souffrance par cette quête incessante.

Isabelle Pariente-Butterlin, relisant le passage où Erwin Goffman observe qu’à une petite demande du résident, une réponse telle que « je vous l’apporte dès que possible » ouvre un temps d’attente insupportable, note que le résident est réduit à « un “rôle de suppliant” qui est inhabituel pour un adulte et qui contribue encore davantage à le déposséder de ce qu’il est ». Pour Mme D., cette brèche temporelle est également un abîme existentiel, d’autant plus insupportable. Il lui manque ce fameux Pôle Nord, cet objet dans la salle obscure, ou cette Raison première sur lesquels s’ancre la raison quand elle s’oriente. Ses suppliques deviennent son expression fondamentale. En se souvenant de Kant, on peut alors comprendre qu’il ne suffit pas que quelqu’un guide ces personnes désorientées pour rétablir une capacité à s’orienter. Le besoin subjectif qui permet de s’orienter n’est pas éteint par le fait qu’on les oriente (par exemple en leur rappelant l’endroit où ils se trouvent ou où ils vont). Une fois encore, la souffrance de la dépendance ne paraît énigmatique que si l’on se trompe sur ce que peut le soin (care). Il ne saurait compenser une autonomie perdue.

Mais la restitution d’un pouvoir d’agir « par soi » ne serait-elle pas, tout au moins, un idéal visé par le soin (care) ? Natalie Rigaux a déjà montré que le care doit chercher autant que possible à donner une capacité d’action à la personne démente, mais que c’est une capacité toujours relationnelle, qui n’est pas une maîtrise rationnelle de soi telle que Kant, Franckfurt ou Dworkin l’envisagent[22]. La notion d’« autonomie relationnelle » fait ainsi entendre que la « volonté » et les « valeurs » d’une personne sont toujours constituées par les relations interpersonnelles et sociales [23]. Dans la littérature du care sur les problématiques de l’âge cette notion permet d’avancer deux thèses. Du côté des soignants, la décision médicale suppose moins des acteurs rationnels autonomes capables de raisonner et délibérer qu’une communication entre les personnes où la compréhension mutuelle passe par l’empathie et la narration. Du côté de la personne à respecter, son identité et son intégrité, loin d’être isolables, sont définies par des relations affectives et sociales aux autres[24].

Nous souhaitons insister pour notre part sur le fait que la dignité n’a pas pour condition sine qua non l’autonomie.

Plusieurs arguments peuvent ici être envisagés. Qu’est-ce qui fait la dignité d’un être humain ? On peut d’abord, comme le faisaient les Lumières écossaises, entendre par dignité la valeur accordée à certains de ses talents ou de ses vertus. La dignité que l’on s’accorde vient de la fierté (pride)par laquelle on s’estime, pour une action que nous avons faite et qui nous procure une certaine satisfaction, laquelle est elle-même en grande partie dépendante des normes qui se forgent au travers des rapports à autrui[25]. Lorsque les malades ont encore la capacité d’apprécier les œuvres qu’ils produisent en ateliers, ils le font indépendamment de toute considération sur une autonomie préalable, qu’ils aient été seuls ou non à les faire, qu’ils en soient à l’origine ou non, qu’ils en aient eu la préconception ou non. Dans Une jeune fille de 90 ans, Valeria Tedeschi a filmé les danses d’une résidente en Ehpad avec le danseur professionnel Thierry Thieû Niang. Ce qui émeut le spectateur, ce n’est pas une soi-disant autonomie retrouvée de Blanche, la résidente. Car elle ne danse pas seule. Il ne danse pas seul. Ils dansent ensemble avec les souffrances et les misères qui les traversent et les entourent, animés par des motivations qui les dépassent car les émotions qu’elle ressent, à 92 ans, pour Thieû Niang, l’emportent certainement au-delà de ce qu’elle est capable de maîtriser. Mais cette beauté lui redonne une fierté.

Il y a une autre conception de la « dignité », très présente dans le discours des soignants. Ils entendent parfois par « dignité » la valeur qu’a une personne du fait même d’être un être humain ou un être vivant. Kant voyait dans l’autonomie rationnelle le trait essentiel de la dignité d’une personne en ce sens. Mais d’aucuns, à la suite de Hans Jonas, pensent que ce trait essentiel tient davantage à la valeur de la vie. L’on peut également souligner, dans une perspective lévinassienne, que la dignité humaine n’existe pas malgré la vulnérabilité mais que c’est à cause de sa vulnérabilité que la vie humaine doit être respectée et a, à ce titre, une dignité[26].

Ainsi, l’autonomie n’est pas la fin au principe du soin (care), fin par laquelle il viendrait mettre fin à la vulnérabilité ; alors que doit-il viser ? Une fois admis que la souffrance de Mme D. vient à la fois du besoin permanent qu’on s’occupe d’elle et du sentiment de sa vulnérabilité par là accrue, que demander au soin (care) ?

Que demander au soin (care) ?

Pour préciser la nature de la réponse donnée par le soin (care) à la grande dépendance, compte-tenu de la résistance de la vulnérabilité et de la souffrance, il est utile d’entendre comment les soignants eux-mêmes mettent en mots leur tâche.

« Plus une telle aide est requise, nous dit Walter Hesbeen, plus les qualités professionnelles de prévenance, de délicatesse, de générosité devront être mobilisées pour montrer à la personne l’attention particulière que nous lui portons et le souci permanent que nous avons ainsi de sa dignité afin de prendre en compte sa fragilité et son risque plus grand de vulnérabilité[27] » .

Une prévenance qui dépasse le simple respect, une délicatesse qui est une plus grande sensibilité, une générosité qui s’oblige à donner plus de temps ou de compréhension, sans se contenter de satisfaire l’obligation morale minimale, voilà ce qu’il faut. Ce qui est requis, c’est une humanité qui va au-delà de « la normale » – c’est-à-dire plus d’humanité que ce qui est requis en général pour des personnes qui ont moins besoin d’aide.  Mais ce surcroît d’humanité est bien ce qu’il paraît normal d’exiger. Que sont alors ces « qualités professionnelles » auxquelles Walter Hesbeen fait référence ? On pourrait y voir des vertus surérogatoires qui ont le trait paradoxal d’ajouter un mérite à ce qui ne serait pas moralement nécessaire. Pourtant il nous semble qu’une autre dynamique déontologique est à l’oeuvre. Il n’est pas certain que ces qualités professionnelles méritoires se réduisent à des dispositions vertueuses : l’éthique du soin n’exige précisément pas qu’un soignant se définisse par sa vertu.

Le soin (care) est un travail méritoire. Travail, il l’est par la pénibilité d’une tâche qui ne saurait être réservée à quelques individus présumés « naturellement disposés », et par sa dimension sociale en tant qu’activité salariée ou domestique[28]. Méritoire, il l’est par la valeur morale de ce travail bienfaisant. C’est un mérite qui ne dépend pas uniquement de la motivation morale des soignants. En effet, le care est une tâche familiale ou professionnelle dont la valeur est appréciée parce qu’il procure un bien pour autrui et contribue au respect des plus vulnérables, plutôt qu’elle ne dépend de la moralité propre à la volonté, aux motifs ou au sentiment intérieur de l’individu qui l’exerce. Car un soignant peut « faire son métier » sans avoir à être à chaque instant vertueux par lui-même. Il peut – et heureusement – reconnaître la valeur bienveillante de son acte sans s’imposer d’avoir une intention « pure », ou un désir désintéressé tout au long de son activité.

En outre, les qualités requises chez le soignant ne sont pas superfétatoires : elles doivent être mobilisées – ce qui signifie qu’elles n’ont pas pour origine une bienveillance moralement superflue ou dispensable. Ce sont des qualités qui sont non seulement justifiées par une réponse à la pathologie mais constitutivement requises par la réponse aidante. Parce que la grande vulnérabilité requiert une aide qui ne la fait pas disparaître, le soin (care) implique non seulement une obligation d’assistance, mais surtout de s’en acquitter avec un surcroît de prévenance et de délicatesse. Dans ce contexte, la délicatesse est à la fois une capacité à apprécier et à percevoir la situation dans laquelle se trouve autrui, mais également à agir (ou s’abstenir) dans les limites définies par ce sens de l’humain. La prévenance quant à elle désigne une considération proportionnellement due à la vulnérabilité que l’aide, nécessaire, entretient.

Mais alors quand peut-on dire que le soin (care) satisfait l’obligation de l’éthique du soin (care) ? Quand le soignant peut-il se dire qu’il s’est acquitté de sa tâche ? Le risque d’une vertu surérogatoire est peut-être de ne pas avoir de limite : plus on en fait, mieux c’est. Mais en réalité, par bienveillance, il vaut mieux parfois, ne pas trop en faire, sous peine de verser dans une servilité épuisante et un paternalisme dominateur. Cette correction ou régulation vaut d’autant plus pour les qualités professionnelles du soin (care). C’est ici qu’une approche sceptique comme celle de Montaigne ou de Hume, de nouveau, peut nous aider, non à définir un critère, mais en l’absence même de critère, à penser les conditions d’une régulation qui permette une approche modérée en philosophie morale, et modeste dans la pratique relationnelle[29]. On serait bien en peine de définir le seuil exact en dessous duquel la délicatesse est insuffisante et au-delà duquel la prévenance devient domination ou la générosité « violence symbolique », que ce soit in abstracto ou en situation. Ces seuils sont indiscernables. La conséquence est la suivante : la description du soin comme soin ne dépend pas uniquement de l’intention bienveillante du soignant. Elle ne dépend pas davantage du seul sentiment de satisfaction du soigné. Et enfin elle ne repose pas non plus sur un critère de satisfaction objective des besoins humains fondamentaux, définis pour une nature humaine. Elle dépend d’un travail pratique bienveillant susceptible de se régler lui-même et capable de réviser autant ses obligations que leur degré d’exigence, par bienveillance[30]. C’est l’effort d’ajustement qui fait, croyons-nous, le soin (care). C’est un travail conscient que parfois le champ de l’action éthique est congru, qu’il est des cas où c’est énorme, déjà, que d’être là, et qu’il en est où, tout bien considéré, ne pas s’imposer est préférable.

Une fois ceci posé, toutefois, la réflexion socio-politique ne fait que commencer. Que demander, en effet, à une société juste en matière de soins ? L’obligation de prendre soin des personnes dépendantes (susceptible d’être déclinée en différentes obligations particulières) peut-elle être soumise à une appréciation sociale, une éthique professionnelle, une législation politique ? Ces questions peuvent selon nous recevoir une réponse positive par une attention aux pratiques normatives intégrant leur caractère révisable et autorégulateur. Car la nécessité de ménager une forme de correction de la bienveillance par la bienveillance semble essentielle à toute éthique du soin (care), qu’elle soit limitée à la pratique des soignants ou qu’elle prétende rendre plus généralement compte de la pratique morale[31].

En somme, le soin (care) ne met pas fin à la vulnérabilité – il la pratique. En proposant d’entendre les cris de Mme D. comme le signe d’une désorientation irréductible où elle ne parvient plus à trouver un sens à son expérience immédiate, et où le soin (care) ne saurait le lui conférer, nous souhaitions reconsidérer ce que peut le soin (care) dans un cas de grande dépendance. La souffrance de Mme D. tient peut-être moins à la perte de ce que l’autonomie permet de faire ou d’avoir, qu’à la perte du sens propre à l’expérience par soi. Ainsi la finalité et la valeur du soin (care) doivent être redéfinies. Il est discutable d’identifier l’autonomie ou un substitut d’autonomie à la finalité ultime du soin (care) ou à son critère de bienfaisance et ce pour deux raisons. D’abord l’autonomie conçue comme capacité d’agir non relationnelle semble un mythe, qui doit laisser la place à une éthique relationnelle où la dépendance est notre condition d’existence. Mais surtout l’autonomie conçue de manière relationnelle suppose un sens de l’expérience propre qui peut être en déroute dans la grande dépendance, ce qui donne lieu à une souffrance que le soin (care) ne peut supprimer. La valeur de ce dernier tient alors précisément à l’attention et la vigilance réfléchies qui veillent à s’autoréguler.


[1] L’intérêt de penser le soin sous la catégorie sociale de care est de le faire relever autant d’une relation singulière entre deux personnes et qui comprend par exemple les actions faites par sentiment de bienveillance, que d’une activité dont la valeur repose sur un système social et qui comprend toute pratique participant au bien social par le simple fait de se plier à des normes conventionnelles. Il reste que le care est une activité qui se définit comme poursuivant une certaine fin, le bien d’autrui. En ce sens, le care obéit à une motivation qui peut avoir sa source dans une obligation sociale sans procéder à chaque instant d’un sentiment de bienveillance effectif. Pour rendre compte du fait que nous l’entendons à la fois comme travail social, ce que connote la notion de care, et comme attention qui a une valeur morale, ce que connote le français « soin », nous le désignons dans cet article comme « soin (care) ».

[2] Citons par exemple la « Fiche et Profil de Poste IDE en Ehpad » pour la Résidence de la Petite Camargue (septembre 2015) : « Définition du Poste : Dispenser des soins préventifs, curatifs et/ou palliatifs, visant à promouvoir, maintenir et restaurer la santé et/ou accompagner les résidents en fin de vie ».

[3] Journal Officiel de la République Française, n°21 du 25 janvier 1997 p. 1280.

[4] Journal Officiel de la République Française, n°167 du 21 juillet 2001 p. 11737.

[5] En un sens kantien, l’autonomie fait la dignité de l’être rationnel dans la mesure où celui-ci reconnaît la loi morale qu’il se donne à lui-même. Des analyses plus contemporaines, telles celles de Harry Frankfurt ou Gerald Dworkin, y voient une capacité à agir et faire des choix critiques sur ses propres intérêts ou préférences. E. Kant, Fondements de la métaphysiques de mœurs et Critique de la raison pratique ; H. Frankfurt, «  Freedom of the will and the concept of a person », Journal of Philosophy, vol. 68, n°1, 1971, p. 5-20 ; G. Dworkin, The Theory and Practice of Autonomy, Cambridge University Press, 1988. Les éthiciennes du care font valoir que la dignité humaine ne se réduit pas à de telles capacités rationnelles ou critiques et que la vulnérabilité mérite le respect. Une large part de leurs travaux est donc consacrée à la philosophie politique qui est par là impliquée. Dans ce qui suit, la question socio-politique sera néanmoins différée au profit de la question à la fois définitionnelle et normative, qu’il nous semble important de reposer à partir des phénomènes qui mettent le soin à l’épreuve.

[6] Penser que le care est une activité  essentielle de la vie sociale et morale a conduit Carol Gilligan, Joan Tronto, Eva Feder Kittay ou Martha Nussbaum à élaborer une philosophie morale et une théorie de la justice « différentes » des philosophies de l’autonomie rationnelle. L’adjectif fait évidemment écho au titre de Carol Gilligan. Il indique la source féministe de ces réflexions, qui, néanmoins, n’ont pas vocation à rester « genrées ». Cf. C. Gilligan, Une voix différente. Pour une éthique du care (1982), tr. fr. par A. Kwiatek, revue par V. Nurock, Paris, Champs Essais, 2008 ; E. F. Kittay, Love’s Labor. Essays on Women, Equality and Dependency, New York et Londres, Routledge, 1999 ; M. Nussbaum, Frontiers of Justice. Disability. Nationality. Species. Membership, Harvard University Press, 2007. Toutes n’ont pas la même approche. Les premières renvoient davantage à une société du care (insistant davantage sur le travail social qu’est le care) et la dernière à une éthique du soin (le pensant comme vertu). Mais l’intérêt philosophique de prêter attention à la souffrance de la dépendance vaut dans les deux approches. Il consiste à demander ce qu’il faut exiger à titre de care ou de soin, d’un point de vue social ou éthique. Voir également M. Garrau et A. Le Goff, Care, justice et dépendance, Paris, PUF, 2010.

[7] La capacité à agir par soi est plus proprement nommée spontanéité dans la philosophie classique, par exemple chez Kant. Mais le discours des soignants fait souvent appel à l’autonomie en un sens très lâche. Dans ce cadre elle est parfois tenue pour un synonyme de la dignité. C’est ce que les travaux de George Agish ont montré, depuis son article intitulé « Autonomy in Long-Term Care » (in Hasting Centre Report, 20 (6), 1990, p. 12-13) jusqu’à son étude récente sur le sens « ordinaire » de l’autonomie (« Seeking the Everyday Meaning of Autonomy », in Philosophy, Psychiatry and Psychology, 11 (4), 2005, p. 296-298). C’est surtout dans l’article« Respecting the Autonomy of Elders in Nursing Homes »qu’Agish défend une conception de l’autonomie  qui ne l’identifie pas à l’indépendance ou l’autodétermination, mais à une capacité à l’expression de soi (self-expression) (in J. F. Monagle & D. C. Thomasma, Health Care Ethics : Critical Issues for the 21st Century, Gaithersburg, Aspen Publishers, 1998, p. 184-200).

[8] S. Laugier, « Care et perception. L’éthique comme attention au particulier », in Le souci des autres. Éthique et politique du care, dir. P. Paperman et S. Laugier, Paris, EHESS, 2011, p. 367-370. Ce qui suit n’est pas une étude de cas, ce qui demanderait une méthodologie sociologique ou anthropologique. Notre démarche consiste plus modestement à tirer des analyses conceptuelles d’un exemple au travers d’une situation narrative mais il ne s’agit pas à proprement parler de narrative medicine.

[9] C’est la raison pour laquelle la notion de care est particulièrement adéquate pour recevoir une connotation palliative, et, par extension, pour appliquer un modèle de « soutien » (support en anglais) à des pathologies qui ne sont pas limitées à la fin de vie. Dans ce dernier cas, on parle de supportive care. La notion est reprise dans une collection d’ouvrages parus chez Oxford University Press. En lien avec la présente analyse, on consultera notamment Supportive Care for the Person with Dementia, dir. J. C. Hugues, M. Lloyd-Williams et G. A. Sachs, Oxford University Press, 2010.

[10] M. Malherbe, « Le soin de reconnaissance : Alzheimer », in Philosophie du soin, Paris, Vrin, 2019, p. 37-64. Michel Malherbe met en valeur l’exigence d’une reconnaissance qui est d’autant plus importante, dans le cas de la maladie d’Alzheimer, que la possibilité même de reconnaître l’identité et l’humanité d’un patient semble problématique. La finalité du soin, c’est donc, selon Michel Malherbe, au travers de tous les gestes et de toutes les activités, la reconnaissance. Ici, nous partons d’un cas différent, où la finalité du soin est mise en cause pour d’autres raisons, notamment en raison de la souffrance liée à la dépendance que le soin continue d’impliquer. C’est cette question qui nous conduira à reconsidérer la finalité du soin dans ce qui suit.

[11] N. Noddings, Caring – A Feminin Approach to Ethics and Moral Education, Berkeley, University of California Press, 1986.

[12] S. Pandelé, La grande vulnérabilité. Fin de vie. Personnes âgées. Handicap, Seli Arslan, seconde édition augmentée, 2016 (1ière éd. 2008), p. 125-126.

[13] F. Brugère a bien montré que la face affective du care (qu’est la sollicitude ou la bienveillance) et la face pratique (qu’est l’acte de soin) ne s’excluent pas et même s’articulent, comme la disposition à agir naît de la pratique. Cf. F. Brugère, « L’éthique du care : entre sollicitude et soin, dispositions et pratiques », in La philosophie du soin, op. cit., p. 69-86.

[14] A. Sen, L’idée de justice, tr. fr. par P. Chmla et E. Laurent, Paris, Champs essais, 2009, p. 315-316. On peut trouver une spécification de ces capabilités chez M. Nussbaum. A la différence de Sen, elle en fait en effet une liste. 1. La vie (être capable de vivre ou de ne pas mourir prématurément) ; 2. la santé corporelle (être capable d’être en bonne santé, d’être nourri convenablement, d’avoir une vie sexuelle satisfaisante, etc.) ; 3. L’intégrité physique (avoir les moyens de se déplacer, de ne pas être agressé, de choisir de se reproduire ou non, d’avoir une satisfaction sexuelle) ; 4. l’activité cognitive (avoir les moyens d’exercer ses facultés de sentir, imaginer, penser) ; 5. être capable d’émotion ; 6. la raison pratique (être capable de juger de ce qui est bon et bien et d’agir en conséquence) ; 7. l’affiliation (être capable de relation aux autres et ce, sans humiliation : en somme reconnaître la dignité des autres et être reconnu par eux) ; 8. le rapport aux autres espèces (être capable de prendre soin des autres espèces naturelles) ; 9. être capable de jeu ; 10. être capable de contrôler son environnement politique (participer à la vie politique) et matériel (avoir les moyens d’être propriétaire de biens et d’en disposer effectivement). Selon Nussbaum, ce sont des capabilités qu’une éducation doit promouvoir, y compris pour les handicapés mentaux (Frontiers of Justice, op. cit., p. 76-77 ; et « The capabilities of people with cognitive disabilities », in Cognitive Disability and its Challenge to Moral Philosophy, dir. E. F. Kittay et L. Carlson, Wiley-Blackwell, 2010).

[15] I. Pariente-Butterlin, « Regards sur le vieillissement », http://univ-amu.academia.edu/IsabelleParienteButterlin. Cf. Erwing Goffman, Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, tr. fr. par L. et C. Lainé, Paris, Editions de Minuit, 1968.

[16] Pour un usage de la différence entre fragilité et vulnérabilité dans une perspective politique, cf. B. Gagnon, « De l’usage de la “fragilité” et de la “vulnérabilité” au sujet de l’inclusion politique des personnes mentalement handicapées », revue Ethica, vol. 20, n°2, 2016, p. 11-36.

[17] Paul Ricœur, « La souffrance n’est pas la douleur », in Souffrance et douleur. Autour de Paul Ricoeur, dir. Claire Marin et Nathalie Zaccaï-Reyners, Paris, PUF, 2013.

[18] E. Feder Kittay, « Beyond Autonomy and Paternalism. The Caring Transparent Self », in Atuonomy and Paternalism. Reflextions on the Theory and Practice of Health Care, éd. T. Nys, Y. Denier et T. Vandevelde, Leuven-Paris_dudley, Peeters, 2007. D. Wikler, « Cognitive Disability, Paternalism, and the Global Burden of Disease », in Cognitive Disability and its Challenge to Moral Philosophy, dir. E. F. Kittay et L. Carlson, Wiley-Blackwell, Malden, Oxford et Chichester, 2010, p. 183-199. Concernant les conséquences de ces risques sur une théorie politique, nous renvoyons aux travaux de M. Garrau, Politiques de la vulnérabilité, Paris, CNRS Editions, 2018.

[19] Le premier cas est également illustré par la notion de « jugement substitutif » (substituted judgment) qui aux Etats-Unis est émis par un « tenant-lieu » (surrogate) de la personne lorsque celle-ci, en raison de  déficience cognitive, est dite « incompétente » pour refuser ou consentir à un traitement médical. Ce jugement consiste à énoncer, par contrefactuel, ce que la personne aurait jugé, voulu ou décidé si elle n’avait pas été atteinte de déficience cognitive. La notion fut forgée par la cours suprême du Massachussetts  dans le cas « Superintendent of Belchertown State School vs. Saikewics ». Elle est discutée par Eva Feder Kittay, car celle-ci, soutenant une conception relationnelle de l’autonomie, argue pour sa part que seule une personne proche du malade, et familière de ses « valeurs et désirs » est habilitée, d’un point de vue éthique, à émettre un tel jugement de substitution. Selon elle, le soignant (caregiver) dans la mesure où il se fait « transparent », c’est-à-dire si ses propres conceptions du bien ne font pas écran, est particulièrement bien placé pour émettre ce jugement (E. Feder Kittay, « Beyond Autonomy and Paternalism. The Caring Transparent Self », in Autonomy and Paternalism. Reflextions on the Theory and Practice of Health Care, éd. T. Nys, Y. Denier et T. Vandevelde, Leuven-Paris_dudley, Peeters, 2007, p. 44).

[20] N. Feil, La validation. Comment aider les grands vieillards désorientés, tr. fr., éd. Lamarre, 2005.

[21] E. Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?, commentaire, traduction et notes par A. Philonenko, Paris, Vrin, 1993 (1959). On a dit que l’éthique de Kant prêtait le flanc à la critique qui fait valoir que la personne ne se définit pas par l’autonomie rationnelle. Mais une telle critique ne nie pas que s’oppose à la pensée délirante une pensée propre, cohérente et ouverte, particulièrement mise en lumière par les maximes du « sens commun » chez Kant (fût-ce à titre de principes régulateurs, comme Kant le dit en esthétique) : penser par soi-même, penser en cohérence avec soi-même et penser en se mettant à la place de tout autre. Nous retenons que la pensée orientée est « par soi-même » au sens où elle procède d’un besoin subjectif et se donne un repère. Qu’il y ait là une loi rationnelle n’est pas le point essentiel de notre argument.

[22] N. Rigaux, « Souffrance et démence », in Souffrance et douleur. Autour de Paul Ricoeur, op. cit., p. 89 et « Autonomie et démence I : pour une conception de l’autonomie dementia-friendly », Gériatrie, Psychologie et neuropsychiatrie du vieillissement, 9, 1, 2011, p. 107-115. S’inspirant des analyses de Marlène Jouan et Sandra Laugier, elle choisit de maintenir le terme d’autonomie comme objet du « souci » dans le care en un sens faible, tel qu’on peut également le trouver sous la plume de Corinne Pelluchon (Eléments pour une éthique de la vulnérabilité, Paris, Cerf, 2011, p. 281-282).

[23] C. Mackenzie et N. Stoljar (éd.), Relational Autonomy. Feminist Perspectives on autonomy, agency and the social order,  New York, University Press, 2000.

[24] Cf. M. Holstein M. et M. Minkler, « Self, society and the ‘new gerontology’ », The Gerontologist, 43 (6), 2003, p. 787-796 ; Martha B. Holstein, Jennifer A. Parks and Mark H. Waymack, Ethics, Aging and Society. The Critical Turn, New York, Springer, 2011, esp. p. 48.

[25] D. Hume, Traité de la nature humaine, II.ii et III.iii.3 (sur l’estime de soi), traduction par Ph. Cléro et Ph. Saltel, Paris, GF, 1991-1993.

[26] É. Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Paris, Poche, 1990. Dans l’éthique de la vulnérabilité, ce point a mené à discuter l’approche de Jonas. Cf. H. Jonas, L’art médicale et la responsabilité humaine, tr. fr.par E. Pommier, Paris, Cerf, 2012 et Le droit de mourir, tr. fr., Paris, Payot, 1996. On trouvera une discussion de ces thèses dans A. Masferrer et E. Garcia-Sanchez, Human Dignity of the Vulnerable in the Age of Rights, AG Switzerland, Springer, 2016. Sur Lévinas, on renverra parmi d’autres études à C. Pelluchon, « Lévinas et l’éthique médicale », Cahiers d’études lévinassiennes, n°9, 2010, p. 239-256.

[27] W. Hesbeen, « Fragilité, vulnérabilité et faiblesse – prendre soin de l’être », in Soin(s), éthique et vieillissement. Du souci de la personne âgée aux enjeux pour la pratique, coord. M. Dupuis, R. Gueibe et W. Hesbeen, Seli Arslan, 2017, p. 15.

[28] P. Molinier, Le travail du care,Paris, La Dispute, 2013. Les éthiciennes du care soulignent constamment que la tâche domestique n’est pas moins un travail, qui mériterait d’ailleurs une place et un mérite reconnus par la justice sociale. Il ne s’agit pas pour autant de confondre aidant et soignant, car le premier peut concevoir sa tâche comme la conséquence d’un attachement familial ou personnel, quand le second répond à un besoin social en se pliant à des normes conventionnelles (lois, règlements intérieurs, etc.).

[29] Pour une explication de la notion d’autorégulation dans la morale humienne, cf. E. Le Jallé, L’autorégulation chez David Hume, Paris, Presses Universitaires de France, 2005.

[30] Joan Tronto voyait dans l’attention donnée à la façon dont le care est reçu un trait essentiel appartenant au care lui-même, sa quatrième phase (Un monde vulnérable, p. 149-150).

[31] Cet article a bénéficié des remarques de Barbara De Negroni, Claude Gautier et Michel Malherbe et des échanges avec les cadres en EHPAD Carine De Meester et Véronique Isoard autour du cas de Mme D. entre 2015 et 2020. Ses insuffisances sont miennes.

2 Comments

  1. Merci de partager ça avec nous! C’est un bon article.

  2. Merci pour ce très bon article!

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

More in:Axiologie

Next Article:

0 %