Théorie critique et poststructuralismeune

Atelier Etats de choc. Théorie critique et poststructuralisme

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Atelier autour de Etats de choc. Bêtise et savoir au XXIème siècle. de Bernard Stiegler

Anne Alombert (IREPH, Université Paris Nanterre) Jean-Baptiste Vuillerod (Sophiapol, Université Paris Nanterre)

Parce que nous commençons à écrire, à écrire autrement, nous devons relire autrement. (…)

Ce qui se donne à penser aujourd’hui ne peut s’écrire selon la ligne et selon le livre, sauf à imiter l’opération qui consisterait à enseigner les mathématiques modernes avec un boulier.

J. Derrida, De la grammatologie.

 

On ne demandera jamais ce que veut dire un livre, signifié ou signifiant, on ne cherchera rien à comprendre dans un livre, on se demandera avec quoi il fonctionne, en connexion de quoi il fait ou non passer des intensités, dans quelles multiplicités il introduit et métamorphose la sienne.  Un livre n’existe que par le dehors et au-dehors.

G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux.

EDCL’objectif d’États de choc. Bêtise et savoir au XXIème siècle, est de réfléchir à la crise politique et universitaire liée aux transformations technologiques actuelles, en renouant le dialogue manqué entre deux traditions philosophiques. Il s’agit de faire communiquer, d’une part, la tradition de la Théorie critique de l’École de Francfort et, d’autre part, la tradition française dite poststructuraliste (Deleuze, Foucault, Derrida, Lyotard, Simondon). Bien qu’il existe aujourd’hui un intérêt pour la pensée poststructuraliste comme pour la Théorie critique, ces deux courants sont rarement confrontés. Ils sont au contraire souvent considérés comme inconciliables, sous prétexte que la Théorie critique s’ancre dans le hégélianisme et le marxisme, que le poststructuralisme aurait quant à lui rejetés. Et pourtant, aussi différentes soient-elles, les réflexions  de Deleuze ou de Derrida et d’Adorno et Horkheimer ont toutes impliqué une mise en question radicale de la conceptualité philosophique traditionnelle, et une tentative pour la dépasser. Que reste-t-il de ce geste critique et subversif aujourd’hui ? Une reprise du débat entre poststructuralisme et Théorie critique ainsi qu’une discussion problématique des auteurs poststructuralistes entre eux peuvent-elle permettre à ce « moment philosophique » de produire des effets féconds pour la pensée contemporaine ?

C’est en tout cas le pari de Bernard Stiegler, qui soutient que ces traditions pourraient s’enrichir mutuellement au lieu de s’opposer. Dans leurs entreprises de déconstruction des présupposés métaphysiques de la philosophie, les pensées de Deleuze, de Foucault, de Derrida, et de Lyotard auraient refoulé certaines questions posées par le hégéliano-marxisme, manquant ainsi de produire la nouvelle critique de l’économie politique que leur geste impliquait cependant. Stiegler parvient à faire dialoguer ces auteurs grâce à la mise au jour de la question de l’extériorisation technique, qui travaille les textes tout en demeurant impensée. Ce geste lui permet de redonner sens aux traditions poststructuralistes et hégéliano-marxistes dans le contexte politique et économique actuel, et d’ouvrir de nouvelles perspectives pour penser les transformations technologiques contemporaines, et leurs enjeux épistémiques et politiques.

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Stiegler propose ainsi d’élaborer une nouvelle critique de l’économie politique, inspirée de la tradition marxiste et francfortoise, et enrichie d’un dialogue avec le poststructuralisme, au sein de laquelle les notions traditionnelles de raison, de sujet et d’histoire se voient profondément transformées. Et pour cause : des deux côtés du Rhin, ces catégories ont été vivement critiquées dans le second XXème siècle. Mais si la « déconstruction » des concepts de raison, de sujet et d’histoire est bien au cœur des réflexions des auteurs critiques ou poststructuralistes, ceux-ci semblent néanmoins, chacun à leur manière, témoigner de la nécessité de ré-envisager ces notions, en les inscrivant dans de nouveaux questionnements. Dans quelle perspective et à partir de quelles catégories est-il alors possible de repenser la rationalité, la subjectivité et l’historicité ? À quels nouveaux problèmes ces questions conduisent-elles aujourd’hui ?

Ce sont des telles interrogations que l’atelier de travail autour d’Etats de choc, qui s’est tenu à l’Université Paris Nanterre en 2016-2017, avait pour but d’explorer : il s’agissait de faire revenir en mémoire les pensées tenues en réserve entre les pages du livre, afin de les confronter aux interprétations stiegleriennes et aux enjeux contemporains. Compte tenu de la diversité et de la complexité des textes sollicités, une lecture collective d’Etats de choc s’est imposée : il nous a semblé nécessaire de rassembler différents chercheurs, doctorants ou étudiants, pour lire et expliquer les textes commentés, afin d’en saisir les principaux enjeux. Nous proposons aujourd’hui de publier chaque mois dans la revue Implications philosophiques les travaux résultant de cet atelier de lecture, ainsi que de nouvelles contributions consacrées à ces questions.

Les textes publiés ici s’orienteront donc autour des deux problématiques mentionnées (dialogue entre Théorie critique et poststructuralisme ainsi que réflexion  sur la transformation des notions de rationalité, de subjectivité et d’historicité), et pourront porter indifféremment sur l’une et/ou l’autre tradition, ainsi que sur les travaux de Stiegler. Ils tenteront d’utiliser ces pensées pour affronter les enjeux épistémiques et politiques soulevés par les transformations technologiques contemporaines. Ces textes auront un caractère volontairement exploratoire : le but n’est pas d’élaborer un savoir absolu, mais de tester des hypothèses, d’ouvrir des pistes de travail – de faire de la lecture d’États de choc un exercice d’écriture.

 

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