Castoriadisune

Création des lois (2)

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[one_half] Ceci est la deuxième partie de l’article de Yann Guillouche Création des lois, lois dans la création, loi(s) de la création

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Les sujets autonomes que nous lègue Castoriadis ne sont pas surhumains, mais plutôt enfin vraiment humains – à plus forte mesure dans la première période de l’autonomie, comme universellement accessible. Ce qui veut dire aussi bien: les sujets hétéronomes ne le sont pas tout à fait. La charge peut sembler mal dirigée: souvenons-nous alors que la différence entre l’animal et l’humain, c’est que l’animal vit dans le monde de la clôture, rompue par l’imagination et l’imaginaire, et que la différence entre le sujet autonome et son congénère hétéronome, c’est que le sujet hétéronome vit dans le monde de la clôture, rompue par la politique comme visée de l’institution comme telle. Si la psyché constitue un pour soi particulier, incommensurable au pour soi du simple vivant, c’est notamment en raison de ce qu’elle est à socialiser.

La brèche

Convenons que la néoténie n’explique pas la socialisation et l’existence d’une société, mais que cette dernière tient à la nature de la monade psychique originaire. Hors l’explication, au sens castoridien, on peut cependant inverser l’hypothèse. Posons un pour soi social animal, un imaginaire « prégradé », puis sa transformation-déformation-création en imaginaire social humain (création vaut: ce sont là de nouvelles déterminations qui sont posées, ni plus ni moins impératives que du temps de l’animal, mais autrement); rien d’inconséquent alors à ce que le pour soi individuel se dégrade tant qu’on obtienne une psyché. L’affaire n’est pas si mauvaise: on n’a pas perdu la création, ni la spécificité humaine, à laquelle participent pleinement nos frères humains, et si l’on garde le thème de la clôture, c’est enfin en tant que signification et non comme invariant anthropologique. La deuxième période de l’autonomie chez Castoriadis permettait sans doute à peu près cela; mais l’autonomie restait plus qu’une signification: pleinement une région de l’être. Ce qui assurait, non quant au monde mais quant à la clôture, à nos « frères à poils et à plumes » la place la moins intéressante dans une ternarisation heideggerienne rejouée, ou plutôt même redupliquée: sans, pauvre ou riche en ouverture.

Une société autonome se doit d’assurer un minimum démocratique: il ne doit plus y avoir entre les groupes qui constituent cette société, c’est-à-dire entre les divers collectifs subjectivants, sachant se saisir d’eux-mêmes et toujours sous le signe (et le risque) d’une politique lucide, trace d’une hiérarchie au sens de Dumont. Aussi, une société autonome doit se saisir comme une société – et pas question, ici, de retour à un quelconque subjectivisme ou à une ‘métaphysique’ de la société: c’est que l’argument ontologique se double d’une réflexion logique: si la société n’était pas une, alors non seulement les individus humains qui la composent ne le seraient pas plus, et pis encore leurs ‘instances’ psychiques (leurs subjectivations) seraient (dans le cas d’une société hétéronome) dans une relation hiérarchique; et si le cas n’est pas nécessairement dirimant si l’on considère une société hétéronome (encore faut-il concevoir ce que cela nous demande de soutenir corrélativement quant à la psyché), un individu autonome serait alors par principe ‘schizophrène’ (quoique le terme soit ici bien faible: il ne s’agit plus d’un indivis mais d’un multivis, vis au sens aussi bien latin).

En s’inquiétant de ces considérations, consolide-t-on véritablement le second terme de la trinité héritée chose-personne-idée? Cette attaque ne perçoit pas que la ligne de front qu’elle aménage se structure autour d’individus humains dotés de ce qu’il faudrait bien appeler des ‘personnalités multiples’. Le combat autour du concept de ‘personne’ ne recoupe pas le pharmakon psychanalytique injecté dans l’égologie de la conscience. Il s’agit de se débarrasser du fantasme du ‘libre-arbitre théologique’, pas d’assécher la Zuiderzee, ni d’assurer notre reconversion au niveau planétaire en garçons de café. La lutte politique ne demande pas notre réforme psychanalytique: elle l’amènera, mais pour ainsi dire en surplus, et au-delà de nos espérances déterminées.

La question politique reste la question de la société, pas la question de nos psychés. Cette dernière est tout entière marquée du risque moderne de l’illimitation, d’où probablement que Castoriadis décida de retourner à la Grèce: il fallait saisir et expliciter ce que peut être un individu autonome, en des termes prédatant la pollution platonicienne. Et en même temps montrer ce qu’était la société athénienne: moyen, en le contournant, de reposer le problème de la délimitation de la société contemporaine. Ce qui fait la Grèce: la signification imaginaire centrale d’autonomie. Et de même pour nous: ce qui fait notre société, c’est le capitalisme, et Castoriadis, à la fin de sa vie, rappelait encore qu’il était internationaliste. Flotte ici un souci: entendu que la Terre n’est plus qu’une société, et que Castoriadis regrettait son uniformité, quelle possibilité de diversité reste-t-il à une planète qui serait tout entière couverte de collectifs autonomes? S’il n’est plus qu’une méta-société autonome, comment comprendre que celle-ci puisse encore ne jamais être que devant la guerre? En ce sens, revenir à Athènes, c’était aussi rêver de ce temps où une signification imaginaire se lovait entre les murs d’une Cité, et où admirer la diversité des coutumes barbares et lacédémoniennes allait sans conséquence et sans inquiétude politiques.

Pis encore: précisément parce que c’est à la société tout entière de se saisir de son imaginaire, et seulement à ce moment pourra-t-elle l’amender sans en souffrir, c’est-à-dire sans souffrir d’un artificialisme totalitarisant, il est à craindre que toute action d’un seul homme qui départirait de la société ne soit que folie. Puisque l’on ne crée guère qu’à 1%, c’est que tous les épisodes malheureux du siècle, et qui en douterait, ne sont qu’expression de l’imaginaire de maîtrise – et si nous y sommes encore, sous cet imaginaire, c’est que notre comportement n’est guère différent de ceux que l’on peut découvrir sous un régime totalitaire. N’est-ce donc alors qu’un hasard que nous soyons sous un régime capitaliste oligarchique et parcellitaire, et non en régime que l’on puisse qualifier, suivant sa valeur faciale, de totalitaire? Gauchet ou Todd ne nous apportent-ils pas quelques éléments de jugement et d’explication, lesquels, pour ensidiques qu’ils sont, devraient être pris en compte?

Si nous ne sommes pas en démocratie, alors à plus forte raison y a-t-il des éléments ensidiques explicatifs, puisque précisément nous vivons, pensons et créons suivant une ontologie héritée et une logique largement ensembliste-identitaire. Encore faut-il noter que s’il est un régime qui permette le conservatisme, c’est peut-être la démocratie castoridienne: tous les autres se figurant en pleine hétéronomie, ils ne sont qu’au risque de l’impensé de l’auto-institution, lequel ne tarde jamais à se faire sentir à nouveau; la démocratie au contraire est sans doute le seul régime dont on puisse, en droit et au niveau d’explication ontologique, espérer qu’elle perdure telle qu’en elle-même, préservant sa signification imaginaire centrale d’autonomie; et dans les faits, elle est bien loin de correspondre au portrait type d’une technocratie bougiste: Castoriadis lui-même restait dans l’entre-deux, rappelant d’un côté qu’un des indices du caractère démocratique d’Athènes (qui ne l’était pas tout à fait) se repérait à repérait à la multiplicité de ses constitutions, tandis qu’il ne concevait pas qu’une société autonome (qui donc le serait tout à fait) doive demander à ses citoyens de se réunir tous les matins pour voter de nouvelles lois, mais que celles ayant cours pourraient le rester « indéfiniment pendant très longtemps« [1].

En un sens, on n’a affaire ici qu’à un truisme: une société autonome ne peut développer un imaginaire qui lui soit étranger – d’ailleurs même si une société, rentrant en contact avec une autre, tente de lui imposer son imaginaire, et si la chose généralement se passe mal, ce n’est pas tant qu’il n’est pas de changement possible de l’imaginaire, mais plutôt que les éléments introduits par la société conquérante ne sont que par leur introduction dans le régime signifiant de l’institution de la société conquise. Pour autant, certaines mutations ne sont pas impossibles, et ce dans des sens qui ne surprennent guère: point n’est besoin de philosophie de l’histoire si pour tenir notre réflexion nous faisons appel à des saveurs impolitiques auxquelles aucun imaginaire ne saurait échapper; alors aussi, il nous faut spécifier quelles sont ces saveurs et comment, si elles structurent l’imaginaire, n’en sont pas nécessairement partie prenante: ainsi il y a des lois causales qui définissent les mouvements de saveurs au niveau impolitique, mais qui sont sans rapport de causation aux significations – et l’on préserve et la création et l’impossibilité du n’importe quoi acausal quant à l’être temporel des significations.

La question de la délimitation de la société pose, à rebours, une autre question, à un autre moment, celui non temps de l’apparition de toute société que du changement de société: quel est le statut ontologique précis d’une création en regard à la société qu’elle réinvente, autrement dit si tout moment d’auto-institution ne vaut pas rupture de la clôture quel est le rapport d’une société autonome à son ensidique? Castoriadis est là plus ambigu qu’il n’y paraît. « Le pour soi veut dire monde propre, source de création d’un monde propre. …rien ne peut entrer dans une psyché singulière qu’à condition d’être métabolisée par elle. Et rien ne peut entrer dans une société, qui ne soit ré-interprété, mais en fait recréé, reconstruit, pour prendre le sens que cette société-là donne à tout ce qui se présente pour elle. Une société, comme une psyché, en première approximation, comme une cellule, comme un organisme vivant, est dans la clôture, au sens algébrique du terme. Un corps algébrique est clos si toute équation qui peut être écrite dans ce corps admet une solution avec des éléments de ce corps.« [2]

Le flottement tient ici à ce que l’on pourrait croire que rompre la clôture veut dire nous défaire du corps algébrique (solution typiquement anarchiste) ou alors créer un corps au sein duquel l’on puisse écrire au moins une équation qui n’admettrait pas de solution ‘en interne’ (solution typiquement postmoderne). La voie de l’autonomie est bien plutôt celle qui consiste à accepter que l’on ne se débarrassera pas de la société, et que celle-ci reste un ‘corps’: simplement, une société autonome qui a pour clôture l’ouverture, un événement continué, seule société pour cette raison à pouvoir se saisir d’elle-même, non ‘en transparence’ mais en pratique. De la dimension instituante: « Tout cela n’est ni nécessaire ni contingent. C’est la façon d’être que créent les humains en société, et chaque fois ex nihilo quant à ce qui importe vraiment, c’est-à-dire la forme ou l’eidos. Mais, bien sûr, jamais in nihilo, ni cum nihilo, car on utilise toujours quelque chose qui était déjà là.« [3]

Quelle est donc cette malédiction qui, dès que s’enclenche une phase d’autonomie, promet l’illimitation, achemine vers Parménide et Platon? L’élément d’illimitation, qui pourrit l’élément imaginaire, n’est pas que le signe de la catastrophe actuelle, de l’infra-débilité de la métaphysique libérale, de la bien malheureuse torsion platonicienne: que cette torsion fut inattendue, elle se répète: crainte de Castoriadis, crainte pour les castoridiens. L’illimitation, prise comme strictement opposée à l’auto-limitation, est plus qu’un malheureux hasard – c’est le spectre, proprement castoridien, non de Marx, mais peut-être de l’impossible dépassement total de l’ontologie héritée: qu’on estime qu’il faut amender plus avant la philosophie, ou bien qu’il faut amender vers l’arrière Castoriadis, il nous appartient de ne pas occulter la nécessité d’une hantologie régressive de l’oeuvre castoridienne.

« Nous ne philosophons pas – nous ne nous occupons pas d’ontologie – pour sauver la révolution, mais pour sauver notre pensée, et notre cohérence.« [4] Qui est ce « nous », pluriel de majesté (que l’on accorderait volontiers au Maître), pluriel de politesse (qui ne nous pousserait qu’à l’admirer plus encore!)? Non. Castoriadis n’avait guère l’habitude de jouer les pudibonds: ce « nous » ne peut être que nous tous, humains, dès lors que nous nous intéressons à la philosophie. Aucun philosophe n’a jamais pratiqué son art que de vouloir préserver sa capacité de pensée: la philosophie est la défense de la pensée, de ce que la pensée se reconnaît comme intrinsèquement sans défense héritée. Sortis de l’ensidique il ne nous reste que la sagesse de la limite, peras dans l’apeiron, auto-limitation dans l’indéterminité. Ce n’est que de le savoir et de le reconnaître que nous avons une chance – ce n’est que de travailler à nous en persuader indéfiniment que nous pouvons éviter d’en venir à le méconnaître. Cultiver le germe de l’autonomie qui, en nous, fait que nous pouvons penser au sens plein, sans quoi, que l’autonomie s’étiole et c’est « notre pensée » qui disparaît et se fait impossible. Platitudes certes, mais non de l’humaine condition: platitudes des conditions du sujet autonome et de la société autonome. Platitudes qui déjà nous dressent contre ce monde, lequel ne se veut pas le nôtre.

Nous ne philosophons pas pour sauver la révolution mais pour sauver notre pensée. Aussi bien, nous supposons la révolution pour comprendre que nous philosophons. Nous supposons la révolution pour comprendre l’hétéronomie. Nous supposons la révolution pour comprendre l’humanité – d’une certaine façon, nous ne pouvons comprendre la dissemblance de l’animal et de l’humain, dans cette régression vers l’imaginaire instituant, que parce que l’humain a fait la Grèce… Nous ne saurions nous interdire d’envisager parmi les déterminations qu’il en existe qui n’agissent pas comme telos irréfragable, mais comme origine, comme source, comme cadre à la vis formandi. De nos conclusions ontologiques lourdes nous pouvons aussi tirer quelques quelques profonds sillons dans l’imaginaire: dans ce sens – que je crois nécessaire de tenir si l’on veut jamais préciser plus avant le statut ontologique de l’autonomie et de l’illimitation – des « lois » anthropologiques ne sont ni une science du politique, ni une philosophie déterministe de l’histoire, mais la reconnaissance de ce que, au rang des conditions qui font toute société, il en est certaines qui les font toutes: l’institution originaire de l’humanité, comme toutes les institutions sociales, pose une infinité de possibles et une infinité d’impossibles: un système ouvert de la création.

L’imaginaire n’est alors pas pleinement déterminé, mais impolitiquement suffisamment quant à la saveur impolitique de l’imaginaire dont il est issu. Les conditions impolitiques ne sont pas reproduites: la création en assure de nouvelles, dont il n’est pas exclu que l’on puisse les expliquer ex post comme conditionnées, quand bien même elles ne sont pas de part en part déterminées. L’institution ne supprime pas toute causation, et si elle ne préserve que de façon néo-darwinienne les limites « naturelles » de ce que peut supporter une société, il n’est pas inconséquent qu’un sujet autonome s’intéresse à ce que pourrait dire de sa société l’anthropologie: si nous ne voulons pas l’autonomie seulement pour elle-même, mais aussi pour en faire quelque chose, il n’est pas a priori exclu que ce désir, sur lequel nous ne devrions pas, en bons lacaniens, céder, soit celui de la préservation d’une société dans laquelle il nous est possible (aussi bien, fourni) d’être autonomes. Quand bien même on prouverait, en étant plus castoridien que ne parvient à se le permettre cet article (mais comment? en indéterminant le socle anthropologique? il n’est pas ici question d’invariants anthropologiques…), l’exclusion a priori de pareil désir, comment diable politiser une société frileuse au possible en lui promettant d’abord le suicide, ensuite l’autonomie?

Par exemple: l’affaire serait entendue, si l’on considérait que l’esclavage grec n’était pas pur hasard dont la démocratie n’aurait pas encore été tout à fait capable de se délester, mais comme signe interne du moment étatique, de l’inscription dans le monde II de Testart[5]. Qu’il puisse y avoir isonomia et esclavage, contemporains et concommitants, pourrait alors être à interpréter comme une saveur étatique de l’imaginaire grec: une saveur qu’il faudrait relier à un type particulier de prégnance religieuse. La « sortie de la religion » avec les modernes, et dont il n’est pas si compliqué de toiser les signes avant-coureurs dès le XI° siècle (ce à quoi s’emploie d’ailleurs Gauchet, mais dans une tout autre optique), est bien un changement de saveur, une modification de la structure impolitique: non qu’il soit absolument impossible que les modernes réinventent une sorte d’esclavage « Canada dry », mais que précisément cet esclavage soit, du point de l’impolitique, et donc de l’ontologie, de la structure objectale de certaines relations sociales, ce que la chauve-souris est au geai: certes tous deux sont pourvus d’ailes, lesquelles ont une « fonction » semblable sinon identique, pour autant la chauve-souris n’est pas un oiseau.

Cette saveur, et cette analogie darwinisante, ne sont pas nécessairement à prendre de manière si éloignée: Castoriadis semble ne pas s’être particulièrement intéressé aux mutations signifiantes qu’a connues la théorie de l’évolution – et d’ailleurs la comparaison néodarwinienne ne semblait pas devoir déclencher chez lui un urticaire atroce. Ce serait par un abus caractérisé de langage qu’un biologiste aujourd’hui soutiendrait qu’un chien n’est jamais que la recomposition d’une amibe; et le temps des métaphores à base d’arbre de l’évolution a passé. Les mécanismes évolutifs ne sont plus guère perçus comme la loi de la jungle que soutenait pour son compte le darwinisme social. Aussi, qu’il y ait une dimension impolitique de l’imaginaire qui satisfasse à quelques « lois », telles qu’à les énoncer rien de l’impolitique ne soit impossible à décrire ex post, voilà qui pourrait ne pas tant choquer.

Ne confondons pas cependant: le « il n’y a d’histoire que des vérités« [6] badiousien n’est pas à la Création castoridienne ce que les taxonomies diverses (par principe infinies mais d’un infini dénombrable, à chaque instant et en fonction du saut spécié) sont à la théorie de l’évolution, c’est-à-dire un tableau pointilliste inscrit dans un cadre écosystémique quasi-fermé, et selon des espèces dont la définition tient plus de l’utilité onomastique et de la facilité pour l’intellect que du saut ontologique. « Il n’y a d’histoire que de l’éternel« [7], et la dimension imaginaire crée des configurations imaginaires chaque fois imputrescibles, quoi qu’il en soit par ailleurs de la difficulté pour ainsi dire insurmontable qu’il y aurait à les ressusciter (à les ‘résurrectionner’).

Ce qu’un castoridien peut vouloir chercher à corriger à la vision badiousienne, c’est encore son tropisme ensidique. Ou plutôt, le nécessitarisme progressiste qui se love dans son moment le moins ensidique: le générique. Il y a institution, et par là création, sans autonomie; il y a de l’institution qui ne va pas dans le sens de l’autonomie. Ce que la vision badiousienne doit faire résoner chez le castoridien, c’est la question de la résurrection – pour nous, alors, cette question de la résurrection de l’autonomie; laissons pour un temps le problème collatéral de la résurrection de l’illimitation (qui d’ailleurs pourrait nous affermir dans notre détermination à ensidiser la question), qui ne sait que suivre celle de l’autolimitation.

S’il n’y a pas résurrection d’absolument n’importe quoi, c’est que l’élément qui resurgit doit avoir un caractère ontologique précis, au moins partiellement ensidiquement pertinent. Et s’il y a des résurrections en dehors de celle de l’autonomie, c’est qu’il est cohérent d’interroger l’existence, sinon d’invariants anthropologiques, du moins d’invariants dans le possible anthropologique – on ne s’en tirera pas si facilement en parlant de signification: l’humanité a si souvent créé des dieux et des Etats que tirer un trait sur ce fait adjoint à l’outrecuidance la malhonnêteté. Que la signification pour nous de l’Etat ne soit pas celle qu’elle pouvait être pour un Aztèque ou un Egyptien n’est pas un argument: même Gauchet, se basant sur une ligne unique de transformation anthropologique, parvient à l’expliquer. A fortiori si l’on voulait l’imaginaire comme formation psychique défensive, quasi-instance surmoïque: plus petit commun dénominateur à l’ensidisable du collectif anonyme?

Aussi bien, donc: il est des possibles ontologiques dans certaines conditions méta/ontologiques[8] (des possibles dont la création et la résurrection dépendent de ces conditions) – au moins l’Etat, au sens classique qui n’est plus le nôtre; et il est des possibles méta/onto-logiques, autolimitation et illimitation, que l’on peut alors brièvement décrire comme en rapport à la ‘réflexivité’ ou l’autoréflexivité du transcendantal (au sens badiousien), possibles dont la création et la résurrection ne ‘dépendent’ pas des conditions méta/ontologiques locales ou régionales, en tant qu’elles s’y insèrent, s’y fondent, les sur-écrivent (la question étant de savoir jusqu’à quel point, c’est-à-dire non pas si elles peuvent les ‘vider’ – par principe dénué de sens pour l’autonomie, quant à l’illimitation on sait qu’elle ne se fait que rongeant les réserves anthropologiques – mais si elles peuvent les faire basculer lucidement, aller jusqu’à viser un autre régime méta/ontologique). On parvient alors, pour ce qui concerne l’autonomie, à allier les deux conceptions que soutint Castoriadis: ‘germe’ ou ‘Idée’, née en Grèce, donnée au monde dans son entier, et tout à la fois inscrite à jamais dans un cercle que l’on ne saurait pratiquer qu’en société.

Yann Guillouche – Paris IV


[1]    C. Castoriadis, in Réinventer l’autonomie, loc. cit., p.286

[2]    FF, p.104

[3]    Ibid., pp.103-104

[4]    FF, p.10

[5]    Par exemple, Alain Testart, Eléments de classification des sociétés, 2005, Edtions Errance

[6]    Dans les termes de Q. Meillassoux, « Histoire et événement chez Alain Badiou », Intervention au séminaire « Marx au XXI° siècle: l’esprit et la lettre », 2 février 2008, http://www.marxau21.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=83:histoire-et-evenement-chez-alain-badiou&catid=39:badiou-alain&Itemid=62

[7]    Id.

[8]    En pensant à Badiou et au caractère « mixte » des mathématiques selon Castoriadis, je m’inspire ici très librement de la théorisation par Jacques Bidet du concept de méta/structure.

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