Miner la confiance
Miner la confiance en l’adversaire : la controverse Allègre-Foucart sur le réchauffement climatique.
Frank Smith – enseignant en classe de Terminale, docteur de l’Université Paris VII en épistémologie ( Les enjeux politiques de la vulgarisation scientifique, sous la direction de M. Dominique Lecourt ).
Cet article a été publié dans le dossier 2014 – la confiance.
Vous pouvez retrouver l’ensemble des contributions du dossier
L’objet de cet article est de montrer au travers de la querelle autour du climato-scepticisme comment dans des cas de désaccord entre experts, la question de la défiance s’est substituée à celle de la confiance : les auteurs de thèses incompatibles ont pour stratégie de jeter la suspicion sur l’adversaire afin de provoquer l’adhésion à leur propre position. Pour cela on s’efforcera de montrer au travers de la polémique entre Claude Allègre et Stéphane Foucart que les protagonistes essaient d’emporter l’adhésion par des arguments qui ne sont plus tant scientifiques que rhétoriques. On verra que si la situation du profane confronté à deux paroles expertes opposées est formellement la même que lorsqu’il s’agit de trancher entre deux théories scientifiques, les procédures habituelles pour trancher ne fonctionnent plus. On montrera dans une seconde partie comment la stratégie pour emporter l’adhésion sera alors différente. Les auteurs de thèses opposées agissent comme si celles-ci étaient contradictoires c’est-à-dire comme si la négation de l’une entraînait l’adhésion à l’autre. Dès lors, leur stratégie consistera non plus tant à susciter la confiance en soi qu’à détruire celle en l’autre. L’argumentation ad rem devient alors ad hominem voire ad auditores. Dans une troisième partie, on verra que cette forme de méfiance n’est pas conforme à celle qui prévaut en science.
I Le problème de la confiance en l’expert
1) L’expert
Un expert est un spécialiste reconnu dans son domaine. Il intervient ailleurs que dans son espace professionnel – notamment dans l’espace public – pour fournir un avis qui aide son mandataire à prendre une décision fondée. Comme des experts peuvent arriver à des conclusions différentes[1] il est important de savoir à quel expert accorder sa confiance. S’il s’agit d’une expertise scientifique, il peut apparaître opportun de regarder comment, en science, s’effectue pareil choix.
2) Comment trancher entre deux théories en sciences
En science, il est courant qu’il faille trancher entre deux théories (héliocentrisme ou géocentrisme, fixisme ou évolution, etc.). On pourrait croire que les faits imposent l’une plutôt que l’autre. Cette réponse est naïve. D’abord parce que les faits eux-mêmes sont construits. Si je vois un phénomène dans mon télescope, je ne peux en conclure à l’effectivité dudit phénomène qu’à la condition d’accepter les lois de l’optique. On peut même aller plus loin et dire que les faits ne relèvent que de la probabilité.[2] Gould définit un fait comme le moment où il devient déraisonnable de continuer à douter : « En science, « fait » ne peut signifier que « confirmé à un degré tel qu’il serait pervers de refuser d’y souscrire provisoirement ». »[3] Enfin, une théorie ne s’impose pas d’elle-même parce qu’on peut, au prix d’hypothèses ad hoc défendre à peu près n’importe laquelle.[4] Une théorie fait l’objet d’un choix. Kuhn a proposé d’expliquer ce choix par des valeurs[5] : exactitude (conformité des prédictions avec les faits observés), cohérence (absence de contradiction interne et absence de contradiction externe avec les théories acceptées), envergure ou portée, simplicité et fécondité. Pour sa part Radnitzky a proposé d’appliquer à la science la perspective économique des rapports coûts / bénéfices.[6] Un scientifique abandonnera une théorie lorsque sa défense entraîne un coût prohibitif. On peut invoquer une multiplicité d’hypothèses pour soutenir une théorie mais vient un moment où son degré de probabilité est tel que l’acceptation desdites hypothèses apparaîtra comme un sacrifice impossible à consentir : celles-ci seront trop nombreuses, apparaîtront trop farfelues pour perdurer. On voit ainsi que la science relève du probable.[7]
3) Insuffisance pratique et différence expertise / science
Les principaux éléments suscitant la confiance sont le statut de l’interlocuteur et la possibilité de vérifier. En science, on parlera de la reconnaissance par les pairs et de la reproductibilité des expériences. On voit que cette » confiance » n’est pas gratuite : elle est motivée. C’est d’ailleurs pourquoi, on ne devrait pas parler de confiance (qui se donne et ne se mérite pas) mais de méfiance comme le fait Merton qui caractérise la science par le scepticisme organisé.[8] Mais, pour le grand public, ces garanties sont plus théoriques que pratiques. Vu le haut niveau de technicité de la science contemporaine ainsi que son coût, il est exclu de refaire les expériences.[9] Quant à la reconnaissance par les pairs, il est aussi extrêmement difficile au grand-public de juger puisque des scientifiques ayant des titres équivalents sont en désaccord. Jean Jouzel et Claude Allègre ont tous deux reçu la plus haute distinction scientifique française : la médaille d’or du CNRS. Comment juger : le prix Vetlesen du premier vaut-il autant que le prix Crafoord du second ? Resterait le nombre. Le fait qu’un avis soit partagé dans le milieu scientifique est-il un bon critère ? Notons d’abord qu’il s’agit là d’une transposition à l’intérieur de la sphère scientifique d’un débat qui fut d’abord un débat politique. Contre l’aristocratisme platonicien, Aristote considérait que même si ceux qui la composaient étaient, pris individuellement, de moindre valeur que l’homme le plus sage, la « masse nombreuse décide mieux que n’importe quel individu. »[10] Car si la multitude est mauvaise en matière d’action (elle tire à hue et à dia), elle est excellente en matière de délibération puisqu’elle garantit une plus grande diversité des points de vue. Mais ce qui chez Aristote valait dans le domaine de l’action où il faut délibérer ne valait pas en science puisque l’« on ne délibère jamais des choses qui ne peuvent être autrement qu’elles ne sont »[11]. Puis le débat a porté sur la valeur d’une pluralité d’opinions pour parvenir à la vérité. Bayle considère qu’une opinion partagée n’est en fait pensée que par un petit nombre qui impose ses convictions par son talent rhétorique. Bref, la majorité croit plutôt que de penser, c’est pourquoi « il nous est fort permis de compter pour rien les suffrages d’une infinité de gens crédules et superstitieux et d’acquiescer plutôt aux raisons d’un petit nombre de philosophes ».[12] L’idée contraire est extrêmement marginale. On trouve cependant une idée proche chez certains défenseurs du sens commun comme Boudon.[13] Chez ce dernier, en matière de sociologie, l’opinion publique juge plus sainement avec son bon sens que les intellectuels dont le relativisme ou l’anti-libéralisme relèvent d’arguties dommageables. Enfin, au sein de la communauté scientifique, l’opposition est entre les partisans du consensus comme Jouzel pour qui une théorie n’a de valeur que lorsqu’elle est acceptée par la communauté scientifique, et ceux qui, comme Allègre, procèdent à ce que Marianne Doury a nommé « l’appel à Galilée »[14] : se présenter comme des marginaux ayant raison contre la science établie. On pourra résumer la situation par le tableau suivant :
\ Domaine |
PréséancePolitiqueScientifique vs opinion Intra-scientifiqueSupériorité de l’unPlatonBayleAllègre (Galilée)Supériorité du nombreAristoteBoudonJouzel (consensus)
On le voit : si le statut et la reproductibilité sont de peu de secours, le nombre n’est guère plus utile. Il est donc de fait impossible pour le public de procéder comme en science. Mais une autre raison institue une impossibilité de droit. L’expert diffère du chercheur, il est, pour reprendre une expression de Roqueplo, situé « entre savoir et décision ». Plus proche des décideurs que le chercheur, sa pratique en est inévitablement affectée et il est amené à prendre en compte des considérations extra-scientifiques. Roqueplo définit l’expertise comme l’« expression d’une connaissance formulée en réponse à la demande de ceux qui ont une décision à prendre et en sachant que cette réponse est destinée à être intégrée au processus de décision ».[15] Cette intégration a deux conséquences : l’interrogation à laquelle est soumis l’expert n’est pas scientifique (son interlocuteur ne l’est pas et posera des questions qui excèdent les limites du savoir) ; la neutralité sur des questions lourdes comme le nucléaire, les OGM ou le réchauffement climatique est chimérique. Ajoutons que la confiance en l’expertise n’est indifférente ni au milieu d’où vient la parole experte, ni au sujet considéré. Ainsi, parce que l’opinion publique se méfie du nucléaire[16] mais aussi parce que l’image des scientifiques est biaisée, un expert défendant le nucléaire sera perçu différemment de l’expert écologiste. Cependant, si les organisations écologistes ont voulu acquérir une compétence d’expertise, cela montre que l’activisme militant ne suffit pas et qu’il faut y joindre la preuve d’une capacité d’expertise pour être crédible.[17]
II La disqualification
Puisqu’il n’est plus possible de procéder conventionnellement, les querelles entre experts vont se résoudre autrement : par la disqualification de l’autre. C’est ce qu’illustre l’exemple du climato-scepticisme. En 2010, Claude Allègre publiait L’imposture climatique, où il dénonçait « le mythe du réchauffement climatique ». Ce livre était immédiatement suivi d’un ouvrage intitulé Le populisme climatique – Claude Allègre et Cie, enquête sur les ennemis de la science de Stéphane Foucart, journaliste scientifique au Monde. Dans la polémique entre Allègre et Foucart, les protagonistes essaient d’emporter l’adhésion par des arguments qui ne sont plus tant scientifiques que rhétoriques. Ils vont remettre en question la compétence mais aussi l’honnêteté et les qualités morales de leur(s) opposant(s) dans une véritable entreprise de disqualification qui les mènera à dénoncer rien moins que du totalitarisme.
1) L’incompétence
Un expert est par définition compétent. On pourrait s’attendre à ce que ce soit cette question qui soit le principal enjeu du débat. Mais les différents protagonistes protestent assez faiblement de leur compétence propre ; ils passent plus de temps à remettre en question celle de l’autre. Dans les deux cas, les auteurs usent des mêmes stratégies : faire état a) de la non-appartenance de l’adversaire au domaine considéré ; b) de la faible reconnaissance de ses travaux ; c) de ses erreurs passées. En ce qui les concerne, le critère a) est tu ou déclaré non-pertinent, b) et c) sont niés ou tus.
a) Le géochimiste Allègre se présente comme un « connaisseur intéressé »[18] et justifie sa légitimité à intervenir dans le débat à double titre. D’abord car le débat relève, au moins partiellement, de sa compétence : « la géochimie est l’un des éléments clés pour comprendre le climat ».[19] D’autre part, parce que tout scientifique peut légitimement intervenir :
« La science est segmentée en grandes divisions historiques : mathématiques, physique, chimie, etc. Les géosciences constituent l’une de ces divisions. A l’intérieur de cette division, il y a des spécialités, dont la géochimie, la géophysique, l’océanographie, la météorologie, la climatologie. Ces spécialités ne sont pas étanches : il y a un fond commun de méthodes et de raisonnements. »[20]
De fait, historiquement ce ne sont pas toujours des spécialistes qui ont le plus fait avancer une discipline : ainsi le mathématicien Mandelbrot a apporté des contributions considérables en physique et en biologie ; le physicien Schrödinger a contribué à une nouvelle approche de la vie, etc. Allègre peut ainsi affirmer avoir « acquis une expertise solide dans l’étude et la modélisation des phénomènes naturels complexes »[21] et délégitimer le recours à la spécialité comme relevant de la pure éristique :
« Cette accusation de ne pas être un » spécialiste » ne vient pas des scientifiques eux-mêmes. Ce sont la plupart du temps des » écolos » militants qui disent cela, eux qui sont en général parfaitement ignorants – pour être poli – de la science, de son contenu, de ses méthodes, de ses pratiques. Tout cela fait partie d’une méthode générale odieuse, utilisée aussi bien par les Verts que par quelques scientifiques ultras : par tous les moyens disqualifier l’adversaire. »[22]
Mais ceci ne l’empêche pas de taxer ses opposants d’incompétence parce qu’ils ne sont pas dans leur domaine. Ainsi il présente Mann comme « un physicien, qui ne connaît rien aux sciences naturelles » [23] et se dit « horrifié par (…) l’incompétence de Mann et Jones ».[24] Il est piquant de voir Allègre qui va jusqu’à remettre en question leur statut de scientifique[25] utiliser la méthode qu’il dénonçait comme odieuse une page auparavant…
La même stratégie apparaît chez Foucart. Journaliste ne pouvant arguer de sa propre compétence face à celle du scientifique, il procède plutôt par procuration et met en avant celle des autres comme André Berger qualifié d’« incontournable personnalité des sciences de la Terre »[26] ou encore Georg Kaser présenté comme un « vrai scientifique ».[27] Mais l’essentiel du livre consiste en un travail de délégitimation. Ainsi présente-t-il Allègre et son collègue Vincent Courtillot comme « deux scientifiques, seuls ou presque, et peu familiers des sciences du climat. »[28] A l’inverse jamais Foucart ne rappelle que Mann est d’abord un physicien – et donc a priori incompétent en la matière, alors qu’il observe que les climato-sceptiques Willie Soon et Sallie Baliunas sont « très loin de l’astrophysique, leur domaine de compétence ». [29] Les anathèmes sont sélectifs. Cette rhétorique mène parfois à des acrobaties proches de la contradiction. Ainsi Foucart présente Courtillot comme discourant « d’un sujet [qu’il] ne maîtrise pas » [30] et affirme simultanément que « le numéro est si bien ficelé et le personnage principal si convaincant qu’il est à peu près impossible, pour un public non spécialiste, même scientifique, d’y assister sans en sortir profondément ébranlé ».[31] Pour quelqu’un d’incompétent, Courtillot mime bien la compétence !
b) La deuxième stratégie renvoie à la dimension intersubjective de la science. Allègre fait état de l’index de citations de ses contradicteurs pour les dénigrer :
« Il est frappant de relever que l’ensemble des membres du premier GIEC ont à l’époque un index de citations réellement faible, et sont des scientifiques tout à fait moyens. (…) Sans doute, au bout de vingt ans, finissent-ils tous par avoir à la longue un index de citations bien rempli, car ils ont conquis les comités de lecture des revues scientifiques et se sont cités les uns les autres à tour de bras. Mais il ne faut pas être dupe. »[32]
L’argument est rendu infalsifiable par l’artifice suivant : si l’index de citations des scientifiques est faible, cela prouve leur médiocrité mais s’il est élevé cela ne prouve pas leur valeur mais leur conspiration.
On retrouve à peu près la même stratégie chez Foucart. Celui-ci disqualifie les travaux des climato-sceptiques en vertu de leur non-publication.[33] Lorsque cet argument ne peut être invoqué, il leur dénie toute valeur en fonction de leur faible reprise.[34] De ce point de vue Foucart mobilise le facteur d’impact de la revue, c’est-à-dire le nombre de reprises des articles de la revue et non celui de l’article en question :
« Dans les médias grand public où il intervient, Vincent Courtillot n’hésite pas à déclarer que son équipe et lui publient dans les plus grandes revues internationales. JASTP est-elle une des plus grandes revues scientifiques internationales ? Son facteur d’impact – reflet du nombre moyen de citations obtenues par les articles qui y sont publiées – est d’environ 1,6. Si on le compare avec les facteurs d’impact de journaux scientifiques comme Nature (34,5 en 2009), de Science (29,8 en 2009) ou d’EPSL (4,1 en 2009), on comprend sans être un fin connaisseur de l’univers des revues savantes que JASTP est plutôt une revue de deuxième voire de troisième zone. » [35]
Notons d’abord qu’il est problématique de comparer le facteur d’impact d’une revue spécialisée comme JASTP et celui d’une revue généraliste comme Nature. Ensuite, inférer la qualité de l’article de la qualité de la revue paraît discutable : nombreux sont les articles importants qui ont été publiés sans bruit.[36] Enfin, lorsqu’il n’est possible ni de dénier une publication dans une revue prestigieuse ni des citations, Foucart use de deux autres stratégies. La première consiste, comme Allègre, à dénoncer les autocitations[37]; la seconde consiste à remettre en cause la pertinence du critère de publication :
« Comment les » études » climatiques des géologues de l’IPGP ont-elles pu passer le filtre de la revue par les pairs ? Comment ont-elles pu être publiées ? (…) Le mécanisme de la revue par les pairs peut être, parfois, défaillant. (…) L’activité d’un scientifique tend de plus en plus à être mesurée au nombre de publications qu’il signe dans des revues internationales et de moins en moins à sa créativité, à sa réflexion ou aux risques qu’il prend à investir du temps et de l’énergie dans des voies non défrichées dont il ne sait à l’avance si elles ouvriront pour lui la porte à des découvertes importantes. Poussés à produire plus, les chercheurs produisent moins bien. Et, dans cette course à la quantité, la qualité tend mécaniquement à la baisse. »[38]
Là encore, l’argument est infalsifiable : si les climato-sceptiques ne publient pas, c’est qu’ils produisent des travaux sans valeur et s’ils publient, cela prouve la médiocrité des revues. On voit que le critère évolue tactiquement afin de ne jamais s’appliquer aux adversaires.
c) Le dernier moyen utilisé consiste à rappeler les erreurs que l’adversaire a déjà commises. Allègre rappelle ainsi que « Stephen Schneider et James Hansen, (…) seront successivement les alarmistes du global cooling puis du global warming… »[39] C’est une double délégitimation. La première repose sur le changement d’opinion des scientifiques qui prouve que leur opinion présente est douteuse[40] ; la seconde repose sur leurs erreurs passées pour montrer leur faible crédibilité.
C’est par la même technique que Foucart ouvre son livre en rappelant les positions d’Allègre quant à l’éruption de la Soufrière et au désamiantage de Jussieu.[41] Foucart utilise cet argument également pour discréditer les revues où publient les climato-sceptiques. Ainsi JASTP est « une revue dont le comité éditorial a par exemple invité comme éditeur, en décembre 2009, Christine Amory-Mazaudier, une chercheuse française du CNRS également connue pour avoir été présidente de l’Association des chevaliers du Vajra Triomphant, véhicule officiel de l’ « aumisme », la « religion » fondée par le « messie cosmoplanétaire » Gilbert Bourdin. A la mort de ce dernier, en 1998, c’est en effet elle qui a pris la tête du mouvement « aumiste », dont la ville sainte n’est autre que le célèbre Mandarom, sis non loin de Castellane… On peut toujours penser que l’affrontement de lémuriens venus de la planète Vénus – activité à laquelle s’adonnait régulièrement et avec dévotion Gilbert Bourdin – n’est pas incompatible avec la pratique normale de la science. On peut aussi penser qu’il peut y avoir – comme à Climate Research en 2003 – quelque chose qui semble ne pas fonctionner idéalement à JASTP. »[42] L’ironie est facile mais l’argument sous-jacent est problématique. Il consiste à dire que la croyance « aumiste » d’Amory-Mazaudier la disqualifie et que tout journal la publiant est disqualifié. Les exercices numérologiques de Kepler ; la croyance de Gödel en l’existence de fantômes, de Newton en l’alchimie… rendent-ils la totalité de leur travail peu crédible ?
La question de la compétence (ou de l’incompétence) semble plus rhétorique que pertinente. En effet, d’une part, la compétence pose un problème quasi-insoluble : il faut être compétent pour juger de la compétence de quelqu’un. Et d’autre part, la question du climat portant sur de multiples aspects, il serait paradoxal que seuls des spécialistes au champ de compétence par définition étroit puissent traiter d’un sujet aussi vaste. La rhétorique de l’incompétence exclut alors qu’en la matière il conviendrait plutôt de collaborer.
2) La malhonnêteté
Il ne suffit pas qu’un expert soit compétent, encore faut-il qu’il soit honnête. Or plusieurs raisons peuvent le pousser à la malhonnêteté. La plus évidente est le conflit d’intérêts : un chercheur est financé par une entreprise qui ne veut pas que certaines vérités se sachent. Mais ce n’est pas tout. Les chercheurs se livrent à une compétition pour obtenir des crédits. Cette concurrence pour la reconnaissance et le financement[43] entraîne une baisse de la qualité et mimétisme (on valorise des recherches profitables à court terme plutôt qu’une recherche d’envergure) voire la fraude. En outre, ce système de la compétition pour les crédits accroît l’emprise du politique sur la science. « Le pouvoir politique encadre ainsi, par budget interposé, la recherche publique. »[44] Un expert peut enfin avoir une vue biaisée par l’idéologie. On trouve donc quatre sources à la malhonnêteté : la collusion ; la nécessité de trouver un bailleur de fonds voire la volonté orgueilleuse de publier pour exister, l’idéologie.
Une cause de malhonnêteté est le conflit d’intérêts. Dans ce cadre, le couple méfiance / confiance est décliné sous le mode du secret ou de la transparence.[45] C’est cet idéal de transparence dont relève l’exigence d’indépendance. De nombreux organismes ont ainsi inclus le terme « indépendant » dans leur appellation.[46] Cette exigence de transparence peut être entendue en un triple sens[47] : faire disparaître toute trace socio-historique de la construction des résultats scientifiques ; demander que les comptes rendus scientifiques soient accessibles à tous ; énoncer tous les présupposés théoriques, les appareillages méthodologiques, etc. Or ces exigences sont difficilement réalisables. Dès lors, « il [n’est] donc pas possible de faire l’économie d’une relation de confiance envers la communauté scientifique, même s’il ne s’agit pas d’une confiance accordée aveuglément. D’où peut venir cette confiance ? Essentiellement, de l’assurance que recherches et expertises ont été conduites selon des règles de méthode et de procédures ajustées, rigoureuses et respectées. »[48] Dénoncer l’opacité est une forme de contestation qui porte sur la scientificité de l’analyse en question. La légitimation scientifique est ainsi contestée au nom de la science, par peur de manipulation, de servir des intérêts particuliers. Cette dernière crainte est celle à laquelle public et media sont le plus sensibles. Nathalie Fontrel, journaliste à Radio-France admettait ainsi que « c’est vrai aussi qu’au sein d’une rédaction, quand vous arrivez en disant » J’ai un communiqué officiel qui dit qu’il y a des wagons contaminés, qu’il y a un problème de ‘propreté nucléaire’, etc. « , on vous regarde en disant » c’est qui ? – Ah, c’est la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires, organisme officiel « , on est moins bien accueilli que quand on arrive avec un communiqué de Greenpeace ou une étude de la CRIIRAD. »[49] De même, le public a davantage confiance en ceux qu’il estime honnêtes qu’en ceux qu’il estime compétents. Dans le domaine nucléaire l’IRSN[50] a organisé en 2005 une enquête dans laquelle les deux questions suivantes étaient posées : 1) dans le domaine de l’industrie et de l’énergie nucléaire, pensez-vous que les intervenants et les organismes suivants soient techniquement compétents ? 2) Les sources d’informations suivantes vous disent-elles la vérité sur le nucléaire ? Le graphique suivant fait apparaître en ordonnée l’appréciation publique de l’honnêteté des sources d’information et en abscisse l’appréciation de leur compétence.
Le CNRS (science fondamentale) et les experts internationaux (dont on suppose qu’ils n’ont pas d’intérêts dans le nucléaire français) sont crédités de la compétence et de l’honnêteté. Les organismes d’Etat ou privés peu techniques ne sont crédités ni de l’une ni de l’autre tout comme les journalistes auquel le public préfère les scientifiques.[51] On voit surtout que les organismes d’Etat liés au nucléaire sont estimés compétents mais ne sont pas crus ; les associations sont jugées honnêtes mais peu compétentes. Puisqu’une association comme Greenpeace est préférée à un organisme comme la DSIN, c’est que dans la quête de confiance, l’honnêteté (perçue) prime sur la compétence (supposée). Cette prééminence de la valeur morale qu’est l’honnêteté sur la valeur strictement épistémique qu’est la compétence témoigne que la peur du mensonge l’emporte sur celle de l’erreur.[52] Sensibles à ce problème, treize grandes revues (dont The Lancet et le Journal of the American Medical Association) ont publié le 13 septembre 2001 un manifeste commun pour durcir leurs règles de publication : les chercheurs doivent signer une déclaration indiquant d’où proviennent leurs crédits et tout lien personnel ou familial pouvant être source de conflit d’intérêts.
Est-ce parce qu’ils savent le public sensible à cette thématique que les auteurs préfèrent accuser l’adversaire de malhonnêteté plus que d’incompétence ? Il est difficile de répondre mais force est de constater que c’est sur l’honnêteté que les différents auteurs s’attardent le plus.
a) Allègre accuse les tenants du réchauffement climatique d’en profiter pour s’enrichir. Même si cette accusation vise d’abord des hommes politiques comme Al Gore et Maurice Strong qualifiés de « champions du » fric climatique » »[53], elle n’épargne pas les scientifiques accusés de « cherche[r] par tous les moyens honneurs, argent et reconnaissance »[54] et de participer à un « éco-business (…) florissant ».[55] A l’inverse, Allègre s’exempte de ces reproches en claironnant que s’il gêne, c’est « parce [qu’il] ne demande pas d’argent. Parce [qu’il n’a] aucun intérêt dans cette affaire. »[56] De plus, il dénonce comme dénigrement et marginalisation mafieuse le recours à de telles accusations quand elles visent des climato-sceptiques [57] alors qu’il ne manque pas de rappeler que Jouzel est lié à l’industrie nucléaire.[58]
On trouve la même charge chez Foucart qui n’est pas avare d’accusations de ce type. L’introduction présente le livre comme l’histoire « d’intérêts industriels contrariés et des efforts faits par plusieurs entreprises pour discréditer la science, socle de possibles décisions politiques dommageables à leur chiffre d’affaire. »[59] On le voit utiliser des formulations analogues à celles d’Allègre pour dénoncer « des intérêts puissants peu soucieux de vérité scientifique »[60] et un « « business du déni climatique (…) bien financé. »[61] Même lorsqu’aucun conflit d’intérêts n’est avéré, il jette le doute sur la probité des climato-sceptiques :
« En France, aucun lien financier n’a été mis en évidence entre des scientifiques climato-sceptiques et les industries liées à l’exploitation des ressources fossiles. Bien sûr, l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) entretient de longue date des liens avec des industriels comme Total ou encore la multinationale de services pétroliers Schlumberger, qui contribuent au financement de certains programmes de recherche. Mais il serait trompeur de réduire l’engagement de certains géologues français à un lien de subordination financier. Aucune information suggérant des rémunérations personnelles n’a jamais été révélée. »[62]
Avec cette formulation ambiguë, Foucart nous fait admirer son art de la prétérition. En effet, tout en disant qu’aucun lien financier n’a jamais été révélé – et non qu’il n’en existe aucun – Foucart ajoute qu’il « serait trompeur de réduire l’engagement de certains géologues français à un lien de subordination financier ». En utilisant le terme « réduire », Foucart suggère que ce lien existe mais qu’il y a aussi d’autres motivations. De même, lorsqu’il écrit qu’« il serait inexact de penser que les chercheurs qui contestent le consensus scientifique sur le changement climatique sont nécessairement malhonnêtes » [63], si ce n’est pas ce qu’il dit, Foucart sait bien que l’adverbe « nécessairement » laisse entendre qu’il y a malhonnêteté mais simplement que celle-ci n’est pas nécessaire. Et s’il est décidément impossible d’incriminer quelqu’un, Foucart jette l’opprobre sur son entourage.[64]
Cette accusation pose deux problèmes. D’abord on pourra objecter qu’il est illusoire de croire en l’autonomie de la science.[65] Celle-ci a toujours nécessité temps et argent et été confrontée à l’alternative suivante : n’être pratiquée que par de riches oisifs ou financée par des fonds publics ou privés (qu’il s’agisse de mécénat ou de recherche appliquée). Même lorsque ses financiers n’en tirent pas de bénéfices immédiats, ils y éprouvent un intérêt. Ce peut être la gloire[66] ou un bénéfice retiré des recherches fondamentales.[67] De même on ne pourra empêcher un scientifique d’adhérer à une idéologie. On le voit : la science n’a jamais été séparée de notre société ce qui ne l’a pas empêchée de poursuivre son avancée. Le deuxième problème est la conséquence du premier : tout scientifique a un lien avec une entreprise intéressée à l’affaire car il appartient à un laboratoire de recherche, une université, une entreprise… qui a reçu un financement ou a été dirigé(e) par quelqu’un d’impliqué. Précisément parce que ce doute peut s’appliquer à tous, il n’a pas grande valeur.
b) Le deuxième argument contre l’honnêteté des experts consiste à les accuser de chercher à « sauver leurs équipes et leur organisation ».[68] C’est l’accusation de « corporatisme ».[69] Allègre accuse ainsi James Hansen de « cherche[r] toutes les occasions pour justifier l’existence au sein de la Nasa de son service de climatologie »[70] car « le budget de la Nasa est (…) examiné chaque année avec grand soin par le Congrès américain. Il faut donc intéresser ce dernier si l’on veut obtenir des crédits. Il faut appâter les sénateurs avec des perspectives exaltantes, importantes, spectaculaires. Cette nécessité va jouer un rôle décisif dans l’alarme climatique ».[71] Cela a pour fonction de permettre à ces experts de « justifier, pour commencer, leurs propres salaires. (…) Car le budget global n’est pas extensible à l’envi ».[72] Allègre présente ainsi comme scandaleuse la marche ordinaire de la science et renforce ce scandale en sous-entendant qu’il s’agit d’intérêt personnel.
De même, Foucart présente les climato-sceptiques comme mus par une rancœur due à la concurrence que les sciences du climat livrent aux sciences de la terre dont elles s’accaparent les budgets.[73] Mais le propos est réversible : dire que deux disciplines sont en concurrence peut signifier que l’une autant que l’autre fait tout pour obtenir crédits et reconnaissance. C’est ce dont jouait Allègre qui se disait « révolté par l’égoïsme et la vanité d’un quarteron de chercheurs qui monopolisent l’attention et les financements du monde pour attirer l’attention sur leur discipline – ou (et) sur eux-mêmes (…) ».[74]
c) Le troisième argument est le biais idéologique. L’adversaire est accusé d’agir au nom d’une idéologie qui lui fait refuser de dessiller ses yeux. En principe, l’idéologie ne relève pas de la malhonnêteté mais n’est qu’aveuglement. Néanmoins, on observe qu’en l’espèce les acteurs de la controverse reprochent à l’adversaire d’avoir conscience de ces biais et de ne pas avoir voulu y remédier.
Allègre reproche ainsi à certains scientifiques « le sentiment messianique qu’ils doivent sauver le monde, et qu’on doit leur reconnaître ce mérite. C’est particulièrement vrai chez James Hansen et John Houghton : plus tard, ils iront jusqu’à dire qu’ils sont, excusez du peu, porteurs d’une mission divine ! ».[75] Il leur reproche également un culte de la modélisation : « Ils ignorent le phénomène (…) Ils s’accrochent à leurs » modèles « . On se trouve en plein » intégrisme scientifique « ».[76] L’argument scientifique de la valeur de la modélisation est ici retraduit en termes idéologiques voire religieux. Il dénonce également une idéologie faite de néo-colonialisme, de repentance, de haine du progrès. Mais cette dénonciation vise surtout les hommes politiques plus que les experts scientifiques.
Foucart use de la même stratégie : imputer à des considérations idéologiques les positions de l’adversaire. Même s’il évoque en introduction des idéologies divergentes, le corps de l’ouvrage n’en retient guère qu’une : « l’ultra-libéralisme américain »[77] auquel l’écologie serait par essence hostile.[78] [79] Mais si le libéralisme est hostile à la thèse du réchauffement climatique, on comprend mal comment la quasi-totalité des scientifiques peut défendre cette thèse. N’y a-t-il pas le moindre libéral parmi eux ? On voit que l’argument est destiné à ceux – nombreux en France – qui diabolisent le libéralisme. Chaque protagoniste essaye d’enfermer l’autre dans une idéologie : l’ultra-libéralisme pour Foucart, le refus effrayé du progrès pour Allègre. Cela est évidemment caricatural : les milliers de contributeurs du GIEC ne sont pas tous des idéologues plus ou moins scientophobes puisqu’il s’agit de scientifiques ; de nombreux climato-sceptiques ou prétendus tels ne sont pas ultra-libéraux.
d) Le quatrième stratagème consiste à taxer l’adversaire d’orgueil. Celui-ci peut prendre trois figures : le refus d’admettre ses erreurs, la flatterie et le désir de faire parler de soi.
Allègre mobilise les deux premières figures. Il ne mobilise la troisième que pour s’exempter de ce reproche.[80] A l’inverse, il dit de Mann que « par fierté absurde, il a refusé de reconnaître ses erreurs »[81] et prétend que Jouzel « se croit (…) lié à la théorie dominante, et (…) la défendra désormais contre vents et marées ».[82] Tout ceci afin de continuer à mériter sa médaille d’or du CNRS mais aussi parce que « Al Gore montrant dans son film les résultats de Jouzel sur les variations du CO2 et de la température dans les glaces polaires, il s’est forcément senti flatté. Car, le connaissant, je ne peux croire qu’il puisse cautionner scientifiquement ce produit… »[83] L’accusation est claire : la vanité l’emporte sur la vérité. Depuis l’arbre de la connaissance, l’orgueil a toujours été utilisé contre la science. Il est original de le voir faire par un scientifique.
Foucart use de semblables considérations psychologisantes. Lui mobilise surtout la figure 3). Il dénonce le « désir d’attirer les feux de la rampe »[84] ou « d’exister médiatiquement ».[85] Quant à Courtillot, il « pèche simplement par orgueil et veut avoir son mot à dire sur ce qui est aujourd’hui considéré comme le grand problème qui se pose à l’humanité ».[86] Mais Foucart use aussi de la première figure : « voir ses travaux « tomber à plat », être ignorés par ses pairs n’est jamais agréable. Certains ne s’y résolvent pas facilement ».[87]
Ajoutons l’accusation de complot présente dans chaque livre même si, probablement par peur de l’appellation disqualifiante de « complotisme », aucun d’eux n’utilise le terme de complot mais le sous-entend lourdement. Allègre le suggère en parlant d’« arrière-pensées » et de « système mafieux » qui peut « organiser et déclencher à [sa] guise des actions quelconques » ou lorsqu’il se dit victime d’attaques « dont tout indique qu’elles ont été coordonnées ». Foucart n’emploie pas le terme « complot » sinon pour accuser Allègre d’en imaginer d’absurdes.[88] Mais il affirme que chez Allègre « derrière une apparence d’emportement brouillon, tout semble au contraire parfaitement millimétré » [89] et qu’« il faut reconnaître que des tentatives coordonnées de grandes entreprises, généralement américaines, de fabriquer et colporter du doute sur la question climatique sont bien documentées depuis deux décennies ».[90] Il y a néanmoins une différence. Seul Foucart dénonce le fait de dénoncer des complots. S’il prétend ne pas « sombrer dans le conspirationnisme »[91], L’imposture climatique est taxé d’« ouvrage (…) dans lequel les espaces libres d’erreurs factuelles sont le plus souvent comblées par le dénigrement et la caricature, l’amalgame et le conspirationnisme ».[92] Les théories du complot ont en effet cet inconvénient de toujours devoir présenter simultanément l’adversaire comme assez habile pour ourdir une machination et assez maladroit pour laisser apparaître des invraisemblances qui le trahissent :
« tout et son contraire est affirmé à quelques pages de distance, sans le moindre souci de cohérence, sans le moindre respect de la plus élémentaire logique. »[93]
L’auteur d’un plan média machiavélique se montre donc ici singulièrement maladroit. Certes Foucart ajoute que le livre d’Allègre est destiné au très grand public. Mais à moins de supposer celui-ci inapte à « la plus élémentaire logique », ce défaut de logique ne manquera de paraître et de discréditer son auteur. Allègre serait-il donc incapable de feindre la cohérence pour tromper un public peu averti ?
Ce recours à la malhonnêteté s’avère finalement problématique. En effet, dans le cadre de la démocratie et du débat, il est important de supposer la bonne foi de l’autre sinon la discussion n’aura même pas lieu. Le débat suppose une progression ensemble vers la vérité, chacun apportant à l’autre. Comme avec l’incompétence, on est davantage dans une logique de l’exclusion que de débat. En outre, il n’est pas anormal que les firmes travaillant dans un domaine fassent appel à ceux dont c’est la compétence (en un sens, cela est même plutôt rassurant) ! Enfin, comme le fait remarquer à juste titre Serge Galam dans un pamphlet consacré au réchauffement climatique[94], à trop examiner les motivations, on risque de négliger les arguments. Mais il faut également admettre que ce qui ne pose pas de problème excessif en recherche fondamentale est plus délicat quand il s’agit d’expertise plus proche des pouvoirs politique et économique.
3) Le dogmatisme
L’essentiel du livre d’Allègre dénonce le dogmatisme du GIEC caractérisé par le critère du consensus dans lequel Allègre voit un refus du débat.[95] Cela le conduit à parler d’« « intégrisme scientifique » »[96] ou d’intolérance.[97] Lui à l’inverse se réclame du doute présenté comme caractéristique d’une science reposant sur la discussion et la contestation.[98] Ce dogmatisme permet à Allègre de taxer ses adversaires de scientisme : puisqu’ils n’émettent selon lui aucun doute[99], ils ont une foi aveugle en la science contrairement à lui qui « souhaite (…) qu’on aborde enfin les problèmes qui se posent à la planète, ni en surestimant la science ni en l’ignorant, et surtout en disant ce qu’elle sait et ce qu’elle ne sait pas ! ».[100] Allègre joue donc de l’image répandue dans l’opinion du scientifique prétentieux.
La stratégie de Foucart est triple : contester qu’il y ait doute, montrer que l’attitude d’Allègre relève du dogmatisme et jeter le soupçon sur le doute. On ne s’attardera pas sur la première sinon pour remarquer qu’avec des affirmations aussi tranchées que « y a-t-il réellement matière à discussion sur le caractère anthropique du réchauffement en cours ? La réponse est clairement (…) non »[101] ou « ce lien [entre les dégagements anthropiques de CO2 et le climat] est démontrable par une loi de la nature, aussi irrévocable que la gravitation »[102], Foucart semble donner raison à Allègre.[103] En contestant qu’il y ait doute, Foucart accrédite l’idée que l’histoire (des sciences) est finie. Ainsi quand il estime que « la revue Science publiait un article en forme de point final, signé par quelque quarante des meilleurs spécialistes mondiaux de la question ».[104] Ce faisant, Foucart utilise un argument d’autorité présenté comme validation par les pairs. L’argument d’autorité sert à clore la discussion alors que la reconnaissance par les pairs sert au contraire à instituer une autorité supplémentaire accroissant la diversité des points de vue. En ce sens, elle ouvre le débat. Il y a là une différence tactique : Foucart présente comme validation par les pairs ce qu’Allègre présente comme argument d’autorité, mais quand Allègre affirme être soutenu par certains de ses pairs, Foucart leur dénie toute autorité. Le deuxième stratagème de Foucart est lui similaire à celui d’Allègre : présenter l’adversaire comme dogmatique. C’est ainsi qu’il affirme que « c’est bien, en l’espèce, d’un dogme qu’il s’agit »[105] ou que « le climato-scepticisme est bien moins un scepticisme qu’une certitude ».[106] De fait, c’est un lieu commun de la philosophie que de rapprocher scepticisme et dogmatisme.[107] Mais Foucart n’entend pas dénoncer que le climato-scepticisme. Il s’appuie donc ici sur des considérations psychologiques présentant Allègre comme doté d’« une certitude inébranlable d’avoir raison contre tous les autres, fussent-ils des spécialistes plus compétents ».[108] La troisième tactique consiste à mettre en cause le doute. Foucart rappelle que « la science étant par nature incertaine – toute activité scientifique produit d’ailleurs généralement plus d’incertitudes que de certitudes -, il est simple de communiquer sur ses incertitudes pour la décrédibiliser. Cette stratégie populiste consistant à revendiquer et promouvoir le doute est une constante du discours climato-sceptique. En France, Claude Allègre a par exemple publié deux longues tribunes sur le climat dans Le Monde en un peu plus de trois ans : le mot » doute » figurait dans le titre de chacune d’entre elles ».[109] Il est exact que la science est par nature incertaine. En revanche, il est inexact de prétendre qu’Allègre « communique sur ses incertitudes pour la décrédibiliser », Allègre dénonce le fait de la présenter comme certaine. Ce qui est incontestable, c’est que le doute peut être exploité à des fins partisanes. La comparaison avec les cigarettiers est l’un des topoï de la dénonciation du climato-scepticisme. En 1969, l’un d’eux avait publié un mémorandum indiquant explicitement que l’industrie du tabac utiliserait le doute à des fins tactiques : « Le doute est notre produit, parce que c’est notre meilleur moyen de concurrencer le corpus de faits qui existe dans l’esprit du grand public. »[110] En revendiquant l’attitude critique, les fabricants mettaient en cause la dangerosité du tabac et présentaient leurs adversaires comme des idéologues dogmatiques. Selon Foucart, c’est la stratégie d’Allègre quand il réclame « le droit au doute scientifique ».[111] Il est cependant très difficile de déterminer si c’est dans une intention partisane ou but scientifique que l’on recourt au doute.
Une variante de cette accusation est le scientisme. Comme dans toutes les questions d’ordre scientifique, chaque protagoniste en dénonce chez l’adversaire. Ainsi Allègre dénonce « une tendance réelle et préoccupante : le scientisme vert »[112] et Foucart qui note qu’« en toute théorie, le rationalisme ne se confond pas avec le scientisme » ajoute aussitôt « Pourtant, nombre de sympathisants de l’Union rationaliste et de l’AFIS sont séduits par le discours de Claude Allègre »[113] sous-entendant que la position d’Allègre relèverait du scientisme.
De même, de manière en apparence paradoxale mais en réalité fort logique, chaque acteur taxe l’autre camp d’irrationalisme. Allègre dénonce « l’alarmisme aux dépens de la réflexion »[114] et le fait que « les arguments dits » scientifiques » vont être escamotés. On décide de faire plutôt appel à la sensibilité des gens. »[115] Parlant du sommet de Copenhague, il affirme « qu’on a du mal à faire entrer un rationalisme quelconque dans ce processus ».[116] Mais cette dénonciation n’est pas tant à l’encontre du GIEC (sinon de quelques-uns de ses dirigeants) que des hommes politiques. Elle rejoint l’Appel de Heidelberg dans lequel 425 membres de la communauté scientifique et intellectuelle dénonçaient « l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social ». Ce à quoi on peut objecter que l’idée que le progrès scientifique entraînerait automatiquement un développement social relève du scientisme. Plusieurs questions sociales échappent à la juridiction de la science. D’autre part, comme le dit Lecourt, « la philosophie de la nature que l’on dénonce ne s’avère nullement le fruit d’esprits frustres manipulés par de nouveaux prêtres (laïques) ou par d’apprentis despotes. (…) Le partage de la Raison et des ténèbres se révèle impuissant à appréhender un tel phénomène ».[117] Au lieu de reprendre Allègre sur ce point, Foucart cite Pierre Joliot présenté comme un « grand scientifique » qui s’inscrit dans la thématique de l’Appel :
« Aujourd’hui, l’irrationalisme pénètre aussi dans la société par la gauche. D’une part avec les écologistes, dont l’action et l’engagement sont nécessaires et même essentiels, mais dont l’attitude vis-à-vis de la science est parfois irrationnelle et contre-productive. Et d’autre part, avec des gens comme Claude Allègre, plutôt censé défendre le rationalisme, mais qui par son attitude décrédibilise ce qu’il voudrait défendre. »[118]
Foucart qui par ailleurs conteste la pertinence de l’Appel en reprend donc la thématique afin de pouvoir y associer Allègre.
4) Le totalitarisme
Ces accusations trouvent leur apogée dans celle de totalitarisme. Allègre dénonce à plusieurs reprises l’« écologie totalitaire »[119] ou le « totalitarisme écologique »[120], accusation qu’il justifie ainsi :
« Il y a une vérité imposée avec des méthodes dignes des régimes totalitaires. Sinon comment comprendre la violence des attaques dont j’ai été l’objet dans la presse alors que mon seul tort était – et reste – de mettre en doute une affirmation scientifique ? (…) [Ces attaques] m’ont paru disproportionnées. La violence est pour tous les scientifiques, inacceptable. Mais ce qui l’est peut-être le plus, c’est la tentative d’imposer une vérité officielle, comme en URSS du temps de Lyssenko. »[121]
Notons d’abord que pour quelqu’un qui déplore la disproportion, Allègre ne rechigne pas à en faire preuve. Rapprocher la querelle du réchauffement climatique de l’affaire Lyssenko est outrancier. Jusqu’à preuve du contraire, aucun climato-sceptique n’a connu le sort tragique d’un Nikolaï Vavilov mort dans un camp. Mais cela permet à l’ancien ministre d’endosser le statut valorisé de victime et de « résistant ». On voit qu’Allègre utilise deux éléments : la violence et l’imposition d’une « vérité officielle ». Il est évident que le premier est insuffisant pour parler de totalitarisme car alors toute contrainte serait totalitaire. C’est pourtant ce que fait Allègre qui identifie totalitarisme et coercition :
« Je soutiens que la tendance profonde de l’écologie politique est d’être totalitaire. (…) Je cite strictement Nicolas Hulot : » Les bons sentiments ne suffisent plus. C’est désolant mais nous devons aller vers le coercitif. » »[122]
Le terme totalitarisme ne peut trouver une certaine légitimité qu’à condition que les deux éléments mentionnés soient présents et liés. Car sans un haut degré de violence, le second élément ne suffit pas non plus. C’est pourtant ce qu’affirme Allègre lorsqu’il identifie la stratégie du consensus à « la pratique de l’ostracisme grec »[123] ou le totalitarisme à l’absence de débats.[124]
Foucart est plus prudent dans l’emploi du terme[125] mais reprend les mêmes accusations. Ainsi il qualifie le piratage à l’origine du Climategate de terrorisme[126] et dénonce « censure, intimidation, chasse aux sorcières ».[127] De même il parle de « torsion des faits »[128] ou de « faire taire les climatologues les plus prompts à prendre la parole. Voire (…) entraver la publication de leurs résultats. Ou, une fois que ceux-ci sont publiés, les maintenir sous le boisseau ».[129] Foucart va jusqu’à affirmer que « la science elle-même devient indésirable »[130] et présenter un manifeste publié dans Science par des défenseurs du réchauffement climatique comme un « texte dont on peine à se faire à l’idée qu’il a été rédigé par les plus éminents scientifiques d’une démocratie occidentale et non d’un quelconque pays soumis à un régime obscurantiste et autoritaire ». Il adopte donc aussi le schéma totalitarisme / résistance. Là encore, on note une asymétrie : si Foucart dénonce le contrôle de la diffusion de la science, il défend Phil Jones qui admet refuser de partager ses données ou boycotter des journaux qui accordaient selon lui trop de place aux climato-sceptiques.[131]
Finalement, le terme totalitarisme apparaît déplacé. On voit les méfaits de la banalisation d’un terme que d’aucuns ont qualifié de « concept de combat ».[132]
5) Les accusations morales
On l’a vu, les accusations morales ne sont jamais loin. Traditionnellement les débats sur la place de la science opposaient les tenants du progrès accusant leurs adversaires de peur (du progrès) et d’irrationalité aux tenants de la tradition accusant leurs adversaires d’orgueil et de scientisme. Cette polémique a ceci de remarquable qu’aucun des adversaires n’entend laisser à l’autre le monopole de la moindre accusation : on les retrouve toutes dans chacun des deux camps.
Concernant la peur, l’accusation est double. Ainsi Allègre reproche à ses adversaires d’avoir peur, c’est-à-dire d’être des couards[133] mais aussi de propager la peur, c’est-à-dire d’être irresponsables.[134] Foucart mobilise moins cet affect mais dénonce la peur de perdre son poste et celle de perdre son confort.[135] Nous avons vu ce qu’il en était des autres. Allègre attribue également d’autres passions tristes à ses adversaires : la haine[136], l’égoïsme[137] notamment à travers l’accusation de néocolonialisme[138], voire le racisme.[139]
Il est frappant de constater que chaque partie développe les mêmes arguments. De cela, on peut logiquement tirer deux conclusions. Soit l’une des parties a tort et son usage de tels arguments est illégitime (mais cela signifie qu’il est facile d’en abuser ce qui affaiblit aussi l’autre partie), soit – ce qui est plus probable – que chaque partie a tort et raison. Raison parce qu’il est toujours possible d’invoquer l’orgueil – pour prendre cet exemple – chez un interlocuteur. Tort parce qu’il est faux de ne le supposer que chez lui et toujours chez lui. Ainsi la réciprocité montre que ces » arguments » n’en sont pas véritablement, qu’ils sont essentiellement rhétoriques. Dans une discussion (et non une polémique), on voit les participants développer des arguments différents dont il faut évaluer la portée, le poids respectif, etc. Rien de tel ici. Les arguments sont formellement identiques. Ils ne servent pas à établir une thèse différente ; ils ont le même objectif : disqualifier l’adversaire.
III Méfiance raisonnable et hypercriticisme soupçonneux
On l’a dit : la science repose sur le scepticisme ; il n’est donc pas illégitime d’en témoigner à l’encontre de toute parole fut-elle experte. En dépit de ce qu’en disent les signataires de l’Appel de Heidelberg, la suspicion à l’encontre de la science et de ceux qui prétendent parler en son nom n’est pas irrationnelle – nous avons même vu qu’elle était motivée par plusieurs raisons. Les raisons que nos opposants ont à faire valoir sont d’ailleurs, comme on l’a montré, souvent du même ordre que les nôtres. Le problème survient lorsque cette méfiance raisonnable se mue en ce qu’on pourrait appeler un hypercriticisme soupçonneux. Deux questions se posent donc : 1) qu’appelle-t-on méfiance raisonnable ? 2) A partir de quand verse-t-on dans l’hypercriticisme soupçonneux ?
1) Putnam distingue entre raisonnable et rationnel.[140] Est rationnel ce qui est vérifiable. Mais il existe des phénomènes extrêmement probables que l’on ne pourra prouver et qu’il qualifie de raisonnables. Le raisonnable renvoie donc à une conception plus lâche et plus large de la justification. Selon lui, le rationnel est plus étroit que le raisonnable. Il est permis au contraire de considérer que le rationnel est extrêmement large, la raison pouvant pour ainsi dire tout prouver. On peut rationnellement défendre le géocentrisme.[141] C’est en faisant intervenir des considérations sur la probabilité que l’on réduira le champ des possibles. Le raisonnable est de ce fait plus restreint que le rationnel. Dit autrement, la distinction entre rationnel et raisonnable recoupe celle entre possible et probable.[142] Dès lors, une méfiance raisonnable s’apparente au « scepticisme modéré » de Hume qui rejetait aussi bien le doute hyperbolique de Descartes que sa prétention à parvenir à des vérités indubitables.
2) Pour ce qui est de la seconde question, on se contentera ici de proposer une piste de réflexion : lorsque les critères non épistémiques comme le courage se substituent purement et simplement aux critères épistémiques, on a franchi le seuil du raisonnable. On retrouve l’analogue d’une déviance observable en politique qui consiste à substituer les jeux politiciens aux enjeux politiques. C’est cette déviance dont fait état une journaliste témoignant combien le désir de ne pas se montrer naïfs conduisait les journalistes politiques à ne plus parler de politique :
« Si on fait un traitement du contenu politique, on a peur de passer pour des naïfs, pour des candides, pour des gens manipulés. Et pour asseoir notre légitimité de journaliste, individu par individu, on a besoin de montrer qu’on n’est pas dupes. On ne va donc pas s’intéresser aux programmes. »[143]
C’est cette peur d’être manipulés qu’il convient d’interroger. Il faut ici distinguer. On confond souvent confiance et naïveté qu’on oppose à la méfiance. C’est inexact. On peut donner les définitions suivantes : la naïveté consiste à ne pas avoir conscience du risque ; la méfiance consiste à avoir conscience de l’existence de risques et ne pas vouloir les courir ; la confiance consiste à avoir conscience de l’existence de risques et accepter délibérément de les courir. On peut donc opposer le couple méfiance – naïveté à la confiance en distinguant ceux qui ne choisissent pas le risque de celui qui le choisit délibérément. Mais on peut aussi opposer le couple méfiance – confiance à la naïveté en distinguant ceux qui ont conscience du risque de ceux qui sont inconscients. On peut enfin opposer le couple confiance – naïveté à la méfiance en distinguant ceux qui courent effectivement un risque et celui qui essaie de ne pas en courir. Il existe donc plusieurs classifications différentes telles qu’on peut rapprocher l’un ou l’autre et les distinguer du troisième et qui ont toutes leur pertinence. Le scepticisme tel qu’il est pratiqué en science consiste à ne pas se fier aveuglément au témoignage des sens, c’est-à-dire à prendre conscience de nos limites ; il s’oppose donc à la naïveté. L’hypercriticisme soupçonneux consiste à refuser de prendre le risque d’être trompé ; il s’oppose donc à la confiance. Il y a deux formes de méfiance. Mais la première s’oppose à la naïveté, la seconde à la confiance.
C’est cette seconde forme de méfiance qui prévaut dans les débats entre experts. C’est elle qu’on retrouve par exemple autour du crédit à apporter à l’étude menée par Gilles-Éric Séralini concluant à la toxicité des O.G.M. La nature de la controverse autour du réchauffement climatique évoque par bien des aspects celle des O.G.M. Jean-Paul Oury a montré combien cette dernière relevait davantage de philosophies différentes que de questions purement scientifiques.[144] Il faut rajouter que si la querelle des O.G.M. est de nature philosophique, la dimension rhétorique est loin d’être absente. Une partie importante de la controverse qui a eu lieu autour des travaux de Séralini a tourné autour de la question du conflit d’intérêts.[145] De même si les questions épistémologiques sont présentes dans chaque controverse (rôle de la modélisation pour le changement climatique, taille des échantillons dans l’expérience de Séralini), celles-ci n’occupent pas l’essentiel du débat.
Conclusion
Le fait que les mêmes arguments puissent être utilisés par chacune des parties témoigne de leur indifférence à la thèse défendue. Il ne s’agissait pas ici de renvoyer dos à dos les deux positions dans une isosthénie sceptique des raisons mais de montrer que le débat est sorti du cadre scientifique traditionnel. Les seuls points scientifiques qui fassent l’objet d’une discussion sont la pertinence de l’utilisation de modèles et le caractère multifactoriel du climat mais même ceux-ci sont transformés en débat rhétorique (modélisation présentée comme idéologique et accusations réciproques de simplisme : chaque protagoniste reprochant à l’autre de réduire à une variable une question qui en fait intervenir plusieurs). La question de l’expertise semble donc se prêter à une approche ethnographique comme on en trouve chez Latour. Celle-ci paraît même plus pertinente dans le cas de l’expertise que dans celui de la science. Car dans le cas de cette dernière, cette approche présente l’inconvénient de réduire la science à un simple rapport de forces, à une entreprise de persuasion, ce qui est éminemment contestable et entraîne une dérive relativiste.
[1] Par exemple à cause de méthodologies ou de critères différents. Un exemple classique est celui de l’évaluation des effets secondaires des médicaments anti-inflammatoires. Le 17 février 2005, l’Agence européenne du médicament (EMEA) a mis en cause plusieurs de ces médicaments parce qu’ils feraient courir des risques cardiaques aux hypertendus alors que l’Agence française de sécurité sanitaire des produis de santé (AFSSAPS) les avait autorisés au vu de leur balance bénéfices / risques positive. Cf. Pierre Lascoumes (dir.) Expertise et action publique, (coll. Problèmes politiques et sociaux, mai 2005, n° 912), Paris : La Documentation française, 2005, p. 5.
[2] Notamment parce qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer entre fait et théorie. La rotondité de la Terre relève-t-elle du fait ou de la théorie ?
[3] Stephen Jay Gould, Quand les poules auront des dents, Paris : Editions du Seuil, 1991, p. 299.
[4] Raison pour laquelle le critère de simplicité ou « rasoir d’Occam » joue un si grand rôle en science.
[5] Thomas Kuhn, « Objectivité, jugement de valeur et choix d’une théorie » (dans La tension essentielle, Paris : Gallimard, 1990, chapitre XIII, pp. 424-449). Ces critères étaient également mentionnés dans la Postface de 1969 à la Structure des révolutions scientifiques.
[6] Gerard Radnitzky, « La perspective économique sur le progrès scientifique : application en philosophie de la science de l’analyse coût-bénéfice », Archives de philosophie, avril-juin 1987, n° 50, pp. 177-198.
[7] Dans la troisième journée des Discours, Galilée ne dit pas autre chose : il ne propose pas une démonstration nécessaire mais une démonstration probable. Il s’agira par le biais d’expériences d’« en accroître tellement la probabilité qu’il lui manquera bien peu pour égaler une démonstration nécessaire. » Galilée, Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles, Paris : Armand Colin, 1970, troisième journée (la traduction est celle donnée par Raymond Zouckermann dans Galilée penseur libre, pp. 207-208. Le passage se trouve à la page 138 des Discours).
[8] Robert K. Merton, « The Normative Structure of Science », The Sociology of Science, Chicago : Chicago University Press, 1942, réédité en 1973.
[9] C’est là une importante différence avec le 18ème siècle où un amateur pouvait participer à la science.
[10] Aristote, Les Politiques, III, 1286a25-31.
[11] Aristote, Ethique à Nicomaque, 1140a31.
[12] Pierre Bayle, Pensées diverses sur la Comète, Paris : Nizet, 1984, vol. I, p. 135.
[13] Dans un livre au sous-titre évocateur : Raymond Boudon, Renouveler la démocratie. Eloge du sens commun. Paris : Odile Jacob, 2006.
[14] Marianne Doury, Le débat immobile. L’argumentation dans le débat médiatique sur les parasciences, Paris : édition Kimé, 1997, pp. 143-165.
[15] Philippe Roqueplo, Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, Paris : INRA éditions, 1997, p. 15.
[16] Jean-Claude Petit fait remarquer que le nombre d’articles négatifs sur le nucléaire devient supérieur au nombre d’articles positifs à partir du début des années 70. Cf. Jean-Claude Petit, « La peur du nucléaire », in Nayla Farouki (dir.), Les progrès de la peur, Paris : Le Pommier, 2001, pp. 117-118.
[17] Gérald Gallet, « L’expertise, outil de l’activisme environnemental chez Greenpeace France », in Philippe Hamman, Jean-Matthieu Méon, Benoît Verrier (dir.), Discours savants, discours militants. Mélanges des genres, Paris : L’Harmattan, coll. » Logiques Politiques « , 2002. pp. 109-128.
[18] Claude Allègre, L’imposture climatique, Paris : Plon, 2010, p. 97.
[19] Ibid., p. 118.
[20] Ibid., p. 125. Je souligne.
[21] Ibid., p. 124.
[22] Ibid., pp. 125-126.
[23] Ibid., p. 45.
[24] Ibid., p. 127.
[25] Ibid., p. 91.
[26] Stéphane Foucart, Le populisme climatique. Claude Allègre et Cie, enquête sur les ennemis de la science, Paris : Denoël, 2010, p. 68.
[27] Ibid., p. 58.
[28] Ibid., p. 40.
[29] Ibid., p. 165.
[30] Ibid., p. 122.
[31] Ibid., p. 109.
[32] Claude Allègre, op. cit., p. 194.
[33] Stéphane Foucart, op. cit., p. 230.
[34] Ibid., p. 249.
[35] Ibid., p. 100.
[36] Par exemple, les travaux fondateurs en thermodynamique de Carnot tardivement redécouverts par Clapeyron ou ceux d’Edward Lorenz posant les bases des théories du chaos.
[37] Stéphane Foucart, op. cit., p. 49.
[38] Ibid., p. 108.
[39] Claude Allègre, op. cit., p. 257.
[40] C’est ce stratagème très classique que le Pape Léon XIII recommande d’utiliser contre la science – et notamment contre le darwinisme dans son encyclique Providentissimus Deus. Cf. Léon XIII, « Providentissimus Deus » 18 novembre 1893, Actes de Léon XIII, Tome IV, Paris : Maison de la bonne presse, p. 37.
[41] Stéphane Foucart, op. cit., p. 41.
[42] Ibid., pp. 100-101.
[43] C’est le fameux principe publish or perish.
[44] Laurent Segalat, La science à bout de souffle, Paris : éditions du Seuil, Science-Ouverte, 2009, p. 14.
[45] Par exemple il est courant de dénoncer l’opacité dans laquelle a été décidée la politique énergétique française ; inversement c’est par une opération Ouverture au grand public lancée en 1998 que le CEA a voulu lutter contre toute suspicion. De chaque côté, la confiance est liée à la transparence.
[46] C’est par exemple le cas de la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) du Criirem (Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques) ou du Crii-gen (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique).
[47] Olivier Godard, « Est-il légitime de soumettre la connaissance scientifique au débat public ? » in Réalités industrielles, mai 2007, n° spécial : Le partage des savoirs scientifiques, enjeux et risques, Paris : éditions Eska, pp. 12-18.
[48] Ibid., p. 16.
[49] Nathalie Fontrel, interview accordée à l’émission Arrêt sur images diffusée le 25 avril 1999 sur France 5.
[50] Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
[51] C’est aussi le résultat que donne une enquête exposée par la Commission européenne, La recherche scientifique dans les médias, Bruxelles, 2007.
[52] Cette crainte devrait se traduire par la subordination de la figure de l’apprenti sorcier par rapport à celle du savant fou dans les débats scientifiques. De fait, dans la polémique entre Foucart et Allègre, seul ce dernier utilise l’expression d’apprenti sorcier pour dénoncer le scientisme de ses opposants.
[53] Claude Allègre, op. cit., p. 239.
[54] Ibid., p. 139.
[55] Ibid., p. 240.
[56] Ibid., p. 145.
[57] Ibid., p. 145.
[58] Industrie qui ne dégage pas de CO2 et voit donc dans la thèse du réchauffement climatique un bon moyen d’éliminer les industries concurrentes.
[59] Stéphane Foucart, op. cit., p. 21.
[60] Ibid., p. 196.
[61] Ibid., p. 213.
[62] Ibid., p. 142.
[63] Ibid., p. 247.
[64] Ibid., pp. 243-244.
[65] Cf. Bernadette Bensaude-Vincent, La science contre l’opinion. Histoire d’un divorce, Paris : éditions du Seuil, Coll. « Les empêcheurs de penser en rond », 2003.
[66] Voir le statut de nombreuses Académies scientifiques – créées pour extraire la science des emprises financières – mentionnant le rayonnement que la science apporte au pays.
[67] Telle est la conclusion d’un rapport fondamental rédigé en 1945 par le docteur Vannevar Bush alors responsable de l’ORSD (Office of Scientific Research and Development) et conseiller scientifique du président Franklin D. Roosevelt. Bush. Ce rapport intitulé Science, the endless frontier (Science, la frontière sans limites) stipule que la recherche fondamentale constitue un capital dans lequel l’Etat se doit d’investir car l’activité scientifique aura des retombées économiques et sociales positives même si celles-ci sont indéterminées. C’est ce qu’on appelle le principe de sérendipité.
[68] Claude Allègre, op. cit., p. 229.
[69] Ibid., p. 183.
[70] Ibid., p. 188.
[71] Ibid., p. 178.
[72] Ibid., p. 180.
[73] Stéphane Foucart, op. cit., p. 145.
[74] Claude Allègre, op. cit, p. 259.
[75] Ibid., p. 198.
[76] Ibid., p. 116. L’épistémologue Paul Feyerabend a fait valoir combien il était nécessaire en sciences d’ignorer certains phénomènes sinon seules les vieilles théories disposant d’un arsenal d’hypothèses ad hoc seraient conservées. C’est ce qu’il appelle le « principe de ténacité ».
[77] Stéphane Foucart, op. cit., p. 37.
[78] Ibid., p. 292.
[79] Ibid., p. 294.
[80] Claude Allègre, op. cit., p. 19.
[81] Ibid., p. 49.
[82] Ibid., p. 63.
[83] Ibid., p. 75.
[84] Stéphane Foucart, op. cit., p. 22.
[85] Ibid., pp. 43-44.
[86] Ibid., p. 148.
[87] Ibid., pp. 53-54.
[88] Ibid., p. 180-181.
[89] Ibid., pp. 58-59.
[90] Ibid., p. 197.
[91] Ibid., p. 197.
[92] Ibid., p. 124.
[93] Ibid., p. 124.
[94] Serge Galam, Les scientifiques ont perdu le nord, voir le chapitre 15.
[95] Claude Allègre, op. cit., p. 26.
[96] Ibid., p. 116.
[97] Ibid., p. 212.
[98] Ibid., p. 140.
[99] Précisons ici quand même que si ce reproche a une certaine légitimité en ce qui concerne le rapport pour décideurs qui est une synthèse destinée aux hommes politiques, les articles constitutifs des rapports du GIEC sont eux tout à fait conformes à la prudence scientifique.
[100] Claude Allègre, op. cit., p. 213.
[101] Stéphane Foucart, op. cit., p. 60.
[102] Ibid., p. 132. Il est d’ailleurs assez ironique que Foucart choisisse cet exemple de la gravitation puisque depuis plus de 100 ans, la théorie de la gravitation newtonienne a été totalement invalidée par Einstein et que ce dernier considérait lui-même à propos de ses propres travaux (comme de toutes les théories) qu’« il n’y a pas un seul concept dont je sois convaincu qu’il résistera (…). » (A. Einstein, Lettre à Solovine du 28 mars 1949 citée par Françoise Balibar, Albert Einstein. Physique, philosophie, politique, Paris : Editions du Seuil, 2002, page non numérotée, après la page 146).
[103] De même, le simple fait de nier qu’il y ait consensus scientifique ainsi que le fait le philosophe Dominique Lecourt lui vaut les foudres de Foucart qui y dénonce une forme de climato-scepticisme.
[104] Stéphane Foucart, op. cit., p. 47.
[105] Ibid., p. 39.
[106] Ibid., p. 243.
[107] Voir par exemple Hegel, La relation du scepticisme avec la philosophie, Paris : Vrin, 1986, p. 69.
[108] Stéphane Foucart, op. cit., p. 44.
[109] Ibid., pp. 208-209.
[110] Cf. Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Les Marchands de doute, Paris : Editions Le Pommier, 2012. Le titre de l’ouvrage est tiré d’un mémorandum rédigé par le producteur de cigarettes Browns & Willianmson.
[111] Claude Allègre, « Le droit au doute scientifique », Le Monde, 27 octobre 2006, p. 19.
[112] Claude Allègre, op. cit., pp. 264-265.
[113] Stéphane Foucart, op. cit., p. 301.
[114] Claude Allègre, op. cit., p. 249.
[115] Ibid., p. 253.
[116] Ibid., pp. 219-220.
[117] Dominique Lecourt, « La critique de l’Appel de Heidelberg » in Contre la peur, Paris : Presses Universitaires de France, 1999, p. 163.
[118] Stéphane Foucart, op. cit., pp. 301-302.
[119] Claude Allègre, op. cit., p. 263.
[120] Ibid., p. 94 et 110.
[121] Ibid., pp. 25-26.
[122] Ibid., pp. 26-27.
[123] Ibid., p. 182.
[124] Ibid., p. 26.
[125] D’autres le sont moins que lui. Ainsi Florence Leray a publié un ouvrage intitulé Le négationnisme du réchauffement climatique en question ? (Villeurbanne : Golias, 2011) et Isabelle Stengers a fait paraître un entretien dans lequel elle rapproche les climato-sceptiques des criminels nazis (cf. Philosophie Magazine, n° 58, avril 2012, pp. 62-67).
[126] Stéphane Foucart, op. cit., p. 153.
[127] Ibid., p. 268. On notera que cette stratégie qui consiste à présenter les partisans du réchauffement climatique comme victimes de censure est en totale contradiction avec l’argument selon lequel la quasi-totalité des articles publiés défendent le réchauffement climatique et que les climato-sceptiques ne trouvent pas de revues pour publier.
[128] Ibid., p. 268.
[129] Ibid., p. 268.
[130] Ibid., p. 277.
[131] Ibid., p. 164.
[132] Karl Graf Ballestrem, « Aporien der Totalitarismus-Theorie », in Eckhard Jesse (éd.), Totalitarismus im 20 Jahrhundert, Ein Bilanz der internationalen Forshung, Nomos Verlag,Baden-Baden, 1996, p. 240.
[133] Claude Allègre, op. cit., pp. 237. L’accusation est particulièrement grave puisque le courage est l’une des quatre vertus cardinales.
[134] Ibid., p. 35 et 161.
[135] Stéphane Foucart, op. cit., p. 307.
[136] Claude Allègre, op. cit., p. 222 et 270.
[137] Ibid., p. 259.
[138] Ibid., p. 275.
[139] Ibid., p. 157.
[140] Hilary Putnam, Raison, vérité et histoire, Paris : Les Editions de Minuit, 1984.
[141] Déjà, dans l’Histoire des oracles, Fontenelle remarquait « Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que non seulement nous n’avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d’autres qui s’accommodent très bien avec le faux… »
[142] C’est ce que remarque Emile Borel : il n’est certes pas irrationnel de s’enfermer chez soi pour éviter un accident de voiture toujours possible mais c’est totalement déraisonnable étant donné sa faible probabilité. Cf. Emile Borel, Les probabilités et la vie, Paris : P.U.F., 6ème éd., 1967, pp. 40-41.
[143] Entretien avec B., juin 2004 cité dans Jean-Batiste Legavre, « Les journalistes politiques : des spécialistes du jeu politique » in Frédérique Matonti ( dir. ) La démobilisation politique, Paris : éditions La Dispute/SNEDIT, 2005, p. 142.
[144] Jean-Paul Oury, La querelle des OGM, Paris : Presses Universitaires de France, 2006.
[145] On pourra pour s’en convaincre regarder l’émission Arrêt sur image du 28/09/2012 (disponible sur http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=5237) avec Gilles-Eric Séralini, Corinne Lepage, Stéphane Foucart et Michel de Pracontal ; la deuxième intervention de Séralini est déjà pour dénoncer les « scientistes lobbystes ». Une part importante de la discussion tourne autour de la question de savoir qui finance qui.