La liberté de choix

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Par Claire Abrieux.

Le fondement de notre recherche repose sur la nécessité de ne pas empêcher le développement d’une technique médicale qui sauverait la vie. L’argument ultime que nous pouvons opposer à ceux qui estimeraient qu’il n’est pas essentiel de sauver la vie de grands prématurés, de mères enceintes ou des deux repose sur l’argument de la politique de la vie. Le choix de développer l’utérus artificiel revient à faire le choix libre de la vie. Nous avons vu que ce choix peut être limité par diverses conditions naturelles. Il nous semble que dans la perspective de l’humanisme moderne sur lequel nous nous fondons, il devient compliqué de mener à bien une argumentation contre le droit[1] à la vie. Il ne s’agit pas ici de poser la vie comme une valeur sacrée mais plutôt le choix libre de la vie comme notion centrale de la modernité. Nous souhaitons souligner que l’expression « choix libre de la vie » a été choisie précisément pour ne pas recouper le champ des militants « pro-life » pour lesquels le choix de la vie serait obligatoire dans tous les cas. Nous n’irons pas plus avant dans notre argument car cela nous obligerait à considérer toutes sortes de cas éthiques trop éloignés du nôtre.

Nous avons vu que l’U.A. pourrait sauver et améliorer la vie future. Mais que se passerait-il si des fœtus passaient l’intégralité de leur développement dans un utérus artificiel ? Ou, autrement dit, quels seraient les enfants nés de l’utérus artificiel ? Nous souhaitons ici comprendre quelle est la nature des conditions nécessaires à un développement sain du futur enfant, et pour ce faire un descriptif de ce qui se passe dans l’utérus maternel est absolument central. L’ampleur de l’ignorance des données biologiques originelles n’a cessé de provoquer notre effarement devant les thèses sur l’utérus artificiel et il convient de mettre un point final aux divagations sur l’absence d’ombilic[2]. Nous ne discuterons pas cette thèse même[3] mais plutôt les conditions de développement du fœtus grâce aux données biologiques. Que se passe-t-il après la fécondation ?

Le premier processus à relever est la dynamique autonome du développement du fœtus : l’œuf fécondé met en activité des cellules totipotentes qui vont d’une part donner naissance à l’embryon et d’autre part constituer le milieu de développement du fœtus c’est-à-dire le placenta et le liquide amniotique. Autrement dit c’est l’embryon qui est à l’origine du développement de son milieu direct. Il n’y a pas d’hétérogénéité entre placenta et embryon. À cet égard, la notion d’utérus accueillant ne semble pas pertinente. En effet, il convient de rappeler que c’est le placenta qui produit des hormones pour que l’organisme maternel ne rejette pas un embryon reconnu comme parasite ou organisme externe. On note au passage que le placenta est une barrière quasi infranchissable : aucune cellule vivante hétérogène (donc venant de l’organisme de la mère) n’entre dans le milieu de l’embryon. Les éléments qui parviennent à l’embryon sont de l’ordre macro-moléculaire : glucides, vitamines, protéines, etc. Le fœtus se développe dans un milieu absolument homogène. Ainsi, si l’essentiel d’une grossesse consiste en l’homogénéité du milieu embryonnaire et non en l’accueil ou en la présence d’un utérus environnant, l’UA remplirait parfaitement cette condition de l’homogénéité.

Cette dernière réflexion va nous permettre de passer à la question essentielle des stimuli sensoriels. Cette question est immense et, au vu de la pauvreté des conclusions médicales sur le sujet, il est particulièrement malaisé de prendre une position définitive sur le sujet.

Notre première remarque porte sur les conditions mêmes de connaissance des fœtus. Paradoxalement nous pouvons nous réjouir de la pauvreté des connaissances sur le sujet car une trop grande richesse serait le signe d’expérimentations bien peu recevables éthiquement. Les conditions de mise en place de la technique de l’U.A. sont un point de réflexion éthique en soi : à l’heure actuelle des expériences sont réalisées sur les fœtus non viables d’avortements spontanés. Ce point soulève un questionnement éthique pratique dont peu se préoccupent : est-il réellement possible de permettre l’expérimentation sur des fœtus non viables certes mais assez développés pour sentir ? On peut ici s’étonner que l’argument du droit à la vie prévale sur tout autre argument. Tout en fonction de la viabilité pose des problèmes. Pourquoi dès lors ne pas réaliser des expériences sur tous les sidéens?

Notre deuxième observation sur les stimuli sensoriels est qu’il faut se garder d’anthropomorphisme à l’égard de l’embryon et du fœtus. Cette observation peut sembler paradoxale mais elle relève du fait que l’embryon/fœtus se développe dans son milieu, dans un milieu totalement homogène. Quelle conscience peut-il avoir du fait que la voix maternelle qu’il entend est une voix et non pas un des bruits réguliers de son milieu ? Peut-on parler de conscience fœtale ? Il est extrêmement difficile de prendre position pour ces questions car les données scientifiques quand elles ne sont pas inexistantes sont extrêmement fragiles : la voix adressée de la mère provoque une légère accélération du rythme cardiaque par exemple[4], mais quelle assurance avons-nous du fait que le fœtus comprenne le sens de cette voix adressée ? Ainsi la première des erreurs dans la question des stimuli sensoriels est d’appliquer une grille de lecture aux conditions de la vie fœtale selon nos propres expériences sensorielles et notre propre compréhension du monde hétérogène qui nous entoure. Que ces stimuli sensoriels fœtaux doivent être maternels et non vécus par la médiation de la technique est une hypothèse normative relevant de l’opinion.

Cependant l’existence de stimuli sensoriels liés à ceux de la mère ne peut d’aucune façon être remise en question. Nombre de capteurs sensoriels se développent, et parfois dès la cinquième semaine de grossesse, et sont actifs chez le fœtus. Le système olfactif[5] est même plus riche en capteurs sensoriels que celui de l’enfant et de l’adulte. Le développement variable des différents sens chez le fœtus ne nous permet guère de généralités, mais disons tout de même que le fœtus entend, goûte, voit, sent (par la peau et l’olfaction). Et l’origine de ces différents stimuli est indubitablement liée à la mère. Le goût et l’odeur viennent de ses aliments, les sons de sa voix. Nous avons là l’un des principaux bruits que le fœtus entend, à moins d’un environnement sonore dont le volume des décibels serait très élevé, comme dans un concert par exemple. Il n’y a guère que le sens du toucher qui est stimulé par le contact direct au milieu : avec l’ombilic, avec le reste du corps du fœtus et avec les parois utérines mais cela grâce aux mouvements maternels. Conclusion : il y a de fortes chances pour qu’il manque des étapes au développement du fœtus si ses appareils sensitifs ne sont pas stimulés. On peut imaginer pallier l’absence d’une gestation maternelle par des apports nutritifs appareillés et adaptés. On peut imaginer stimuler l’audition par de la musique ou autre. Mais il reste que l’on a du mal à imaginer le palliatif à la voix maternelle et aux mouvements maternels sans sortir du cadre de pensée où l’utérus artificiel est assimilé à une sorte de couveuse fixe disposée dans une chambre d’hôpital. Il faut alors passer à ce que nous appelons la gaia[6]. Cet utérus artificiel se présenterait comme une poche kangourou qui remplirait la tâche de donner le milieu nécessaire au développement du futur enfant mais qui serait constamment porté par l’un des parents. Par un moyen ou par un autre (régulation thermique de la gaia réglée sur celle du parent par exemple) cela serait obligatoire de la porter. Cette forme d’utérus artificiel remplirait une autre condition nécessaire au développement de la technique que nous allons aborder à présent : la responsabilité de la parentalité.

Plan de la démarche :

Présentation

La liberté de choix

Responsabilité parentale

Conclusion et bibilographie


[1] Etant entendu comme droit permissif.

[2] Propos tenus par R. Tong lors de son intervention au 7ème congrès mondial de bioéthique, du 9 au 12 novembre 2004, Sydney, Australie. Il soutenait que les enfants de l’utérus artificiel seraient sans ombilic et ne pourraient donc pas s’inscrire dans l’Histoire, n’ayant eux-mêmes pas de lien avec le passé.

[3] Pour la discussion de l’absence d’ombilic que ce soit biologiquement ou symboliquement voir M.Descamps L’utérus, la technique et l’amour, Paris, PUF, « Intervention Philosophique »,2008, p 5 sqq.

[4] Expérience relatée dans Que savent les foetus ? Marie-Claire Busnel [et al], Ramonville, Erès, Collection Mille et un bébés, 1997

[5] Cette particularité fœtale est le système voméro nasal (ensemble de cellules olfactives situées sur le pourtour du nez) présent de la 5ème semaine à la 20ème environ. Les molécules olfactives passent la barrière du placenta et sont efficientes en milieu liquide.

[6] Nous avons choisi ce terme pour ne pas subir la portée sémantique de mots comme « couveuse » évidemment statique ou «  porte-bébé » destiné aux enfants nés.  Dans la mythologie grecque elle est la déesse primordiale qui enfante d’elle-même.

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