Recensionsune

Rock’n philo -Recension

Print Friendly, PDF & Email

      Francis Métivier, Rock’n philo – Bréal 2011 – 406 pages , 21.90€

 

Dans son ouvrage Rock’n Philo, Francis Métivier propose une étude aussi divertissante qu’intelligente sur le rock… et la philosophie. Le mélange est au premier abord surprenant. Pourtant ils jouissent d’un succès intemporel commun. Ainsi si l’on peut trouver du sens à la lecture de Descartes ou de Platon à l’ère de la technoscience, on peut aussi se passionner à l’écoute de la musique d’Elvis et des Stones comme celle de Marylin Manson, des BB Brunes ou de Cœur de pirate. Les deux semblent sur ce point… indémodables. Peut-on pour autant les étudier ensemble ? Oui, car comme le souligne l’auteur dans son avant-propos, le rock est « porteur de sens : il traite souvent de grandes questions philosophiques »(p. 3).

La perspective de l’auteur est en fait double. Le rock est une musique, et partant un art. Il peut et doit donc être l’objet de la philosophie de l’art. Ainsi l’auteur ne se bornera pas à étudier les textes et le contenu de ceux-ci, mais présentera-t-il également la musique, qui en elle-même, puisqu’elle produit de l’émotion, produit également du sens. Celui qui recherche une solide réflexion peut se rassurer, c’est bien d’une œuvre philosophique qu’il s’agit. Certes, celle-ci ne vise pas à révolutionner la métaphysique, elle n’en est pas moins pertinente et vivifiante. Rock’n philo ne porte par ailleurs pas sur le rock en général mais sur des morceaux bien précis.

 En effet à l’instar de la philosophie, le rock se développe dans toute son ambivalence : individualiste et transculturel, agent critique et force de propositions, doux rêveur et initiateur d’actions, instrument de subversion et de cohésion à la fois. L’art a toujours porté cette ambiguïté et il faut reconnaître aux grands morceaux du rock leur statut artistique. C’est donc sur ces morceaux mêmes qu’il faut se pencher, afin d’en dégager toute la substantielle moelle philosophique »(p. 5).

Il serait un peu dommage d’énumérer tous les morceaux et tous les thèmes qui seront abordés, cela enlèverai au lecteur la douceur de la surprise, la stimulation de l’étonnement. On peut néanmoins révéler que ce n’est pas moins de 22 thèmes, grâce à 39 « morceaux philosophiques » que l’auteur va mettre en lumière. Souvent, les associations surprennent, font « tiquer », par exemple Hume et les Beach Boys, Thomas d’Aquin et les BB Brunes, ou Spinoza et Elvis « The King » Presley. Ainsi pour tenter de présenter la méthode de l’auteur, nous tenterons de présenter une chanson, sans doute l’un des plus grands monuments du rock que tout guitariste en herbe rêverait de pouvoir jouer, associée à ce qui nous parait l’un des thèmes les plus fondamentaux de la philosophie. C’est ainsi la vérité qui sera étudiée au travers de Pyrrhon et du scepticisme et de ce morceau touché par la grâce… Stairway to Heaven de Led Zeppelin.

Afin de mieux cerner la démarche de l’auteur, il faut comprendre la méthode qu’il va employer dans la présentation de son analyse. Une étude débutera par le rappel d’éléments philosophiques et se poursuivra par la mise en rapport de ces données avec le texte et la musique du morceau choisi. Aussi dans son questionnement sur Stairway to Heaven, Francis Métivier va-t-il présenter brièvement, simplement mais de manière tout à fait pertinente le scepticisme tel qu’on peut le trouver dans la tradition antique, plus précisément dans la pensée de Pyrrhon.

La vérité en tant que concept pose un problème en ce qu’il nous échappe systématiquement et qu’il peut recouvrer beaucoup de sens différents. Trois dimensions retiennent cependant l’attention. On pourrait les exprimer ainsi :

– une vérité biographique : ce qui va donner un sens à la vie d’un individu. L’auteur prendre l’exemple d’un homme adopté dans on enfance et qui recherche la trace de ces parents biologiques.

– une vérité cosmologique : LA vérité. Le secret de l’univers, ses origines, sa destination, « savoir si la vérité existe »(p. 252)…

– une vérité historique : la connaissance exacte d’un événement historique permettrait de répondre aux questions que l’on se pose, par exemple qui a vraiment tué JFK, où puisqu’il est question de rock, Elvis est-il vraiment mort ou a-t-il atteint un autre monde ou un autre état de conscience ? Notons que pour certains cette dernière question pourrait plus être de nature cosmologique.

Si nous cherchons tous la vérité d’une manière ou d’une autre, pouvons-nous pour autant la trouver ? Il serait tentant de répondre par oui ou par non ; mais le scepticisme répond autrement, de façon plus tragique :

Le scepticisme du grec skptiko, qui inspecte, ne consiste pas à dire que la vérité n’existe pas. Une telle assertion serait une contradiction : de même que « tout est faux » est vrai et que « je doute de tout » est faux puisque je ne doute pas que je doute, de même l’énoncé « la vérité n’existe pas » a prétention à être vraie, mais contient sa propre négation. La vérité existerait parce qu’elle n’existe pas ? Non. L’idée sceptique est qu’on ne peut savoir si la vérité existe. Et malheureusement, c’est vrai. Vrai et tragique, quand on cherche la vérité sans la trouver et qu’il faut se résoudre à abandonner sa recherche sans savoir si l’abandon se justifie.  (p.253).

Le scepticisme, comme presque toutes les philosophies antiques, n’a pas qu’une visé théorique, elle est aussi pratique. La recherche de la vérité conduit l’âme humaine à l’inquiétude. Ainsi, si l’on cesse de rechercher la vérité, sans doute l’inquiétude disparaîtra-t-elle avec.

Pour ce qui est de l’analyse de la musique et des textes de la chanson elle-même, nous laissons la parole à Francis Métivier, son talent brille de lui-même. Pour comprendre le propos il est cependant utile de rappeler que la chanson contient 3 personnages : une dame qui incarne le dogmatisme, un joueur de flûte (ou un oiseau) qui, au contraire, montre et incarne le chemin à suivre et la sagesse, et un narrateur, le sceptique.

« Pont instrumental et rupture rythmique emphatique. Nous franchissons une étape de plus. Solo de Jimmy Page. Accélération du temps. Abolition des repères spatiaux. Élévation de la matière. Dilatation du domaine de la pensée. Échos.

Break de batterie et retour au chant, aigu et criant, cette fois, énonçant en cascade l’action finale. Chaque vers est précipité par un break syncopé de tous les instruments. « And as we wind on down the road/our shadows taller than our soul » (« Et alors que nous arrivons à la fin de la route/ Nos ombres plus grandes que nos âmes ») : c’est le début de la chute, au sens mystique ; nous avons péché par orgueil, notre image et notre ego –notre ombre – dépasse notre âme, ce que nous devrions posséder de plus grand. La matière a pris le dessus. La dame dogmatique persiste à briller et à croire que la valeur de l’or se trouve dans l’or même. Contre l’individualisme et les sollicitations du monde extérieur, le secret de la vérité réside dans un air dont il faut nous laisser pénétrer, auquel nous devons ensemble prêter la plus grande attention. Un chant, plus qu’à entendre, à savoir écouter. L’attitude est sceptique et, au critère de la vérité, préfère la vie. Renonçons à trouver la vérité et elle viendra à nous. Dès lors, quand nous serons tous soudés et ne serons qu’un, quand l’indifférence laissera la place à la solidarité, nous cesserons de chuter, de rouler, de dévaler la pente, et,  forts, nous nous stabiliserons telle l’immortelle vérité :

« When all are one and one is all

To be a rock and not to roll ». »(p. 260-261).

Francis Métivier marque avec Rock’n Philo cette ouverture de la philosophie au monde contemporain et incite le passionné de musique comme le philosophe à s’interroger sur l’exclusivité. Il y a dans la démarche même de l’auteur cet appel à l’ouverture propre à la philosophie, cette tendance à rechercher avec l’âme d’un rêveur les signes de la nature pensante, philosophique, de l’esprit humain qui, dans toutes ses productions, ne cesse de questionner. Philosophia Perenis ? Il y a sans doute un peu de ça si l’on peut marier, comme le fait si bien l’auteur, le scepticisme de pyrrhon et le mysticisme de Jimmy Page.

 

Nous  ne pourrons que trop conseiller ce livre à tous ceux qui se passionnent pour la rigueur raisonnable de la philosophie et pour la fougue mystique du rock.

 

 

Rock n’roll !

Olivier Sarre – Paris IV

 

 

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

More in:Recensions

Next Article:

0 %