De la culture papier à la culture numériqueSociété/Politiqueune

Présentation de la table ronde

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Anne-Marie Autissier – MC en sociologie de la culture, directrice de l’Institut d’études européennes.

Le sociologue belge Jean-Louis Génard (2011) livre une analyse très intéressante du contexte et des enjeux qui s’imposent aux pratiques artistiques contemporaines. Prenant acte du déclin de l’échelle de l’État-nation et de la déconnexion entre économie et politique, il décrit une société européenne organisée autour d’une économie des services dans lesquelles les politiques de rétribution de l’État social cèdent la place à des politiques de « reconnaissance » au terme desquelles des groupes, des communautés, des individus revendiquent un droit à l’expression culturelle. Jean-Louis Génard ajoute que de telles mobilisations se développent dans une société où ni la famille ni l’école ne gardent une place centrale dans le processus de socialisation des jeunes. Il remarque que les valeurs dites du monde artistique – originalité, créativité, authenticité, autonomie, spontanéité – se sont démocratisées, dans un contexte de « critique artiste du capitalisme » (Boltanski, Chiapello, 1999) et d’esthétisation de la vie (Bell, 1979).

Si les technologies de l’information et de la communication n’ont pas créé ce mouvement, elles le répercutent avec une grande résonance. Dans son livre Le sacre de l’amateur (2010) Patrice Flichy démontre comment les productions artistiques des amateurs ne sont plus marginales mais se trouvent au cœur du dispositif de communication. Faisant écho aux propos de Jean-Louis Génard sur l’école, Patrice Flichy souligne le désir montant d’une « démocratisation des compétences », afin d’acquérir par soi-même des connaissances via des chemins plus ouverts de construction de soi.

Source : stock.Xchng

Plus qu’une abolition de la médiation, Patrice Flichy envisage une transformation de celle-ci. L’amateur ne remplace pas l’expert-spécialiste mais il occupe l’espace libre entre le profane et le spécialiste. De plus, la pratique du téléchargement met en question les mécanismes économiques sur lesquels se fondait la rétribution du droit d’auteur et du droit voisin. Pour Daniel Kaplan (Fondation pour Internet Nouvelle Génération, FING, 2006), la question centrale est de savoir quels sont les moyens « de créer un consentement à payer, de créer de la valeur  » dans un contexte technologique et sociétal où le partage des fichiers et l’adhésion aux licences libres achève de délégitimer toute tentative pour rétablir des digues intrusives et inopérantes.

Stratégies de reconnaissance ou créativité pour tous, on constate rapidement que les politiques publiques se trouvent prises en défaut par les mobilisations actuelles et que leurs paradigmes volontaristes – y compris régulateurs – sont démonétisés par une révolution anthropologique majeure, : l’émergence du numérique, « comme milieu plus que comme outil », selon les termes de Luc Dall’Armellina.

Sans doute faut-il reconsidérer la figure de l’auteur et celle de l’artiste. Sans doute faut-il créer des plate-formes collaboratives confiées au tiers secteur et assorties d’ateliers, comme le préconise Marc le Glatin. Mais il faut aussi offrir des dispositifs de formation et d’auto-formation, dès leur plus jeune âge, aux futurs amateurs pour qu’ils se trouvent en capacité de créer de nouvelles médiations et d’inventer des formes nouvelles de coopération entre les producteurs de formes symboliques et les publics qui « fabriquent avec eux du savoir », selon la formule d’Aurélie Aubert.

La période qui s’ouvre offre des opportunités inédites pour inventer des nouvelles formes d’apprentissage et de médiation, pour construire un nouveau cadre d’acquisition des connaissances. Car ne nous y trompons pas : les mouvements culturels sont beaucoup plus lents que les progrès techniques. Il convient donc de synchroniser les dynamiques artistiques et culturelles avec les avancées technologiques. Ralentir et, patiemment, essaimer.

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