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Recension – Hegel, Jean-Luc Gouin

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Recension : Hegel. De la logophonie comme chant du signe

 

Guillaume Lejeune. Centre d’Action Laïque, Charleroi

Il s’agit d’une recension du livre de Jean-Luc Gouin, Hegel. De la logophonie comme chant du signe, Paris, Hermann, 2018, 344 p., 24 euros. Vous pourrez avoir de plus amples informations sur le livre ici.

Ce livre peut se comprendre comme le témoignage fantasque d’un amateur érudit de Hegel. Son ton tranche avec ces études sans pathos pratiquant une langue appauvrie et avec la mercantilisation anglo-saxonne de l’idéalisme qui fonctionne plus à coup de thèses que d’argumentation. A cet égard, l’auteur a tout à fait raison de faire valoir le caractère non-thétique de la pensée hégélienne qui consiste à fluidifier toute position arrêtée en la replaçant dans un processus de construction du sens. On ne peut dès lors qu’accréditer le constat suivant que dresse Jean-Luc Gouin : « Le système n’est rien d’autre que le constant mouvement d’érosion de la positivité immédiate se dévoilant dans le rapport à la totalité par le concours de ce qu’elle n’est pas. » (p. 175). En ce qui regarde plus généralement le contenu, on soulignera l’intérêt qu’a l’auteur d’essayer de faire parler Hegel, de sorte qu’il puisse être entendu, et que le logos soit entendu, puisque Hegel donnerait la voix au logos. C’est là l’idée que l’auteur énonce par le terme un peu poussif de logophonie. Cela lui permet de reprendre les choses à la racine et d’essayer de nous présenter le discours hégélien en tant que vision du monde dominée par la raison.

Comme Gouin l’écrit :

il s’est toujours agi pour nous, d’abord et avant tout, condition sine qua non à son intelligence générale, de tenter de cerner en quelque manière le foyer, ou la racine, de l’exigeante Weltanschauung hégélienne » (p. XIII). Cette vision du monde est portée par le concept de raison. Or cette dernière « n’est point un postulat du penser hégélien. Au contraire. La Raison configure l’horizon sur lequel se dessinent tous les possibles – connus ou à connaître. (p. 18)

D’emblée, l’auteur montre ainsi son assentiment à la pensée de Hegel qui se fonderait moins sur l’arbitraire d’une subjectivité que sur une nécessité universelle s’imposant à nous. « La raison hégélienne est partout non pas parce qu’elle aurait tout asséché, aseptisé ou détruit sur son passage, mais parce qu’elle imprègne tout. Elle n’est pas une guerrière, raffolant de sang et de souffrance, mais une Amoureuse » (p. 26). Comme on le voit, la langue de l’auteur emprunte aux métaphores, mais cela ne l’empêche pas de faire preuve de rigueur par ailleurs. Pour étayer son concept de « raison intégrale », à savoir que la raison imprègnerait tout, l’auteur reprend ainsi en liminaire de son livre une belle étude parue en son temps dans les Hegel-Studien. Cet article est suivi d’un texte initialement paru dans la Revue philosophique de Louvain présentant l’architectonique de la raison et distinguant au sein de celle-ci quatre leviers heuristiques structurants : le sujet, la négativité, le résultat et la réconciliation. Un texte qui montre comment, à travers cette structure, la volonté irréfragable de la liberté à l’œuvre dans l’État et dans l’histoire s’inscrit dans la raison clôture alors cette première partie.

La seconde partie qui confronte Hegel à d’autres a l’intérêt de montrer que la négativité peut se traduire par une sorte d’ouverture à l’autre. En tout cas, elle offre quelques comparaisons intéressantes entre Hegel, Nietzsche et Freud. Mais elle se perd aussi dans de vaines controverses avec Michel Onfray.

La troisième partie est de loin la plus brouillonne. On s’attendrait à ce que l’auteur, nous ayant présenté la raison comme principe de la spéculation hégélienne, son fonctionnement dans une dialectique intégrant l’autre, clôture son livre sur une vision détaillée du système hégélien comme encyclopédie. Certes, il est fait mention de l’Encyclopédie et de Diderot, mais cela n’aboutit qu’à une conclusion fort décevante à savoir que la spécialisation doit faire place à une réflexion sur les ponts entre les disciplines que met en œuvre la philosophie hégélienne. Les jeux de mots entre un savoir cyclopéen et une visée encyclopédiste ne font que masquer la pauvreté des analyses développées alors. On a l’impression que le côté brouillon de la troisième partie tient presque à cette volonté de montrer que le commentaire doit se taire pour faire place à l’expérience d’un penser par soi-même avec Hegel.

De façon générale, le fait que la forme ne soit pas indifférente à l’auteur ne nous permet guère d’approcher Hegel de façon suivie. Il s’agit plutôt pour Gouin de produire une esthétique de l’effet ou de bons mots qu’on rapprochera plus d’un Frühromantiker comme Schlegel que de Hegel. Cela ne nous semble pas toujours judicieux. En effet, cela pousse l’auteur à faire des sauts (voire à faire le sot), ce qui ne rend pas compte de la complexité des articulations.

Le rapprochement que l’auteur fait entre Hegel et Derrida qui se trouve implicite dès le début de l’ouvrage est à notre sens contestable. « En définitive, écrit l’auteur, Hegel n’a pas tant cherché à construire un système qu’à déconstruire chacune des abstractions se présentant sur le chemin du penser » (p. 169). Si l’auteur a raison d’insister sur le rôle du négatif, il sous-estime, il me semble, le rôle du positif tout autant dirimant dans la spéculation hégélienne. Cela le conduit à minimiser les aspects ontologiques du système.

En conclusion, Jean-Luc Gouin nous propose un Hegel dans un style qui tranche volontairement avec les études anglo-saxonnes sur le philosophe allemand. Le point d’ancrage du livre, l’inaliénabilité de la raison, nous paraît central, mais au cours de la lecture, il nous semble que le fil se perd au profit de jeux de mot dans un fatras de textes parus préalablement et dont les interrelations sont de moins en moins nettes. Que vient par exemple faire cette étude sur Merleau-Ponty qui conclut le livre ? Pour ces raisons, le livre nous paraît curieux par moment, quoique non dénué d’ingéniosités dans son ensemble.

Dans ses Méditations, Descartes parlait de lâcher la bride à la raison, afin d’ouvrir l’espace à de nouvelles idées. C’est un peu ce que fait l’auteur qui, définissant l’espace de la philosophie hégélienne à partir d’un concept de raison intégrale, entend l’ouvrir afin de stimuler un nouveau regard. Lecture romantique de Hegel, ce livre s’adressera donc au lecteur ingénieux soucieux de vouloir s’oxygéner et de penser à neuf au sein d’un espace de pensée balisé par la pensée du philosophe allemand.

 

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