Culture et sentiment au XVIII° siècleHistoire des idéesune

La pédagogie du philosophe-metteur en scène

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La pédagogie du philosophe-metteur en scène dans Le Vaporeux de Marsollier des Vivetières (1782) : dialectique de l’amour-propre, de la surprise et de la sympathie

Karine Bénac-Giroux, MCF-HDR en littérature française, Université des Antilles (Martinique)

 Dans Le Vaporeux de Marsollier des Vivetières, une véritable pédagogie de la surprise destinée à rééduquer sentiment amoureux et paternel de Saint-Phar, qui se dit revenu de tout, est orchestrée par un metteur en scène-philosophe, héritier pour partie des leçons de Hobbes ou Marivaux selon lesquels l’amour-propre mène à la lutte pour la reconnaissance. Le théâtre dans le théâtre y est l’occasion de faire renaître le désir du désir de l’autre, support du sentiment amoureux, mais également le plaisir moral de la redécouverte de l’altérité par le biais de la sympathie. Ainsi semble affleurer également une lecture humienne de cette comédie où l’amour de soi est aussi le support des retrouvailles avec l’autre.

Abstract : In Le Vaporeux, written by Marsollier des Vivetières, jaded Saint-Phar receives an education based on surprise, so that his love and paternal feelings can be reborn. This education is controlled by someone who is both a philosopher and a stage director, and the heir of Hobbes and Marivaux, according to whom self-esteem leads to the struggle for recognition. On the occasion of this play within a play, the desire of the desire of the other which is the support of love, is reviving, as well as the moral pleasure felt in discovering the otherness again, by means of sympathy. So that we can also read this comedy in a Humian way, where self-love also leads to meet again with the other.

Dans Le Vaporeux, comédie en deux actes, Marsollier des Vivetières semble mettre en œuvre le célèbre adage marivaudien selon lequel « De toutes les façons de faire cesser l’amour, la plus sûre, c’est de le satisfaire[1] ». M. de Saint-Phar, le Vaporeux, y est totalement dégoûté de l’amour et ne recherche que la solitude. Négligeant ses devoirs de père et d’époux, il ressasse à qui mieux mieux son mal-être, secondé en cela par La Roche, son valet, qui joue les vaporeux pour lui complaire. C’est grâce à un stratagème conçu par M. de Blainville, l’ami de Saint-Phar, que le Vaporeux retrouvera goût à l’amour et, partant, à la vie. Selon ce stratagème, Madame de Saint-Phar feint de vouloir mettre fin à ses jours. Ceci provoque un sursaut de vie chez son époux associé à un retour du sentiment amoureux et du sentiment paternel.

 Comment expliquer le succès de cet artifice et le passage du dégoût de la vie et de l’absence de sentiments au retour le plus vif de ceux-ci ? Par quel détour sentiments amoureux et paternels peuvent-ils renaître ? Blainville, figure du « montreur d’ombres », du « philosophe qui expérimente, apparemment en toute objectivité[2] », pratique une pédagogie fondée sur la surprise et la métathéâtralité. Saint-Phar, plongé dans l’ennui, retrouve grâce au détour par l’étonnement, la surprise et l’émulation paradoxale créée entre les époux, le sentiment de l’amour marital et filial. Ainsi s’affirme la vocation pédagogique du théâtre : le jeu de rôles, fondé dans notre comédie sur une fine connaissance de l’esprit humain, héritée de Hobbes, Marivaux, Helvétius, mais également Hume ou encore la pensée stoïcienne, permet au personnage principal gouverné par l’amour de soi, de retrouver un accès à l’amour de l’autre. Tout d’abord, le travail de la surprise qui arrache Saint-Phar à l’ennui et attise le désir du désir de l’autre est en conséquence le premier facteur de retour du sentiment amoureux. Redécouverte de l’altérité de son épouse et renaissance de l’amour paternel suscité par un amour-propre savamment attisé, constituent d’autres ressorts de cette pédagogie du sentiment. Enfin, le passage par le jeu de rôles occasionne une distanciation par rapport à soi qui manifeste la pluralité de la personne et lui redonne accès aux passions et à la relation à autrui : renouant avec  la sympathie, M. de Saint-Phar retrouve dans ce passage par le jeu le plaisir d’exister parmi les autres et d’être affecté par et grâce à l’autre.

1-Amour-propre et surprise de l’amour : une lecture hobbésienne de la comédie.

 La comédie s’ouvre dans la scène d’exposition par ce questionnement délicat de M. de Blainville et Mme de Saint-Phar : comment rendre à M. de Saint-Phar l’amour des autres et de la vie ?

Blainville.

Il est certain que son cœur n’est plus reconnaissable. Depuis longtemps mon cœur prend à lui l’intérêt le plus sincère ; mais le sien est fermé à l’amitié, à l’amour, et presque à la nature. Il nous fuit pour venir s’enterrer dans cette solitude, où il végète, s’ennuie, et ne fait qu’accroître sa mélancolie[3].

S’inscrivant pour partie dans la mouvance de Hobbes, Condillac[4], Marivaux ou Helvétius, cette comédie réfléchit à une forme de thérapie luttant contre la prédominance d’un amour de soi et l’excès de comblement des désirs conduisant précisément à un épuisement du désir, comme l’indique l’explicitation de Blainville :

Blainville.

De mille causes : le désœuvrement, l’opulence, les plaisirs trop tôt goûtés, une légère contradiction ; le plus souvent, des riens, des misères, qu’on rougirait d’avouer. Voilà ce qui cause ce mal cruel, autrefois ignoré, nouvellement découvert, qui travaille la moitié de l’Europe, occupe tous nos docteurs, et ne guérit le plus souvent, que lorsqu’on est fatigué d’être malade.

Cette analyse de Blainville et surtout sa conclusion indiquent assez combien un retour du désir est toujours à espérer chez tout sujet « vaporeux[5] ». C’est en somme un thème similaire que traite Collin d’Harleville avec L’Inconstant (1786)[6], comédie dans laquelle le jeune homme ne trouve plus goût à rien, par excès de plaisir. Mais tandis que chez Collin, point d’issue heureuse, l’Inconstant paraissant condamné à ressasser son malheur, chez Marsollier au contraire se met en place une intrigue dont la fonction semble pédagogique : il s’agit de guérir Saint-Phar de ses vapeurs et de le rendre à la vie et à l’amour.

            A bien examiner la comédie de Marsollier des Vivetières, nous constatons que Saint-Phar est marqué par une attitude à la fois désespérée et désabusée, mais qu’en même temps toute sa complainte suggère un amour de soi prédominant, soutenu par un jeu de rôles que le Vaporeux n’entend pas quitter. Ceci est très perceptible dans la scène 9 de l’Acte 1. Celle-ci, au cours de laquelle les deux amis se rencontrent dans un tête-à-tête qui voit Blainville tenter de fléchir l’attitude de Saint-Phar, révèle combien ce dernier reste insensible aux malheurs d’autrui[7] et ne cesse de grossir les siens, au point d’envisager sans cesse le pire, à savoir que sa fille souhaite se débarrasser de lui. Parallèlement, il déclare être devenu indifférent à sa femme et sa fille, dont il ne supporte pas les déclarations d’amour, devenues encombrantes[8]. Désir et sentiment semblent souffrir ici de l’habitude, de la répétition, bref de l’ennui dont Pascal signalait déjà les dangers, thématique reprise par de nombreux philosophes dont Helvétius[9], tandis que le désir de soutenir son personnage pousse Saint-Phar à entretenir les rouages de son système envers et contre tous.

Dans son ouvrage, Barbara Carnevali analyse l’importance chez Hobbes des luttes pour la reconnaissance fondées sur l’amour-propre. Elle constate combien le désir est toujours entretenu par les luttes intersubjectives pour la reconnaissance, fondées en dernier ressort sur l’amour de soi, et combien le désir est en conséquence toujours également désir du désir de l’autre[10]. Nous avons eu l’occasion de constater combien cette perspective était pertinente pour l’analyse de la coquetterie chez Marivaux[11]. C’est cette tension intérieure du sujet, ce combat que M. de Blainville semble avoir perçu parfaitement chez Saint-Phar, et qui sous-tend, comme nous le verrons, le stratagème auquel il a recours pour tenter de le guérir, là où les protestations d’amour de Mme de Saint-Phar s’avèrent totalement inefficaces. Son affirmation est la suivante : « Le raisonnement ne peut rien ; le sentiment aura peut-être plus de pouvoir : tout dépend aujourd’hui d’un entretien qu’il faut qu’il ait avec sa femme[12]. » Blainville ne précise pas ici de quel sentiment il s’agit, et rien ne prouve qu’il s’agisse d’amour. Or, ce qu’il va mettre en scène, c’est un artifice destiné à faire renaître le désir de Saint-Phar. En faisant jouer à Mme Saint-Phar le rôle d’une femme animée du désir de mourir, Blainville fait croire à Saint-Phar que le désir de mourir de son épouse est plus fort que l’amour de cette dernière pour son mari. Ce faisant, Blainville recrée à l’intérieur du couple une lutte pour la reconnaissance, lutte dans laquelle d’une part Mme de Saint-Phar apparaît supérieure à son mari par son prétendu choix stoïque de la mort, et d’autre part, en plaçant son désir ailleurs que dans son mari, redevient désirable à ses yeux : le désir de Saint-Phar, qui devient véritablement désir du désir de l’autre[13], peut alors renaître et, du même coup, rendre sa place au sentiment amoureux. En d’autres termes, on pouvait tout d’abord comprendre la dérobade de Saint-Phar vis-à-vis de Mme de Saint-Phar comme une forme de coquetterie masculine qui le rendait désirable aux yeux de sa femme[14] ; en feignant un désir de la mort prédominant, Mme de Saint-Phar simule un désir de soi-même qui suscite à son tour celui de Saint-Phar.

Cette  feinte va se mettre en place dans le deuxième acte, le premier jouant en somme un rôle d’exposition de la situation à résoudre. Dans un premier temps, qui équivaut à un premier retournement de situation, Mme de Saint-Phar adresse une lettre à son mari, lettre dans laquelle elle déclare être atteinte du même mal que lui, et considérer que seule la mort peut désormais répondre à ses attentes. L’objet de son désir est dès ce moment présenté non plus sous les traits du retour de l’amour de son mari et de la santé morale de ce dernier, mais sous ceux de la mort, l’absence, du vide :

Apprenez que la vie m’est devenue plus odieuse qu’à vous : votre indifférence a brisé tous les liens qui pouvaient m’y attacher encore, et vos discours ont dissipé mes scrupules[15].

La référence à l’indifférence suggère combien Mme de Saint-Phar dépasse ici le processus analysé par René Girard[16], et en démultiplie l’effet : au lieu d’imiter simplement le « désir de soi-même » de son mari, Mme de Saint-Phar choisit une issue définitive, qui rabat le désir sur le vide. Or on conçoit qu’un tel choix ne puisse convenir à notre vaporeux. La lettre suffit à déclencher un premier revirement. Le commentaire de Saint-Phar, qui suit la lecture de la lettre, indique la force de l’agitation soudaine des sentiments, par le caractère inachevé des phrases, la ponctuation (points de suspension), les verbes de sentiment. On devine à ce moment un vacillement de l’état intérieur du Vaporeux et la tentation de la remise en question (sous la modalité interrogative (« que lui dire à présent ? »)), tentation suivie d’un mouvement de repli sur soi :

Je suis stupéfait… C’est une idée aussi extravagante ! courageuse pourtant, délicate, sensible…. Cette femme a un caractère… Je ne lui croyais pas autant d’énergie. Mais, à son âge, aimée de tout le monde… Elle me reproche mon indifférence ! que lui dire à présent ?… Non, évitons sa présence, fuyons tout l’univers : c’est le seul parti qui me reste à prendre[17].

L’ensemble des adjectifs employés donne à entendre l’éveil de l’admiration de Saint-Phar envers sa femme, notamment par l’expression « Cette femme a un caractère… » qui suppose ici une non-conformité entre ce qu’il sait de sa femme et ses agissements, antithétique avec le portrait qu’il faisait d’elle précédemment (« qui m’aime par habitude » etc). On voit combien l’effet de surprise travaille le cœur des rencontres intersubjectives pour redessiner les contours d’une altérité parfois défaillante, et combien le désir de Saint-Phar, en rencontrant l’obstacle incarné par la mort annoncée[18], se réveille.

 La suite de l’intrigue va occasionner un revirement complet de perspective, le début de la métamorphose des sentiments, voire de M. de Saint-Phar tout entier, et ceci en deux temps. Tout d’abord, dans une rencontre entre Blainville et Saint-Phar provoquée par ce dernier, le malheureux époux s’ouvre à son ami de la lettre de sa femme et donne à entendre très rapidement son changement intérieur en proposant de tenir à sa femme un discours amoureux :

Saint-Phar

Croyez-vous que par l’amitié, le sentiment, il soit encore temps de la faire revenir ?

Blainville

Ce serait un moyen assez bon…mais…

Saint-Phar, rapidement.

Mais, oui, si je pouvais réchauffer son cœur, paraître abjurer mon indifférence, et lui faire sentir qu’on tient encore beaucoup à la vie, à l’instant même où l’on parle de la quitter… hein !

Blainville, à part.

Bon ! c’est précisément le rôle de sa femme qu’il veut faire.

Saint-Phar.

Eh bien ! qu’en dites-vous ?

Blainville.

Je dis que vous pouvez effrayer ; … mais qu’on ne persuade guère ce qu’on ne sent pas.

Saint-Phar

Ah ! s’il ne tient qu’à cela, je ferai tout comme si je le sentais[19].

On voit combien la lettre, qui redistribue la triangulation au sein du couple, a déjà produit un revirement, ou une renaissance du sentiment. Saint-Phar veut prendre Mme de Saint-Phar par les sentiments, lors même que c’est ce que Blainville a fait avec lui. Un effet de miroir paraît faire se mouvoir les personnages, qui peut s’expliquer par ce jeu subtil sur la triangulation (piqué dans son amour-propre Saint-Phar se remet à désirer sa femme qui désire la mort), mais également par l’effet de surprise : l’attitude imprévisible de sa femme jointe à la proximité annoncée de la mort créent, selon les termes de Helvétius, « de ces impressions neuves qui produisent dans notre âme le plaisir de la surprise[20] ». La force du renouvellement des impressions suscitant ce « plaisir de la surprise », associée à la nécessité de séduire de nouveau sa femme qui menace désormais de lui échapper, pourraient alors expliquer la renaissance du sentiment chez Saint-Phar, indifférent précédemment aux déclarations d’amour réitérées de son épouse et de sa fille. Plaisir lié à des « impressions neuves » et amour-propre piqué au vif et confronté à l’obstacle du médiateur constitueraient en somme les ressorts sous-jacents de cette pédagogie du sentiment[21], dont la rencontre entre mari et femme vient poser les cadres concrets.

Fragonard - Les Hasards heureux de l'escarpolette,

Fragonard – Les Hasards heureux de l’escarpolette,

La didascalie clôturant cette scène amicale indique combien Mme de Saint-Phar use de toutes les astuces pour réveiller le désir de son mari.

Madame de Saint-Phar entre, l’air distrait et préoccupé : elle a une robe très simple, mais très galante ; coiffée sans art, mais d’une façon pittoresque, les cheveux un peu dérangés, enfin, dans un désordre décent, mais voluptueux ; un rouge plus vif qu’à la première scène, la démarche leste, le regard assuré et serein, une guirlande de fleurs en écharpe, des fleurs dans les cheveux[22].

 Autant la didascalie qui commentait sa première entrée en scène montrait combien la jeune femme négligeait son apparence physique[23], autant celle-ci suggère combien cette fois le corps doit contribuer à l’éveil du désir et, partant, à la rééducation du sentiment amoureux.

A partir de ce moment, Mme de Saint-Phar joue un rôle qui constitue en quelque sorte celui que jouait jusque-là M. De Saint-Phar, mais poussé jusqu’à sa logique extrême, en proposant de surcroît à son ami un suicide collectif[24]. Ceci conduit notre Vaporeux à faire l’expérience des sentiments de l’autre et de la perte. Il se trouve face à sa femme qui déclare préférer à son amour la mort et, ce faisant, découvre la dépossession : l’autre n’est plus à lui mais devient un être pour la mort, situation qui voit renaître avec force le sentiment amoureux : « Le moment de se quitter donnerait-il des yeux[25] ? » demande-t-il ainsi à son épouse, touché apparemment par ce « décentrement du sujet[26] » évoqué par Corinne Pelluchon, au cours duquel le sujet voit « l’autre [qui] devient autrui[27] », et la  fin « du phantasme de l’appartenance à soi et de l’indépendance[28] ». La philosophe souligne combien dans l’amour il y a nécessité de l’ « […] accueil de l’autre comme tel, accueil du nouveau et de l’imprévisible […][29] ». Toutes choses dont Saint-Phar fait l’expérience ici, décentré par cette nouvelle représentation de sa femme peu conforme avec les images qu’il avait pu se construire d’elle. Mais pour que cette capacité à accueillir « l’imprévisible » en l’autre ait pu se manifester, il a fallu que l’autre se manifeste comme autre, c’est-à-dire que Mme de Saint-Phar rompe d’une part avec l’attitude qui était la sienne, qu’elle brise avec la constance de son propre discours pour tenir celui de son époux en le poussant jusqu’à son terme (donc qu’elle manifeste de l’altérité dans la mêmeté), et enfin qu’elle déploie le désir, non pas de son mari, mais de l’autre, la mort jouant, nous l’avons dit, le rôle de médiateur. Alors l’époux peut retrouver, dans cette forme de lutte pour la reconnaissance que constitue ici le couple marital, du désir pour celle qui ne se laisse plus posséder mais reste toujours à reconquérir :

Saint-Phar.

Je donnerais tout ce que je possède… Mets-moi dans le secret : que faudrait-il faire pour te séduire ?

Mme de Saint-Phar.

Mais, si vous aviez l’adresse de me persuader que vous pouvez encore m’aimer, et me le dire comme autrefois… Moi, je pourrais fort bien aussi, comme autrefois, aimer à vivre, pour vous entendre me le répéter.

Saint-Phar.

Oh ! s’il ne tient qu’à cela, je te le dis, je te le répète. Je t’aime, je t’adore… Tu souris ! … aurais-je réussi[30] ?

Suscitant de nouveau le désir de son mari, sa faculté à s’émerveiller d’elle, Mme de Saint-Phar obtient par ce subterfuge consistant à jouer le désir de mort, que renaisse le sentiment amoureux, fondé sur le décentrement du sujet et la découverte de l’altérité :

Saint-Phar.

Oui, mon ami, je suis guéri et je l’avoue. Un instant de sensibilité a fait plus que tous les arguments de la raison[31].

 Notons que la rééducation du sentiment qui s’opère ici à la faveur de cette mise en scène du désir de mort, vaut aussi bien pour Mme de Saint-Phar que pour son époux. Celle-ci découvre également la nécessité de sa propre altérité, de sa propre imprévisibilité dans la relation conjugale, imprévisibilité qui éclate dans ce rôle dont les actes manqués prouvent combien il lui échappe parfois sous l’effet des émotions :

Saint-Phar.

Et c’est à l’instant où tu me trouves tel que tu le désires, que tu veux nous séparer !

Madame de Saint-Phar, se laissant aller à son premier mouvement.

Moi ! … je veux… Je vous devine, Monsieur ; c’est une épreuve, et vous avez pensé me faire dire… Oh ! je ne me serais jamais pardonné cette faiblesse[32].

            Comme chez bon nombre de dramaturges du XVIIIe, le travail de métathéâtralité sert la pédagogie[33] et mène les personnages à un renouvellement d’eux-mêmes. Ici la mise en scène de Blainville permet un moment de non-coïncidence de chacun avec son rôle, un échange des rôles qui mène à leur redéfinition, voire leur explosion. D’une part la surprise de la découverte de l’altérité semble occasionner une renaissance du sentiment fondée sur le plaisir de l’inattendu. D’autre part l’effet miroir, qui procure à Saint-Phar l’occasion que son discours soit partagé et même démultiplié dans ses effets par sa femme, suscite un retour sur soi qui permet que se restructurent aussi bien la conscience de soi que la conscience de l’autre. De fait, en poussant son propre rôle jusqu’au point où Saint-Phar n’a pas osé aller, en affirmant son désir de se suicider, Mme De Saint-Phar suggère le tableau terrible d’une orpheline. Réveillant ainsi l’amour paternel de son mari, elle fait de cet amour le ferment d’une conscience morale retrouvée et permet à Saint-Phar d’endosser le rôle de sauveur de sa propre fille :

Saint-Phar.

Oui, je conçois… Cependant, ma bonne amie, vous avez une fille : comment pouvez-vous l’oublier ?

Mme de Saint-Phar, avec dignité, et le fixant.

Et vous qui depuis si longtemps ne vivez plus pour elle !

Saint-Phar, embarrassé.

C’est une charmante enfant, que Sophie.

Madame de Saint-Phar, avec sentiment.

Oh ! charmante.

Saint-Phar.

Vous l’auriez pourvue sans vous en séparer. On jouit du bonheur que l’on procure ; on s’entoure d’un petit peuple qui vous distrait, vous caresse[34].

            La réponse de Saint-Phar, « C’est une charmante enfant », indique assez ce réveil de l’amour parental sous l’effet du danger qui le menace. Le discours qui suit reprend à son compte les paroles préalables de Blainville, dans un éloge de la bienfaisance qui indique désormais une conscience de soi et d’autrui assise dans un vrai amour de la vie et de l’autre. Au lieu que le discours s’enfle de lui-même ou qu’il prenne son assise dans le repli sur un amour de soi exacerbé[35], il se structure ici dans un tableau  peignant un va-et-vient cohérent entre l’autre et soi, indiquant combien désormais pour Saint-Phar la prise en compte du réel, de sa situation de père fortuné capable de procurer du bien-être à autrui peut amener le bonheur d’exister. Au lieu de la fuite dans le divertissement paradoxal que lui offraient ses plaintes permanentes, son refus d’endosser sa situation conjugale et sa complaisance envers soi, Saint-Phar retrouve en somme, en reprenant à son compte le discours de Blainville, le sentiment potentiel du bonheur dans la relation « au monde et à ses semblables[36] ». Ainsi, grâce à la stratégie imaginée par Blainville, l’amour paternel enraciné dans l’amour-propre (Saint-Phar devient par la magie de l’artifice, le sauveur et de sa fille et de sa femme) retrouve sa pleine vigueur. Les passions sont bien au fondement de l’éducation du sentiment, lequel a toujours partie liée avec l’amour-propre.

2- Amour de soi et sociabilité : une perspective humienne.

            Une autre lecture de notre comédie, plus inspirée par la philosophie humienne – qui s’élève contre la conception hobbesienne d’un amour-propre vecteur de la lutte de tous contre tous – pourrait venir souligner également l’importance des passions dans la rééducation du sentiment, et au premier chef la sympathie, tout en réhabilitant l’amour de soi, non plus conçu comme lié à un égoïsme forcené, mais au contraire compatible avec la sociabilité et au premier chef avec le sentiment amoureux.

            De fait, si la sympathie anime Blainville et le pousse à utiliser le système de Saint-Phar contre lui-même, c’est aussi une sympathie salvatrice qu’il suscite chez son ami, laquelle le pousse à considérer avec admiration l’attitude de sa femme et à vouloir l’arracher à sa mort, mais aussi et surtout à ressentir, l’espace d’un jeu de rôles, les sentiments de cette dernière. Et c’est bien également une forme de sympathie que manifeste Mme de Saint-Phar à l’égard de son mari en partageant (ou en feignant de partager) son système de pensée au point de vouloir en pousser la logique jusqu’à son terme. En déployant tous les rouages de la sympathie, qui mènent Saint-Phar à renouer avec la vie et les autres, Blainville figure du sage, du philosophe et du metteur en scène, se montre en quelque sorte héritier de la leçon humienne[37]. Chez David Hume, la sympathie relève d’un processus mécanique qui fait que je subis ce que l’autre subit que je le veuille ou non. En ressentant le désespoir de sa femme, le Vaporeux laisse en somme la sympathie opérer à son insu et lui donner la possibilité de retrouver une conscience morale.

Chez Hume, la sympathie apparaît comme l’une des manifestations de cette propension générale de l’homme à considérer avec « approbation » et « bienveillance » « toute chose qui contribue au bonheur de la société[38] », propension à l’origine de la conscience morale. L’amour de soi n’est ainsi plus synonyme de « préservation de notre personne[39] » et se trouve compatible avec « la force du sentiment d’humanité[40] ».

Ainsi se trouve pensée, représentée dans cette comédie l’ouverture des deux personnages principaux à des sentiments variés – amour, reconnaissance, plaisir, sympathie – grâce à un jeu de rôle qui inverse les positions initiales des deux personnages principaux. Ce passage par le jeu, aux forts accents stoïciens, peut nous inciter également à réfléchir au sens de cette intertextualité latente. D’une part l’importance du rôle, rôle que Mme De Saint-Phar joue intentionnellement tandis que Saint-Phar le joue à son insu, évoque le désir stoïcien de « […] trouver et de tenir sa juste place dans le monde et parmi les autres hommes[41]. » Or il faudra que chacun des deux époux change de rôle pour trouver sa « juste place » dans le couple et dans le monde. Seul le passage par le rôle de mari inquiet cherchant à arracher sa femme au désir de mort et à ne pas laisser une orpheline pourra rendre à Saint-Phar sa place de mari et père aimant, et seul le rôle de femme désespérée choisissant de se donner la mort pourra rendre à Mme de Saint-Phar son statut d’épouse bien-aimée. Ce que suggère ainsi ce passage par le jeu théâtral, voulu ou non, c’est combien la non-coïncidence avec soi permet à l’individu de trouver une labilité propice à l’entretien des sentiments et du goût pour l’autre et la vie. Enfermés, pour l’une dans ses plaintes et reproches, pour l’autre dans ses jérémiades, aucun des deux époux ne pouvait trouver cette mobilité par rapport à soi qui, laissant toujours place à la surprise, donc à l’émotion découlant de la nouveauté, peut voir renaître d’autres sentiments :

Blainville.

Ce n’est pas sans peine que Madame de Saint-Phar s’est déterminée à jouer le rôle extraordinaire que je lui ai conseillé.

Gros-René.

Alle s’en tirera, allais ; mais je crois qu’il sera bian surpris not’ Monsieur.

Blainville.

C’est la seule chose qui puisse l’éclairer sur le dégoût qu’il prétend avoir de la vie[42].

Blainville par cette expression, « le dégout qu’il prétend avoir de la vie», suggère combien Saint-Phar s’est taillé sur mesure un rôle dont il est désormais prisonnier mais qui n’est qu’un rôle. Par sa mise en scène, Blainville rend à chacun des époux une pluralité de rôles qui les libèrent de l’assujettissement à un mode d’être et fait exploser ainsi, dans le sillage stoïcien, la notion de personne[43]. De cette conception stoïcienne de la personne fondée sur la multiplicité des rôles, à celle de Hume, pour qui l’identité personnelle est une fiction, il y a là émergence d’un soubassement philosophique du texte qui tend à vider la notion de personne de toute fixité[44] au profit d’une exploration expérimentale des conduites et comportements humains.

 Enfin, notons que la référence au suicide[45], autre thème stoïcien[46], est également récurrente dans notre comédie. Cette tentation est évoquée par Saint-Phar lui-même dès l’acte I : « Mais enfin, si mes souffrances surpassent mes forces, si rien ne me console de la vie, le Ciel ne me laisse-t-il donc pas le droit de terminer mes maux[47] ? » Elle est ensuite relayée par les inquiétudes de Gros-René à l’Acte II, inquiétudes que Blainville écarte sans ambages :

Sur cela sois tranquille ; il s’abuse lui-même. L’homme bien décidé à terminer ses jours, ne fait confidence de son secret à personne. Ceux qui l’annoncent, ressemblent aux gens qui crient bien haut qu’ils vont se battre, mais c’est toujours pour qu’on les en empêche[48].

            Blainville donne de Saint-Phar l’image d’un homme qui joue un rôle dont il n’est pas conscient. Non contente de rééduquer le sentiment chez son mari, en le ressuscitant par des impressions neuves, en piquant sa vanité et en éveillant sa sympathie, Mme de Saint-Phar réveille chez son époux, par cette mise en scène de son suicide putatif, sa capacité à rester maître de sa vie. Son discours et ses attitudes[49], en effet, contrastent fortement avec les gémissements, les plaintes et les revirements variés de Saint-Phar dans les scènes qui précèdent. En poussant jusqu’à son terme la logique de son époux, elle lui représente métaphoriquement la capacité humaine à choisir librement son destin. En d’autres termes, alors que Saint-Phar feignait auparavant d’hésiter à rester en vie, Mme de Saint-Phar l’incite  à choisir véritablement, l’amour contre le vide, la sympathie contre l’indifférence, et le plaisir des larmes et des sentiments partagés contre l’extinction des sentiments. Venant concrétiser dans cette mise en scène la logique mortifère du discours de Saint-Phar, la menace du suicide est l’occasion d’un véritable choix dans lequel l’individu s’affirme désormais comme sujet de sa vie et, partant, non plus comme être de fuite mais être de sentiments, ce que viennent matérialiser les larmes finales :

Saint-Phar.

 Je ne puis retenir mes larmes… Ah, Blainville ! (Il baise les mains de sa femme, et embrasse Sophie avec ivresse.)

Scène IX.

Les précédents, Blainville.

Blainville.

Laisse-les couler, Saint-Phar ; elles t’honorent bien plus que ta prétendue philosophie. Tu sens enfin que rien n’est si doux que d’être époux et père[50].

            Cette lecture du suicide comme encouragement à rester maître de sa vie lie là encore les stoïciens, l’œuvre de Marsollier des Vivetières et la philosophie empirique au sein d’un continuum qui cherche à penser les conditions de possibilité d’une existence réconciliant amour de soi, de l’autre, conscience morale et goût de l’existence.

Remarquons que la situation proposée par Marsollier se déploie à l’intérieur même de la famille, qui vient constituer le point d’ancrage de la subjectivité et le lieu où la sensibilité peut se déployer à loisir. Là se situe peut-être un des enjeux majeurs de la pédagogie du sentiment qui inscrit cette pièce au croisement de la comédie morale et de la « comédie larmoyante », voire du drame : le retour du mari prodigue dans sa famille fait de celle-ci le lieu où l’individu est appelé à déployer l’amour de soi en harmonie avec le lien intersubjectif. En ce sens Marsollier apparait sans doute comme un héritier du Destouches du Philosophe marié (1727) et du Nivelle de La Chaussée du Préjugé à la mode (1735). En outre, l’accent mis sur le redéploiement de l’amour de soi, compris comme le liant de la relation à l’autre, confère à notre comédie une perspective philosophique en lien avec la pensée de Hume.

La veine comique demeure, portée notamment par le personnage de Blainville, philosophe-expérimentateur auquel le spectateur est invité à s’identifier dans la mesure où il incarne le savoir et annonce le retournement de situation à venir. L’effet de distanciation par rapport au Vaporeux, que le spectateur ne saurait prendre en pitié, est donc initié par l’imitation outrancière de son valet La Roche, par les remarques sarcastiques de Blainville et le stratagème qu’il organise, enfin par le jeu final de mise en abîme dans lequel la femme de Saint-Phar inverse les rôles dévolus au mari et à l’épouse : le spectateur est alors convié à se désolidariser du fonctionnement initial du couple marital, tandis que les personnages mis à l’épreuve sont invités à se dissocier d’eux-mêmes jusqu’à la redécouverte du sentiment amoureux, de l’amour paternel et de l’amour de soi compris comme enraciné dans l’amour conjugal. Ainsi le théâtre s’affirme-t-il avant tout comme espace du jeu et célébration de la théâtralité de l’existence, dans un renouvellement ludique de la leçon stoïcienne qui fait du personnage un sujet toujours capable de se distancier de son rôle.

L’amour de soi bien compris y constitue le ferment de la surprise, laquelle renouvelle la capacité individuelle à ressentir et à reconnaître l’altérité. Dans la lignée marivaudienne mais, cette fois, au sein du couple marital, la surprise de l’amour peut avoir lieu si l’amour de soi laisse de la place à la sympathie, source d’émerveillement et de renouvellement du sentiment, et si le désir voit toujours son ou ses objets se renouveler, fût-ce au sein du même couple.


[1] Le cabinet du philosophe, Journaux et œuvres diverses, Paris, Classiques Garnier, 1988, p. 338.

[2] Jean-Marie Goulemot, « Expérience et expérimentation, la tentation du littéraire », Expérimentation scientifique et manipulation littéraire au siècle des Lumières, Paris, Minerve, 2014, p. 21, et p. 22 : « Doit-on rappeler une fois encore que Les Lumières n’ont cessé d’attaquer le principe d’autorité pour lui substituer le travail de la raison ? […] Le philosophe est donc tenu de dissimuler à ceux qu’il veut convaincre que sa démonstration ne relève pas du principe d’autorité que la manipulation par le discours utilise. Et pourtant le philosophe s’arroge des pouvoirs qui ne sont pas loin de ceux qu’il combat, mais il sait les habiller par une nouvelle pédagogie de son discours. »

[3] Le Vaporeux, Paris, Brunet Libraire, 1782, I, 2, p. 4 (désormais LV).

[4] « Dès lors, il n’est plus possible de combler tous nos désirs : au contraire, en nous donnant la jouissance de tous les objets auxquels ils nous portent, on nous mettrait dans l’impuissance de satisfaire au plus pressant de tous nos besoins, celui de désirer. On enlèverait à notre âme cette activité, qui lui est devenue nécessaire ; il ne nous resterait qu’un vide accablant, un ennui de tout et de nous-mêmes. » Condillac, Traité des animaux, Paris, Vrin, 2004 [1755], p. 185.

[5] Le Dictionnaire de l’Académie (Lyon, Duplain, 1777) donne pour définition du « vaporeux », « Qui est sujet aux vapeurs » : « On appelle vapeurs au pluriel, une certaine maladie, dont l’effet ordinaire est de rendre mélancolique, quelquefois même de faire pleurer, et qui resserre le cœur et embarrasse la tête. »

[6] Pour une analyse de cette pièce et de son caractère cyclique, voir notre ouvrage L’Inconstance dans la comédie du XVIIIe siècle , Paris, L’Harmattan, 2010.

[7] « La bienfaisance ! …ce n’est qu’une belle chimère. » LV, I, 8, p. 21.

[8] « Tout se peint en noir à mes yeux : je ne vois dans ma femme qu’un être complaisant par faiblesse, qui m’aime par habitude, et me supporte par pitié ; dans Sophie, qu’un enfant qui promet tout, il est vrai, mais qui bientôt, sans doute, livré aux dangers du monde, à l’incendie des passions, me fera compter mes instants par mes inquiétudes… Ah ! mon ami, si jamais Sophie, entraînée par l’exemple, pressée du désir cruel de jouir, s’impatientait des jours de son malheureux père… Puisse cette main, en avançant ma mort, épargner à ma fille le crime de le souhaiter ! » I, 8, p. 20.

[9] « Au reste, ces mêmes passions, qu’on doit regarder comme le germe d’une infinité d’erreurs, sont aussi la source de nos lumières. Si elles nous égarent, elles seules peuvent nous arracher à cette inertie et à cette paresse toujours prêtes à saisir les facultés de notre âme. » De l’esprit, Paris, Fayard, 1988 [1758], p. 28.

[10] « Cette passion, définie par le terme de ‘glory’ dans les citations précédentes […] Hobbes la décrit comme une forme de conscience de sa propre valeur […] qui ne provient pas immédiatement de la certitude du sentiment interne, mais tire son origine de la comparaison, de la confrontation relative avec les autres consciences. L’intersubjectivité fait ainsi partie de la vie psychique individuelle, dont la structure est relativement réflexive […] La même dynamique s’étend à toute la vie intérieure, à commencer par le désir, qui acquiert une dimension socialement induite en s’affranchissant du besoin naturel. L’homme de Hobbes, comme l’homme social de Rousseau, désire ‘selon les autres’. » Barbara Carnevali, Romantisme et reconnaissance, Figures de la conscience chez Rousseau, Paris, Droz, Genève, 2011, p. 44.

[11] « La coquetterie chez Marivaux ou ‘l’indécision de la vie’ », Revue Malice n°5, 2015, dir. Mathieu Brunet.  http://cielam.univ-amu.fr/publication/1416.

[12] LV, I, 10, p. 24.

[13] Est ainsi mise en évidence la « nature imitative du désir » dont René Girard souligne la force, tandis que la mort apparaît dans la relation entre Saint-Phar et sa femme comme le médiateur. René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris, Grasset, 1961, coll. « Pluriel », p. 29.

[14] « La présence d’un rival n’est pas nécessaire, dans le désir sexuel, pour qu’on puisse qualifier ce désir de triangulaire. L’être aimé se dédouble en objet et en sujet sous le regard de l’amant. […] Imiter le désir de son amant c’est se désirer soi-même grâce au désir de son amant. Cette modalité particulière de la médiation double s’appelle la coquetterie. La coquette ne veut pas livrer sa précieuse personne aux désirs qu’elle provoque mais elle ne serait pas si précieuse si elle ne les provoquait pas. La préférence que s’accorde la coquette se fonde exclusivement sur la préférence que lui accordent les Autres. » René Girard, Mensonge romanesque et vérité romantique, op. cit., p. 125.

[15] LV, II, 4, p. 32.

[16] « Dans l’univers de la médiation interne, l’indifférence n’est jamais simplement neutre. Elle n’est jamais pure absence de désir. Elle apparaît toujours à l’observateur comme la face extérieure d’un désir de soi-même. Et c’est ce désir présumé qui se fait imiter. » René Girard,  Mensonge romantique et vérité romanesque, op. cit., p. 127.

[17] Id.

[18] « Le médiateur ne peut plus jouer son rôle de modèle sans jouer également, ou paraître jouer, le rôle d’un obstacle. » René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, op. cit., p. 21.

[19] LV, II, 6, p. 38.

[20] De l’esprit humain, op. cit., p. 263.

[21] Helvétius souligne fortement le lien unissant amour et vanité : « « […] l’amour […] ne nous étant donné par la nature que comme un besoin, deviendra en se confondant avec la vanité, une passion factice, qui ne sera, comme les autres, qu’un développement de la sensibilité physique. » De l’esprit humain, op. cit., p. 289.

[22] LV, II, 7, p. 38.

[23] « Madame de Saint-Phar, mise très simplement, pâle et peu coiffée. » LV, I, 2, p. 4.

[24] « Mme de Saint-Phar.

Mais… si par hasard tu te décidais à m’accompagner, que pourrais-je regretter ? » II, 8, p. 41.

[25] II, 8, p. 42.

[26] « L’unicité et le sens de l’amour », Amour toujours ?, dir. Jean Birnbaum, Paris, Gallimard, 2013, p. 53.

[27] Ibid., p. 51.

[28]  Ibid., p. 55.

[29] Ibid., p. 63.

[30] LV, II, 8, p. 43.

[31] LV, II, 9, p. 45.

[32] II, 8, p. 45.

[33] Voir notre Destouches. Masques et métamorphoses du moi, PUR, Rennes, 2011.

[34] LV, II, 8, p. 41.

[35] Posture revendiquée dans le tête-à-tête entre les deux amis, I, 9, où Saint-Phar s’exclame notamment, en réponse à l’incitation de Blainville d’aider les misérables : « L’expérience désabuse ; on se lasse d’obliger des ingrats. » p. 21.

[36] « Pour certains, le mal de vivre demeure radical, comme si l’existence même de l’homme était un scandale métaphysique. Il n’est alors d’autre échappatoire qu’une fuite vers le divertissement et une intoxication permanente de plaisirs. Pour ceux-là, l’homme est une chose absurde, un tissu de contradictions. […] Pour d’autres, la condition de l’homme se définit moins en fonction d’une nature humaine que selon la situation qu’occupe chaque homme par rapport au monde et à ses semblables. » Robert Mauzi, L’Idée du bonheur dans la littérature et la pensée françaises au XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1967, p. 70.

[37] « Nulle qualité n’est plus remarquable dans la nature humaine, à la fois en elle-même et dans ses conséquences, que notre propension à sympathiser avec les autres et à recevoir par communication leurs inclinations et leurs sentiments, fussent-ils différents des nôtres voire contraires aux nôtres. […] Quand une affection s’infuse par sympathie, elle est d’abord connue par ses effets et par les signes extérieurs qui, dans l’attitude et la conversation, en transmettent une idée. Cette idée se convertit sur le champ en une impression et elle acquiert un degré de force et de vivacité tel qu’elle se transforme dans la passion elle-même et produit une émotion égale à une affection originelle. » Hume, Traité de la nature humaine, Livre II, section 8, Les passions, Paris, GF-Flammarion, 1991 [1739], p. 155-156.

[38] Enquête sur les principes de la morale, section V, Paris, GF-Flammarion, 1991 [1751], p. 128.

[39] Ibid. p. 127.

[40] Ibid. p. 129.

[41]Nathalie Sarthou-Lajus, « Du goût pour les stoïciens », Études 6/2009 (Tome 410), URL : www.cairn.info/revue-etudes-2009-6-page-775.htm, p. 775-786.

[42] LV, II, 1, p. 25.

[43] « Dans le vocabulaire stoïcien, le terme de personne […] désigne un rôle que l’on doit jouer à un moment donné ; la totalité des rôles que chacun est amené à assumer au cours de son existence ne suffit pas pour atteindre l’unité et la présence irréductible que recouvre la notion de personne. » Nathalie Sarthou-Lajus, « Du goût pour les stoïciens », op. cit. p. 11.

[44] « Rejeter la méthode expérimentale au nom d’une connaissance réflexive de soi, au nom de l’introspection que seule peut atteindre l’intériorité, c’est ne pas voir que l’intériorité est un mirage […] Connaître l’homme suppose donc que l’on observe les hommes dans la pratique commune de la vie ordinaire. » Frédéric Brahami, Introduction au Traité de la nature humainede David Hume, Paris, PUF Quadrige, 2003, p. 30.

[45] Remarquons également que le thème de la mélancolie et de la dépression induit par la pièce n’était pas étranger à Hume lui-même, qui a été affecté d’une longue dépression décrite dans une lettre datant de 1734. Consulter à ce sujet Frédéric Brahami, « Savoir, mélancolie, scepticisme. La dépression du jeune Hume », Philosophique [En ligne], 12 | 2009, mis en ligne le 06 avril 2012, consulté le 04 septembre 2016. URL : http://philosophique.revues.org/140 ; DOI : 10.4000/philosophique.140.

Quant au suicide, le philosophe anglais le défend au nom du droit individuel au bonheur : « Chacun n’a-t-il pas, par conséquent, la libre disposition de sa propre vie? Et ne peut-il pas légitimement user du pouvoir dont la nature l’a doté? […] Si le suicide est censé être un crime, alors seule la lâcheté peut nous y conduire. Si ce n’est pas un crime, tant la prudence que le courage devraient nous engager à nous débarrasser nous-mêmes promptement de la vie lorsqu’elle devient un fardeau. C’est la seule façon d’être utile à la société, en montrant un exemple qui, s’il était suivi, conserverait à chacun sa chance d’être heureux dans la vie, et le libèrerait efficacement de tout danger de malheur. » David Hume, Essai sur le suicide, 1753, trad. Martine Bellet, http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/classiques/Hume_david/essais_moraux_pol_lit/essai_sur_le_suicide/essai_sur_le_suicide.html

[46] Nathalie Sarthou-Lajus, « Du goût pour les stoïciens », op.cit., p. 10 : « Le choix même du suicide apparaît comme la volonté de rester maître de son existence en étant maître de sa mort. La vie n’est finalement plus digne d’être vécue pour les stoïciens lorsqu’on n’en est plus le maître, quand on ne peut plus régner sur une forteresse intérieure qui menace elle aussi de s’effondrer, de céder aux assauts extérieurs de la maladie et de la souffrance. »

[47] LV, I, 9, p. 21.

[48] LV, II, 1, p. 25.

[49] Voir les didascalies : « avec fermeté », « Elle se lève », I, 8, p. 42.

[50] LV, II, 8 et 9, p. 45.

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