Politique

Habitude et sens pratique dans la philosophie de Hegel

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Si les limites de l’habitude doivent être rappelées et soulignées, nulle question donc, pour Hegel, de procéder à une condamnation radicale et définitive de celle-ci. Bien au contraire, parce qu’elle est, dans sa détermination anthropologique, moment stratégique de la prise de possession de soi par le sujet et de l’avènement de la conscience, et, dans sa détermination éthique, ce par quoi en partie peut advenir et se constituer la « substantialité éthique » comme pôle “subjectif” de l’éthicité, l’habitude se présente comme un élément essentiel pour la possibilité de la constitution de quelque chose de tel qu’un sujet et un sujet politique ainsi que, sur un autre plan, d’une vie politique à proprement parler.

Source : Stock.Xchng

Il ne s’agit pourtant pas, dans la philosophie politique de Hegel, de gommer la part de conflictualité constitutive de la politique (qui est aussi sa dimension agonistique par quoi également le changement advient), comme d’ailleurs, de l’esprit objectif en tant que celui-ci est et reste pris dans la finité. Non seulement, celle-ci se manifeste tout particulièrement – et d’une manière qui semble irréductible -, à même l’éthicité, au sein de la société civile, mais elle trouve encore à se jouer, “par-delà” même l’État rationnel, dans le moment le plus concret du monde éthique dans les rapports entre États et c’est bien ce que montre, plus avant, l’apparition de la scène de l’histoire mondiale, l’insertion de quelque chose de tel que l’histoire mondiale dans la doctrine de l’esprit objectif.

S’il n’est pas question, dans la pensée de Hegel, de nier ces moments essentiels de l’histoire que sont les « grands bouleversements de l’ordre du monde », moment du changement, de l’institution d’un ordre nouveau (et qui doit certes, pour Hegel, s’institutionnaliser), il faut aussi faire sa part au moment de développement et d’épanouissement d’un principe de l’« esprit du monde » qui se déploie à travers lois, mœurs, culture, stabilité institutionnelle : celui de la vie politique tranquille d’un peuple. Ou encore, ici se manifestent les deux “visages” de l’institution en son sens fort, deux “faces” de celle-ci qui doivent être tenues ensemble : celui de l’instauration (le plus souvent conçu comme violence faite à l’ordre établi et qui relèvent dès lors de l’extraordinaire de l’action du grand homme) ET celui de l’ordinaire, de l’institution en tant qu’institué, que durée, stabilité. Or, sur ce second plan et en tant que l’institution n’est pas conçue par Hegel comme quelque chose qui, dans son objectivité, viendrait s’opposer à la subjectivité de l’individu particulier en lui faisant face comme ce qui lui serait purement extérieure, l’habitude, en tant aussi que constitutive, trouve ici toute sa place et son mérite doit être reconnu.

Plus encore, pour autant que l’action du grand homme n’est pas creatio ex nihilo en tant que celui-ci est, tout au contraire, au plus haut point fils de son temps et nourri par son temps, pour autant également qu’il est un « homme de caractère »[1] et que, de manière générale, est aussi précisément celui qui est le plus libre de sa corporéité[2], l’habitude, jusque sur ce plan et jusque dans sa détermination anthropologique, trouve encore à se faire valoir comme nécessaire – même si, certes, elle ne saurait suffire : condition d’un agir consistant, y compris sur le plan politique, elle n’en livre cependant pas toutes les clés.

Elodie Djordjevic


[1] Cf. ESP I, Ad. §80, p. 510/169 et ESP III, ad. §395, p. 429/72 où il est distingué entre caractère et entêtement, « cette parodie du caractère » : la différence tient en ce que le caractère est détermination de la volonté pour « un contenu riche en teneur, universel de la volonté ».

[2] Cf. ESP III, Ad. §401, p. 457/111.

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