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Quentin Meillassoux, Métaphysique et fiction des mondes hors-science

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Recension de l’ouvrage de Quentin Meillassoux, Métaphysique et fiction des mondes hors-science (Paris, Aux forges de Vulcain, 2015), rédigée par Anna Longo, Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne.

Dans ce court et brillant essai, Quentin Meillassoux nous dévoile l’existence d’un genre de fiction passé inaperçu jusqu’aujourd’hui : la fiction des mondes hors-science. Ce genre littéraire très rare –  l’auteur ne repère que quatre exemples dans l’histoire de la littérature –  a toujours été considéré comme de la science-fiction, bien qu’il s’en démarque pour une raison que seul un philosophe spéculatif peut saisir : la présence d’une métaphysique subjacente aux mondes  décrits.

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Pour nous faire comprendre la différence entre science-fiction et  fiction des mondes hors-science, Meillassoux compare le récit La boule de billard de Isaac Asimov (publié à la fin de l’essai dans l’ouvrage en question) et l’expérience de pensée de David Hume, s’interrogeant, dans le cadre du problème de l’induction, sur les raisons qui justifient la croyance dans la prévisibilité de la trajectoire d’une bille.

Reconnu à juste titre comme l’un des plus importants auteurs de science-fiction, Asimov nous raconte l’histoire d’un match de billard joué sous l’influence d’un dispositif capable d’annuler les effets du champ gravitationnel. Le match se termine par la mort du créateur du dispositif, incapable de prévoir le comportement de la bille en l’absence de gravité, alors que le théoricien ayant découvert les lois sur lesquelles repose l’invention peut parfaitement prévoir ce comportement et l’exploiter pour éliminer l’adversaire.  La métaphysique subjacente au récit est la suivante : les faits se produisent toujours et nécessairement en accord avec les lois de la physique et l’incapacité d’en prévoir les conséquences est un effet de l’ignorance. Comme Karl Popper le soutient, les événements imprévisibles ne sont pas la conséquence d’un changement des lois de la nature, mais d’un défaut de connaissance. Ainsi, une théorie scientifique qui ne parvient pas à expliquer la nécessité d’un événement doit être corrigée. La science-fiction est donc un genre littéraire dans lequel des faits inconcevables pour la science actuelle sont compris comme les effets de certaines lois de la nature qui ont cours dans notre monde et qu’une meilleure connaissance rend possibles.

Précurseur insoupçonné de la fiction des mondes hors-science, Hume imagine une partie de billard  dans laquelle la trajectoire des billes ne serait pas modifiée par un dispositif utilisant des lois inconnues, mais par le changement des lois physiques, rendant l’imprévisibilité objective, celle-ci ne dépendant pas de l’ignorance du joueur. Hume fait alors l’hypothèse métaphysique suivante : du fait que la croyance dans la stabilité des lois ne repose sur aucune nécessité rationnellement accessible, mais seulement sur l’habitude, il n’est pas irrationnel de penser qu’elles puissent changer, qu’elles puissent être contingentes. Le jeu imaginé par l’empiriste anglais a lieu dans un monde hors-science, un monde qu’on peut imaginer sans faire tort à la raison car rien ne nous oblige à penser les lois comme nécessaires. Dans ce monde, notre connaissance la plus parfaite ne permet pas de faire des prévisions certaines : demain, la même cause peut produire un effet complètement différent d’hier.

La science-fiction est ainsi un genre qui repose sur une croyance métaphysique dont la négation est la condition de possibilité de la fiction des mondes hors-science : la première suppose la nécessité des lois de la physique et explique l’inexplicable comme un effet de l’ignorance, la seconde suppose la contingence des lois et tient pour sans raison ce qui est inexplicable.

Cet essai de Meillassoux peut être considéré comme une introduction aux arguments majeurs employés pour établir la nécessité de la contingence dans Après la finitude, ouvrage qui a donné une réputation internationale à l’auteur et qui  inspiré la tendance philosophique du « réalisme spéculatif ». Dans Après la finitude, il s’agit de légitimer le réalisme scientifique en montrant que la description mathématique concerne certaines propriétés des choses en soi, de la réalité comme elle est indépendamment de la manière dont elle est donnée à un sujet. Autrement dit, Meillassoux ne se contente pas de l’objectivité obtenue par accord entre sujets rationnels, mais vise à démontrer que la description mathématique concerne le réel plutôt que le monde phénoménal. Le point de départ de son argumentation est le problème de l’induction de Hume : la condition du réalisme scientifique réside en effet dans la contingence des lois de la nature. Meillassoux nous dévoile ainsi que le monde des fictions hors-science est le nôtre, dont l’ordre reconnu par la science n’a aucune raison effective pour se conserver comme il est : le soleil pourrait ne pas se lever demain et ceci sans qu’aucune théorie scientifique puisse non seulement le prévoir, mais non plus l’expliquer. Cependant, Métaphysique et fictions des mondes hors-science peut également être considéré comme une application de la méthode spéculative, qui nous offre ici une perspective assurément originale sur un genre littéraire auquel on accorde de plus en plus de valeur.

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