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« The Big Bang Theory » ou la question de l’entente (1)

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Source : Photo-libres.fr

Nous souhaitons discuter ici la question de l’entente (understanding) à travers l’analyse du soap opera « The Big Bang Theory », en tant qu’il nous donne à voir une variété des usages du sens et d’ententes de ce sens. Ce support va en quelque sorte nous dicter le déroulement de l’analyse, car il nous faut expliquer l’ensemble des conceptions mises en jeu par cette série pour en arriver à notre point. Justifions tout d’abord le choix de ce support. Le format cours (20 minutes par épisode) et les thèmes comiques abordés par ce genre de sitcoms induisent à la fois un portait à gros trait de notre réalité et un soin particulier pour les dialogues puisque toute l’efficacité (comique) de la série repose sur eux. Cela produit un effet de miroir grossissant où se reflète la richesse les usages que l’on peut faire du sens. Notons que cette série ne cherche pas vraiment à être prise au sérieux, néanmoins elle met en jeu – avec le personnage de Sheldon en particulier – un certain nombre de conceptions, de présupposés, et de performances dialogiques qui nous semblent pertinent de relever. Elle est un réservoir de répliques et de situations exploitables.

Voici, pour toute présentation, ce que nous dit le synopsis de la série : « Leonard et Sheldon pourraient vous dire tout ce que vous voudriez savoir à propos de la physique quantique. Mais ils seraient bien incapables de vous expliquer quoi que ce soit sur la vie « réelle », le quotidien ou les relations humaines… Mais tout va changer avec l’arrivée de la superbe Penny, leur voisine. Ce petit bout de femme, comédienne à ses heures et serveuse pour le beurre, va devenir leur professeur de vie ! ». Le principe de la série est donc très simple : il repose sur la rencontre de deux univers – se situant à des années-lumière l’un de l’autre – qui n’auraient jamais dû se croiser (sous cette forme du moins). Cette rencontre se fait sous le mode de la découverte (l’exploration) et de l’affrontement entre ces deux conceptions de la vie. Mais si la différence est posée comme principe de base, ce que nous donne à voir Chuck Lorre, le producteur de la série[1], c’est leur « vivre-ensemble », leur cohabitation – leur « entente » envers et contre tout.

Cadre : image manifeste et image scientifique du monde

Nous avons souligné que la sitcom donne à voir la rencontre –  conflictuelle – de deux mondes et que ce principe antagoniste est ce qui structure sa trame. C’est plus précisément le divorce entre « l’image scientifique » et « l’image manifeste » du monde qui est thématisé ici. Nous reprenons à la théorie de W. Sellars présentée dans son article « Philosophy and the Scientific Image of Man »[2] les termes de cette dualité. Alors que l’image scientifique dérive nécessairement de l’image manifeste, c’est-à-dire qu’elle est une construction pour expliquer ou/et rectifier cette image du monde tel qu’il nous apparaît, on constate un divorce entre ces deux images qui semblent à tous égards incompatibles, ou du moins, qui semblent entrer parfois violemment en conflit[3]. Elles portent pourtant sur le même monde : le nôtre. C’est sur cette contradiction que joue caricaturalement notre sitcom.

Différences radicales et milieu intermédiaire :

Le principe structurant est simple : on a affaire à deux opposés et une médiation entre eux. On trouve ce motif tout d’abord au niveau de l’organisation spatiale de la série. Les deux mondes sont symbolisés par les deux appartements distincts dans lesquels vivent les deux colocataires d’une part et la jolie voisine de l’autre. La connexion entre les deux se faire premièrement dans ce lieu intermédiaire et en apparence neutre qu’est le pallier séparant les deux appartements et l’escalier y menant. Nous précisons « en apparence neutre », car les difficultés commence pour Sheldon dès que le pas de sa porte est passé : c’est le lieu où commence à s’opérer avec force les conventions sociales, même de manière minimale. On pourra se référer à une scène assez mémorable où il rencontre Penny lors de la relève de son courrier et se lance alors dans la description des attentes  et comportements (conventionnels) mis en jeu lors de ce type de rencontre à la fois fortuite et inévitable.

Bien sur, pour autant qu’ils sont tranchés, ce ne sont pas là des milieux étanches : les intrusions de l’un dans l’autre, et réciproquement, sont constantes. En rangeant – en pleine nuit – l’appartement « en bordel » de Penny, Sheldon met symboliquement en ordre (ou de l’ordre dans) l’image manifeste. Penny inversement introduit dans l’appartement des scientifiques une nouvelle matière à expérimenter – généralement symbolisée par de la nourriture – qui contrevient à la régularité (rituelle) sans faille régnant dans ce monde.

Continuons dans les clichés mis en place dans la série. On retrouve cette relation d’opposition-médiation au niveau des personnages, qui sont peu nombreux. Il y a le trio principal Penny, Leonard, Sheldon, qui se trouve complété par un couple d’amis eux aussi geek et scientifiques. En dépit de leur nécessaire utilité pour les intrigues des épisodes, ils sont secondaires quant à ce qui nous intéresse ici, à savoir le conflit entre les deux mondes : celui de Penny, archétype de la petite Américaine moyenne débarquée de sa campagne, et qui, en un sens découvre le monde, et celui de ces jeunes scientifiques ignorants de ce même monde.

Penny est donc présenté comme une caricature d’un ordinaire moyen : une pin up blonde, et donc versatile et superficielle, qui nourrit l’espoir de faire carrière comme comédienne, mais c’est bien là évidemment un échec[4]; elle souffre donc de problèmes financiers chroniques qui produisent des « crises existentielles » chez elle. À son opposé, on trouve Sheldon Cooper, génie précoce, obsédé par l’ordre er la régularité, et le plus souvent mécompris  et insupportable, comme tout bon génie se doit de l’être. Entres ces deux figures aux antipodes, on trouve Leonard Hofstadter. Il est le personnage intermédiaire entre ces deux paradigmes et se voit donc attribuer le rôle de souffre douleur. Sa fonction de médiation tient aussi au fait que d’emblée il tombe sous le charme de la jolie blonde et cherche sans cesse à la fréquenter, opérant ainsi le pont entre les deux mondes. Mais ce rôle de médiation n’est pas cantonné à ce schéma, car sa mère est à tout point de vue comme Sheldon, mais en plus ironique car elle est à la fois une asociale et un éminent chercheur en psychologie sociale.

Ces tropes ayant été abordés, concentrons nous sur la mise en scène du divorce entre les deux images du monde.

Comment le divorce entre les deux images est-il manifesté ? Monstration et monstruosité :

Comme le précise le synopsis, la série tend à révéler l’apprentissage du monde ordinaire par des scientifiques, par conséquent ce qui est donné à voir ici, plus que l’image manifeste sans cesse présupposé – le spectateur est par définition un être lambda qui sait ce que le « monde réel » est –, c’est donc l’image scientifique. Nous avons affaire à un phénomène de monstration sur plusieurs étages :

(1) L’élément le plus évident est qu’on a affaire des références constantes à des théories ou ouvrages scientifiques. Ces références se placent tout d’abord à un niveau structurel : les titres de chaque épisode renvoient directement des théories scientifiques ou des savants (par exemple, « The Euclid Alternative », saison 2, épisode 5 [2×5]), ou du moins à des termes ou concepts scientifiques (« The Bat Jar conjoncture », 1×13, ou encore « The Dumpling Paradox », 1×7). Puis, on en trouve la trace dans les dialogues, par exemple lorsque Leonard explique à Sheldon qu’ils sont physiciens et peuvent trouver toutes sortes de solutions scientifiques pour monter jusqu’à son appartement, le colis [une étagère] de Penny. Alors que le Colis commence à s’écrouler sur Leonard, Sheldon s’exclame qu’ « Archimède doit être tellement fier ! ». Généralement ces référence sont faites sous deux modes : l’un caricatural et l’autre plus sérieux.

Le mode caricatural est celui de la mise en avant d’un scientisme ou d’un rationalisme condescendant envers le sens commun incarné généralement par Penny. Par exemple, Sheldon refuse de décorer le sapin et plus largement de fêter noël, car cette célébration provient non pas de la naissance effective du Christ, mais une fête païenne célébrant le solstice d’hiver récupérer par le christianisme. Il demande alors d’accrocher un petit buste de Sir Isaac Newton sur l’arbre afin de célébrer sa naissance (le « 25 décembre dans le calendrier julien »), car cela fait bien plus « noël » [christmasy] que la naissance de Jésus qui est non pas une superstition – ce n’est pas le problème soulevé ici –, mais conçue incorrectement. Ceci est à mettre au compte du rapport pathologique entretenu par Sheldon à la vérité (conçue comme vérité correspondance) ; mais cela participe dans une certaine mesure à ce mode caricatural car cela introduit une dimension encyclopédique au personnage.

Le rationalisme des deux génies devient caricatural quand ils font face à des attitudes superstitieuses. Cela est manifeste surtout chez Leonard, parce que ces moments sont conflictuels. Il se moque violemment de Penny, qui est alors sa petite amie, lorsque celle-ci se dit rassurée quant à son avenir artistique parce qu’une voyante lui a prédit de la réussite. Leonard se montre incapable non pas tant de comprendre, mais d’accepter que cela puisse être vraisemblable, et refuse partant le rôle positif que cela puisse avoir pour Penny : seul le savoir rationnel peut détenir une telle positivité pour lui. Il lui refuse cette croyance et se demande comment il peut continuer à fréquenter une personne qui a de telles croyances, ou du moins qui ne partage pas sa vision du monde. Ce conflit illustre le divorce entre l’image manifeste et scientifique du monde.

Cette dispute, même si elle porte sur un mode d’approche de la réalité et non pas des faits, révèle le gouffre creusé entre ces deux images qui portent en fin de compte sur la même chose : le monde. On pourrait dire que la série en elle-même puisqu’elle est fondée sur cette différence radicale, sur ce divorce, n’est pas « réaliste » dans son principe. Mais puisqu’elle ne cesse de thématiser cela, de montrer les attitudes que nous prenons face à cette dualité, la sitcom a une portée réaliste. La dispute se dissout lorsque Leonard accepte (malgré lui) de créditer d’une certaine vérité (à défaut de vérité, il lui confère un intérêt, un poids) le versant non-scientifique de Penny, car Penny appartient à son monde, et que ce monde de Leonard n’est pas entièrement scientifique.

Ces références scientifiques sont tout de même, ou aussi, présentées sous un mode plus sérieux, même si l’effet produit est toujours comique. Sheldon souscrit par exemple à la théorie de la pluralité des mondes possible et il explique cela à Penny pour justifier l’impossibilité au sens strict de le voir danser. Sheldon ne danse dans aucun monde possible ( !).

(2) Outre ces références constantes à des théories ou faits scientifiques, notons que les dialogues fonctionnent souvent suivant le mode de l’explication ou du moins de l’explicitation. Cela joue à deux niveaux : la traduction en d’autres termes et pour désambiguïser certaines situations. Une grande partie de ce qui est dit par Penny est souvent retraduit en termes de description parodiquement scientifique, par exemple, après que Penny ait décrit son travail comme serveuse au Cheesefactory, Leonard traduit cela en « tu es une sorte de système de distribution de glucides » (1×2).

À de nombreuses reprises, les personnages se demandent mutuellement ce qu’ils veulent dire. Comme quand Leonard demande à son ami Howard ce qu’il cherche à lui dire lorsqu’il le met en garde sur le fait qu’il est un « homme passionné » aimant montré son affection en public, alors qu’ils sortent tous les deux pour un « double date » (3×12). Howard explicite son propos en disant qu’il souhaite se montrer entreprenant avec sa conquête et qu’il ne veut pas qu’elle se sente gênée. En somme, il demande implicitement que Leonard doit faire de même afin qu’il puisse être véritablement entreprenant. Nous avons ici affaire à une explicitation d’un régime que l’on pourrait qualifier de normal pour une conversation, ce qui est assez rare en fait dans cette sitcom qui joue sur le registre du gouffre séparant le monde ordinaire du monde scientifique.

Néanmoins le sens des énoncés y est sans cesse questionné, afin de rendre explicite ce que veulent dire les personnages, ce qui donne lieu à une étude du meaning des énoncés, souvent suivant des « procédures scientifiques ». Sheldon qui n’est pas un homme ordinaire, parle souvent en termes de « définition » ou de « description » dans une acception quasi scientifique. Il reste au niveau du fait (presque physique), du littéral. Mais ce mouvement n’est pas exclusif à Sheldon. Chaque membre de la petite bande font des hypothèses et s’expriment (analysent) en termes d’inférence logique ou de probabilité. L’énoncé « Vous formerez un jolie [cute] couple », proféré par Penny et se référant à Leonard et à une de ses collègues féminines est analysé par Sheldon à la demande de Leonard de cette manière : « Probablement qu’elle veut dire que vous constitueriez un couple que certains considéreraient comme joli. Une autre interprétation moins probable serait que vous pourriez en fabriquer [facture] un ». Et il donne un exemple pour cette hypothèse : « Comme dans “Regarde, Leonard et Leslie ont fabriqué M. et Mme. Goldfarb. Ne sont-ils pas adorables [cute] ?” ».

Notons tout de même la spécificité de Sheldon, car réciproquement à sa compréhension littérale, il semble ne comprendre ce qu’on lui dit qu’en termes d’assertion. Par exemple, lorsque Penny après qu’il ait eu un comportement anormal, lui dit qu’il est « impossible ». Sheldon le prend au mot, en disant que cela n’est pas possible [incorrect : ce n’est pas vrai] qu’il soit impossible, puisqu’il est effectivement là. Et souligne que ce qu’elle voulait dire c’est qu’il est « improbable », que seul ce terme peut faire sens. Sheldon est une sorte de mime ou une incarnation de la science[5], et en ce sens il est monstrueux : il montre comment tout – en particulier le sens – fonctionne et ce littéralement. On pourrait croire que ce type d’attitude est seulement attribué à Sheldon, mais c’est aussi le cas de Leonard par rapport à certaines situations.

Alors qu’il cherche à s’intégrer dans le groupe d’amis de Penny qui se rassemble dans son appartement toutes les semaines pour soutenir leur équipe de football, Leonard apprend les règles de ce sport pour comprendre et participer à la réunion. Comme il ne comprend la protestation infondée des supporters suite à une (mauvaise) action stratégique, il fait appel aux règles régissant ce sport – il les énonce donc les décrit – et souligne qu’au contraire il ne faudrait pas s’insurger car l’équipe mériterait d’être pénalisée pour ce geste (3×6). Ce faisant il rate « le point ». Et cela semble bien moins excusable quand ce genre de situation le concerne lui et pas Sheldon, parce que chez ce dernier la pathologie est mise en avant : l’écart est si grand qu’il en devient excusable. La maladresse de Leonard semble moins excusable : il n’est pas hors de propos, mais en décalage c’est-à-dire non-pertinent.

Ce phénomène est d’une certaine façon ce qui est recherché par le producteur de la série. Sheldon Cooper est en tout point insupportable, et pourtant on ne parvient jamais à être vraiment en colère contre lui, on ne réussit pas à lui en vouloir. Il est tellement hors de propos qu’on finit par l’accepter, car il est « impossible » et par conséquent on ne peut pas s’identifier à lui. Il nous semble en revanche, que les maladresses des autres personnages nous paraissent moins acceptables ou excusables, car leurs faiblesses renvoient aux nôtres. On est un peu dans le genre de situation où nous acceptons sans trop de problèmes que les voisins mitoyens mais dans un autre immeuble que le nôtre, organisent chez eux les répétitions de leur groupe de rock, alors que nous sommes en pleine étude, mais que nous trouvons insupportables que notre compagnon de travail tape convulsivement contre le pied de la table…

(3) Cette mise au premier plan du fonctionnement des choses ou phénomènes montre que nous avons affaire à ce que l’on peut nommer des « attitudes scientifiques ». On peut prendre pour exemple, la tendance à généralisation dans les sciences : après un impair, Leonard demande à Sheldon : « Tu es fier de toi ? », ce à quoi Sheldon répond : « En général, oui ». La transposition de cette attitude dans une conversation ordinaire provoque l’effet comique de la réponse. Ou encore dans un autre épisode, cette tendance à la généralisation est critiquée car elle se trouve être incorrecte : alors que la joyeuse bande d’amis teste un nouveau restaurant, Leonard conseille à Sheldon qui est hésitant face au menu, de prendre un hamburger parce qu’il aime les hamburger. Sheldon rectifie immédiatement – et logiquement – en mettant en évidence l’erreur dans l’inférence à cause d’une mauvaise prémisse : « j’aime les hamburger là où on va d’habitude. Tu ne peux pas en déduire que je les aimerai ici » (1×5). Dans une autre situation, l’inférence est incorrecte car il y a une exception : Penny, pourvue de nouvelles responsabilités à son restaurant, demande au garçon d’être des cobayes pour qu’elle puisse s’entraîner à faire des cocktails. Leonard s’en réjouie en notant que « le secret de l’efficacité est la répétition [l’entrainement] ». Sheldon le corrige : « à certaines évidentes exceptions près ; le suicide par exemple » (1×8).

On trouve aussi assez souvent le raisonnement par l’absurde comme principe animant les conversations. Et quand les personnages prennent le raisonnement comme objet, cela devient absurde  (2×1) :

Leonard : Comment ça, tu déménages ? Pourquoi ?

Sheldon : Il n’y a pas forcément de raison.

Leonard : Euh… si. Forcément.

Sheldon : C’est l’exemple classique du trilemme de Münchhausen. Soit la raison se base sur une série de sous-raisons, impliquant une régression infinie, ou résulte d’affirmations axiomatiques arbitraires, ou décrit une boucle : je déménage parce que je déménage.

Leonard : Je ne comprends pas.

Sheldon : Leonard, je ne vois pas comment le dire plus simplement.

Nous allons revenir rapidement sur cette incapacité de Sheldon. En attendant soulignons, que

(4) l’on trouve en dernier lieu dans cette série, une illustration de l’arrogance du « monde scientifique » (universitaire) : alors que Penny demande à Sheldon si Leonard n’est sortie qu’avec des « pointures » [braniac], il répond qu’une fois il a fréquenté un docteur en littérature française. Penny demande ce qui lui fait dire qu’elle n’est pas une « pointure », ce à quoi il répond que pour commencer elle était française, et que deuxièmement, « C’est de la littérature ! ». On trouve cette suffisance associée en particulier à Sheldon et qui se trouve résumé dans cette formule : « Tu sais que je suis un homme très intelligent. Ne penses-tu pas alors que si j’étais dans l’erreur, je le saurais ? » (3×2).

Mais si la série est fondée sur cet antagonisme entre monde « réel » et monde « scientifique »  – dualisme qu’incarne en un sens le personnage de Leonard –, le personnage de Sheldon semble quant à lui totalement arraché du monde manifeste, chacun de ses énoncés, de ses gestes est inadéquat ; ce qui nous conduit ici à interroger le problème de l’adéquation ou non de nos discours, et en ce qui concerne Sheldon, de son être[6]. En un sens, ce personnage nous montre la vacuité d’envisager le sens uniquement en termes de condition d’assertabilité ; ce qui est problématique ici c’est son ajustement au réel. (deuxième partie à suivre)

Delphine Dubs


[1] Notons que poser ce principe de différence comme structure dramatique est récurrent chez Lorre. En effet, on retrouve ce même motif dans les deux autres sitcoms qu’il a produit, à savoir : « Two and A Half Men » (Mon oncle Charlie) et Dharma and Greg. À chaque fois ce principe est réévalué ou réengagé dans un autre contexte jusqu’à l’épuisement.

[2] W. Sellars, « Philosophy and the Scientific Image of Man », Science, Perception and Reality, Atascadero, Ridgeview Publishing Company, 1991, pp. 1-40.

[3] Alors même qu’elles sont aussi profondément solidaires c’est-à-dire complémentaires : l’image manifeste prend en compte les prescriptions de la moralité laissées de côté par l’image scientifique qui se veut simplement descriptive.

[4] Ce qui est thématisé dans l’épisode 19 de la deuxième saison, épisode où une « nouvelle Penny » emménage dans l’immeuble, c’est-à-dire une jolie jeune femme venant de la campagne pour réaliser ses espoirs de mener à bien une carrière d’actrice tout comme Penny, mais avec de la réussite puisqu’elle décroche un rôle pour CIS.

[5] Sheldon dit toujours la vérité et il ressort qu’une partie de sa manière de comprendre les paroles d’autrui est de rechercher (structurellement) les conditions de vérité de ces dires.

[6] En un sens « il est véritablement impossible », et la série repose entièrement sur ce personnage, sur la puissance (comique) de son impossibilité à être adéquat, à s’ajuster au monde. Dans une toute autre mesure, J. Roubaud joue exactement de cela, ou du moins de l’écart au sein du sens, dans son recueil La pluralité des mondes de Lewis.

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