Epistémologieune

Le plaisir fait-il nos choix ?

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M. Steeve Buosi. Professeur de philosophie en CPGE. Lycée Europe Itecboisfleury, Corenc/Grenoble.

Les processus décisionnels sont-ils purs de toute émotion ?

Le plaisir est défini traditionnellement comme une sensation agréable. Nous ressentons du plaisir après avoir fait un bon repas, lu un bon livre … Le plaisir suit l’activité ou lui est associé comme un supplément. Le Trésor de la langue française informatisé le désigne comme un : « État affectif agréable, durable, que procure la satisfaction d’un besoin, d’un désir ou l’accomplissement d’une activité gratifiante ». Le Larousse le définit quant à lui comme un : « Etat de contentement que crée chez quelqu’un la satisfaction d’une tendance, d’un besoin, d’un désir. » C’est dire que le plaisir est toujours en un sens secondaire, il accompagne. Toutefois il provoque aussi des changements psychiques et comportementaux. Ce que nous ressentons (plaisir/dégoût etc.) semble générer des comportements de recherche ou d’évitement. La plurivocité des sens assignée au plaisir (sensation, état …) et sa bivalence se retrouvent dans les modèles et les disciplines qui le théorisent. Le plaisir se voit par exemple parfois classé parmi les émotions ce qui n’est pas sans conséquence.

Les psychologues classent généralement les émotions en deux catégories[1] : les émotions primaires et les émotions secondaires. Le modèle multimodale de Plutchik[2] fait par exemple de la rage, la vigilance, l’extase, l’adoration, la terreur, la stupéfaction, le chagrin et le dégoût les huit émotions primaires. Les émotions secondaires sont, quant à elles, composées de dyades d’émotions primaires, par exemple l’acceptation associée à la peur formera la soumission, le couple surprise/tristesse donnera naissance à la déception … Dans ce modèle nul trace du plaisir, relégué semble-t-il au rang des sensations.

Au niveau de certains modèles au sein des sciences cognitives le plaisir trouve parfois une place toute différente. Le modèle d’Oatley et Jonhson-Laird[3] essaye par exemple de penser les émotions secondaires comme les héritières des propriétés d’un noyau se ramenant à une émotion primaire polarisée positivement ou négativement. Ces émotions primaires sont classées en fonction du plaisir ou du déplaisir qu’elles procurent et les émotions secondaires sont des états construits à partir de ces éléments de base et d’une multiplicité de représentations additionnelles : représentations de situation, d’objet, de soi, d’autrui, de but, de cause, et de conséquence. Le plaisir tient ici une place prépondérante.

Un neuroscientifique comme Antonio Damasio fera, quant à lui, du plaisir une émotion tout à fait singulière car induite par le comportement (et non l’inverse). Dans un schéma classique la sensation provoque un sentiment ou une émotion (selon les modèles considérés) qui provoque à son tour un comportement[4]. Pour Damasio, ce schéma peut être remis en cause au même titre que la place qu’il faut dès lors accorder au couple plaisir/douleur. Nous avons choisi d’exposer ce modèle puisqu’il permet, entre autres, de mieux comprendre les mécanismes de la prise de décision et d’affiner le paradigme représentationnel classique qui affirme que les réactions d’un individu face à une situation dépendent de représentations[5], lesquelles influenceraient le choix qui se ferait en comparant représentations et situations.

Darwin a montré dans L’expression des émotions (1872) que les réactions émotionnelles comme la douleur ou le dégoût sont des réponses adaptatives communes aux animaux et aux hommes : « Il est remarquable de voir avec quelle facilité, chez certaines personnes, la simple idée de prendre une nourriture inusitée – par exemple de manger de la chair d’un animal qui n’entre pas habituellement dans notre alimentation, – provoque instantanément des nausées ou des vomissements, alors même que cette nourriture ne contient d’ailleurs rien qui puisse forcer l’estomac à le rejeter (…). Aussi pour expliquer que les nausées ou même le vomissement puissent suivre de si près la simple perception d’une idée, il est permis de supposer que nos ancêtres primitifs ont dû posséder, comme les ruminants et divers autres animaux, la faculté de rejeter volontairement la nourriture qui les incommodait. Aujourd’hui cette faculté a disparu, en tant que soumise à l’action de la volonté ; mais elle est mise involontairement en jeu, par l’effet d’une habitude invétérée de longue date, toutes les fois que l’esprit se révolte contre l’idée de prendre tel ou tel aliment, ou plus généralement toutes les fois qu’il se trouve en présence de quelque objet qui inspire le dégoût. » [6]

Le plaisir est (comme le dégoût ou la douleur) aujourd’hui considéré par les neuroscientifiques comme engrammé dans le cerveau (en psychologie un engramme est une trace laissée dans le cerveau par un événement ; en physiologie, est engrammé ce qui est programmé pour être reproduit par le système) et comme permettant l’adaptation à l’environnement. Il induit les mécanismes neurophysiologiques qui permettent au cerveau de trier les signaux en provenance de l’extérieur (via les cortex sensoriels fondamentaux[7]) ou même de l’intérieur (Proprioception[8]) de l’organisme. Le plaisir si l’on emprunte le vocabulaire de la physiologie permet in fine l’homéostasie, c’est-à-dire l’équilibre et la survie d’un système quelconque alors que ce dernier est confronté à des contraintes extérieures. Henri Laborit montrait à ce propos dans les années 1970 dans Eloge de la fuite que le système nerveux a justement pour fonction de permettre à un organisme d’agir, « de réaliser son autonomie motrice par rapport à un environnement, de telle façon que la structure de cet organisme soit conservée. »[9]. A. Damasio rajoutera en ce sens : « il est intéressant de constater que les déterminants biologiques sous-tendant ce que nous appelons à présent la douleur et le plaisir ont également joué un rôle crucial, au cours de l’évolution, dans la sélection des systèmes assurant la survie, lorsqu‘il n’y avait ni souffrance individuelle, ni faculté de raisonnement. »[10]. Le plaisir apparaît ainsi comme ce qui est imprimé dans le cerveau et que celui-ci recherche ; secondairement, comme ce qui permet au système nerveux de trier[11] le « délétère » du « profitable », et enfin comme ce qui permet non seulement l’adaptation comportemental et par conséquent la survie du système. Il faut ajouter que le système nerveux subit une modification permanente du sous l’effet du plaisir.

De manière générale, la plasticité cérébrale[12] est en effet devenue aujourd’hui un paradigme incontournable des neurosciences au point qu’il est possible de parler pour qualifier l’homme « d’homo plasticus »[13]. La plasticité cérébrale désigne la capacité du cerveau à s’organiser et se réorganiser en fonction de l’expérience. Tout plaisir transforme ainsi durablement la morphologie cérébrale. Le cerveau est en permanence énacté[14] par son environnement interne/externe, les neurones qui « communiquent » entre eux par des jonctions nommées synapses voient leur efficacité renforcée ou détériorée par les émotions notamment celle de plaisir[15]. On parle alors de plasticité synaptique pour désigner la naissance, le renforcement, l’affaiblissement et la mort de cette zone de contact formée par la synapse entre deux neurones qui permet leurs échanges. Il existe donc bel et bien une mémoire physique du cerveau un peu à la manière dont une rivière voit son lit creusé par le passage récurrent de l’eau. Ces points connus depuis D. Hebb et ses travaux[16] nous amènent à considérer que l’apprentissage (comportement induit) correspond à un renforcement des liaisons synaptiques entre deux neurones. Lorsque les synapses sont stimulées, les apprentissages se renforcent ; non activés, ils dépérissent. Au regard de ce qui précède, il faut alors ajouter une autre « qualité »  au plaisir,  celle de ne plus pouvoir être réellement dissocié dans ses effets de son double la douleur : douleur et plaisir forment un couple biologiquement nécessaire à la survie. En somme, dans le cerveau le circuit de la récompense (faisant partie du « medial forebrain bundle ») et le circuit de la punition (dans le « periventricular system ») permettent la préservation de l’homéostasie par une forme d’action bien spécifique : la recherche du plaisir, la fuite devant la douleur.

Les actions initiées par cette recherche/fuite ne sont pas neutres non plus. Elles supposent un espace à l’intérieur duquel elles peuvent se déployer. Généralement, l’espace est considéré de manière objective, pourtant il faut refuser « l’idée d’un prétendu sens de l’espace qui nous ferait localiser nos sensations à l’intérieur d’un espace tout fait »[17]. Nous possédons un instrument, le corps, capable de forger des relations avec les objets extérieurs : « cet instrument auquel nous rapportons tout, celui dont nous nous servons instinctivement, c’est notre propre corps. C’est par rapport à notre corps, en effet, que nous situons les objets extérieurs, et les seules relations spatiales que nous puissions nous représenter, ce sont leurs relations avec notre corps. »[18] Cela signifie que tout espace est construit par des relations et il est à parier qu’elles n’échappent pas à l’émotion … donc au plaisir. Pour appuyer cette idée, il est possible de faire référence aux neurones dits canoniques.  A l’échelle de l’espèce les neurones canoniques dans les lobes frontaux sont activés lors d’une action réalisée mais aussi lorsque la simple vision d’un objet du monde suggère une action, comme si  l’idée abstraite de « l’action de saisir » étaient « intrinsèquement encodée dans l’aspect visuel de l’objet. »[19] Cela signifie (comme nous le verrons en détail plus bas) qu’il n’y a plus de place pour une quelconque perception naïve du monde. Le monde perçu est le monde reconstruit pour l’action mais aussi et surtout par l’action.

Damasio va en effet inverser les catégories classiques concernant l’émotion et son rôle dans la perception de l’espace et sur nos comportements en affirmant que l’émotion est première et non seconde : « Les émotions n’existent que parce que l’organisme doit s’adapter à l’environnement : la peur immobilise la proie pour mieux la camoufler, la colère donne la force d’agresser pour se défendre, le plaisir donne l’envie de réitérer ce qui s’est révélé bon pour l’individu. »[20] Les émotions sont pour lui des actions alors que les sentiments sont « privés, subjectifs. Ils sont ressentis par l’individu et lui seul. Il ne s’agit pas de comportement mais de pensée. »[21] Damasio, dans un même entretien rapporte l’exemple favori de W. James[22] à ce sujet : lorsqu’une personne rencontre un ours, elle commence par courir et ce n’est qu’ensuite qu’elle ressent la peur de l’ours. « C’est donc la part active de l’émotion qui induit le sentiment » conclura Damasio. Le plaisir pourrait par conséquent se ramener à une émotion et toute émotion à une action. Reste à savoir ce qu’il faut entendre réellement par action ou comportement ici. Par ailleurs, ne doit-on pas au regard de ce qui précède considérer que nos décisions sont bien souvent non seulement le fruit d’un calcul inconscient et automatique mais aussi le fruit d’émotions engrammées par le cerveau ayant pour seul but une forme d’économie : choisir toujours le moins couteux pour la survie de l’organisme[23] ?

Antonio Damasio affirmera que face à un choix, un individu « ne fait pas seulement une analyse purement rationnelle. Il est aussi aidé par les souvenirs qu’il a de choix antérieurs et de leurs conséquences. Et ces souvenirs contiennent des composantes affectives, émotionnelles de l’événement passé. »[24] Tout souvenir fonctionnera comme un « marqueur », un signal. Le bon souvenir (pas forcément conscient) lié au plaisir marquera ce choix futur comme désirable, le mauvais celui-ci comme à éviter. Les traces émotionnelles et les sentiments ressentis orientent nos décisions. Dans son ouvrage Spinoza avait raison, Damasio précise qu’il existe des niveaux de régulation homéostatique automatisée (donc non-conscients) : « En matière d’organisation de l’homéostasie, au bas de l’échelle, nous trouvons des réponses simples comme l’approche et l’évitement d’un organisme entier face à un objet ; des augmentations d’activité (excitation) ou des baisses d’activité (calme ou repos). En haut de l’échelle, nous trouvons les réponses de compétition ou de coopération. On peut représenter la machine homéostatique comme un grand arbre aux nombreuses branches correspondant aux phénomènes chargés d’assurer la régulation automatisée de la vie. »[25] Le tronc de cet arbre est constitué de la régulation métabolique, de réflexes de base et de réponses immunitaires. Les premières branches sont faites de comportements de plaisir et de douleur : « les comportements normalement associés à la notion de plaisir (et de récompense) ou de douleur (et de punition). Ils comprennent les réactions d’approche ou d’évitement de l’organisme tout entier face à un objet ou une situation spécifique. Chez les humains, lesquels peuvent à la fois sentir et rapporter ce qu’ils sentent, ces réactions sont décrites comme douloureuses ou agréables, comme une récompense ou comme une punition. »[26]. En cas de brûlure par exemple les cellules de la région touchée émettent des signaux chimiques nociceptifs (indiquant la douleur) auxquels l’organisme répond automatiquement par des comportements de douleur ou de mal (prostration, expressions faciales etc. visibles à l’œil nu mais aussi des « comportements » invisibles comme la production de substances chimiques, par exemple les cytokines). Ce qui est valable pour la douleur l’est pour le plaisir. Le corps détendu, en harmonie avec lui-même et son environnement se remarque par certaines postures et par la production, par exemple, de substances chimiques de la classe des endorphines. Juste au-dessus de ce niveau, se trouvent les besoins et motivations (faim, soif, curiosité, exploration, jeu, sexe … ce que Spinoza appelle les appétits et qu’il différencie des désirs qui sont des appétits conscients). La corolle supérieure de l’arbre est faite des émotions proprement dites, « au sens étroit du terme : la joie, la tristesse, la peur, l’orgueil, la honte et la sympathie ».  Au-dessus enfin se trouveront les sentiments que Damasio définit comme : «  l’idée du corps qui est d’une certaine manière » (p. 93). C’est « une représentation d’un état donné du corps » (idem). Nous le comprenons, le corps réagit au plaisir et à la douleur à tous les niveaux mais surtout il faut en conclure que : « l’expérience de la douleur ou du plaisir n’est pas la cause des comportements de douleur ou de plaisir ; elle n’est en aucun cas nécessaire à l’apparition de ces comportements. »[27]. Il y a pour reprendre le vocabulaire de Spinoza un conatus[28], c’est-à-dire un comportement fondamental pour chaque organisme qui consiste à rechercher la meilleure configuration (réaction ou absence de réaction) possible par rapport aux données internes ou externes qu’il reçoit. La thèse présente chez Damasio a inversé les cadres traditionnels de la compréhension du plaisir. Il se voit désormais rangé dans les comportements émotionnels primitifs et n’est plus seulement considéré comme une simple sensation ou un état dérivé de cette sensation. Damasio en distinguant émotion et sentiment affirme donc que nos comportements ne supposent pas forcément un sentiment c’est-à-dire une conscience des états du corps. Est-ce à dire que la décision fondée en raison disparaît ?

Alain Berthoz, affirme dans son ouvrage La décision : « Nous ne prenons pas nos décisions, qu’elles soient motrices ou intellectuelles, au terme d’une analyse complètement rationnelle de la situation ». La décision n’est pas le résultat d’un calcul mais le fruit d’une perception de soi-même et du monde, modelée par nos émotions. « Le cerveau de l’homme entretient avec les objets extérieurs des relations différentes selon qu’ils sont susceptibles de l’aider à survivre ou de lui nuire, qu’ils sont source de récompense ou de punition, de satisfaction ou de peine ». Ici encore les émotions ne sont pas seulement des réactions, elles font le monde perçu et participent de ce fait à la décision. Comment ? Le cerveau est un immense simulateur capable d’anticiper le rôle des objets présents dans le monde. On parle classiquement d’affordance pour désigner la capacité de tout objet du monde à suggérer sa propre utilisation, toutefois il est possible de faire de l’affordance autre chose qu’une simple qualité objective des objets de l’environnement. Le cerveau est capable en quelque sorte de recréer le monde en fonction de la nécessité que l’organisme a de s’y adapter. « Nos émotions sont évaluatives » comme l’affirme le psychologue Nico Frijda[29] ce qui signifie qu’elles nous font percevoir le monde à travers leur cadre ; notre environnement est coloré émotionnellement[30]. L’affordance se comprend ici comme un effet de l’émotion, comme la capacité qu’a le cerveau de ramener le monde à son utilité pour l’organisme. Pour prendre un cas simple, un animal coursé par un prédateur verra son environnement à travers sa fuite et ne considérera que les objets la lui permettant. Cette focalisation de la perception est généralisable, nos perceptions sont toujours orientées émotionnellement. Est-ce à dire que tout n’est donc que plaisir ou douleur, approche ou évitement au niveau cérébral (celui des émotions) comme au niveau psychologique (celui des sentiments) ? N’est-ce pas finalement revenir à une forme de behaviorisme, c’est-à-dire à une position qui ne considère que le comportement observable (ou mesurable) ? Que devient la fameuse richesse de la pensée humaine s’il est possible de la réduire à la recherche du plaisir et à la fuite devant toutes les formes de douleur ?

Nous l’avons dit, notre cerveau est un immense simulateur : « un simulateur d’action, un générateur d’hypothèses » (Berthoz). Un système qui en fonction de son expérience (sa mémoire) des plaisirs et déplaisirs fait des paris sur les bons choix à faire. Cette manière d’agir (nous parlons ici  d’action car la simulation cérébrale suppose une réelle débauche d’énergie et suppose aussi que les neurones canoniques se déchargent comme lors d’une action réalisée effectivement) est complexe grâce à des scenarii virtuels prédictifs tout aussi complexes mais qui restent économiques en comparaison des actions effectives dans le monde extérieur. Berthoz affirmera qu’au fond le choix est toujours un choix par inhibition : « L’inhibition n’est plus une simple absence d’excitation mais bien un processus actif de suppression d’une action excitatrice »[31]. Cela revient à dire que notre cerveau est toujours en action puisque excité et simulant mais que l’attention consiste en une focalisation qui élimine tout accessoire. La décision se voit ainsi ramenée à des processus internes dont l’émotion (formée par le couple plaisir/douleur si nous acceptons la thèse de Damasio) est encore une fois le cœur.

Pour finir, il est possible de dire avec Rizzolatti et C. Sinigaglia dans Les neurones miroirs, que les formes de « résonnance émotionnelles » si elles permettent aux organismes de répondre de manières efficaces aux « éventuelles menaces (ou opportunités ») comme nous l’avons vu, rendent aussi possibles « l’instauration et la consolidation des premiers liens interindividuels. »[32]. Cela signifie que les émotions au rang desquelles il faut compter le plaisir sont à la base de nos comportements sociaux. Les interactions sociales constituent elles aussi un bain énactif dans lequel tout individu est plongé, qu’il contribue à modifier et par lequel il est, à son tour modifié (boucle rétroactive). Encore un élément de richesse et de complexité … Mais est-ce suffisant pour sauver le libre arbitre ? Rien n’est moins certain. La conscience elle-même est attaquée de toute part et la naissance d’une conscience dite (à tord) artificielle est déjà d’actualité[33] … Les neuroscientifiques parlent pour la désigner ainsi que les phénomènes qui l’accompagnent (la décision, le choix etc.) d’émergence. L’émergence désigne « l’apparition d’une nouvelle propriété résultant de l’assemblage d’éléments dont aucun ne contient les propriétés de l’ensemble. »[34] Or ce concept issu pour une bonne part de la théorie de la thermodynamique semble poser de nombreux problèmes au rang desquels se trouve le fait qu’il masque encore une fois les mécanismes sous-jacent à l’apparition de telles propriétés. Peut-être faudrait-il alors envisager le détour par une théorie quantique des « comportements » cérébraux associée à une théorie des champs magnétiques[35] pour affiner notre compréhension de la décision en dehors d’un strict déterminisme à visée hédoniste. Mais ceci est une autre histoire.


[1] Il est d’usage de distinguer les émotions primaires : joie, colère, tristesse, dégoût, peur, surprise et les émotions secondaires ou sociales : la honte, l’embarras, la fierté …

[2] Plutchik, R. (1980) Emotion : a psycho-Evolutionary Synthesis. Harper, New York.

[3] Oatley, K. , Jonhson-Laird, P. N. (1987) Towards a cognitive theory of emotions. Cogn. Emotion, 1 : 29-35.

[4] « Les émotions sont des constellations de réponses de forte intensité qui comportent des manifestations expressives physiologiques et subjectives typiques qui s’accompagnent généralement de tendances d’action caractéristiques et s’inscrivent en rupture de continuité par rapport au processus qui était en cours chez le sujet au moment de leur apparition ». Article « Emotion ». Le grand dictionnaire de la psychologie. Larousse. Paris, 2002.

[5] Les représentations en sciences cognitives sont des modèles cognitifs intériorisés de notre environnement, le mot « arbre» est une représentation linguistique de l’objet arbre planté dans le jardin. Le signe « + » est une représentation logique de l’opération ajouter. Dans tous les cas, faire appelle à la notion de représentation suppose que l’esprit humain soit un système de traitement de l’information et que cette dernière ne peut justement être traitée qu’à la condition d’être en quelque sorte symbolisée (la représentation). Les neuroscientifiques qui s’inscrivent dans ce modèle représentationnel associent ces représentations à l’activation de zones cérébrales.

[6] Darwin, C. R. (1872), L’Expression des émotions chez les hommes et les animaux, tr. Fr. 1890, reprise par les éditions du CTHS, Paris, 1998.

[7] Les cortex sensoriels fondamentaux dans le cerveau (cortex visuel fondamental, cortex auditif fondamental, etc.) reçoivent des messages des terminaisons nerveuses par exemple de la peau, de la muqueuse nasale et permettent pour certains chercheurs comme R. Damasio de former les représentations neurales. Voir R. Damasio, L’erreur de Descartes, Odile Jacob Poches pour la tr. Fr. 1995 p. 131 et 132.

[8] La proprioception se définit comme la perception par un sujet de ce qui lui est propre, un « sens du toucher interne » selon Berthoz. Au sens strict elle se définit comme : « un système de couplage qui intervient dans la perception du mouvement (kinesthésie) et du positionnement (statesthésie) corporel.» Gapenne O. « Altération de la matrice proprioperceptive et psychose naissante : une hypothèse » p. 388 Evol Psychiatr 2010 ;75.

[9] H. Laborit, Eloge de la fuite, p. 19, Folio Essais, Gallimard 1976.

[10] R. Damasio, L’erreur de Descartes p. 352, Odile Jacob Poches pour la tr. Fr. 1995.

[11] J. Ledoux définit l’émotion « comme le processus par lequel le cerveau détermine et calcule la valeur d’un stimulus ». Ledoux, Joseph Neurobiologie de la personnalité, Paris : O. Jacob, 2003.

[12] Voir par exemple le site : http://www.neuroplasticite.com/index.php

[13] Le cerveau fait de l’esprit. Enquête sur les neurones miroirs. Vilayanur RAMACHANDRAN, p. 41. Dunod, Paris 2011.

[14] L’énaction est cette relation corps/environnement qui voit les deux termes de la relation se modifier l’un l’autre et l’un par l’autre. Il s’agit d’une boucle. Voir sur ce point complexe : http://plasticites-sciences-arts.org/PLASTIR/Penelaud%20P18.pdf

[16] Donald Olding Hebb, The organization of behaviour, 1949.

[17] H. Poincaré, Dernières pensées p. 17, Flammarion, Paris 1917.

[18] H. Poincaré, Science et méthode p. 55, Kimé, Paris, 2000.

[19] Ibidem p. 47.

[20] Entretien avec Antonio Damasio, « Les émotions, source de la conscience ». Le cerveau et la pensée Le nouvel âge d’or des sciences cognitives p. 278. Ouvrages de synthèse. Sciences Humaines Editions, 2011.

[21] Ibidem p. 280.

[22] W. James (1842-1910) un des pères de la psychologie américaine et du pragmatisme.

[23] En psychiatrie, l’état crépusculaire désigne une pathologie plus ou durable caractérisée par une baisse de la vigilance qui n’influe pas sur les capacités d’un sujet, lequel pourra continuer à réaliser certaines tâches complexes …

[24] Ibidem p. 281

[25] A. Damasio, Spinoza avait raison p. 37 pr. la trd. fr. Odile Jacob 2003.

[26] Ibidem p. 39 et suivantes.

[27] Ibidem p. 40.

[28] Spinoza, propositions 6, 7 et 8 de l’Ethique 3ème partie.

[29] Voir « envahi par l’émotion », rencontre avec N. Frijda, Sciences Humaines, n°141, août-septembre 2003.

[30] Les psychologues sociaux parleront de « biais d’attribution ».

[31] Voir C. Boujon (dir.), L’Inhibition. Au carrefour des neurosciences et des sciences de la cognition, Solal, « Neurosciences cognitives », 2002.

[32] G. Rizzolatti, C. Sinigaglia, Les neurones miroirs, p. 188, Odile Jacob Poches pr. la trd. fr. 2008.

[33] Pour un bref aperçu sur ce point voir l’entretien avec D. Dennett sur le site de La Recherche : http://www.larecherche.fr/content/recherche/article?id=15764

[34] « Emergence », p. 460 Le cerveau et la pensée. Le nouvel âge des sciences cognitives. Ouvrage de Synthèse. Editions Sciences Humaines Editions, 2011.

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