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La phénoménologie : méthode pour la sociologie ? Entretien avec Joan Stavo-Debauge (propos recueillis par Audran Aulanier)

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Joan Stavo-Debauge est sociologue à l’institut des sciences sociales, université de Lausanne, membre associé du CEMS/EHESS.

Audran Aulanier est doctorant au CEMS/EHESS et ATER en sociologie au CeRIES/Univ. Lille.

Résumé

Cet entretien revient sur le parcours de Joan Stavo-Debauge en se centrant sur sa découverte puis son utilisation de la phénoménologie dans sa pratique de sociologue. Au fil de la discussion, il revient sur la manière dont il a découvert des auteurs qui ont compté dans son parcours (Schütz, Ricoeur, Derrida) et sur l’usage qu’il a fait de leurs propositions philosophiques pour construire sa propre sociologie de l’hospitalité. Ce faisant, sont abordés d’une part les potentiels d’hybridation interdisciplinaire qu’offre la phénoménologie (vocabulaire de description, attention à la corporalité de l’expérience, etc.) et, d’autre part, certains manques ou certaines impasses de la phénoménologie sont évoqués, comme l’importance trop grande que cette manière de philosopher offrirait à l’extra-ordinaire.

Mots-clefs : Phénoménologie, sociologie, Jacques Derrida, hospitalité, extra-ordinaire, nouveau-venu

Abstract

This interview looks back at Joan Stavo-Debauge’s career, focusing on his discovery and use of phenomenology in his practice as a sociologist. In the course of the discussion, he comes back to the way he discovered authors who counted in his career (Schütz, Ricoeur, Derrida) and to the use he made of their philosophical propositions to build his own sociology of hospitality. In doing so, the potential for interdisciplinary hybridization offered by phenomenology (vocabulary of description, attention to the corporality of experience, …) is discussed on the one hand, and on the other hand, some lacks or dead ends of phenomenology are mentioned, such as the overemphasis of the extra-ordinary by this way of philosophizing.

Keywords: Phenomenology, sociology, Jacques Derrida, Hospitality, Extra-ordinary, newcomer


I. La découverte puis le goût de la phénoménologie[1]

Audran Aulanier : Est-ce que tu peux d’abord revenir sur la manière dont tu as commencé à lire de la phénoménologie dans un cursus universitaire qui n’était pas « philosophique » ? Ton parcours est plutôt marqué « sciences sociales », même si tu as beaucoup écrit sur et à partir de philosophes. A priori tu n’as donc pas forcément eu beaucoup de cours directement sur la phénoménologie et sa méthode. Quelles sont donc les rencontres qui t’ont permis de lire des phénoménologues et te familiariser avec un vocabulaire qui a tout de même pas mal de spécificités ?

Joan Stavo-Debauge : Ma rencontre avec la phénoménologie date de mon passage à l’Institut d’études politiques de Lyon […] : un enseignant me donne un genre de goût pour la philosophie – Philippe Corcuff, qui nous parlait souvent de phénoménologie. Et d’ailleurs, pas tellement de phénoménologie en général, mais plutôt de quelques auteurs dont il s’était entiché à l’époque et pour lesquels il conservera un intérêt, en particulier Maurice Merleau-Ponty et Emmanuel Levinas. Évidemment, il y a plus facile pour entrer en phénoménologie que de débuter par ces deux-là, mais c’est par là que je suis entré.

Je suis donc intéressé par ces cours et je me mets à lire sur un mode assez boulimique […] : je me suis retrouvé à lire quasiment tout Merleau-Ponty, quasiment tout Emmanuel Levinas. Naturellement, sans y comprendre grand-chose au début, parce que ce sont des auteurs, peut-être plus encore Levinas que Merleau-Ponty – même si Merleau-Ponty est finalement plus technique – qui sont difficiles à lire et à comprendre quand on n’a pas quelque sens, non seulement de l’histoire de la phénoménologie, mais aussi plus généralement d’histoire de la philosophie : par exemple, il vaut mieux savoir que Levinas est un auteur post-heideggérien. De cette manière, j’avais pris assez tôt l’habitude de lire des textes ardus auxquels je ne comprenais pas forcément grand-chose.

A.A : Et finalement, qu’est-ce qui t’accroche chez ces auteurs ? Au-delà de cet aspect un peu boulimique qui te fait entrer dedans, comment persévères-tu à essayer de comprendre leur style philosophique, qui est aussi un style d’écriture un peu particulier ?

S.-D. : Quand on découvre la phénoménologie, ce qu’on voit, c’est effectivement un certain style d’écriture. C’est une écriture qui peut être technique, mais qui est volontiers figurative. Je pense que ce style d’écriture, c’est quelque chose que j’ai gardé par la suite dans les quelques petits concepts que j’ai tenté de développer. J’essaie certes de techniciser les choses, mais avec une portée figurative pour que le concept soit utile et facilement appropriable.

Ensuite, deux choses ont stabilisé mon intérêt pour la phénoménologie. La première, c’est l’utilisation de la phénoménologie dans des textes de sociologie qui avaient très fortement attiré mon attention. En fait, soyons clairs : j’ai été formé intellectuellement par les numéros de la collection Raisons pratiques des éditions de l’École des hautes études en sciences sociales – ma socialisation sociologique et philosophique vient de là. […] Un des textes qui m’a le plus marqué, c’est « L’action qui convient », de Laurent Thévenot (1990), qui avait paru dans la première livraison de Raisons Pratiques. C’est notamment ce texte qui me conduira à faire une thèse sous sa direction à l’EHESS. Dans ces textes de Raisons Pratiques, il était assez fréquemment question de phénoménologie. Ricœur était souvent cité par Laurent Thévenot, mais aussi par Louis Quéré, qui est presque aussi important dans mon parcours intellectuel et dans ma trajectoire sociologique. Je trouvais donc fréquemment chez les auteurs que j’appréciais pour leur geste sociologique – qui est souvent un geste assez technique et grandement hétérodoxe – des références à la phénoménologie. Et j’avais tendance à essayer de lire ce que les gens citaient. Par-là, de bibliographies en bibliographies, je me suis rapidement retrouvé à avoir lu presque toutes les œuvres de Ricœur, et à me plonger à nouveau dans celles de Merleau-Ponty et de Levinas. Mais j’avais des modes d’engagements assez différents selon les textes. Chez Levinas, par exemple, il y avait un certain plaisir de la langue, un certain envoûtement ; mais je n’en ai jamais vraiment fait grand-chose. C’était un peu comme une espèce de formation à la lecture et à l’écriture : prendre le goût de textes difficiles et ardus, s’habituer à ne pas forcément comprendre tout de suite et laisser les choses se décanter. Je pense que ce mode de lecture a été assez important pour moi par la suite. Des points plus précis que j’ai pu faire ou des gestes que j’ai tenté de mettre en place faisaient fond sur ces lectures, par exemple sur la question de l’événement (Stavo-Debauge, 2012b). […]

A. : On reviendra à cette question de l’événement plus tard, mais j’aimerais d’abord que tu évoques ton rapport à Ricœur, qui d’ailleurs est plutôt important sur ces problèmes. À quel moment t’y plonges-tu vraiment ? En plus des Raisons Pratiques, j’imagine que c’est lié à l’environnement intellectuel dans lequel tu arrives en thèse, à l’EHESS ?

S.-D. : Oui, c’est sûr : Ricœur était très présent au GSPM – le Groupe de Sociologie Politique et Morale, qui était mon laboratoire de thèse et qui avait été fondé par Luc Boltanski, Laurent Thévenot, Alain Desrosières, et Michael Pollak. Ricœur y était un auteur reconnu, qui était présent par exemple dans L’Amour et la justice comme compétences, de Luc Boltanski (1990). Il y avait une attention commune à Ricœur, notamment – mais pas exclusivement – à sa philosophie de l’histoire et du récit. C’était aussi une lecture commune qu’on avait Marc Breviglieri (qui a aussi fait sa thèse avec Laurent Thévenot), Luca Pattaroni (idem) et moi. On lisait beaucoup Ricœur et on l’a toujours apprécié ; dans ma thèse, c’est notamment d’un de ses premiers livres, Le volontaire et l’involontaire (1949), dont je me suis beaucoup servi, et puis aussi d’ouvrages plus tardifs comme La mémoire, l’histoire, l’oubli (2003) et Parcours de la reconnaissance (2004).

Donc oui, une des sources de mon intérêt pour la phénoménologie, ce sont des discussions avec des collègues qui, pour certains, sont de très proches amis, comme Luca Pattaroni et Marc Breviglieri. Ce dernier est un très fin connaisseur de la phénoménologie, même d’auteurs allemands comme Heidegger ou Lipps. Ce qui n’est pas mon cas : j’ai très peu lu Heidegger – seulement Être et temps – et, de manière générale, je connais beaucoup mieux la phénoménologie française.

A. : Dans le laboratoire, les références à Ricœur, à la phénoménologie plus largement, c’était quelque chose que vous travailliez collectivement à l’occasion de séminaires ou il s’agissait plutôt des lectures qui imprégnaient un peu tout le monde, mais qui étaient plus en arrière-plan ?

S.-D. : C’était des lectures qui imprégnaient certains d’entre nous, notamment quelques-uns des doctorants et doctorantes de Laurent Thévenot, qui avait un rapport fort à Ricœur. Ce dernier avait, plus d’une fois, intégré le geste de ce qui, par la suite, sera appelé la sociologie pragmatique. Il a ainsi commenté un certain nombre de textes et livres, soit de Laurent Thévenot, soit de Luc Boltanski ; il a aussi commenté De la justification (1991) que Boltanski et Thévenot avaient écrit ensemble. Cela facilitait donc notre intérêt et notre compréhension. Mais Ricœur était aussi important dans le geste sociologique de Louis Quéré sur l’expérience publique, il était également assez présent dans le travail de Daniel Cefaï. Dans mon parcours, j’avais d’ailleurs rapidement rencontré Daniel et commencé à travailler avec lui ; c’est via lui que Schütz, que j’ai beaucoup commenté, a transité. En fait, initialement, j’étais censé travailler sur le racisme et les racialisations ordinaires ; donc la question de la typification, développée par Schütz, était intéressante pour moi. Je l’avais découverte via Daniel Cefaï, et ce avant même de travailler avec lui, puisque c’est la lecture d’un de ses textes sur Schütz dans un Raisons Pratiques au milieu des années 1990 (Cefaï, 1994) qui m’avait poussé à lire Schütz.

A. : Cet environnement intellectuel et cette vie de laboratoire te poussent donc à continuer de te pencher sur la phénoménologie. Mais tu parlais de deux raisons qui ont stabilisé ton intérêt : peux-tu dire un mot sur la seconde ?

S.-D. : Oui, la deuxième raison est davantage personnelle puisqu’il s’agit de ma pratique sportive et d’un goût assez affirmé pour des activités physiques dans lesquelles la question de l’habileté et du rapport à l’environnement est extrêmement aiguë. Et tout texte qui me permettait de décrire ces pratiques me parlait, tout texte attentif à la motricité, aux rapports à des environnements. Le sport en question, c’est le skateboard. Je trouvais dans la phénoménologie une attention qui, à mon sens, fait largement défaut à la sociologie, c’est-à-dire à des corps engagés dans l’action, mais aussi à des corps vulnérables – des corps qui tombent, qui se font mal. Et aussi des corps manipulant : des corps qui manipulent des choses et qui inventent des figures avec des objets et avec un environnement. C’est vraiment ce qui m’a donné un goût pour des descriptions fines qui ne suppriment pas le corps, qui ne font pas seulement des êtres humains des êtres parlants, qui ne transforment pas immédiatement les objets et les choses en des symboles, mais qui les appréhendent dans leur concrétude, leur matérialité et leur capacité à varier et à faire montre de leur puissance, qui peut d’ailleurs être aussi négative selon l’activité dans laquelle on est engagé.

Et donc vraiment, l’air de rien, c’est ça qui m’a accroché dans la phénoménologie.  C’est une raison qui semble triviale, mais qui ne l’est pas tant que ça : j’ai eu assez tôt un rapport avec l’écriture parce que, pour gagner ma vie, j’écrivais des articles sur la planche à roulettes pour des magazines de skateboard. Je me suis en partie formé à l’écriture par-là, et dans cette écriture la phénoménologie était en arrière-fond pour m’aider à décrire cette pratique.

C’est la même chose qui m’a accroché dans la lecture du travail de Laurent Thévenot, avant que j’en vienne à faire une thèse avec lui : ses textes sur le régime de familiarité (Thévenot, 1994), sur les différentes façons dont on est engagé par les choses, étaient très largement soutenus par mon réalisme. Le réalisme d’un jeune type qui faisait tout le temps du skateboard dans un environnement urbain dont il ne cessait d’explorer les possibilités, qui bricolait sa planche à roulettes et qui, souvent, se prenait sur le bitume des taules monumentales avec ses camarades.

A. : Finalement, c’était les prémices d’observations ethnographiques…

S.-D. : En quelque sorte : il fallait bien que je les décrive, ces pratiques-là. Mais en fait ça m’amène à une troisième raison qui m’a donné le goût de la phénoménologie : la pratique de l’ethnographie. J’en fais beaucoup moins depuis quelques années mais, au début de mon parcours de recherche, je faisais vraiment beaucoup d’ethnographie. Et comme, dans l’équipe de Laurent Thévenot, on s’attachait à des régimes d’engagement assez peu instrumentés par le langage, mal décrits par les sciences sociales, il nous fallait bien des outils capables de faire des distinctions assez fines pour saisir et refigurer ce que l’on avait ethnographié. Ces distinctions, on les trouvait en partie dans la phénoménologie, qui peut être très attentive aux gestes, aux modulations de la voix, etc. Toutes ces choses qui ne sont pas d’abord et d’emblée symboliques, sémantiques, etc. Ce n’est pas moi, d’ailleurs, qui ai le plus creusé cette veine descriptive. Le meilleur dans une mise en œuvre sociologique rigoureuse de la phénoménologie reste Marc Breviglieri, qui a inventé sa propre langue, notamment à partir de la phénoménologie, dès sa thèse (Breviglieri, 1999). Mais j’ai vraiment beaucoup travaillé avec lui et on a fait beaucoup de choses ensemble – je peux d’ailleurs dire que c’est mon meilleur ami académique, avec Philippe Gonzalez, Mathieu Berger, Pierre-Nicolas Oberhauser et quelques autres – et j’ai donc beaucoup appris de son travail, de son rapport à la langue.

Mais en fait, si on s’est sentis proches, c’est que notre rapport à la langue était assez similaire. Quand on s’est rencontré la première fois, en 1998, on s’est rendu compte qu’on lisait la même chose ; on avait par exemple tous les deux étés marqués par un livre de Richard Shusterman sur l’interprétation (Shusterman, 1994), qui a été pour moi une clef d’entrée dans l’œuvre de Dewey, qui ces dernières années a pris une place centrale dans mes recherches.

A. : Tu étais déjà engagé officiellement en thèse à cette période ? Est-ce que c’est à ce moment que tu commences à travailler les auteurs que tu cites beaucoup dans ta thèse ? Concernant les phénoménologues, ou proches de la phénoménologie, je pense notamment à Derrida, à Tassin, à Schütz que tu as déjà évoqué ou même à Arendt…

S.-D. : J’ai officiellement commencé ma thèse cette année-là, en 1997-98. Mais je n’avais pas de financement, je devais tout le temps faire des enquêtes : j’ai fait beaucoup de recherche-action pour me financer, et c’est là que j’ai fait beaucoup d’ethnographie. Parfois je m’ennuyais sur mes objets, pas toujours complètement choisis, donc je compensais en lisant des choses ardues que je ne comprenais pas complètement, notamment beaucoup de phénoménologie. À ce moment-là, durant les premières années de thèse, mes lectures vont vraiment évoluer avec le genre de concepts et de théories que j’ai essayé de mettre en place. Je vais avoir des lectures plus centrées sur des auteurs […] : pendant ma thèse, je continue donc d’approfondir mes lectures de phénoménologues. À cette période, je vais lire un peu les classiques, mais, par exemple, j’ai très peu lu Husserl, que je ne cite d’ailleurs jamais ou quasiment jamais. J’ai beaucoup plus lu les Français parce que le geste de ma thèse c’est aussi une espèce de prise de position dans un espace et dans un paysage intellectuel, notamment pour faire revenir à la fois la question d’hospitalité, celle de la communauté et celle du nouveau venu. Et donc là, évidemment, j’ai beaucoup lu des auteurs qui avaient agrandi de manière démesurée et hyperbolique la figure du nouveau venu, en particulier la figure de l’arrivant chez Derrida. Et pour comprendre Derrida, il faut avoir compris Levinas, donc je l’ai beaucoup relu, pour mieux le comprendre que la première fois. […]

Et la thèse me permet aussi de lire Hannah Arendt, que tu évoquais, laquelle était souvent présente dans les discussions avec Marc Breviglieri et avec Laurent Thévenot. Et je la lis beaucoup en parallèle d’Étienne Tassin, qui est un des sparring-partners invisibles de ma thèse, sur la question de la communauté et de l’espace public. La question court sur toute la thèse, mais il y a quand même un passage de celle-ci où pendant presque 80 pages je commente Tassin en serpentant par Arendt et par quelques autres chemins avant de revenir encore à Tassin (Stavo-Debauge, 2009 : chapitre V). […]

II. L’usage des textes philosophiques

A. : Dans cette veine, il y a une autre question que je me posais, à propos de ton attention à commenter les textes philosophiques, à la fois dans leur structure interne et en les replaçant dans le contexte d’une théorie, contrairement à beaucoup de sociologues qui, lorsqu’ils utilisent la phénoménologie ou même la philosophie de manière générale, se contentent, pour le meilleur et parfois pour le pire, de citations un peu illustratives, ou de concepts repris de manière un peu lointaine. Chez toi, il y a beaucoup de textes, à commencer par la thèse, et plusieurs articles qui puisent dans celle-ci, où tu cites de longs passages, que tu commentes, dont tu rends vraiment la structure, la manière dont les arguments se construisent. Tu fais ça avec Tassin qu’on vient d’évoquer, mais aussi avec Derrida (Stavo-Debauge, 2018, 2019), avec Ricœur (Stavo-Debauge, 2012). Ou avec Dewey maintenant (Stavo-Debauge, 2018b, 2019b) ; même si on s’est éloigné de la phénoménologie, je pense que tu suis la même ligne directrice, que tu as mis en place en lisant et commentant les phénoménologues. La question que je me pose, donc, c’est : comment traites-tu les textes, notamment philosophiques, quel est leur statut pour toi, pourquoi est-ce important dans le développement de ta sociologie de ne pas seulement s’inspirer d’une méthode phénoménologique, qui aiderait à décrire, mais aussi de s’occuper longuement des textes et de les commenter dans les détails ?

S.-D. : Alors justement c’est assez amusant, et les gens ne s’en rendent pas forcément compte : le fait est que dans la plupart de mes articles, je traite les textes comme un terrain, comme des données empiriques. Quand on est sociologue et qu’on travaille sur des entretiens ou sur des descriptions qu’on a pu faire, quand on va analyser un entretien ou des observations, le travail ne consiste pas seulement à illustrer. Ça consiste très réellement à travailler ces données, à en dire plus et à ne pas faire de la paraphrase. Et donc à questionner ce qui est dit, comment c’est dit, pourquoi c’est dit. À quoi ça se rapporte ? Dans quoi ça s’ancre ? Sur fond de quoi ça se lève ? Et contre qui ça se déploie ?

Et donc, en fait, c’est assez banal, mais mon rapport aux textes philosophiques, ou aux textes quels qu’ils soient d’ailleurs, est le rapport d’un sociologue à son terrain. Je traite un texte philosophique avec le même genre d’égards qu’un extrait d’entretien, ni plus ni moins. Donc pas de révérence, si je vois des choses qui me semblent bancales dans l’argument, j’y vais, je le dis, j’essaie de comprendre pourquoi c’est bancal. Et ce, de manière assez maniaque. Par exemple, dans ma thèse, j’ai deux chapitres sur deux auteurs, philosophes et sociologues, eux-mêmes entre les disciplines : Simmel ([1908] 1984) et Schütz ([1944] 2003). Le texte de Simmel fait sept pages, mon chapitre plus ou moins quatre-vingts. Le texte de Schütz doit en faire une trentaine, mon chapitre, pas loin de cent (voir Stavo-Debauge, 2009 : chapitres I et II).

En fait, cette attention à ces auteurs, mais aussi à Derrida par exemple, c’est parce que, au fond, j’avais redéployé un des gestes initiaux de ce qui sera appelé par la suite la sociologie pragmatique : considérer symétriquement les productions théoriques et les choses faites par tout un chacun. Et donc les textes de philosophie ou de sociologie, dans ma thèse, sont des terrains, comme je l’ai dit. Quand je travaille sur les difficultés et ambigüités de l’hospitalité, je l’applique aux textes que je lis, j’essaie de montrer que les auteurs qui ont essayé de développer des modèles de l’hospitalité sont confrontés rigoureusement aux mêmes problèmes que les acteurs sauf que, bien sûr, ils les déploient plus largement. […] Donc je lis les textes sur lesquels je travaille comme des productions de sens, comme des gestes surtout – les textes sont des actions – et je m’efforce de ne pas faire de lecture purement philosophantes.

A. : Je suis d’accord, mais avec la forme que cela prend dans tes publications, je comprends aussi que tu sois perçu par certains comme presque « trop théorique » ou « philosophant » – ce qui est paradoxal d’ailleurs vu ton nombre de terrains différents. Mais dans tes publications, le terrain n’apparait pas toujours, ou alors en notes. Il y a déjà quelque temps, tu as publié Qu’est-ce que l’hospitalité ? (Stavo-Debauge, 2017) – c’est d’ailleurs par-là et sur les conseils de Daniel Cefaï que j’ai découvert ton travail – et en en discutant avec des collègues, certains, même parmi ceux qui ont apprécié, ne voient pas trop la sociologie là-dedans, et le prennent presque pour un livre de philosophie. Je pense que le fait que tu t’attaches dans ce livre – qui est tiré de la partie théorique de la thèse – à la dynamique de l’hospitalité, à la manière dont le nouveau-venu, assez concrètement, doit composer avec les environnements qui le reçoivent, suffit largement à le comprendre en sociologue, même si évidemment c’est toujours artificiel de séparer les disciplines comme cela… Néanmoins, pour mieux comprendre pourquoi tu as besoin de cette attention particulière au texte, pourrais-tu encore un peu préciser ton mode de lecture, la manière, aussi, dont tu relis textes et terrain finalement ?

S.-D. : D’accord : alors pour continuer sur ce mode de lecture, dans ma thèse je thématisais aussi ma manière de lire les textes en expliquant que je les considérais comme des actions. Pour le dire plus clairement, je me souviens que, lors de ma soutenance, j’avais dit qu’au fond ce que je faisais, dans la partie plus théorique de la thèse, c’était une ethnographie des textes en inversant la proposition de Ricœur – l’action sensée considérée comme un texte (Ricœur, 1986) –, et en considérant plutôt les textes comme une action. Par exemple, lisant certains auteurs comme Derrida, Nancy et d’autres, mon but était de chercher des hantises qui animaient leur écriture ; ce qui m’a permis de thématiser ce qu’était une hantise : à la fois une espèce de moteur de l’action et une sorte de canalisation de l’attention sur des maux à venir ou des fâcheux précédents.

Je pense que c’est en partie cela qui m’a emmené vers le pragmatisme. C’est-à-dire que je faisais quelque chose comme une pragmatique des textes, qui me sert ensuite pour analyser mes terrains : mon développement dans la thèse sur le concept de hantise, je m’en sers ensuite pour lire les textes, puis pour essayer d’expliquer les actions des gens, en exhumant les hantises qui animent leurs actions et obstruent leur attention. Je me sers ainsi du concept de hantises non seulement pour interpréter notamment Simmel et Nancy, mais aussi pour comprendre ce qu’il se passe sur deux des terrains empiriques de ma thèse : une cohabitation militante à Genève (Stavo-Debauge, 2009 : 506-695 [troisième partie] ; Stavo-Debauge, 2014) et la difficile mise en place des politiques anti-discriminatoires en France (Stavo-Debauge, 2009 : 696-907 [quatrième partie] ; Stavo-Debauge, 2011).

III. La phénoménologie sur le terrain

A. : Finalement, tu te confectionnes vraiment tes outils pour analyser tes objets d’enquêtes, un peu artisanalement, à partir des lectures, mais aussi avec des allers-retours sur le terrain. Est-ce que tu dirais que c’est ce geste d’inspiration par les textes, notamment philosophiques – mais aussi issus de la sociologie de Laurent Thévenot – qui te permet de ne pas en rester à des catégories un peu préétablies et à te pencher sur autre chose sur le terrain ?

S.-D. : Oui, je pense qu’on peut dire ça, mais toujours, à mon sens, en sociologue. En sociologue inventant ses outils pour pouvoir décrire ce qui n’est pas décrit par d’autres. Et ça, c’est vraiment quelque chose qui m’a été légué : c’est ce que je dois de plus ample, d’abord à Laurent Thévenot puis à Marc Breviglieri. C’est-à-dire que si l’on veut décrire des phénomènes qui sont peu pris en compte par les sciences sociales, il faut les faire apparaître. Pour les faire apparaître, pour avoir un langage pour les décrire, mais avant cela pour les voir, il faut arriver à se départir de la sociologie comme de la philosophie. Il faut donc en connaître l’histoire pour savoir pourquoi certains phénomènes ont été occultés, pourquoi certains mots ont disparu. Par exemple, pourquoi à l’époque où j’écrivais ma thèse – ce n’est plus le cas maintenant  , communauté était un gros mot ? Pourquoi étranger aussi ? Au fond, c’était considéré comme une « construction sociale ». Mais non : étranger, ce n’est pas une construction sociale, c’est une condition : la condition du nouveau venu qui débarque dans une communauté, dans un environnement auquel il n’a pas eu part jusque-là.  Pour faire ça, il faut voir ce qui fait obstacle à la saisie de ces réalités-là ; donc il faut faire de l’histoire.

A. : Et sur le lien à l’ethnographie ? Comment ça oriente ton regard ?

S.-D. : L’idée à retenir, c’est que quand on dispose de plus d’outils et de distinctions pour nommer, on voit autrement et on est attentif à ce qui n’était pas thématisé jusqu’alors. Pour moi, par exemple, c’est très largement mes lectures de la phénoménologie – qui ont décanté, maturé – qui m’ont rendu attentif à ce que j’ai appelé l’allure (Stavo-Debauge, 2021), pour rendre compte de la façon dont se perçoit l’étrangéité du nouveau venu. Il n’y a pas besoin de catégories tout de suite pour en armer la perception : la condition du nouveau venu se rendre sensible dans son embarras, sa maladresse, ses gestes empressés, son zèle à se faire bien voir.

Cela dit, antérieurement, même avant que cela ne soit aussi explicite que dans le texte sur l’allure ou dans mes commentaires de Derrida, de Ricœur, dans un de mes premiers textes, sur la patrimonialisation du vieux-Lyon (Stavo-Debauge, 2003) – la première version a dû être faite en 1997 – il y avait déjà une empreinte phénoménologique, qui venait compliquer la sociologie urbaine des compétences citadines et des espaces publics de la ville. J’y cite La phénoménologie de la perception et plusieurs textes de Ricœur, sur l’événement, l’agencement des récits… À ce moment-là, je n’étais pas encore assez assuré pour vraiment discuter les textes de ces auteurs ; en revanche, ils sont clairement en arrière-fond. Le fait qu’on ait cherché, pendant l’enquête, à comprendre comment les discours sur le changement du vieux-Lyon s’enchâssaient, se reconfiguraient avec le temps ; et qu’en parallèle on se soit attaché à décrire la manière dont les marginaux apparaissaient, surgissaient dans l’espace public alors qu’avant ils faisaient partie du décor, il y a l’influence de phénoménologues. Après, je vais me mettre à forger des concepts comme l’allure que je viens d’évoquer, la hantise dont je parlais tout à l’heure, ou l’idée d’encaissement (Stavo-Debauge, 2012b), mais dès le début de la thèse, la phénoménologie joue sur la manière dont j’appréhende mes objets d’enquête.

IV. Le rapport (critique) aux auteurs et l’arrivée à la question de l’hospitalité

A. : Au-delà de l’imprégnation certaine de la phénoménologie dans tes travaux, je voudrais qu’on aborde maintenant la manière dont, à un moment donné, tu te mets à écrire et publier des textes beaucoup plus critiques sur certains auteurs. En fait, un certain nombre des concepts que tu viens d’évoquer se développent notamment contre la phénoménologie, ou en tous les cas contre certains auteurs que sont notamment Schütz et Derrida. Comment ça arrive, comment passe-t-on de l’inspiration, d’un aiguisement du regard de l’enquêteur, à ce rapport beaucoup plus critique qui, peut-être en partie, fait que tu « pratiques » beaucoup moins la phénoménologie aujourd’hui ?

S.-D. : Je dirais que ça vient d’un rapport au texte qui peut être assez irrévérencieux, en suivant la méthode que j’évoquais à l’instant de voir les textes comme des actions. En fait, très rapidement je « joue » avec les auteurs, je m’appuie sur eux, mais au départ sans trop oser m’y attaquer de front. Mais pour reprendre le texte sur le vieux-Lyon dont on parlait à l’instant, je discute pied-à-pied avec Isaac Joseph ; ce n’est pas un geste contre lui, mais j’essaie d’engager une vraie discussion à travers mon terrain d’enquête. C’est un très gros morceau pour moi, Isaac Joseph, très important dans mon parcours, ce n’est peut-être pas le plus apparent, mais il a une grande place. Je le découvre assez tôt et c’est d’ailleurs cohérent avec mes lectures du moment ; en fait, il y a beaucoup de phénoménologie chez lui, mais ce n’est pas ce qu’il va mettre en avant en premier. Il va davantage citer Simmel, Goffman ou l’école de Chicago. Mais, malgré tout, on sait bien que Goffman, notamment, est très nourri de phénoménologie (Perreau, 2012). Une grande part de l’ethnométhodologie aussi, avec qui Joseph a eu des rapports compliqués, est très nourrie de phénoménologie : derrière, il y a Merleau-Ponty, il y a Schütz. J’avais d’ailleurs essayé de montrer à quel point Garfinkel était complètement englué dans Schütz (Stavo-Debauge, 2015).  Mais en fait, un auteur comme Isaac Joseph, au fond, qu’est-ce qu’il fait ? Une phénoménologie de l’espace public urbain. […]

A. : Et pour revenir à ce rapport plus critique aux auteurs ; ça vient un peu après cette enquête sur le vieux-Lyon, de fait ?

S.-D. : Oui, un peu après, il y a deux raisons. La première, c’est que j’ai fait ma thèse avec Laurent Thévenot, qui est un très grand lecteur. Il n’en fait pas forcément des tonnes, il ne fait pas des commentaires de textes, mais il a une capacité à voir des choses dans les textes et à aller à l’essentiel des articulations. J’ai beaucoup appris de lui. Dans ses séminaires, on pouvait passer un temps infini sur un extrait d’entretien ou sur une description d’une situation. On pouvait passer aussi beaucoup de temps à décomposer des textes, à chercher leur articulation, leur grammaire. Moi, je cherchais les hantises. On avait une espèce d’attention aux textes et aux concepts qui, je pense, était assez rare dans l’espace de la sociologie française, à cette époque. On trouvait une attention assez similaire aussi chez des gens comme Louis Quéré ou Daniel Cefaï, mais c’était assez rare dans le paysage des sciences sociales.

Après, seconde raison sur ce rapport plus critique à certains auteurs : le mouvement de ma thèse. Par exemple, Schütz, c’est très simple : au moment où j’écris ma thèse, il n’y a que deux auteurs classiques pour proposer une sociologie censément réaliste de l’étranger : Simmel puis Schütz, qu’on avait évoqué tout à l’heure. Ce sont les auteurs des seuls textes où, dans le titre, figure l’étranger, qui est pris à sa valeur faciale. Même si on s’aperçoit, quand on lit le texte de Simmel, que ce n’est pas le cas, et pas beaucoup plus dans celui de Schütz. Comme je voulais déployer une sociologie, voire une anthropologie générale, de la question de l’étranger, il fallait que je me coltine ces textes jusqu’au bout et que je dise pourquoi ils ne sont pas satisfaisants. En faisant ce geste, je suis obligé de replacer ces deux textes-là dans la philosophie ou la sociologie générale de ces auteurs. Je le fais en montrant qu’il y a de bonnes raisons à ce que l’un et l’autre ne rencontrent pas la question de l’hospitalité, en faisant pourtant tous les deux un texte sur l’étranger ; c’est assez fascinant. C’est peut-être moins étonnant pour Simmel, puisque son étranger n’est au fond pas vraiment un étranger : s’il le reste, il est arrivé hier, il repartira peut-être demain… Et donc c’est ça qui compte : il repartira peut-être demain. J’essaie de montrer que, oui, il va repartir, il n’a pas le choix : et que donc la question de l’hospitalité est occultée. Ce qui est d’autant plus étonnant pour quelqu’un qui a beaucoup travaillé sur le pont, la porte, les seuils, etc.

Chez Schütz, c’est pareil et c’est sans doute encore plus étonnant. J’essaie de comprendre pourquoi Schütz occulte la question de l’hospitalité, et donc je lis maniaquement le texte pour essayer de comprendre pourquoi il ne pose pas cette question : j’essaie de comprendre pourquoi Schütz ne pouvait qu’atténuer l’étrangéité de l’étranger, je replace cela dans sa phénoménologie du « on », en essayant de montrer que son geste est anti-heideggérien et qu’évidemment Schütz estime qu’il y a des bienfaits au « on ». Cela m’oblige à critiquer Schütz, tout en lui rendant justice. Mais c’est vrai que je suis un peu tranchant pour une raison assez banale : je cherche à me faire de la place pour déployer ma sociologie générale de l’étranger, qui n’est pas très optimiste.  […]

A. : Sociologie générale de l’étranger qui est en fait une sociologie de l’hospitalité ; mais ce concept n’était pas vraiment présent au départ de ta thèse, si ? Dans tes premiers textes, je pense que le mot apparait assez peu…

S.-D. : C’était en fait présent, mais pas encore thématisé comme tel. Je me suis mis à travailler sur l’hospitalité en raison de mes terrains où, à chaque fois, la question se posait. Se posait surtout cette question – à mon sens passée un peu inaperçue et dès lors peu travaillée – des tensions irrépressibles entre l’hospitalité et l’appartenance. Quand je travaillais sur la discrimination, j’ai rencontré l’hospitalité par la force des choses puisque la personne discriminée, c’est celle qu’on ne reçoit pas ; un des paradigmes de la discrimination, c’est le régime Jim Crow, aux États-Unis. Cela se manifestait comment ? Par le fait que, dans tout un tas de lieux publics et de commerces, il était écrit que c’était interdit aux personnes de couleur (et souvent aux juifs également). Si ce n’est pas de l’inhospitalité, ça !

Mais comment j’en viens à ça : en fait, à l’époque, je travaille sur la controverse des démographes (Stavo-Debauge, 2003b, 2004) et je me rends compte que les gens ne comprennent rien aux exigences de la lutte contre les discriminations parce qu’ils restent focalisés sur la question de l’intégration de l’immigré. Et l’immigré, c’est celui qui empêche ceux qui l’accueillent de poser la question de l’égalité, puisqu’il n’est pas encore tenu pour un contemporain, il n’est pas encore arrivé, et on estime qu’il n’a pas encore part aux comptes de la communauté politique, donc on ne va pas s’inquiéter de faire le compte des discriminations qu’il subit. Et je me rends alors compte que traiter indument les gens comme des invités, des visiteurs, empêche de poser la question de l’égalité. Cela repousse le compte de leur co-appartenance plénière. Et finalement, j’ai plein de terrains où la question de l’hospitalité surgit, de diverses manières.

[… Mais] finalement, la question de l’hospitalité, de la tension avec l’appartenance, me semblait plus fondamentale que la question du racisme : je voulais étudier un rapport à l’étranger où il était acté, pour les différents protagonistes, qu’il y avait bien là quelque chose sur lequel butait l’inclusion, et que la réalisation d’une commune appartenance ne se ferait pas sans heurt et sans effort. Et pour cela, « racisme » me gênait, car ça consiste à attribuer une fausse étrangeté à des personnes qui, en vérité, sont des égaux, des contemporains et des semblables. Il y avait ce genre d’utilisation du terme en France, dans les années 1990. Et quand on part avec ce présupposé (louable, là n’est pas la question), on ne peut pas faire une sociologie réaliste de l’étranger, parce que le simple fait de signaler que l’étranger est étranger – ou même que l’étranger lui-même signale qu’il est bien étranger, qu’il n’est pas comme les autres, qu’il a des attaches propres et des exigences propres, ou que les exigences et les épreuves qui sont mises sur son chemin, il ne les satisfait pas – pose un problème. Or, pour faire une sociologie réaliste de l’étranger, il faut considérer que l’étrangéité a une consistance et que la communauté aussi. D’où ce geste de ma thèse, qui a consisté à la fois à dire que pour faire une sociologie de l’hospitalité, il fallait faire une sociologie de la communauté et que pour faire une sociologie de l’appartenance, il faut mettre celle-ci en vis-à-vis du nouveau venu – soit celui qui vient d’ailleurs et n’appartient pas encore à la communauté qu’il aborde, ce qu’il fait non sans difficulté et non sans mettre à l’épreuve l’hospitalité de ladite communauté (qui souvent le reçoit mal).

V. La lecture de Jacques Derrida

A. : Et donc là, une fois que tu te mets en tête de vraiment travailler sur l’hospitalité, inévitablement, tu en viens à lire Derrida. Je disais tout à l’heure que tu avais développé des concepts contre, notamment, Schütz et Derrida, mais on voit bien que ça ne va pas être le même rapport avec Derrida qu’avec Schütz. Derrida reste plus présent à partir du moment où tu te concentres sur l’hospitalité…

S.-D. : Oui, Derrida, effectivement, quasiment la moitié de ma thèse consiste à critiquer Derrida, directement ou indirectement… Derrida, donc, pourquoi ? Pour une raison assez simple en fait : quand je me mets à travailler sur l’hospitalité, il n’y a que deux livres. Il n’y a que deux auteurs qui sont disponibles sur l’hospitalité, dans l’espace des sciences sociales et de la philosophie françaises.

Il y a Anne Gottman (2001). Et je n’étais pas du tout convaincu par son travail, même s’il était de qualité. Je crois que je l’évacue même un peu vite, simplement parce que je voulais faire mes propres choses ; j’en dirais plus maintenant, je pense.

Et puis il y a Jacques Derrida ; et c’est tout. Il y a De l’hospitalité en 1997, qui est déjà assez connu. Donc je lis ça et surtout je regarde à partir de quel moment il commence à parler de l’hospitalité ; c’est évidemment un peu antérieur. En fait, c’est contemporain du mouvement des sans-papiers au milieu des années 1990 – mouvement qu’il n’a pas compris, d’ailleurs, comme j’essaie de montrer dans le texte de SociologieS de 2018, où je tente une histoire de son geste d’écriture, histoire qui n’était pas très présente dans ma thèse. J’ai donc Derrida comme interlocuteur, et Marc Crépon (Stavo-Debauge, 2017 : chapitre IV – « Les hésitations de Derrida et Crépon »). Derrida, qui écrit notamment que l’hospitalité est un « événement sans grammaire préalable ». Et mon objectif, dans la thèse, c’est de montrer qu’il y a bien une grammaire de l’hospitalité, mais qu’elle est ambivalente, qu’elle ne suffit nullement à régler les embarras de l’hospitalité, qu’elle ne permet certainement pas de calibrer les gestes que l’on doit au nouveau venu. Et que donc, pour ce faire, les êtres humains déploient des modèles de l’hospitalité, qui sont appareillés à des formes de communautés. Pour déployer ça, il faut que je me confronte à Derrida ; il faut que je montre que lui-même, malgré ce qu’il en dit, non seulement s’adosse bien à une grammaire de l’hospitalité, mais déploie un modèle de l’hospitalité et que son modèle, tel qu’il le déploie, viole allègrement ce qu’il dit que l’hospitalité doit être. […]

Et surtout, sa philosophie demande énormément au nouveau venu. Le nouveau venu étant pour Derrida celui par qui l’évènement arrive, celui par lequel la politique se déploie et celui par lequel la communauté se réalise. C’est beaucoup demander à des gens qui, souvent, n’arrivent pas en très grande forme et cherchent juste à pouvoir vivre leur vie dans une démocratie relativement fonctionnelle, à se reposer des maux endurés, etc. C’est aussi très embêtant parce que malgré tout, c’était censé rester une phénoménologie. Et tout en étant une phénoménologie, cela ne nous dit absolument rien de ce que font, subissent, les étrangers, ni de ce qui meut le nouveau venu, dont les inquiétudes ne sont absolument pas prises en compte ni en charge. Quand je lisais Derrida, je me disais : « Mince alors, ce gars est quand même aussi et malgré tout un phénoménologue et il ne décrit rien ». Et pour mon geste sociologique, j’avais besoin de décrire ! […]

VI. Le rapport à l’extra-ordinaire : un biais de la phénoménologie ?

A. : Je voudrais maintenant qu’on aborde un dernier point dans ton rapport à la phénoménologie, au-delà des auteurs, c’est le statut de l’extra-ordinaire, la valorisation de ce qui se tient en dehors du quotidien, presque d’une certaine transcendance. Cette valorisation de l’extra-ordinaire qu’apporte la phénoménologie, tu t’en méfies. Notamment dans tes textes sur les événements, où tu rapproches la phénoménologie de l’herméneutique et du pragmatisme à travers ce biais de la valorisation de l’extra-ordinaire et aussi du fait que l’événement produit toujours quelque chose, la plupart du temps quelque chose de positif. Pour le dire en deux mots : j’ai l’impression que tu n’as pas seulement un usage de quelques ressources phénoménologiques, mais que tu contribues aussi à une phénoménologie, certes ancrée dans les vécus de conscience, mais au ras du sol, descriptive, avec une pointe critique, qui s’oppose finalement à la phénoménologie transcendantale…

S.-D. : Pour te répondre, je vais d’abord faire un pas de côté : si on considère que les textes de philosophie ont été écrits par des gens (qui se trouvent être philosophes), on fait redescendre les philosophes sur terre. Que font ces gens dans leurs textes ? Ils essaient de résoudre des problèmes philosophiques, qui ne sont jamais que les problèmes des hommes qui ont été portés à un certain niveau d’abstraction. Cette abstraction, bien souvent, fait oublier que ces problèmes ne sont jamais que les problèmes des hommes – ce que rappelle sans cesse Dewey finalement. Quand on fait ça, on se garde de la grandiloquence de certains textes.

Et c’est important de voir ce qu’il y a derrière toute cette langue, de ne pas se laisser berner, car on ne peut pas nier que la phénoménologie, et surtout la phénoménologie française, a pris un tournant transcendantal, voire même franchement théologique (Janicaud, 1991), ce qui a contribué au fait qu’elle grandisse démesurément des expériences extraordinaires ou des événements inouïs, pour rendre grâce et justice au monde courant et aux gestes élémentaires certes, mais elle a outré ses descriptions et, en faisant cela, elle en a oublié de décrire le monde courant. En deux mots pour le cas de l’hospitalité, elle a fait de l’accueil un événement marqué d’une unicité et altitude remarquables, mais sans, quasiment, décrire la matérialité de l’accueil : cela pose de sacrés problèmes.

Pour en revenir à la question, au fond, quand on lit des textes de philosophes en sociologue, c’est-à-dire comme un genre de terrain, on se garde en grande partie de cette levée vers le ciel et de cet enthousiasme pour l’extraordinaire. Parce qu’en fait, quand on lit Derrida, on a en tête des terrains qu’on a faits sur l’hospitalité et on rapporte les propositions à ces terrains ; il me semble d’ailleurs que c’est toujours de bonne politique de lire un texte de philosophie en essayant de le rapporter à nos expériences du monde. […]

Ce qui m’a gardé aussi de cette attention à l’extraordinaire, c’est le fait que – comme tu le disais – j’ai repéré, dans plusieurs traditions philosophiques et sociologiques – phénoménologie, herméneutique et pragmatisme –, une espèce de réseau sémantique qui fait quasiment équivaloir choc, événement, expérience. Dans la thèse, j’ai passé beaucoup de temps là-dessus, puis j’ai creusé le sujet dans des articles (Stavo-Debauge, 2012b, 2018) et dans le livre sur l’hospitalité (2017).

Pour se garder d’un trop-plein d’attention à l’extraordinaire, que faire, si on veut se donner une espèce d’ontologie, même si je n’aime pas le mot – j’essaie de ne plus l’employer, même si je le faisais avant –, d’ontologie minimale de l’étrangéité ? C’est quoi ce choc de l’étranger ? Comment se signale-t-on qu’on le rencontre ? Précisément en ceci qu’il se rencontre et peut faire encontre. C’est un grand résumé, mais l’idée c’est que ce qui est nouveau, étrange et inédit, c’est ce qui surprend, ce qui nous fait faire un mouvement de recul. Et aussi simplement ce qui distrait, ce qui attire l’attention, ce qui va lever la curiosité. Mais d’abord, ça survient comme un choc. Et donc là, pour le coup, c’est de la phénoménologie banale. L’étrangéité – je l’avais nominalisé et c’est peut-être un problème, d’ailleurs, mais on ne peut pas le substantiver, parce que c’est relationnel – surgit et se donne d’abord comme et dans un choc. Et donc, armé de toutes mes lectures, je me rends compte qu’il y a une espèce de schème sous-jacent dans l’ensemble de ces traditions qui tend à valoriser, plus que de raison, la capacité des organismes, qu’ils soient individuels ou sociaux, à encaisser le choc, à le porter au compte d’une expérience qui en sera enrichie. Je me rends compte que cette espèce de schème sous-jacent qui, à mon sens, est assez hégélien, est vraiment partagé par ces trois traditions.

J’essaie de le montrer justement en revenant sur une variété d’auteurs de ces différentes traditions, en pointant le fait qu’un choc, d’abord et avant toute chose, il faut en soutenir l’impact. Après, peut-être que ce qu’il a amené, on pourra le mettre au compte d’une expérience qui en sera enrichie, au compte de la communauté qui le reçoit ; mais pas d’emblée. Donc c’est comme ça que je trace mon concept d’encaissement, qui veut saisir une dynamique, mais sans occulter le moment négatif et sans occulter le moment de la clôture. C’est ce qu’on retrouve dans le langage ordinaire et dans les gestes politiques bienvenus qui font valoir que l’immigration est une richesse. C’est-à-dire que « oui, vous dites que vous devez composer avec les étrangers ou les immigrés, mais c’est une richesse : à terme, on pourra porter au compte de la communauté, et donc aussi à votre compte, ce qu’ils auront apporté ». Donc l’idée, c’est d’une part de prendre en compte le choc, et d’autre part de ne pas négliger le fait qu’il n’y ait pas de communautés sans principe de clôture, aussi démocratiques qu’elles veuillent être. […]

Voilà : c’est à travers ce chemin-là que je suis obligé de me rendre compte qu’il y a une valorisation, à mon sens excessive, de l’extraordinaire qui a été enfouie dans ses différentes traditions et qui, à mon sens, empêche de penser le fait que co-appartenir ce n’est pas simple, et que l’hospitalité, ça a un coût. Du reste, c’est peut-être aussi ça qui m’a conduit à quasiment abandonner la phénoménologie et à plutôt me tourner depuis plusieurs années vers le pragmatisme.

VII. Pour conclure : un usage moindre de la phénoménologie et d’autres objets d’enquête

A. : Justement, je voulais conclure cet entretien par ce sujet : au cours des dernières années, tu te tournes de plus en plus vers le pragmatisme et tu cites moins les phénoménologues. Donc deux questions : au niveau de ton parcours, à quel moment tu te mets à vraiment t’intéresser au pragmatisme – tu cites Dewey assez tôt, mais c’est moins flagrant que maintenant ? Et, surtout, dans quelle mesure ton moindre intérêt à la phénoménologie depuis quelque temps est lié aux objets d’enquête ?

S.-D. : J’ai découvert le pragmatisme un peu après la phénoménologie, mais relativement tôt ; et aussi via la collection Raisons Pratiques. En fait, je suis plus ou moins tombé sur Dewey au même moment que sur Schütz : quand j’ai lu le Raisons Pratiques sur les catégories (Fradin, Quéré & Widmer (dir.), 1994). Schütz, via l’article de Daniel Cefaï dont j’ai déjà parlé (Cefaï, 1994), et Dewey à travers la présentation du numéro par Louis Quéré (1994), où il citait à un moment une définition de la catégorie que donne Dewey dans Logique. La théorie de l’enquête (Dewey, 1967). Entre parenthèses, ce sont deux personnes – Daniel Cefaï et Louis Quéré – qui sont très importantes pour mon parcours, de bout en bout ; les deux étaient d’ailleurs dans le jury de mon HDR (Stavo-Debauge, 2020). Avec Laurent Thévenot et Marc Breviglieri, ce sont vraiment parmi ceux qui m’ont le plus inspiré… Bref, comme je m’intéressais déjà aux catégorisations, j’avais acheté Logique ; je l’avais lu une première fois, et je n’avais pas compris grand-chose. Je l’ai ensuite relu quelques temps plus tard, quand je me suis mis à réellement travailler avec le pragmatisme, ce qui est finalement venu assez vite, car mon premier texte où je mobilise vraiment Dewey date de 2004 – c’est un texte qu’on a fait à deux, avec Danny Trom (Stavo-Debauge & Trom, 2004) –, et j’avais commencé à vraiment me pencher sur le pragmatisme au tout début des années 2000. Je l’avais fait notamment par la lecture des deux livres de Joëlle Zask, qui reprennent sa thèse, qui avaient dû paraître en 1999 ou 2000 (Zask, 2000a, 2000b) et que j’avais lu à peu près au moment de leurs sorties. C’est à partir de ces années que j’ai commencé à beaucoup lire les auteurs pragmatistes, et notamment Dewey…

Donc en fait pendant longtemps les deux traditions – le pragmatisme et la phénoménologie – ont cohabité dans mon travail, même si au début la phénoménologie était peut-être plus visible…Ensuite, une prime a été donnée au pragmatisme, surtout pour des raisons d’objet. C’est-à-dire que, quand j’ai commencé à m’intéresser à la question des religions et au discours post-séculier, j’avais moins besoin de la phénoménologie ; ou plutôt la phénoménologie, lorsque je la rencontrais, faisait partie de mon objet – notamment via son tournant théologique dont on parlait tout à l’heure. […]

A. : Pour finir, j’aimerais que tu reviennes une dernière fois sur la manière de faire du terrain et le rapport à la phénoménologie : le fait que tes terrains sur le post-séculier soient nettement moins ethnographiques, j’imagine que ça joue dans ton moindre usage de la phénoménologie ; tu décris moins pratiquement les différents types d’engagements dans le monde…

S.-D. : Oui, ces terrains-là sont beaucoup moins ethnographiques, ce qui explique aussi que j’avais beaucoup moins besoin de la phénoménologie pour les exploiter. Même si, au fond, elle reste présente parce que, par exemple, dans Le loup dans la bergerie (Stavo-Debauge, 2012c) ou dans le dernier texte que j’ai fait pour Raisons Pratiques (Stavo-Debauge, 2020b), on voit bien, malgré tout, que mon attention aux embarras de l’énonciation est, l’air de rien, marquée par la phénoménologie ; mon attention au format de l’opinion et à la « grammaire libérale » est aussi marquée par la phénoménologie – également par Laurent Thévenot, Louis Quéré et Laurence Kaufmann, mais la phénoménologie est encore présente. J’ai essayé de travailler des formats de parole et leurs exigences, et ça suppose d’avoir été acclimaté à la phénoménologie pour ne pas, par exemple, écraser tous les usages de la voix sur un seul plan ; et la phénoménologie apprend à distinguer les modes et les formats d’énonciation.

Je pense aussi que mon attention aux effets de ces formats de parole qui configurent des ambiances plus ou moins hospitalières au fondamentalisme religieux fait fond sur ma lecture d’Arendt autant que de Ricœur : rappeler qu’un espace public est fragile et qu’il y a des formats d’énonciation qui l’abiment. Donc il y a encore une empreinte, c’est vrai qu’elle a été assez considérablement atténuée, mais vraiment pour des raisons d’objets, qui sont plus historiques, plus américains, et puis, comme tu le relevais, par le fait que j’ai – par la force des choses avec ce genre d’objets – fait moins d’observations ethnographiques. Puisque qu’est-ce que j’observe ? Des énoncés, des déplacements d’énoncés, des schèmes qui circulent d’une arène à l’autre… Mais ce sont plutôt des matériaux discursifs, ou des matériaux numériques… J’ai fait par exemple toute une enquête avec Philippe Gonzalez et Marta Roca i Escoda où nos matériaux, c’était des émissions de radio (Gonzalez, Stavo-Debauge, Roca i Escoda, 2020), où on a essayé de construire une base de données. Et là, forcément, la phénoménologie, ça ne sert plus à grand-chose pratiquement, même si après oui, quand on analyse à partir de la base de données l’effet de ces discours à la radio dans une arène publique, Hannah Arendt est en arrière-fond, et Paul Ricœur aussi, dont l’empreinte était d’ailleurs encore très manifeste dans Le loup dans la bergerie (2012c).

Par contre, j’ai récemment repris ma casquette d’ethnographe, avec l’enquête collective sur l’inhospitalité urbaine, même si ce n’est pas moi qui ait fait la majeure partie du terrain, mais notamment Maxime Felder, qui est vraiment un excellent ethnographe urbain. Et là, quand on essaie de décrire la manière dont les gens s’engagent dans des environnements non familiers, doivent faire attention à ne pas s’y faire repérer, quand on se penche sur leurs rythmes de vie, leur allure la phénoménologie est là (Felder, Stavo-Debauge, Pattaroni, Trossat, Drevon, 2020 ; Stavo-Debauge, Felder, Pattaroni, 2022). Mais elle est plus en arrière-fond qu’il y a quelques années ; malgré tout, elle réapparait avec le cadre de l’hospitalité, derrière les concepts, mais moins directement par des citations de phénoménologues ou la discussion explicite des concepts ; toujours est-il qu’il y en a besoin pour décrire…

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Stavo-Debauge Joan, « De « The Stranger » d’Alfred Schütz au cas Agnès d’Harold Garfinkel : des théories sociales étrangères à l’hospitalité et au pragmatisme ? », SociologieS, 2015, URL :https://journals.openedition.org/sociologies/4955

Stavo-Debauge Joan, « L’idéal participatif ébranlé par l’accueil de l’étranger. L’hospitalité et l’appartenance en tension dans une communauté militante », Participations, vol. 2, no 9, 2014, p. 37-70, URL : https://www.cairn.info/revue-participations-2014-2-page-37.htm

Stavo-Debauge Joan, « Le concept de « hantises » : de Derrida à Ricœur (et retour) », Études Ricœuriennes/Ricœur Studies, vol. 3, no 2, 2012, p. 128-148, URL : http://ricoeur.pitt.edu/ojs/index.php/ricoeur/article/download/132/72.

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Stavo-Debauge Joan, Le loup dans la bergerie : le fondamentalisme chrétien à l’assaut de l’espace public, Genève, Labor & Fides, 2012c.

Stavo-Debauge Joan, « En quête d’une introuvable action antidiscriminatoire : une sociologie de ce qui fait défaut », Politix, vol. 2, no 94, 2011, p. 81-105, URL : https://www.cairn.info/revue-politix-2011-2-page-81.htm?contenu=article

Stavo-Debauge Joan, « Dé-figurer la communauté ? Hantises et impasses de la pensée (politique) de Jean-Luc Nancy », Raisons Pratiques, no 20, « Qu’est-ce qu’un collectif », Kaufmann L. & Trom D. (dir.), 2010, p. 137-171.

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Stavo-Debauge Joan, « Les vices d’une inconséquence conduisant à l’impuissance de la politique française de lutte contre les discriminations. 2ème Partie : Apprêter un chemin au droit et confectionner des catégories pour l’action publique », Carnets de bord, no 7, 2004, p. 32-54.

Stavo-Debauge Joan, « L’indifférence du passant qui se meut, les ancrages du résidant qui s’émeut », in D. Cefaï & D. Pasquier (dir.), Les sens du public, Paris, PUF, 2003, p. 347-371.

Stavo-Debauge Joan, « Les vices d’une inconséquence conduisant à l’impuissance de la politique française de lutte contre les discriminations. 1ère Partie : Tu ne catégoriseras point ! », Carnets de Bord, no 6, 2003b, p. 19-37.

Stavo-Debauge Joan & Trom Danny, « Le pragmatisme et son public à l’épreuve du terrain. Penser avec Dewey contre Dewey », Raisons Pratiques, no 15, « La croyance et l’enquête. Aux sources du pragmatisme », B. Karsenti & L. Quéré (dirs.), 2004, p. 195-226.

Stavo-Debauge Joan, Felder Maxime, Pattaroni Luca, « L’hospitalité urbaine au risque de la contagion. Comment continuer à recevoir les plus précaires tout en les espaçant les uns des autres ? », Espaces Temps.net, 2022, URL : https://www.espacestemps.net/articles/lhospitalite-urbaine-au-risque-de-la-contagion/.

Thévenot Laurent, « Le régime de familiarité. Des choses en personne », Genèses, no 17, « Les objets et les choses », Soubiran-Paillet Francine (dir.), 1994, p. 72-101.

Thévenot Laurent, « L’action qui convient », Raisons Pratiques, no 1, « Les formes de l’action », Pharo P. & Quéré L. (dir.), 1990, p. 39-69.

Zask Joëlle, L’opinion publique et son double – Livre I, l’opinion sondée, Paris, L’Harmattan, 2000a.

Zask Joëlle, L’opinion publique et son double – Livre II, John Dewey, philosophe du public, Paris, L’Harmattan, 2000b.

 

[1] L’entretien a été effectué en visio-conférence le 8 juin 2022 puis la retranscription reprise par échanges de courriels en septembre 2022. Le texte obtenu a enfin été coupé début novembre, pour respecter les normes de longueur d’Implications philosophiques ; les coupes sont matérialisées par le symbole […]. La version complète de l’entretien se trouve sur le site du Centre d’Étude des Mouvements Sociaux, et elle est consultable ici.

Je remercie le CeRIES, qui a financé une première retranscription automatique via le logiciel Authôt, ainsi qu’Astrid Broucke, qui a repris cette retranscription durant l’été 2022 pour aboutir à un texte compréhensible, et a ainsi largement contribué à la lisibilité du texte ici présenté. Merci aussi à Juliette Duclos-Valois pour sa relecture d’une première version de la retranscription.

 

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