Philosophie de la connaissanceune

L’aptus spinoziste et les propriétés communes.

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L’aptus spinoziste et les propriétés communes. Du dualisme à la complexité psychophysique.

 

Vincent Legeay, doctorant à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 

Introduction

 

La conception générale de l’aptitude, qui sert chez Spinoza, à partir du scolie de la proposition 13 de la seconde partie de l’Éthique, à assurer une comparaison et un classement inter-individuel rigoureux en fonction de la supériorité cognitive (unius Mentis praestantia) des composés psychophysiques, n’est définitivement fonctionnelle qu’une fois son appareillage réussi vis à vis des « propriétés communes », au corollaire de la proposition 39 de la seconde partie.

 

Il suit de là que l’Âme est d’autant plus apte à percevoir adéquatement plusieurs choses [aptior ad plura adaequatè percipiendum], que, son Corps a plus de choses en commun avec les autres corps [plura cum aliis corporibus communia][1].

Ce que l’individu possède en commun avec les autres corps lui donne un avantage du point de vue des perceptions et des idées que son esprit pourra former. D’origine stoïcienne, ces notions communes ont un rôle opératoire dans la transition qui fait passer un individu de « très peu apte à être affecté de plusieurs manières à la fois »[2] à « apte à être conscient de Dieu, de soi-même et des choses »[3]. Dans le corps textuel de l’Éthique, les notions communes permettent que le même individu change et évolue d’une simple aptitude à être affecté de plus de manières à la fois à une aptitude à rendre la majeure partie de son esprit éternelle. Si le fonctionnement de ces notions a souvent été étudié sous l’angle épistémologique de la possibilité de leur adéquation dans le tout et dans la partie, questionnant la possibilité de former cognitivement de telles notions[4], il est également intéressant de se demander si elles ne signalent pas, en tant que « propriétés communes », le moment d’une réversibilité affective étonnante, qui mène vers un questionnement de dimension biologique.

En effet, que l’individu soit d’autant plus apte à connaître distinctement qu’il possède plus de choses communes[5] avec les autres corps établit une distribution réglée des types de « supériorités » individuelles, en permettant de comprendre comment l’individu acquiert une position nommée praestantia par Spinoza. Les corps possédant un très grand nombre de propriétés communes avec les autres corps seront dans une position qui semble privilégiée. Leur rapport aux causes extérieures, aux circonstances, pourrait s’inverser, en ce que l’affection des circonstances sur nous ne soit plus seulement aléatoire et passive, mais organisée selon un ordre individuel propre.

Car les affections contraires[6], nécessairement rencontrées par un individu doté d’une aptitude à être affecté de plus de manières à la fois – donc ayant une fréquentation accrue des causes extérieures – , n’ont plus besoin de se détruire l’une l’autre, mais peuvent coexister dans, voire concourir à, une même organisation intérieure, grâce aux notions communes[7]. Dès l’instant où ces affections contrariantes possèdent des propriétés communes[8], elles deviennent compatibles parce qu’une voie d’accommodement s’indique à elles. Une autre façon de le dire est que les notions communes canalisent l’ensemble des affections nouvelles qui se présentent comme potentiellement contrariantes au sein de l’individu. Et même, il semble possible de dire que cette variété affective alimente ces propriétés communes.

Lors, plutôt que de se poser la question de leur production cognitive à partir de l’imagination, nous pensons qu’il est intéressant de se demander comment les notions communes indiquent ou s’indiquent comme facteur unique d’organisation des affections nouvelles chez Spinoza, à partir de l’ordre commun de la nature, aléatoire et largement perturbant. Notre hypothèse est la suivante. Les notions communes, à la façon du « vrai », seraient index d’elles-mêmes, au double sens suivant : elles se désigneraient naturellement comme le facteur de convenance entre les affections, mais aussi, elles dirigeraient les affections contrariantes vers une organisation distincte des connaissances, sous la forme d’une alimentation renouvelée des idées adéquates[9]. Cet usage des propriétés communes permettrait de considérer une fonctionnalisation biologique des perturbations affectives. Voyons comment nous pouvons étayer cette double assertion.

I. Les propriétés communes, index auto-désigné des affections variées.

L’individu possédant un grand nombre de propriétés communes avec les autres corps, serait en mesure de désigner à ces affections intérieures une direction opératoire. Lisons la démonstration de la proposition 7 de la cinquième partie de l’Éthique :

Or une affection tirant son origine de la Raison se rapporte nécessairement aux propriétés communes des choses […], que nous considérons toujours comme présentes (il ne peut rien y avoir en effet qui en exclue l’existence présente), et que nous imaginons toujours de la même manière (Prop. 38, p. II). C’est pourquoi une telle affection demeure toujours la même, et en conséquence les affections qui lui sont contraires et qui ne sont point alimentées par leurs causes extérieures, devront (Axiome 1) de plus en plus s’accommoder à elle jusqu’à ce qu’elles ne lui soient plus contraires [affectus, qui eidem sunt contrarii quique a suis causis externis non foventur, eidem magis magisque sese accomodare debebunt] ; et en cela une affection tirant son origine de la Raison est plus puissante[10].

Ce qu’indique ce passage, d’emblée, c’est qu’une affection contraire, dont l’origine est la causalité extérieure, s’accommode à la notion commune elle-même, parce qu’il n’existe plus pour elle que cette source ou « origine » possible. Cette notion commune est en effet plus puissante, et persistera plus longtemps parce que son origine, la Raison, est stable. Le référentiel de la contrainte extérieure lui-même est inversé. Nous voudrions partir de ce constat. En s’accommodant aux notions communes, l’affection extérieure est neutralisée dans tout ce qui concerne ses aspects non-communs. Dès lors, elle se rapporte bien plus à la propriété commune dont l’individu a constitué la notion qu’à la causalité extérieure. Son référentiel et son indexation ont changé. En cessant d’être nourrie par la cause extérieure, l’affection contraire nourrit elle-même de ses propriétés les notions communes[11].

Très immédiatement, il est donc clair que les propriétés communes, en tant qu’elles sont liées à la diversité affective de l’aptitude individuelle, ne posent pas uniquement la question de leur formation intellectuelle, mais du renversement affectif effectué.

Allons plus loin, un peu plus tôt, dans la proposition 5 de la troisième partie, Spinoza déclarait :

Des choses sont d’une nature contraire, c’est-à-dire ne peuvent être dans le même sujet, dans la mesure où l’une peut détruire l’autre.

DÉMONSTRATION. Si elles pouvaient en effet convenir entre elles ou être en même temps dans le même sujet [si enim inter se convenire, vel in eodem subjecto simul esse possent], quelque chose pourrait être donné dans ce sujet qui eût le pouvoir de le détruire, ce qui (Prop. préc.) est absurde[12].

Spinoza indique une preuve fondamentale, celle de l’impossible coexistence de deux choses (ou affections) contraires au sein d’un individu donné. La contrariété doit donc être résolue, au pire par la mort de l’individu, au mieux par une mise en « convenance » des choses et affections contraires. Un second constat s’impose : l’individu sera d’autant plus disposé à la seconde option qu’il possèdera d’aptitudes (voir E2p39sc.), parce que ces dernières lui donnent les moyens d’accommoder entre elles ses affections contraires. Plus loin, au premier axiome de la cinquième partie, une précision s’effectue sur le type de changement permettant une convenance :

Si dans le même sujet deux actions contraires sont excitées, un changement devra nécessairement avoir lieu dans l’une et l’autre, ou dans l’une seulement des deux, jusqu’à ce qu’elles cessent d’être contraires. [Si in eodem subjecto duae contrariae actiones excitentur, debebit necessario vel in utraque, vel in una sola mutatio fieri, donec desinant contrariae esse][13].

Cela ne suffit pas encore, cependant. Ce changement n’est pas précisé en lui-même. Car immédiatement, il nous semble que les deux affections contraires ne pourraient s’accommoder l’une à l’autre qu’en se rendant coexistantes, ce qui semble violer la proposition 5 de la troisième partie. Comment expliquer que l’accommodement maintienne les affections qui semblaient contraires en indiquant leur propriété commune ? Plus grave encore, si la contrariété naît de la fréquentation de la causalité extérieure, n’existe-t-il pas une corrélation entre l’aptitude et la perturbation affective ? Plus un individu est apte à être affecté de plus de manières à la fois, plus il est susceptible d’expérimenter d’affections simultanées, ce qui en régime d’ordre commun de la nature implique statistiquement un accroissement de la contradiction affective. Nous pensons que la liaison entre aptitude et propriété commune proposée par Spinoza pointe le moment où la fréquentation simultanée d’affections en nombre indéfini non seulement n’est plus incompatible avec des connaissances adéquates, mais alimente sous une forme accommodée ces connaissances.

En réalité, le problème s’ancre dans une difficulté plus générale : tout couple de contraires ne peut être simultanément contraire au sein d’un individu. La contrariété comme coexistence de deux affections partiellement ou totalement incompatibles se manifeste dans la durée causale de l’enchaînement. Alexandre Matheron, le premier, et d’une façon formidablement claire, signale cette difficulté dans son ouvrage Individu et Communauté chez Spinoza[14]. En effet, au moment de considérer la façon dont l’individu complexe s’adapte à son milieu, l’auteur engage une discussion sur la contrariété que représente la causalité extérieure (parce qu’elle oppose une série d’affections qui sont produites en propre par l’individu et une série d’affections qui s’expliquent par les circonstances, l’ensemble produisant un enchaînement mixte), et prend en compte l’enchaînement irrégulier de type suivant, où A sont des actions, à savoir des affections qui suivent la loi d’organisation de l’individu et P sont des états individuels, x, y, z des affections contrariantes issues d’une causalité extérieure.

Ce que l’on voit, c’est que l’action individuelle et l’affection contrariante concourent à un même effet : l’état nouveau. L’enchaînement manifeste une série d’actions propres à l’individu et d’états mixtes qui sont issus d’un concours entre l’action individuelle et une cause extérieure contrariant cette première, qui ne parvient pas à produire complètement son effet. De lui-même, le corps individuel tend à agir selon ses propres lois; de lui-même, il tend donc à résorber la causalité extérieure afin de maintenir un enchaînement «optimal», telle est l’interprétation qui pourrait prévaloir.

L’auteur explique en effet quelques pages après la présentation du schéma :

Il y a de bons et de mauvais aliments […] Si, au moment où nous sommes déterminés à l’action A1, celle-ci se trouve infléchie dans notre organe C3, par une cause extérieure x3 qui la transforme en une affection passive P3, cette affection P3 nous éloignera de notre niveau d’actualisation optimum […] En nous rendant provisoirement inaptes à A1, P3 diminuera notre puissance d’agir. Par là-même, elle contrariera notre conatus : alors que nous tendions à fonctionner de la façon la plus simple possible en nous conformant à nos seules lois, son apparition fera obstacle à notre effort; nous lui résisterons donc, aussi longtemps du moins que nous resterons déterminés à A1; et ce conflit aura pour résultat l’action A3, qui rétablirait l’équilibre si elle n’était elle-même infléchie par l’environnement[15].

Ce texte est très riche. Nous retiendrons pour notre part que toute affection concourant à la production d’un état non prévu par la loi individuelle est considérée comme contrariante, provoque un conflit, et que l’individu apte tend à résister à cette affection en rétablissant l’équilibre, forme actualisée d’un optimum[16]. Ainsi, pour Matheron, si accommodement il y a, et non simple victoire de la contrariété extérieure, l’accommodement entre affections contraires s’indique parce qu’il existe une formule optimale, un fonctionnement normal de l’individualité. De lui-même, l’individu tend, selon le niveau de sa composition – donc du nombre d’autres voies inter-parties qui peuvent compenser -, à rétablir un fonctionnement normal en résistant à l’affection contrariante. Cette façon d’interpréter le rétablissement individuel correspondrait assez exactement à une solution radicale formulée en E3p5 : si deux affections contraires sont présentes, c’est l’affection extérieure qui doit être isolée et contournée.

Nous souhaitons suggérer, à l’inverse, que l’état produit par le concours de deux affections contraires est parfois positif du point de vue global de la forme individuelle, et que l’individu apte tend moins à éliminer – ou à résister à – l’affection extérieure, qu’à utiliser cette affection en l’indexant sous une propriété générale. Notre hypothèse est que ce sont les propriétés communes qui s’indiquent comme instance de pacification des contraires, en tant que l’individu lui-même, en les formant, s’accommode tout autant à la causalité extérieure que ces affections les unes aux autres. Chez Matheron, la résistance individuelle provient du fait qu’une formule normale existe sous-jacente, qui définit le critère de l’autonomie de l’individu. Or il est possible de concevoir une seconde forme d’autonomie, non-préexistante, s’élaborant par l’accommodement du sujet à la contrainte extérieure[17]. Peut-être que les affections contraires s’organisent en fonction de l’indication que leur donnent les propriétés communes, définissant alors une aptitude à intégrer la contrariété. Voyons comment cela pourrait fonctionner.

II. Redondance fonctionnelle

Il nous semble que le schéma tel qu’il est établi par Matheron souffre d’un manque. Il est présenté sous une forme linéaire, qui ne permet pas de faire comprendre comment A3, prenant compte de la perturbation admise en P3, tend à rétablir l’équilibre, s’il n’existe pas ailleurs une forme de redondance expliquant que P1 (état qui aurait dû résulter de A1 seule) reste l’objectif de A3. Ce schéma est peut-être défectueux parce qu’il ne prend pas en compte une forme de prolifération des séries linéaires de ce genre. Face à la causalité extérieure x, y, z, qui est de facto et de jure infinie[18], aucune chance possible pour l’individu de résister, s’il n’existe pas en lui une connexion plus que linéaire de rapports inter-parties permettant de doubler un enchaînement « perturbé ». Cette remarque, qui va dans le sens de l’analyse de Vittorio Morfino[19], signale une complexification du schéma matheronien, si utile par ailleurs. Il nous faut donc essayer de reprendre ce schéma d’une façon non-linéaire, d’une façon double.

D’abord, le schéma doit-être plus qu’un enchaînement sériel de perturbations et de rattrapages, puisqu’il doit montrer comment la même action doit être redoublée (c’est ce que nous appellerons la redondance) afin qu’un autre rapport inter-parties tente de rétablir le rapport de mouvement et de repos perturbé. Il ne suffit donc pas d’inscrire dans le schéma des actions A, qui seraient perturbées par des affections x,y,z. Le schéma doit mettre en évidence des correspondances structurelles correspondant à une activité globale, qui peut être effectuée par différentes « voies » corporelles.[20] C’est le premier sens de la non-linéarité : il existe plusieurs voies de mouvement et de repos dans un corps très composé. Ces différentes voies sont des rapports entre parties qui permettent d’effectuer la même action qu’une autre voie (dans le schéma ci-dessous, il s’agit des flèches épaisses).

Ensuite, ce schéma doit tenir compte de l’assertion spinoziste du chapitre 6 de l’appendice de la quatrième partie de l’Éthique, qui dit que toute partie de la nature est forcée de « s’accommoder à elle d’une infinité presque de manières (cui infinitis modis penè sese accommodare cogitur) ». Cela paraît signifier à la fois 1) que les causes extérieures sont en nombre réellement infinies (ce qui se déduit de la troisième proposition de la quatrième partie[21]), et 2) que l’individu contraint de s’y accommoder fournit un nombre très élevé de réponses affectives, mais en nombre fini. Il reste que pour le schéma, la série des x, y, z doit être signalée comme infinie, tandis que les états mixtes recombinés du double concours individu/contrainte sont finis. Cette non-proportionnalité du nombre des perturbations et du nombre des rétablissements d’équilibre est le second sens de la non-linéarité, selon son acception mathématique technique.

Si l’aptitude est la figure individuelle de l’accommodement, en ce que l’individu s’accommode à la nature supra-individuelle d’une part, et en ce que ses affections infra-individuelles s’accommodent aux propriétés communes qu’il forme d’autre part, le schéma doit également signaler que l’aptitude possède une fonction de canalisation des réponses. La contrainte extérieure étant infinie, toute sollicitation ne peut recevoir une réponse. Quel est alors le genre de schéma que nous obtiendrions, et qui permettrait de dégager une forme adéquate pour comprendre l’aptitude, accommodement individuel à la contrariété extérieure infinie ?

Procédons par étape, d’abord, il est important d’introduire la redondance dans le schéma, c’est-à-dire de montrer comment, même à partir de P3, l’individu peut rétablir l’équilibre et produire A3. Il doit donc exister pour chaque action une autre voie corporelle permettant de produire la même action conforme à la loi d’organisation individuelle, c’est ce qui est ici représenté par le rapport fléché des B aux actions P. Le nombre élevé de ces voies établit la grande connexion des parties individuelles, qu’on peut nommer redondance :

Pour toute action individuelle produite sans contrainte, il existe une autre voie fonctionnelle pour produire cette action, c’est ce que nous pouvons postuler à partir de certaines assertions spinozistes. Par exemple, le scolie de la proposition 13 de la deuxième partie de l’Éthique affirme que pour les individus très composés, c’est le grand nombre de leurs parties qui permet qu’ils soient affectés de beaucoup de manières différentes sans changer de nature. C’est également ce que postule Matheron dans le chapitre 3 de son livre. Le schéma n’est plus linéaire dans le sens premier, parce qu’il existe toujours une connexion (représentée ici par la flèche grasse) qui pourrait être ramifiée de façon aussi complexe que l’individu est composé de sous-individus eux-mêmes très composés de parties. Ce qui permet de rattraper toute action contrariée, c’est l’existence d’une voie parallèle, connectée à la première, permettant à l’individu global d’accomplir l’action normale, c’est-à-dire de respecter le rapport de mouvement et de repos individuel. Le nombre de connexions[22] nécessairement impliquées dans ce rattrapage de la contrariété affective ne peut pas être précisément assigné, faute d’une « sagacité » suffisante, comme l’explique Spinoza dans ses « prémisses sur la nature des corps ». Nous savons néanmoins que ce nombre de connexions est extrêmement élevé, et qu’en droit il permet un accommodement quasi-infini vis à vis de la nature – quoique non rigoureusement infini.

Ajoutons alors la seconde forme de non-linéarité, celle de la contrainte infinie en rapport avec l’individu fini :

Ce nouveau schéma entend rendre évident que pour toute affection nouvelle, il existe un nombre infini de contraintes, forme figurée de la déclaration spinoziste qui concerne le surpassement infini de la nature vis à vis de nous. Selon ce croquis, le problème devient évident. Il n’est pas possible de postuler que la redondance interne elle-même est infinie, sauf pour l’individu total que serait la Nature. Placé dans l’hypothèse d’un individu fini, le nombre de voies de communication connectées (par exemple C, D […] X) ne suffira pas à rattraper la contrainte infinie. Que faire alors ? Il semble nécessaire de penser que cette duplication connectée – appelée redondance – s’accompagne d’une seconde forme de duplication, permettant que le nombre d’affections contraires puisse alimenter la redondance, afin de la rendre fonctionnelle vis à vis de l’ensemble des circonstances extérieures nouvelles.

Notre hypothèse est que les propriétés communes remplissent précisément ce rôle, et que l’aptitude est précisément l’acte d’alimenter la redondance grâce à la contrariété. Ce qui donnerait :

Ce dernier schéma tente de montrer l’accommodement de la contrainte, dont l’origine est l’ordre commun de la nature, à des propriétés communes dont l’origine est plus puissante car tirée des premières causes. Toute contrainte (qu’elle soit seulement contrariante ou franchement contraire) devrait ainsi s’accommoder à un nombre fini de propriétés communes, qui par leur puissance pourraient compenser et surpasser le nombre infini de sollicitations. Bien plus, si une telle organisation de la contrainte extérieure pouvait être opérée, assurément, son caractère infini servirait à alimenter la redondance initiale, en la fonctionnalisant d’une certaine façon. Pour le dire plus simplement, il semble que l’aptitude transforme la redondance initiale d’un individu très composé donné en voie d’indication permettant que ce qui fût initialement perturbatoire et contrariant devînt potentiellement utile. En effet, cette redondance initiale, simple connexion issue de la très grande composition individuelle, serait peu à peu transformée en une seconde forme de redondance – celle des propriétés communes – qui indiquerait à la contrainte la façon dont elle peut s’accommoder à l’individu et alimenter son fonctionnement; tout l’enjeu étant de rendre cette seconde forme de redondance majoritaire. Dès lors, l’infinité des affections extérieures est utilisée, une fois accommodée dans le sujet, pour nourrir la position de supériorité individuelle vis à vis des circumstantia extérieures. Le nombre restreint d’affections communes sert à s’accommoder d’une infinité « presque » de contextes, à la façon d’une redondance fonctionnelle[23], c’est à dire à la façon d’un grand nombre de fonctions adaptatives ou accommodantes assumées par un seul individu fini très composé. Ou plutôt, il est probable que cela se fasse simultanément, comme Spinoza le rappelle souvent pas son usage du simul.

Si l’individu apte parvient à orienter la variété affective contrariante vers l’alimentation de la redondance, il faut alors parler d’une véritable inversion affective. En effet, la variabilité affective est dès lors utilisée par l’individu apte, comme facteur d’indépendance vis à vis de la contrainte extérieure. Matheron déjà, liait les deux critères.[24]

Une conséquence doit être tirée immédiatement d’une telle interprétation. Le schéma « alimentaire » que l’individu apte parvient à mettre en place n’est pas seulement une manière de retrouver ou revenir à une version optimale qui existait déjà avant les perturbations de la contrainte. Au contraire, il s’agit d’une version augmentée de l’individu, que Spinoza appelle praestantia (par opposition, peut-être, aux circumstantia). Il ne s’agit pas seulement de « rétablir l’équilibre » pour citer Matheron, ni seulement de « résister » à la contrariété affective. Au contraire, il s’agit d’un moyen d’utiliser cette contrariété pour s’assurer une position favorable dans la nature vis-à-vis des circonstances nouvelles, position qui n’est jamais garantie a priori.

III. Aptitude et accommodement aux circonstances

Nous avons plusieurs fois utilisé le vocabulaire de la contrainte pour exprimer la sollicitation infinie des causes extérieures. Cette notion est employée tout à fait explicitement par Spinoza. Elle se dit d’une chose « déterminée par une autre à exister et à opérer d’une façon précise et déterminée (coacta, quae ab alio determinatur ad existendum et operandum certa ac determinata ratione)[25]. » A cette sur-détermination, l’individu peut donc répondre soit par un ensemble d’affections, proportionnelles au nombre des sollicitations, ce qui semble épuisant et le livre à subir l’ordre commun de la nature; soit par une opération d’une espèce particulière, à savoir la sélection de certaines propriétés communes auxquelles les causes extérieures devront nécessairement s’accommoder.

En toute rigueur, cette seconde sorte d’opération est également le produit de la contrainte. Pourtant, elle est une action tout à fait propre de l’individu. La proposition 39 de la seconde partie rend tout à fait explicite que ces propriétés communes sont tout autant singulières que communes. Cette seconde sorte d’opération semble pourtant recroqueviller l’individu sur lui-même, puisqu’il clôt le nombre de ses affections corporelles et mentales. Étudions tour à tour chacun de ces aspects.

A/ Gueroult a fait remarquer, il y a déjà longtemps, que les notions communes qui concernent l’individu apte sont à la fois générales à plusieurs corps et tout à fait propres à ce groupe de corps[26]. L’individu concerné par l’aptitude fondée sur les propriétés communes n’intègre donc pas des « qualités » qui lui seraient comme extérieures, mais saisit un aspect de son individualité au moment où l’affection se déploie en lui selon ces propriétés singulièrement efficaces. Le titre de la proposition 39 le statue tout à fait explicitement en accolant commune et Ajoutons que ces propriétés communes ne sont pas seulement présentes dans l’individu concerné, mais constituent le corps même de tous les individus concernés par cette communauté de convenance. De la même façon, les notions communes sont dites « constituer l’esprit humain » dans la démonstration de la proposition 39. Ajoutons encore, qu’au sens fort, si nous en croyons Spinoza lui-même, certaines propriétés communes n’appartiennent pas encore à l’esprit des individus concernés, mais, tout comme dans le premier scolie de la proposition 13 de cette partie, sont « des communs qui n’appartiennent pas plus aux hommes qu’aux autres Individus (communia sunt, nec magis ad homines quam ad reliqua Individua pertinent) ». Si l’on reprend la double détermination de la contrainte, il faut donc dire que l’individu se délivre de la seconde sorte de détermination, mais non de la première. Lorsque les propriétés communes se chargent de prendre en relai, par redondance, les sollicitations quasi-infinies de la contrainte, l’individu peut donc être dit opérer d’une façon déterminée entièrement par lui-même, en tant que cette opération constitue sa nature propre (et celle des autres individus concernés par la communauté corporelle partagée), mais il n’est pas isolé de la première sorte de détermination de la contrainte, à savoir celle qui le détermine à exister et opérer – en cela il s’accommode à la Nature autant que les affections contraires s’accommodent à sa nature constitutive. En droit pourtant, rien n’empêche que l’aptitude puisse à terme fonctionner sur des propriétés et des notions communes qui appartiennent totalement à l’individu concerné, propriétés qui selon la définition 2 de cette partie, sont entièrement réciprocables à l’individu lui-même et se confondent logiquement, et comme biologiquement, avec sa nature singulière et unique. Lors, l’aptitude à être affecté selon ces propriétés communes exprimera une opération entièrement délivrée de la contrainte et totalement libre.

B/ A ce niveau, il serait donc tout à fait faux de dire que l’individu apte se replierait sur soi au moment où il dirigerait ses affections vers un type de réponse affective entièrement singulière et idiosyncratique. Si les propriétés communes ici concernées sont propres à un groupe d’individus, les individus n’opèrent pas un repli sur eux-mêmes qui les isolerait de la contrainte et du régime habituel d’interaction avec les autres individus. Au contraire, ce serait une clôture affective partagée, et donc communicable entre les individus partageant ces propriétés communes. Il est pourtant vrai que l’individu, en toute rigueur, débute ici une démarche de retour sur soi, parce qu’il élabore des notions qui doivent lui être entièrement essentielles. Or nous avons vu plus haut que ce retour sur soi ne pouvait être un retour à une formule optimale a priori. Une sélection affective commence, devant permettre à l’aptitude d’inverser la logique de l’accommodement : de plus en plus fréquemment, ce seront les affections issues de la contrainte qui devront se heurter, se plier à ces propriétés communes, tout en les alimentant. Alors, de moins en moins fréquemment, l’individu apte devra se changer lui-même. Il est donc tout à fait rigoureux de dire que l’individu apte, s’indique, parce qu’il devient sa propre source de référence pour les affections contraires qui le sollicitent : ces dernières se rapportent de plus en plus à lui, il se rapporte de moins en moins à elles. In fine, il ne sera plus déterminé par les circonstances, mais ne trouvera en elles que l’occasion de manifester, d’exprimer par elles, sa praestantia. Nous voyons alors que cette dernière ne peut se définir par une supériorité qui appartiendrait à l’individu seul, mais qu’elle peut être tout à fait partagée par un grand nombre d’individus. Bien plus, cette situation qu’est la praestantia ne semble pas souffrir de restriction d’espèce, puisqu’elle marque un fonctionnement de propriétés communes à périmètre variable. Assurément, il ne suffit pas de posséder des propriétés communes pour utiliser celles-ci, selon les schémas exposés plus haut. Seules des individualités à très haute redondance seront capables d’utiliser les notions communes comme redondance fonctionnelle. Mais le niveau minimum de redondance affective requise n’étant pas précisé, le critère opérant est surtout celui de l’utilisation efficace de ces propriétés communes pour éviter de tomber dans un accommodement infini, d’ailleurs impossible. A priori, tout individu dont le très grand nombre de changements s’accompagne d’une sélection des affections favorables peut atteindre une telle situation de supériorité issue de l’aptitude.

C/ A ce point, si l’aptitude individuelle peut être dite, encore, expression de la contrainte extérieure (forme de pression comme perturbation aléatoire), la contrainte change de signification. En effet, le repli individuel consiste surtout à définir un nombre maximum de réponses affectives utiles et favorables qui serviront autant de fois que des affections contraires entre elles se manifesteront. Pour ce faire, nous l’avons vu, la constitution d’un groupe de propriétés communes définit une forme de redoublement structuré de la causalité extérieure. Parce qu’il ne peut pas entrer en compétition avec l’infinie causalité, en raison de son nombre fini d’états acceptables, l’individu fait de sa position un avantage et une supériorité face aux circonstances. Nous retrouvons alors une définition tout à fait technique de la contrainte : celle-ci est définie en thermodynamique comme le nombre maximum d’états acceptables du point de vue d’une chose donnée, à partir de laquelle s’ouvre un nombre limité de voies d’évolution de sa situation. L’individu apte fait de ce maximum négatif un maximum positif, en indiquant une voie affective finie à la sollicitation infinie de la contrainte.[27] Ce retournement de l’asymétrie fondamentale entre individu fini et contrainte infinie est particulièrement frappant parce que l’individu apte exprime un point d’inversion et de réversibilité : il s’accommode efficacement à la nature en obligeant les affections contraignantes à s’accommoder en lui. L’individu peut alors être dit complexe au sens où les affections extérieures sont doublées dans – et repliées sous – les propriétés communes. Si après un lent travail d’accommodement, les propriétés communes finissent naturellement par s’indiquer comme réponse à la contrainte, si l’individu, par là, se désigne soi-même comme réponse finie à la sollicitation infinie, et si, enfin, il se reconnaît soi-même comme la référence de cette réversibilité affective, il faut lui reconnaître une capacité à s’auto-organiser. Dans l’alimentation continue des parties individuelles, ces propriétés communes, identiques à elles-mêmes dans la partie et dans le tout de chaque individu, s’indiquent au sens où elles créent une nouvelle référence : toute affection contrariante finit par se rapporter aux notions communes. Ce redoublement des affections extérieures n’est en rien une répétition, mais un Les propriétés communes enveloppent les affections extérieures lorsqu’elles se présentent. Nécessairement, cela veut dire qu’il existe un travail interne à l’individu qui organise, qui référence l’infinité de messages d’ « erreur » que pourraient apporter les affections contrariantes. L’individu est capable de s’adapter aux circonstances nouvelles. Il redouble l’ordre affectif aléatoire de la nature d’une organisation affective limitée dont il est la seule référence opératoire. Les affections contraires doivent plier face à cette organisation, au sens où elles sont enveloppées, repliées, sous les propriétés communes. Nous comprenons alors d’une façon tout à fait précise le changement dont parlait le premier axiome de la cinquième partie : les affections contraires s’accommodent non pas l’une à l’autre, mais se replient l’une et l’autre sur leur dénominateur commun, leur propriété commune.

D/ Si l’aptitude, en tant qu’elle est une covariance affective psychophysique (ou comme expression modale de deux attributs) est bien une stratégie d’adaptation, il ne semblera pas excessif de tenter une comparaison radicale de l’individu spinoziste et de l’individu cartésien. Quand ce dernier, en tant qu’il était l’union de deux substances, était dual, ou duel, l’individu spinoziste est duplex au sens où sa nature est capable de replier, d’envelopper sous des propriétés et connaissances adéquates la contrariété affective à laquelle il fait face. L’individu n’est plus double au sens où il possèderait deux natures. Il n’est plus l’union de deux natures. Au contraire, il est une seule nature psychophysique capable d’envelopper sous elle, de replier sous elle, un nombre quasi-infini d’affections extérieures. L’individu spinoziste est en mesure de dédoubler l’ordre affectif aléatoire sous la forme d’un ordre commun et propre. Il n’est donc pas un simple pli de la grande Nature, mais la duplication de ses effets. Ce serait cela, la complexité d’un corps très composé.

Conclusion

Si on nous accorde que les propriétés communes peuvent servir de notions index sui ou de référence affective pour les individus aptes, nous pouvons pour finir nous demander si elles sont un critère au même sens que les notions communes stoïciennes d’une part, et au même sens que le vrai tel que Spinoza le définit d’autre part. Pour le premier cas, immédiatement, il faut dire que non. En effet, les propriétés communes ne s’indiquent pas d’une façon immédiate, même si elles sont données dans l’esprit humain, elle ne se désignent pas comme évidence psychologique a priori sous la forme de notions, ce qui nous semble au contraire être le cas chez les stoïciens. Notre hypothèse est que chez Spinoza, les notions communes ne sont index sui que lorsqu’est considéré le problème de la contrainte naturelle infinie. Nous ne les nommons index que pour autant que l’individu apte peut être dit se référer (referatur) à ces notions plutôt qu’à la contrainte infinie qui l’entoure. Cette remarque n’est pas triviale dans la mesure où il est souvent suggéré que Spinoza serait un penseur de l’infini. Or du point de vue de l’individu, les propriétés communes sont le soubassement de l’aptitude comme solution finie au problème de l’accommodement. Ainsi, chez le néerlandais, par opposition au vrai, indice de lui-même et du faux (selon la lettre 76), les notions communes ne s’indiquent peut-être que négativement, comme en réaction aux affections contraintes, ces dernières n’étant référencées qu’à l’ordre commun de la nature.

[1] Éthique, II, proposition 39, cor. Nous modifions complètement la traduction d’Appuhn en ce qui concerne la fin de la phrase, qui ajoute le terme de « propriétés » au terme de plura qui renvoie seulement à des choses et non à des propriétés. C’est tout le sens de la formule de Spinoza que de ne pas préciser ce plura ici, et surtout pas sous la forme d’une propriété ou d’une notion. Mais nous conservons la première partie de la traduction, cette fois a contrario de la traduction de Pautrat qui traduit le ad plura par « plus de choses », alors qu’il ne renvoie pas à un comparatif de supériorité, et donc possède le sens du plusieurs (que nous soulignons).

[2] Cf Éthique, scolie de la proposition 13 de la seconde partie.

[3] Cf Éthique, scolie de la proposition 39 de la cinquième partie.

[4] Voir bien sûr l’entrée « Notion Commune » dans le lexique de Gilles Deleuze, celui-ci s’intéresse particulièrement à la façon dont ces notions peuvent être développées à partir d’une théorie de composition des corps. « Les notions communes sont nécessairement des idées adéquates : en effet, représentant une unité de composition, elles sont dans la partie comme dans le tout et ne peuvent être conçues qu’adéquatement (II, 38 et 39). Mais tout le problème est de savoir comment nous arrivons à les former ». Spinoza philosophie pratique, pages 126-132, Éditions de Minuit, Paris, 2003. Sur ces questions, voir également l’ouvrage de Pascal Séverac, Le devenir actif chez Spinoza, Honoré Champion, 2005, p 135 et sqq.

[5] Ces choses communes sont souvent décrites par l’interprétation spinoziste comme des propriétés communes, c’est par exemple la compréhension de M. Gueroult, Individu et Communauté chez Spinoza, Éditions de Minuit, Paris : 1969, pages 327 et sqq. On y trouve ainsi définies les notions communes propres : « Les notions communes propres étant seulement des idées de propriétés communes à notre Corps et à certains corps extérieurs qui l’affectent, sont, de ce chef, les idées de ce qui est, en commun, « propre » à notre Corps et à un ensemble de certains corps, à l’exclusion des autres; elles sont par conséquent des notions communes « propres » à certaines âmes, à l’exclusion des autres ». En fait, Spinoza utilise plus volontiers la notion de choses communes, comme dans l’expression plura communia, c’est-à-dire des traits partagés par un ensemble d’individus, sans que l’on sache exactement quels ils sont à ce niveau de généralité.

[6] Que cette contrariété soit celle des causes extérieures entre elles, au sens où elles nous « ballotent » comme les flots, selon l’expression même de Spinoza dans le scolie de la proposition 45 de la troisième partie : « On voit par cette exposition que nous sommes mus en beaucoup de manières par les causes extérieures, et que, pareils aux vagues de la mer, mues par des vents contraires, nous sommes ballottés, ignorant ce qui nous adviendra et quel sera notre destin. » ou que cette contrariété soit celle d’une affection qui ne peut coexister dans un individu, car tout-à-fait contradictoire avec la forme de mouvement et de repos caractéristique de ce même individu selon la proposition 5 de la troisième partie, cela revient, comme nous allons le voir, au même.

[7] Cf. sur ce point Sophie Laveran, Le Concours des parties – Critique de l’atomisme et redéfinition du singulier chez Spinoza, Garnier Classiques, Paris, 2015. Voir surtout la section intitulée « La dynamique d’accommodation ».

[8] Et qu’elles ne sont pas absolument contraires les unes aux autres, à savoir qu’elles ne sont pas de nature à se détruire l’une l’autre, comme le fixe la proposition 5 de la troisième partie de l’Éthique déjà cité.

[9] Pour exemple, la confrontation du chapitre 27 de l’appendice de la quatrième partie avec la proposition 7 de la cinquième partie est de ce point de vue tout à fait étonnante, car elle suggère que la variété requise par l’aptitude soit la source d’alimentation des notions communes, sous la forme d’une alimentation accommodée d’affections nouvelles en permanence.

[10] Éthique, traduction Pautrat. Paris : Seuil, 2010.

[11] Ce point semble être confirmé par la fin de la démonstration de la proposition 7 de la cinquième partie : « une affection tirant son origine de la Raison se rapporte nécessairement aux propriétés communes des choses (voir la défin. de la Raison dans le Scolie 2 de la Prop. 40, p. II), que nous considérons toujours comme présentes (il ne peut rien y avoir en effet qui en exclue l’existence présente), et que nous imaginons toujours de la même manière (Prop. 38, p. II). C’est pourquoi une telle affection demeure toujours la même, et en conséquence les affections qui lui sont contraires et qui ne sont point alimentées par leurs causes extérieures, devront (Axiome 1) de plus en plus s’accommoder à elle jusqu’à ce qu’elles ne lui soient plus contraires ; et en cela une affection tirant son origine de la Raison est plus puissante. »

[12] Nous traduisons.

[13] Traduction Appuhn. Notons qu’ils s’agit ici d’actions contraires, et non de deux affections ou choses neutres. Ainsi, elles sont directement contradictoires en ce que deux régimes causaux entièrement explicables par ces choses se font face au sein d’un même individu; ce qui est le cas des affections issues de ou référençables à l’ordre commun de la nature contre les affections issues de ou référençables à l’ordre intellectuel de l’individu.

[14] Alexandre Matheron, Individu et Communauté, Éditions de Minuit, Paris, 1988. Voir pages 48 et sqq.

[15] Ibid., page 60.

[16] Voir Ibid., page 59.

[17] Cette autonomie aurait alors toutes les apparences d’une auto-organisation, telle qu’elle définie par exemple par Henri Atlan dans le Vivant post-génomique, Odile Jacob, Paris : 2011. Il faut pour cela nous accorder que les notions communes permettent à partir de l’ordre commun de la nature, aléatoire pour une grande part, de s’accommoder et de s’adapter à des circonstances nouvelles.

[18] Notons que Matheron ne note pas ou ne signale pas la présence infinie de cette contrainte. Elle est pourtant très clairement établie par le chapitre 6 de l’appendice de la quatrième partie, car ne pouvant être autre chose qu’une partie de la nature, tout individu devra s’accommoder d’une infinité presque de manières aux causes extérieures.

[19] Selon le modèle du réseau structural multiple, dans une logique d’entremêlements à l’infini (proche de l’image du tissage que propose Vittorio Morfino dans Le Temps de la Multitude, Éditions Amsterdam, Paris 2010).

[20] Remarquons que Matheron utilise le terme d’ « activation » pour décrire la formule approchée de l’essence qu’est l’aptitude, ce qui pose le problème dans des termes aristotéliciens qui, à notre avis, n’ont pas lieu d’être; et qui crée l’impression d’un fossé entre l’essence et l’existence.

[21] Dans laquelle il est précisé que l’homme est infiniment surpassé par la puissance des causes extérieures.

[22] Par connexion nous entendons donc l’ensemble des voies de communications – entre les parties qui composent le corps d’un individu – qui permettent d’accomplir la même action. Par action nous entendons donc une affection qui s’explique par les rapports de mouvements et de repos de l’individu.

[23] Voir à ce propos la notion de complexité comme « redondance fonctionnelle » développée par Atlan, dans le même ouvrage cité supra.

[24] Op. cit., page 50-51. « Les deux facteurs sont donc liés : plus un individu est apte à être modifié de plusieurs façons à la fois, plus il est apte à faire ce qui se déduit des seules lois de sa nature; variabilité et indépendance vont de pair. »

[25] Nous soulignons.

[26] Voir Spinoza, II, L’âme, Aubier, Paris, 1997, page 339.

[27] Sur ce point, voir les explications d’Henri Atlan dans Entre le Cristal et la Fumée; Essai sur l’organisation du vivant, Seuil, Paris : 1979, pp 78 et sqq.

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