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Pensée philosophique et pensée scientifique

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III- Pour résoudre des problèmes axiologiques, seule la pluridisciplinarité est envisageable

Transition : science et philosophie des sciences

                  Sur le terrain des connaissances, l’interdisciplinarité entre la science et la philosophie ne nous semble rarement utile, en raison du rapport asymétrique des deux disciplines : les scientifiques n’ont nul besoin des philosophes pour accroître ou approfondir leurs savoirs. Cette affirmation n’a de sens qu’une fois admis le fait que les problèmes épistémologiques sont des problèmes scientifiques – plus précisément, que l’épistémologie s’est autonomisée par rapport à la philosophie, et qu’elle l’a fait à bon droit.

Mais les questions relatives à la connaissance ne sont pas complètement absorbées par la science et l’épistémologie : il subsiste des problèmes encore plus généraux sur les limites intrinsèques de la science, sur les rapports de la science à la société, à la morale, à la politique, à la liberté, au bonheur, etc. Pour une partie d’entre eux, ce sont des problèmes de philosophie des sciences. Or la philosophie des sciences n’est pas du tout l’épistémologie : elle ne dit pas ce qu’est la connaissance, comment elle se forme et se développe, mais elle réfléchit sur les rapports de la connaissance avec les autres dimensions de l’existence humaine. La frontière science-philosophie passe entre l’épistémologie et la philosophie des sciences. Ce qui singularise la philosophie des sciences, et qui la rend irréductible à la science (épistémologie comprise), c’est qu’elle s’interroge sur la valeur de la science. Le problème cognitif fait place à un problème axiologique. Le présent travail, dans la mesure où il s’interroge sur la valeur de la connaissance scientifique au regard des exigences de la pensée philosophique, peut être compris en partie comme une réflexion de philosophie des sciences. Pour déterminer si une interdisciplinarité peut faire sens entre la science et la philosophie, il faut comprendre l’articulation de ces deux types de problèmes.

Vérité et valeur, objectivité et subjectivité, universalité et engagement personnel

Comme nous l’avons vu en commençant, l’histoire des formations spirituelles invite à définir la philosophie comme une vision-du-monde raisonnée (plutôt que religieuse), coordonnée rationnellement à une sagesse théorique (plutôt qu’une sagesse pratique ou une morale dogmatique). La philosophie a pour vocation de raccorder des connaissances à des valeurs, des vérités à des règles de conduite. Quand la science est sortie de son giron pour devenir la source indépendante de la connaissance vraie, la philosophie s’en est trouvée bancale et fragilisée. Devait-elle se reporter exclusivement sur les problèmes axiologiques et existentiels ? C’eût été impossible sans qu’elle eût trahi sa fonction : un discours sur les valeurs qui n’est plus rattaché à des vérités n’est plus philosophique – il relève de la morale ou de la sagesse pratique. La philosophie ne cherche pas à prescrire des règles de vie dont le but serait simplement la conformité à une morale présupposée ou un accès direct au bonheur : elle doit déjouer les présupposés par l’exercice d’une pensée critique et ne devenir normative que sur la base d’une recherche du vrai. Il s’agit pour la philosophie de coordonner des vérités à des valeurs, et pas simplement d’édicter des normes (éthiques, morales, juridiques ou politiques).

Ne pouvant lâcher la vérité, donc, comment la philosophie doit-elle envisager son rapport à la science qui s’est fait une spécialité de la recherche du vrai ? Comme nous l’avons vu dans la première partie, la réaction naturelle a été plutôt conservatrice : la philosophie refuse de se voir dépossédée. Il nous semble que toutes les tentatives qui visent à préserver une domination philosophique en matière cognitive sont vouées à l’échec. L’ignorance du champ scientifique dans sa complexité, son étendue et son heuristicité est la meilleure garantie pour croire qu’il incombe à la philosophie de fonder les savoirs, de légiférer sur les connaissances, ou de les accroître d’une quelconque façon[15]. Devant l’autorité des sciences de la nature, les philosophes ont aujourd’hui renoncé à l’idéal qui fut longtemps le leur d’une pensée philosophique autosuffisante parce qu’omni-englobante. Mais leur rapport aux sciences humaines est beaucoup plus ambigu.

La situation de dépendance de la philosophie par rapport aux sources extrinsèques du savoir est plus accentuée qu’on pourrait le penser, car la science ne s’interdit pas d’étudier le champ des valeurs. Il existe une sociologie, une ethnologie, une histoire, une psychologie, une psychanalyse, et même une biologie et une éthologie des valeurs, des morales et des « impératifs catégoriques ». Certes, la science des valeurs les étudie comme des faits. Elle rabat le devoir-être sur l’être. Mais n’est-ce pas la seule façon d’en dire quelque chose de vrai ? Comment discriminer le vrai du faux si l’on ne vérifie rien ? Quels sont les moyens dont dispose un esprit pur de vérifier la véracité de ce qu’il pense ? Aucun, sinon l’effort qu’il fait, de bonne foi, pour penser droit, pour réfléchir sur des intuitions justes, pour raisonner sans sophisme. Mais comme l’histoire de la philosophie est faite de doctrines contradictoires pourtant défendues pas d’honnêtes penseurs, nous sommes bien obligés de reconnaître l’insuffisance de la pensée pure pour trouver des vérités universelles[16]. Comme c’est une exigence philosophique essentielle d’exercer son esprit critique (y compris sur ses propres thèses), et que rien ne vaut la confrontation avec la science pour mettre à l’épreuve ses idées, il appartient au philosophe qui veut être à la hauteur de sa tâche de s’instruire des sciences. La vérité absolue n’étant pas accessible à l’homme, nous devons nous contenter, humblement, de vérifier nos idées par des procédures de vérification les plus efficaces connues à ce jour (l’observation, l’expérimentation, l’étude statistique, la formalisation, la confrontation avec ses pairs). Pourquoi donc nos théories sur les valeurs devraient échapper à cette exigence ?

Bien entendu, une fois que les valeurs ont été étudiées comme des faits objectifs, il reste encore à déterminer ce que l’on doit faire de ces faits. La science cède la place à la morale ou à la philosophie, car elle ne saurait déduire le devoir-être de l’être. Mais en quittant la sphère de compétence de la science, il se pourrait bien que nous quittions la sphère de la vérité universelle aussi. Enoncer ce qui doit être, même au sein d’une doctrine spéculative, c’est toujours s’engager à titre personnel[17]. Poser des normes, c’est désirer, c’est vouloir, c’est créer. Or il faut choisir : créer, innover, inventer, ou bien dire le vrai. Une norme ne saurait être vraie ou fausse. Le vrai et le faux concernent le réel – entendu comme on voudra –, tandis que le devoir-être cherche à anticiper ce qui est encore irréel. Que l’homme soit capable de transcender le réel dans la visée de l’irréel, c’est ce qui fait sa dignité, et qui rend possible sa liberté. Mais demander en plus que l’irréel soit vrai ou faux, c’est aller trop loin.

La philosophie, dans la mesure où elle coordonne des savoirs et des valeurs – même si cette coordination est rationnelle, même si la pensée se veut théorique de bout en bout – doit renoncer, pour une part, à la vérité et à l’universalité. Chacun espère penser et légiférer universellement, mais l’intelligence consiste peut-être à reconnaître avec Socrate que « Je sais que je ne sais rien », ou avec Lequier que « lorsque l’on croit de la foi la plus ferme que l’on possède la vérité, on doit savoir qu’on le croit, et non pas croire qu’on le sait »[18]. Le spectacle qu’offrent les doctrines philosophiques à travers l’histoire – toutes certaines d’être dans le vrai, mais néanmoins incompatibles[19] et hétérogènes – devrait suffire à s’en convaincre. Le scepticisme bien compris (dynamique, constructif et hiérarchique plutôt que nihiliste[20]) est peut-être la sagesse intellectuelle la plus haute que puisse atteindre la philosophie. C’est là encore une tâche essentielle, et la philosophie ne devient pas dérisoire pour avoir reconnu sa finitude.

La vérité universelle était pourtant son ambition constitutive. Mais elle était aussi celle de la religion. La philosophie a travaillé à montrer que la religion était une question de croyances personnelles incompatibles avec l’exigence de vérité universelle ; la science a fait ensuite exactement le même travail de “déniaisement” à l’égard de la philosophie : les philosophes, en fait comme en droit, ne se décentrent que partiellement et donc n’accomplissent que partiellement leur tâche critique. Ils peuvent se consoler en faisant un peu d’épistémologie et d’histoire des sciences, l’une et l’autre montrant que la science n’atteint pas non plus la vérité universelle et éternelle, quoiqu’elle se donne des moyens d’autocritique (de vérification) supérieurs. Quelles que soient les limites intrinsèques de la pensée philosophique, cette dernière ne sera jamais un vain effort tant que l’engagement normatif instruit et réfléchi – fût-il irrémédiablement personnel – sera de nature à libérer l’homme de ses conditionnements.

L’hétérogénéité des problèmes scientifiques et philosophiques

Résumons la situation : sous son aspect cognitif, la philosophie doit se mettre à l’école de la science ; sous son aspect normatif, elle doit renoncer à la vérité universelle, car tout engagement normatif est irrémédiablement personnel. La différence entre la science et la philosophie – à l’issue du processus de différentiation que l’on a étudié précédemment –, c’est que la première fait abstraction, autant que possible, de la subjectivité particulière du scientifique (la prenant en compte éventuellement pour mieux en neutraliser les effets), tandis que la seconde doit intégrer, d’une façon ou d’une autre, la position singulière du penseur. La philosophie qui ne se préoccupe en rien de cette réflexivité englobante, et qui ignore aussi toute dimension axiologique, risque de n’être qu’une vision-du-monde, c’est-à-dire une pensée vouée à être dépassée par la science (épistémologie comprise).

Quelle sera alors la différence entre la philosophie et la pensée religieuse qui, elle aussi, a une double dimension cognitive et normative, et intègre tout autant la dimension personnelle et intime des actes de pensée et de foi – surtout dans certaines phases de l’évolution des religions et des théologies, et dans la pensée mystique ? La différence ne tient que dans le degré de rationalisation de la pensée : la philosophie est une sorte de pensée religieuse plus argumentée et plus rationalisée, donc plus sceptique – mais pas autant que la pensée scientifique. On trouve d’ailleurs tous les intermédiaires entre les deux types de pensée.

Une interdisciplinarité est-elle envisageable entre la philosophie ainsi comprise et la science ? Cela paraît bien difficile. Pour qu’une authentique interdisciplinarité soit possible, il faudrait qu’il existât des problèmes communs aux disciplines considérées. Or si des objets de réflexion peuvent être communs, la façon de problématiser semble irréductiblement distincte. Tandis que la science cherche les lois de l’être-en-soi[21] en neutralisant autant que possible l’engagement normatif personnel qui l’oblitère, le travail spécifiquement philosophique ne commence que quand on se demande que penser et que faire de cette objectivité neutre. Le philosophe ne cherche pas seulement à bien savoir, mais aussi à bien vouloir. Il lui faut s’engager à titre personnel et créer une échelle de valeur dont il lui appartient de déterminer les critères. Certes, il réclame que son engagement intellectuel soit reproduit à l’identique par tout lecteur imaginable ; mais comme cet acte est partiellement normatif, il ne peut tout à fait se décentrer, se vérifier et ainsi s’universaliser.

Nous avons affaire à deux usages de la subjectivité pensante, et deux usages de la liberté. D’une façon générale, le scientifique s’intéresse au sujet et à la conscience essentiellement pour les ramener à leurs conditionnements non-conscients[22]. Ainsi, il peut mettre en évidence des déterminismes physico-bio-psycho-sociologiques sans qu’on lui objecte qu’il contredit, ce faisant, sa revendication implicite de penseur libre, autonome et rationnel. Cette “contradiction” ne le touche pas puisqu’il s’occupe du monde exclusivement, non de lui-même (ou de lui-même seulement dans la mesure où ce retour réflexif lui permet de mieux expliquer le monde). Au contraire, le philosophe devra tenir pleinement compte de cette objection et se penser lui-même pensant les choses ; pas seulement comme « sujet épistémique » abstrait, mais comme sujet singulier insubstituable[23]. La circularité paradoxale de la pensée est le jeu même de la philosophie, alors qu’elle est ce que la science doit neutraliser au nom de l’impératif d’objectivité.

Il est vrai que bien des philosophies ne s’occupent nullement de ce paradoxe, et certaines vont jusqu’à nier que les pensées doivent être référées à un sujet responsable. Soit. D’autres encore nient qu’il y ait un monde. Dans une certaine mesure, toutes les doctrines philosophiques sont défendables, puisque la raison est plastique, « ployable à tous les sens »[24] et à toutes les dispositions psychiques. Il n’en demeure pas moins qu’une philosophie se reconnaît à sa double ambition cognitive et normative, et qu’il est assez insolite de voir un penseur prétendre dire le vrai et le juste en se jugeant lui-même inapte à le faire (en raison du doute qu’il porte sur sa liberté même de penseur). Ou bien il s’agit d’un scepticisme constructif dont l’objet est de renforcer la pensée dans sa lutte contre les chimères (l’hypostase d’un sujet souverain, d’une liberté absolue, etc.), et alors la circularité de la pensée est vertueuse ; ou bien il s’agit d’un vain nihilisme qui s’affirme comme la vérité ultime, et alors nous avons affaire à une pure contradiction performative et à un cercle vicieux. Dans tous les cas il y a cercle : le philosophe n’en sort pas.

Le scientifique cherche à libérer sa pensée en la dépouillant de tout ancrage particulier (par des formalisations, des déductions, des objectivations) ; de son côté, le philosophe veut une liberté suffisamment impersonnelle pour que la pensée ne soit pas lestée de préjugés idiosyncrasiques et de croyances contingentes, mais pas assez pour l’empêcher d’émettre des jugements de valeur. Un jugement de valeur pleinement assumé n’est pas et ne peut être impersonnel. Au pire, il a l’impersonnalité d’un déterminisme bio-socio-psychologique, au mieux il a la personnalité d’un libre engagement individuel.

La pluridisciplinarité est la principale forme de coopération entre science et philosophie

                  Ainsi, l’hétérogénéité des problèmes scientifiques et philosophiques fait planer un doute sur la possibilité que les savants et les philosophes puissent travailler ensemble sur un problème commun. Comment concevoir un mixte de science et de philosophie dès lors que la science s’est autonomisée ? Seule une science encore dans son enfance peut demander à la philosophie un soutien interdisciplinaire pour ses recherches cognitives. Quant aux questions éthiques et normatives, la science en général ne s’en préoccupe pas : elle ne peut donc apporter son expertise sur ces questions – pas directement, du moins. Les scientifiques peuvent avoir une déontologie, mais qui n’est pas elle-même scientifique ; pas plus que la bioéthique n’est biologique.

Ceci dit, les connaissances scientifiques peuvent bien constituer un préalable utile pour le traitement de problèmes moraux : le scientifique n’a rien à dire de normatif en tant que scientifique, mais le questionnement normatif doit être instruit pas une culture scientifique préparatoire. Autrement dit : un problème normatif ne saurait être un problème scientifique (et donc aucune interdisciplinarité n’est concevable avec la science pour résoudre ce genre de problème), mais la science est essentielle à la bonne formulation de ces problèmes (en quoi une collaboration pluridisciplinaire peut s’avérer enrichissante).

On peut ainsi mettre en place une association pluridisciplinaire entre scientifiques, philosophes, religieux, moralistes ou juristes à l’occasion d’une réflexion bioéthique, morale, politique, juridique, etc. Mais elle ne prendra pas la forme d’un engagement dans un programme de recherche commun : l’hétérogénéité de toutes ces disciplines est trop marquée. Si le dialogue peut être constructif entre les spécialistes de ces différentes disciplines, c’est parce que chacun est homme avant d’être scientifique, juriste ou moraliste, et donc qu’une communauté intellectuelle peut s’établir par-delà les abîmes disciplinaires. Les échanges et les entretiens intellectuels entre spécialistes sont toujours profitables. Ils peuvent même donner des idées originales aux uns et aux autres, et ainsi leur ouvrir de nouveaux horizons pour leurs recherches disciplinaires. Mais cette forme de stimulation intellectuelle externe n’est pas de l’interdisciplinarité stricto sensu.

Pour parler d’interdisciplinarité, il faut qu’il existe plusieurs disciplines autonomes capables de traiter ensemble d’un problème qui se pose au sein de chacune de ces disciplines (et non un problème qui les surplombe et les invite à se transcender en tant que discipline). Par exemple, l’éthologie et la psychologie peuvent travailler ensemble sur des problèmes communs, comme la psychologie sociale et la sociologie, l’économie et l’histoire, la physique et les mathématiques, la géographie et la démographie. Si les sciences ont tout intérêt à s’organiser de façon interdisciplinaire quand les programmes de recherche qu’elles mettent en œuvre l’exigent, nous sommes globalement dubitatifs sur l’inclusion des philosophes dans ces travaux collectifs. Comme nous l’avons évoqué dans la Partie I, l’interdisciplinarité philosophie-science n’est féconde que sous deux conditions très particulières : d’une part, il faut ne considérer la philosophie que dans sa dimension cognitive ; et d’autre part, il faut que cet aspect cognitif soit innovant par rapport aux connaissances disponibles – c’est-à-dire qu’il bouscule les traditions philosophiques établies et anticipe sur la constitution d’une future science. Cette situation n’est pas exceptionnelle, mais elle n’est pas non plus courante. Surtout, elle ne fait pas droit à la spécificité de la pensée philosophique (la problématisation cognitivo-normative ou cognitivo-existentielle). A considérer la philosophie dans son unité et son projet intellectuel global, il faut reconnaître qu’il n’y a pas de “pensée interdisciplinaire” concevable entre la science et la philosophie. Cela n’ôte rien à la richesse des échanges qui peuvent s’établir entre spécialistes de disciplines différentes, ni à la fécondité des rencontres pluridisciplinaires.

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[1] Quand nous parlons de « science », nous désignons l’unité d’un mode d’interrogation du réel qui englobe toutes les sciences, y compris les sciences humaines. Il y a plus de proximité méthodologique entre la physique et l’histoire (recherche d’une vérité objective par des procédures de décentrement qui neutralisent, autant que possible, le caractère personnel de la démonstration) qu’entre l’histoire et la philosophie, qui n’est pas du tout une science à proprement parler, bien qu’elle en ait longtemps tenu lieu.

[2] D’une façon générale, nous ne traitons dans cet article que des rapports théoriques que la philosophie entretient avec l’aspect théorique des disciplines qui peuvent lui être comparées. Nous interrogeons donc la prétention de ces disciplines à énoncer des vérités universelles, et leurs rapports de limitation réciproque au regard de cette ambition. Nous mettons donc de côté toutes les interactions imaginables entre la philosophie et les pratiques cliniques, artistiques, politiques, éthiques, pédagogiques, etc.

[3] Pour comprendre cette réaction, rien n’est plus éclairant que les travaux des sociologues de la philosophie tels que P. Bourdieu (Méditations pascaliennes, Paris, Le Seuil, 2003 ; « Les sciences sociales et la philosophie », Actes de la recherche en sciences sociales, 47-48, juin 1983), J.-L. Fabiani (Les philosophes de la République, Paris, Minuit, 1988 ; Qu’est-ce qu’un philosophe français ?, Paris, éd. de l’EHESS, 2010), L. Pinto (La Théorie souveraine, Paris, Le Cerf, 2009 ; La Vocation et le métier de philosophe, Paris, Le Seuil, 2007) et R. Collins (The Sociology of Philosophies, Cambridge, The Belknap Press of Harvard Univ., 1998, chp 9 à 14 surtout). On complétera ces lectures par les essais de J.-F. Revel, F. Chatelet, J. Bouveresse, P. Thuillier, A. Sokal et J. Bricmont, L.-M. Vacher et R. Fortin, cités en bibliographie.

[4] Voir sur ce point les analyses de J. Piaget, Sagesse et illusions de la philosophie, PUF, 1992 ; J.-F. Revel, Pourquoi des philosophes, La cabale des dévots, Histoire de la philosophie occidentale, Paris, Laffont, 2013 ; S. Auroux, Barbarie et philosophie, Paris, PUF, 1990 ; P. Thuillier, Socrate fonctionnaire, Bruxelles, Complexe, 1982.

[5] La phénoménologie se présente chez Husserl comme une philosophie « transcendantale » rivalisant avec la psychologie « empirique » ; puis, chez ses continuateurs renonçant au transcendantalisme, comme une sorte de “psychologie” supérieure parce qu’enracinée dans « l’existence » ou « le vécu » plutôt que “condamnée” à l’objectivation et au mécanisme. Certains courants phénoménologiques entendent aussi fonder une psychanalyse philosophique (« existentielle »), une psychiatrie philosophique (« existentiale ») et même une sociologie philosophique (« compréhensive » plutôt qu’« explicative »).

[6] Les philosophes ont tendance à s’approprier l’histoire de la philosophie comme une discipline relevant de la philosophie elle-même, comme si les historiens professionnels ne pouvaient comprendre les doctrines théoriques dont ils ont par ailleurs à penser les conditions d’apparition, ou comme si ces conditions externes devaient être d’emblées considérées comme inopérantes s’agissant de la pensée philosophique. Les religions (et toutes les disciplines en général) pourraient faire le même raisonnement, et réclamer d’avoir l’exclusivité du discours de leur histoire, sous prétexte qu’un historien ne peut les comprendre de l’intérieur, et que cet “intérieur” seul rend intelligible le processus historique. Sur cette question, voir notamment L. Febvre, « Leur histoire et la nôtre », in Vivre l’histoire, Paris, Laffont, 2009 ; P. Bourdieu, Méditations pascaliennes, op. cit ; P. Macherey, « Entretien », Le Philosophoire, 20, 2003.

[7] Voir R. Lenoble, Histoire de l’idée de nature (1958), A. Michel, 1990, P. I, 1.

[8] Nous parlons ici de la prétention de la philosophie à connaître le monde par ses propres ressources, ou bien de proposer une synthèse de ces connaissances sous la forme d’une vision-du-monde. Quant à savoir s’il est légitime de parler encore de connaissance s’agissant de la saisie du sujet par lui-même, de la pensée de la pensée ou de la méditation sur les vécus, c’est une autre question. Mais il nous semble plus judicieux de réserver le terme de connaissance pour désigner un certain rapport entre un connaissant et un connu distincts l’un de l’autre, ou tout au moins supposant des procédures d’objectivation et de décentration permettant de les différencier davantage que ne le fait la simple réflexivité immanente. La pensée solitaire peut déboucher sur des évidences, des révélations, des certitudes – dont le cogito de Descartes est une forme parmi d’autres –, mais il n’est pas sûr qu’il faille alors parler de connaissance.

[9] A. Koyré, « De l’influence des conceptions philosophiques sur l’évolution des théories scientifiques », in Etudes d’histoire de la pensée philosophique, Paris, Gallimard, 1961, p. 253-254. L’auteur considère comme de nature « philosophique » les hypothèses audacieuses que des savants formulent avant et indépendamment de toute vérification expérimentale. Il nous semble plus juste de penser cette audace intellectuelle comme faisant pleinement partie du travail scientifique (voir K. Popper, Conjectures et réfutations, Paris, Payot, 1985).

[10] M. Serres, Eclaircissements, Paris, Flammarion, 1994, p. 129. Dans Sagesse et illusions de la philosophie, op. cit., J. Piaget montre à sa façon comment l’anticipation de sciences futures est la marque des grandes philosophies, sous leur aspect cognitif.

[11] Voir P. Thuillier, Socrate fonctionnaire, op. cit., p. 255-256.

[12] Par exemple en mathématique, en logique ou en physique, comme ce fut le cas au début du XXe siècle.

[13] A chaque « révolution scientifique », selon les termes de T. Kuhn (La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983).

[14] Nous avons développé cette thèse dans Le paradoxe de la pensée, Paris, Le Félin, 2011.

[15] La philosophie ne peut remplir une fonction cognitive que dans les “vides scientifiques” (au sens où l’on parle de vide juridique) : quand une science n’est pas encore formée et qu’un secteur du réel ne correspond à aucune spécialisation scientifique, la philosophie peut (et doit) “vicarier” la science – comme elle l’a toujours fait par le passé.

[16] Ce qui paraît le moins contestable à un auteur quelconque à une époque donnée ne manque jamais d’être nié par d’autres plus tard. Ainsi en va-t-il du cogito de Descartes : pour se poser comme vérité universelle, il doit tendre vers la tautologie ; et sitôt qu’il s’en éloigne, il ne cesse d’être contesté – à propos de la nature du « je », de la pensée, de la « chose pensante », etc. Chaque philosophe peut toujours se dire que lui seul a trouvé une vérité universelle, et refuser de conclure du pluralisme des philosophies de facto au relativisme de jure. Mais cette revendication d’exception nous semble, sinon naïve, du moins imprudente. En outre, que toute pensée philosophique soit relative à son auteur ne signifie pas que toutes les philosophies se vaillent : le relativisme peut être hiérarchique plutôt qui niveleur ou nihiliste – voir Le paradoxe de la pensée, P. III, op. cit.

[17] Voir à ce sujet L. Lévy-Bruhl, La morale et la science des mœurs, Paris, PUF, 1953.

[18] J. Lequier, La recherche d’une première vérité, Paris, PUF, 1993, p. 38.

[19] Quoi qu’en pensent Hegel, Gueroult et les philosophes de l’histoire de la philosophie qui cherchent à rendre les systèmes compatibles au sein d’une « philosophia perennis ».

[20] Voir V. Citot, Le paradoxe de la pensée, op. cit.

[21] Que la science doive se contenter de décrire d’une façon cohérente des phénomènes, c’est possible, car nul n’a accès directement à l’En-soi ; mais c’est se tromper sur son ambition et sa vocation que de la restreindre à un positivisme prudent.

[22] Et quand le sujet est compris comme acteur du processus cognitif, il s’agit du  « sujet épistémique », et non du sujet individuel. Le « sujet épistémique », tel que le définit Piaget, c’est l’agent des connaissances, l’ensemble des structures d’action et de pensée communes à tous les sujets d’un même niveau de développement psychogénétique. C’est un dispositif dynamique d’assimilation et d’accommodation. Il ne s’agit pas du tout de la personne humaine singulière (voir, par exemple, Logique et connaissance scientifique, Paris, Gallimard, 1967, p. 14-15).

[23] S’il veut penser l’Absolu, le philosophe devra montrer comment le rejoindre depuis la finitude de la condition humaine. A défaut, c’est du dogmatisme pur, c’est-à-dire de la croyance religieuse.

[24] B. Pascal, Pensée (1662), éd. Sellier, n°455 (éd. Brunschvicg n°274), Paris, LGF, 2000.

7 Comments

  1. Vous écrivez, incroyable, « Quand le modèle de rigueur scientifique a fini par s’imposer dans les esprits et dans l’institution universitaire (vers la fin du XIXe siècle) ». Et c’est qui Aristote?
    Croyez-vous vraiment que les philosophes académiques ne savent pas dire ce qu’est la philo, ou qu’aveugles ils pratiquent sans savoir ce qu’ils font, ceci depuis les millénaires passés? Non mais croyez-vous que ces spécialistes s’occupent encore d’une définition aussi basique, sinon de ses applications, alors qu’elle a été donnée déjà et selon la même idée et en des termes adaptés depuis par exemple Parménide, Anaxagore ou Platon notamment République VIII: donner à voir, en conclusion ou en deuxième puissance, ce qui est donné à voir en première puissance?! Voyez, c’est encore cela, l’entendement kantien! Qu’il suffit de lire les titres des matières qui composent, disons une licence, sur lesquelles cette ambition d’ascension royale s’applique? Comment voulez-vous philosopher si les bases ne sont pas acquises? Croyez-vous vraiment que la philo académique se réinvente à chaque auteur?

  2. Les philosophes se sont toujours demandés. Énorme faute qui en dit long… Demandé…SANS. « S »!

  3. Je croyais qu’il s’était écrit quelques livres depuis Auguste Comte, j’ai dû me tromper. Mon pauvre ami il y a belle lurette que la notion de « science » a explosé ,en faire un concept rigide comme vous le faites est étonnant: lisez un peu, je ne sais pas , Canguilhem c’est un minimum, puis Bruno Latour, commencez par « La vie de laboratoire » puis vous finirez bien par tomber sur un livre de Ellul. La science ne se vit plus ne se construit plus,ne s’élabore plus en vase clôt depuis très longtemps depuis au moins 70 ans, la « science » est en interaction permanente avec la société et croire comme vous le faites qu’elle serait un pur savoir est une illusion grave. Lisez Canguilhem au moins c’est le premier à l’avoir montré

  4. Pardonnez moi Coursier mais « demandés » prend bien un s puisqu’il s’accorde avec les philosophes l’auxiliaire utilisé étant l’auxiliaire être. Avant de reprendre les autres, veillez à vérifier ce que vous affirmez.
    Cordialement.

  5. Le philosophe est un scientifique, mais le scientifique n’est pas forcément philosophe.
    Pour moi est « scientifique » l’homme de science qui cherche coûte que coûte à augmenter les connaissances que nous avons sur le monde.
    Le philosophe est scientifique dans le sens où il cherche à comprendre le monde mais pas coûte que coûte.
    En gros est philosophe un bon scientifique, et simplement scientifique un scientifique pas bon.

  6. Bonjour,
    Peut-être ceci pourrait-il vous intéresser.

    https://www.youtube.com/watch?v=kBCDU_PnavQ

    Cordialement

  7. Désolé, Théodore, mais « demandé » ne doit pas prendre de « s ». En effet, le pronom « se » n’est pas complément d’objet direct, mais indirect. « Les philosophes ont toujours demandé à eux-mêmes ». Règle de grammaire indiscutable que vous semblez avoir oubliée et qui rend inapproprié, ou même comique votre désir de vouloir donner des leçons syntaxiques à Coursier… Mais tout cela est secondaire et je remercie Monsieur Citot de cette belle étude.

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