2022La méthode phénoménologiqueune

Phénoménologie, danse-contact improvisation et clinique : doter le corps-vécu de limites.

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Christine Leroy est philosophe, chercheuse associée à l’INSERM/CESP/Équipe Psychiatrie du développement et trajectoires, à l’École des Arts de la Sorbonne/Paris I et au LEGS/Paris VIII.

Résumé

Notre proposition relate le processus et les résultats d’une expérimentation clinique, encore en cours, en phénoménologie du corps-propre auprès d’adolescentes anorexiques. Celles-ci sont souvent susceptibles, selon notre lecture, de ne pas se sentir limitées, définies corporellement ; de se sentir déborder, voire en dilatation au-delà d’elles-mêmes. Ce rendu d’étape témoigne d’une expérimentation qui a consisté en des ateliers de danse-contact improvisation ; ce, dans l’objectif d’évaluer si, en raison de spécificités que nous développerons dans l’article, cette pratique peut améliorer leur sensation d’être détourées et réduire leur trouble de la relation à autrui comme à leur propre corps. Après une première partie sur les fondamentaux théoriques (phénoménologie, psychomotricité) de notre enquête, nous expliciterons le processus d’élaboration puis de mise en œuvre de l’atelier-recherche. Nous finirons par l’analyse des données recueillies à ce jour, tant via les questionnaires psychologiques que des entretiens micro-phénoménologiques. L’enjeu de ce travail est de mettre en évidence la façon dont une appréhension phénoménologique du corps-vécu en danse permet de contribuer à la recherche clinique face aux pathologies psychiques se jouant sur le terrain somatique. Cette étude a été supervisée par le Professeur Nathalie Godart, psychiatre et professeure des Universités à Versailles-Saint-Quentin en Yvelines, médecin référent psychiatrie et recherche à la direction générale de la Fondation Santé des Étudiants de France, membre de l’équipe INSERM/CESP. Elle a été permise grâce à l’équipe dédiée de l’hôpital de jour Édouard Rist.

Mots clés : danse-contact, limites, corps propre, chair, Merleau-Ponty

Abstract

In this paper, I shall present the process and the results of clinical experimentation with teenagers suffering from anorexia, through a phenomenological perspective on their lived body boundaries.They often lack proprioceptive definition of their corporeal limit, feeling that they are overflowing, or that they are limitless, in dilation beyond themselves. This experimentation consists of dance-contact improvisation workshops. The aim is to evaluate if this practice can improve their feeling of being individuated and reduce their disorder in their relationship with others as with their own body.

After exposing the theoretical fundamentals (phenomenology, psychomotricity) of my investigation, I shall explain the elaboration and then implementation process of the workshop research. I shall finally analyze the data collected to date, both via psychological questionnaires and (micro)phenomenological interviews. My aim is to highlight the way in which a phenomenological apprehension of the body and of gravity experienced in dance-contact improvisation can contribute to clinical research on such psychological pathologies played out on the somatic terrain. This research, still in progress, is supervised by Professor Nathalie Godart, a psychiatrist and a University Professor at the University of Versailles-Saint-Quentin en Yvelines, also a psychiatrist and researcher resorting to the direction of the Fondation Santé des Étudiants de France, a member of the INSERM/CESP Research Team. It’s been supported with the help of the psychiatric staff of the Hôpital de Jour Édouard Rist (Paris 16th district).

Key words: contact dance improvisation, boundaries, body property, flesh, Merleau-Ponty

 

Préambule

Ce projet d’enquête phénoménologique en milieu de soin s’inscrit dans la continuité de mes travaux de recherche en phénoménologie de l’empathie kinesthésique (Leroy, 2021). Ayant mis en évidence les enjeux éthiques de l’ancrage du souci d’autrui dans la chair/le corps-vécu, j’ai voulu déterminer dans quelle mesure ces enjeux pouvaient eux-mêmes être porteurs en matière de soin à la personne, en particulier de celles en souffrance « charnelle ».

Plus concrètement, j’ai voulu définir à quel point la pratique de la danse-contact improvisation, éclairée de psychiatrie et psychopathologie à forte inclination phénoménologique (Corcos, 2020), de phénoménologie à plus proprement parler (Bigé, 2022) – et notamment de celle dédiée à l’exploration du vécu corporel anorexique (Svenaeus, 2013, 2014) –, d’anthropologie de la portance (Saint Aubert, 2015, 2016, 2022), de psychologie winnicottienne et de sciences de la psychomotricité (Daudin et Defontaine, 2015 ; Eli et Kay, 2015 ; Lesage, 2012, 2014), de clinique du soin par le mouvement face aux troubles des conduites alimentaires (Anderson, 2014 ; Bräuninger, 2014 ; DuBose, 2000 ; Fortin et Vanasse, 2012 ; Kolnes 2012, Lemieux, 2001 ; Seznec, 2012), aux troubles dysmorphophobiques (Mitchell, 2017 ; Morrix, 2003) et aux psychoses (Krumm, Ferraro et Ingvalson, 2017), pouvait contribuer à l’amélioration de l’expérience de soi chez des personnes souffrant de dysmorphophobies. Ma préoccupation scientifique actuelle est en effet celle de l’expérience du pourtour corporel et dans cette veine la question qui guidera cet article sera la suivante : la danse-contact improvisation permet-elle d’améliorer le tracé des limites du corps-propre ?

Par « tracé », « dessin du contour », j’entends la façon dont un sujet est porteur, tant consciemment que non-consciemment, de limites qui le ceignent et le séparent du non-moi. Le « dessin du contour » ne peut pas être rabattu sur le concept de « schéma corporel » (Gallagher et Cole, 1995b ; Wittling, 1968), lequel inclut la structure même du corps propre. Par « dessin », j’entends l’intuition apodictique d’avoir un terme, une limite, d’être fini et défini ; on peut y voir une enveloppe, mais moins au sens de moi-peau contenant (Anzieu, 1985) qu’au sens de frontière opérant une rupture onto-psychologique. En ce sens, ma réflexion s’inscrit dans la lignée de celle de Schilder (1980) relative à l’image du corps ; à celle de la psychopathologie des limites (Brechon et Fabbri, 1993) et à celle, plus récente, issue des neurosciences (Ataria, Tanak et Gallagher, 2021), sans rejoindre celle de Dolto (1984) à ce sujet – réflexion qui puise, à mon sens, davantage à la psychanalyse qu’au corps concret ; tandis que mon propos se veut manifester une préoccupation surgie moins de la théorie que de l’observation clinique (Frappier, 2017).

I. Corps propre et délimitation : un problème à l’aulne de la phénoménologie

I. 1. Corps-propre

Chacun, chacune a un corps, qui lui appartient et par lequel il/elle se définit. Selon toute apparence, mon corps coïncide avec mon être : ses limites détourent celles de ma personne. On appelle « corps-propre » ce corps-là, dont le pourtour définit en même temps celui ou celle à qui il appartient. En lui coïncident mon être et mon avoir. Il se distingue en cela du corps-objet.

Pourtant, la propriété du corps, au sens de territoire propre défini par ses limites, ne va pas de soi. La psychologie du développement a étudié la structuration du schéma corporel et de l’image psychique du corps (Schilder, 1980) à partir des premières relations au monde extérieur et selon un processus de lente maturation. Il est aujourd’hui admis que certaines psychoses, les troubles de la personnalité limite ou encore les troubles du spectre autistique, témoignent d’échecs dans un tel processus, quelles qu’en soient les causes (neurologiques ou psycho-affectives, etc. ; voir notamment Gallagher et Vaever, 2004 ; De Preester et Knockaert, 2005 ; Gallagher, 2006 ; Loréa et Van Wijnendaele, 2012 ; Morin, 2013 ; Haag, 2015) ; en outre, il est fondé de penser que certains traumatismes interfèrent dans le processus normal d’individuation, en raison d’un empiétement psycho-corporel préjudiciable (Bruch, 1961 ; Ferenczi, 1982 ; Racamier, 2010). Ainsi, certaines violences imposées à même la chair restent-elles indicibles, comme si la victime de l’infraction ne se sentait pas nécessairement légitime dans son auto-propriété. Même en l’absence d’événement traumatique, la délimitation du corps propre n’est ni première, ni ultime : le corps-propre s’ouvre sur d’autres corps. Ainsi, au-delà de l’enveloppe corporelle, nous intégrons une partie du monde extérieur (respiration, alimentation), éliminons de nous-mêmes ce qui devient autre-que-nous, ou ne peut pas être fait nôtre (Malancharuvil, 2004). Nous nous nourrissons d’un beau spectacle, d’une musique chérie, et le temps du plaisir que nous y prenons, ils prennent corps en nous. Nous rejetons l’étal d’une poissonnerie en fermant les yeux et en nous retenant de respirer, parce que nous ne voulons pas l’introjecter en notre vécu corporel (Igoin, 1979). Le corps-propre n’est donc pas strictement délimité dans l’espace, puisque je suis aussi un peu de ce tableau au loin, de ce paysage (Merleau-Ponty, 1960).

Et pourtant, lorsque je suis affecté par ce qui se déroule devant mes yeux, c’est parce que je le fais mien, que je l’incorpore – mouvement d’incorporation par lequel se remanient sans cesse les limites du corps-propre. Ainsi le « corps-propre » n’est-il pas « le corps » en soi, mais bien l’expérience subjective d’une enveloppe corporelle ; expérience processuelle par laquelle j’intègre comme mien et je rejette comme non-moi.

Dans cette mesure, les limites de ce territoire propre ne coïncident pas nécessairement avec l’objet corps. Qu’est-ce donc qui délimite, à titre proprioceptif, « mon corps », si ce n’est son enveloppe objective et tangible ? Et si les limites du corps propre sont, à l’inverse, intangibles, comment remédier à leur défaut manifeste chez les personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires (TCA) et/ou de traumatismes liés à un empiétement, voire une désappropriation du corps-propre ?

I. 2. Un problème clinique

De fait, certaines personnes éprouvent leur corps de façon bien différente de ce qu’il est en réalité ; elles ont la sensation que ses limites sont floues, voire qu’il est en expansion anxiogène. Lorsqu’elle a la sensation que son corps enfle, se dilate, qu’il peut se liquéfier ou s’écraser sans limite spatiale, la personne en ressent une angoisse extrême. Sa seule échappatoire peut alors être de lutter contre tout ce qui pourrait entrer dans ce corps et contribuer à sa déformation extensive : elle se rend hermétique à toute relation, évite de ressentir, réduit sa prise alimentaire ou ne peut plus se nourrir. De tels comportements de rupture, parfois qualifiés par la psychiatrie comme autistiques, anorexiques ou plus largement dysmorphophobiques, ne sont pas en eux-mêmes des maladies mais, assurément, ils peuvent être le signe d’une souffrance : celle du débordement du corps-vécu au-delà du supportable, celle d’un excès[1].

Cela suppose une grande perméabilité psychique et/ou cognitive : ce type de trouble se manifeste souvent chez des personnes hypersensibles, qui présentent un terrain les prédisposant à l’empathie mais aussi susceptibles de subir un empiétement. Pour une raison ou pour une autre, elles peuvent avoir vécu une infraction réelle dans leur corps (violence physique), une intrusion psychique (de nature incestuelle) ; on peut aussi supposer que leur fonctionnement neuroatypique complexifie l’appréhension de la limite du self. Quelle que soit la diversité des hypothèses causales, il en résulte une commune angoisse de ne pas connaître la limite et un réflexe protecteur de clôture sur soi (Moccia, 2021).

En phénoménologue, mais aussi danseuse, j’ai souhaité emprunter au philosophe Maurice Merleau-Ponty les concepts phénoménologiques de « chair » / « corps-vécu » / « corps propre » / et d’« empiétement » (1945, 1960, 1964), pour proposer une activité pratique de proprioception des limites du self, c’est-à-dire, dans l’acception qui est la mienne, d’une identité incarnée et circonscrite (voir Fuchs, 2016). J’emploie en effet le mot dans son sens anglophone, non par maniérisme – on pourrait aussi bien parler de « soi » – mais parce que l’usage anglophone du mot l’associe souvent au corps dont on fait l’épreuve ; c’est-à-dire, à mon sens, une certaine acception de la « chair » déparée de sa connotation théologique. On parle ainsi d’embodied self (Beyer et Mihaela, 2018 ; Demidenko, 2010 ; Gallagher, 1995a ; Sestito 2017), ce qui connote le corps concret, quand l’expression de « soi incarné » connote une dimension métaphysique très appuyée. Mon emploi du mot de self ne désigne donc pas « le corps » ou « la chair », mais le sujet se vivant comme sujet incarné et doté de limites identitaires, par lesquelles il est protégé et peut entrer en relation (Monteleone, 2016).

Mon objectif a été d’évaluer si la pratique de la danse-contact improvisation[2] peut contribuer à améliorer la sensation de contour de soi, par sa spécificité : focaliser l’attention sur l’expérience de la gravité à l’occasion du contact et du fait d’être porté. Une telle pratique peut-elle aider à tracer le contour du territoire du corps-vécu, à détourer l’individu par rapport au monde dont il vit l’« empiétement », et à lui faire prendre possession de ce territoire « propre » ?

I. 3. Une pratique gravitaire : la danse-contact improvisation

J’ai souhaité mobiliser la technique dite de « danse-contact improvisation », élaborée dans une optique performative au cours des années 1970 par Steve Paxton et un groupe de danseurs, de danseuses et d’athlètes notamment issues du Judson Dance Theater aux États-Unis (Bigé, 2015, 2016a ; Fraleigh, 1987 ; Sheets-Johnstone, 1966). Cette technique repose sur deux grands principes : celui du contact par collision, et celui de la gravité ressentie lors de la chute comme durant les « portés ». Il ne s’agit donc pas de danse à proprement parler, ni d’art martial bien que la technique s’inspire de l’aïkido notamment ; mais bien d’une pratique destinée à faire ressentir tout à la fois l’attraction vers le bas – la gravité – et le support d’un réceptacle qui empêche de tomber. Cette double expérience m’est apparue comme structurante de la conscience proprioceptive des contours du moi, détouré par rapport au non-moi.

Il ne s’est pas agi pour moi de proposer une pratique artistique (visée spectaculaire) ni art-thérapeutique (je ne suis pas soignante). La danse-contact improvisation n’a pas un objectif expressif, comme certaines pratiques artistiques ; elle a plutôt une visée « expérimentale » au sens où les personnes qui la pratiquent expérimentent et explorent leur propre expérience. Par contraste avec les pratiques somatiques, comme la méthode Feldenkrais®, à laquelle elle emprunte également, elle est centrée sur une investigation mutuelle : il n’y a pas de dualité acteur/récepteur, mais des configurations en duo (ou en collectif) qui favorisent la rencontre et l’expérimentation. L’attention des personnes se concentre sur l’épreuve de la gravité dans la relation à un objet ou à une autre personne, et l’épreuve du fait d’être porté. Ce faisant, le sujet se décentre de ses pensées pour observer une vigilance de tout instant à son équilibre, à la gestion de la gravité, quand bien même il s’abandonne à ce/celui/celle qui le porte. La vision devient périphérique, et l’expérience de soi se transforme : tout se passe comme si le sujet (re)naissait à lui-même par détachement de ce qui l’environne, et qui le porte ou qu’il porte. Le contact occasionne une prise de conscience de la séparation, non d’une fusion : en effet, il ne s’agit pas d’un toucher, mais bien d’une tension entre poids et contrepoids. À ce titre, cette expérience relationnelle est aussi une expérience des limites de la relation, non seulement par le toucher mais aussi et avant tout par l’épreuve de la gravité.

II. Méthode d’enquête et tensions avec la clinique : une « activité physique adaptée »

II. 1. Contexte scientifique et équipe d’accueil

Le premier temps du processus a consisté à solliciter une équipe de recherche au sein de l’INSERM qui puisse soutenir et appuyer mon projet, tout en m’aidant à le formater selon les attentes de la recherche clinique. Ainsi ai-je pu échanger avec Bernard Pachoud, puis Bruno Falissart et enfin Yann Mikaeloff, à la tête de l’équipe « Psychiatrie du développement et trajectoires » au sein du Centre d’Étude en Santé des Populations/INSERM, lequel a beaucoup insisté sur le reformatage de ma proposition dans l’optique d’une validation comme recherche clinique à partir d’une enquête de faisabilité. Il a fallu me positionner comme chercheuse et non danseuse, psychomotricienne ni art-thérapeute ; chercheuse en phénoménologie appliquée, mais mobilisant la danse comme outil d’exploration d’hypothèses. J’ai tenu à ne pas me laisser réduire à une pratique ou une autre, ce qui s’est avéré nettement plus simple en milieu de soin que ce ne l’est en milieu universitaire. En effet, non-thérapeute, j’ai été perçue d’emblée comme un objet-sujet non-identifiable, au sein d’une structure non seulement de soin mais aussi de recherche, et très ouverte aux expérimentations liées à des formes de soins non-médicalisés.

Initialement, j’avais pour projet d’effectuer une première expérimentation auprès de personnes manifestant des troubles du spectre autistique et, éventuellement, de personnes souffrant de dysmorphophobie. In fine, l’expérience a été rendue possible grâce à l’implication de Nathalie Godart et la Fondation Santé des Étudiants de France. Ainsi me suis-je concentrée sur la mise en place de cet atelier auprès de patientes anorexiques.

II. 2. Le biais inductif (Devereux, 1996)

Phénoménologue, je suis très sensible à l’introspection, voire à l’analyse réflexive d’ancrage analytique. Pour autant, n’étant ni psychiatre, ni psychologue pas plus que psychanalyste, j’ai craint de n’être pas suffisamment compétente en matière d’hypothèses interprétatives. Aussi ai-je souhaité, durant mon premier entretien avec Nathalie Godart, lui préciser mes hypothèses, à partir de la question suivante : Face à l’angoisse de non-clôture du corps-propre, la danse-contact improvisation et la pratique gravitaire permettent-elles de se sentir plus délimitée et sécurisée ?

Cependant, la pédopsychiatre m’a mise en garde contre l’interprétation inductive consistant à partir d’un résultat favorable à une hypothèse de départ pour valider l’hypothèse par la validation du résultat. Ici, elle m’a suggéré de seulement me demander si la pratique de la danse-contact improvisation permettait de diminuer l’angoisse de l’intrusion dans le corps-propre, sans que cela ne suppose une remédiation à un défaut psychique antérieur. Une telle mise en garde m’a été précieuse, car elle a orienté ma recherche dans une voie beaucoup plus « expérientielle[3] » que psychologique, plus pragmatique que théorique.

Dès lors, il m’a fallu élaborer un projet de recherche simplifié afin d’en rendre l’objectif accessible aux évaluateurs médecins et à l’équipe soignante du service de l’hôpital de jour Édouard Rist coordonné par le Professeur Nathalie Godart. Cette élaboration s’est faite sur une longue durée. Si la synthèse de la théorie ne m’a pas posé de problème majeur, il m’a fallu appuyer mon projet d’un questionnaire psychologique.

On distingue en médecine entre questionnaires quantitatifs et questionnaires qualitatifs. Le résultat des premiers prend une forme statistique, quand le résultat des seconds laisse davantage place à la parole des patients. Pour autant, l’évaluation d’une telle expérience de terrain par l’entremise d’un questionnaire psychologique peut laisser perplexe un chercheur en sciences humaines et sociales, tant ces questionnaires peuvent sembler généralistes, avec des réponses quantifiées de 1 à 5, des réponses binaires en « oui/non » ou de type « te sens-tu : bien/pas bien ? », « considères-tu ton corps comme beau/laid ? ». Mon hypothèse n’ayant visiblement pas fait l’objet d’expérimentation clinique jusqu’à présent, aucun questionnaire standardisé ne m’a semblé adapté au public de la cohorte, pas plus qu’à l’expérience à questionner. La nécessité d’opter néanmoins pour un questionnaire standardisé m’a valu d’incliner pour le questionnaire d’image du corps (dit BIQ) de Bruchon-Schweitzer (2002). On y pose les questions suivantes : « considères-tu ton corps comme en bonne santé ou en mauvaise santé ? Physiquement attirant ou physiquement non attirant ? Féminin ou masculin ? ». La personne questionnée doit évaluer son vécu sur une échelle de 1 à 5, tendue entre un pôle (par exemple, « en bonne santé ») et un autre (par exemple, « en mauvaise santé »). J’ai en revanche modifié la formulation de la question, en particulier pour donner au questionnaire une tournure plus phénoménologique : ainsi la question posée s’est-elle avérée être « je me sens… ». Certaines alternatives du questionnaire standardisé, aussi intéressantes soient-elles dans une approche de soin psychiatrique, m’ont semblé inadaptées dans le cadre de mon propre projet, tout comme elles ont laissé les participantes assez perplexes : ainsi de l’alternative entre estimer son corps « féminin » ou « masculin », quoique ce vécu soit important pour des psychiatres ; mais aussi bien celle entre se sentir « érotique/non érotique », qui n’a pas laissé d’être gênant quoique les patientes, pour certaines âgées de treize ans, s’en soient parfois amusées. C’est pourquoi j’ai ajouté à ce questionnaire standardisé mon propre questionnaire, non standardisé (que, pour plus de facilité, je désignerai comme « questionnaire CL »). Ce dernier suggère à la patiente d’évaluer, selon une gradation sur un segment, en début et en fin de séance, si elle se sent davantage :

  1. « ici » ou « ailleurs
  2. « stable » ou « instable »
  3. « légère » ou « lourde »
  4. « libre » ou « contrainte »
  5. « en danger » ou « en sécurité »
  6. « floue » ou « nette »
  7. « inquiète » ou « confiante ».

Nathalie Godart m’a suggéré de faire passer le questionnaire CL avant et après chaque séance, et le BIQ/Bruchon-Schweitzer avant la première séance ainsi qu’après la dernière. Compte tenu également du délai de réflexion favorisé par la crise de covid et l’impossibilité de pratiquer la danse-contact improvisation en milieu de soin sur toute la période de la pandémie, j’ai eu, dans le cours de l’enquête, l’occasion de découvrir les micro-entretiens phénoménologiques, que Nathalie Godart m’a encouragée à mener en parallèle des questionnaires[4]. En effet, consciente de ma qualité de chercheuse en phénoménologie, à distinguer de celle de danseuse ou de psychomotricienne, elle a accordé un intérêt rare pour ma propre expérience à la croisée de plusieurs champs : je ne suis pas seulement théoricienne, puisque mes travaux en phénoménologie de la danse reposent sur l’empirie plutôt qu’ils ne relèvent d’une esthétique de l’objet « danse ». En outre, ma préoccupation théorique sur l’empathie kinesthésique, récurrente dans les travaux publiés jusqu’à ce jour (dont Leroy, 2020, 2021), repose nécessairement elle aussi sur l’empirie, c’est-à-dire sur ma pratique – intensive durant l’adolescence – de la danse classique et contemporaine, comme sur mon expérience de spectatrice ; et la compétence synesthésique qui se développe, à l’occasion d’une telle pratique, entre le voir et le ressentir kinesthésique – compétence synesthésique particulièrement décrite par Maurice Merleau-Ponty. Enfin, la lutte pour l’individuation se joue de façon singulière dans le corps des adolescentes anorexiques, par exemple dans l’incapacité à s’asseoir et dans une hypertonicité musculaire difficile à comprendre par la seule observation – l’apparence sous laquelle elle se donne restant sans commune mesure avec ce qui s’éprouve dans la chair anorexique (Corcos, 2020). Ma position d’observatrice pratiquante et empathique, au sens kinesthésique du terme, a pu s’avérer féconde, en ceci qu’elle m’a permis d’anticiper la majorité des phénomènes d’angoisse par des indications orales et physiques contournant ce qui aurait pu faire blocage pour les participantes ; anticipation facilitée par le fait que les participantes adressées à l’atelier étaient, selon toute apparence (et, donc, sous réserve), en voie de rétablissement (a minima, de la santé physique).

Enfin, l’atelier s’est mis en place en coordination avec le Docteur Bréan, cheffe de service ; Chloé Penabaille, cadre du service ; Mélanie Urvoy, psychomotricienne ; Bérénice Jaulin, psychomotricienne, et son assistante. Outre les tests quantitatifs, nous avons ainsi pu en passer par l’observation clinique, non-participante de la part des psychomotriciennes, participante de ma part (Devouche et Rodriguez, 2021 ; Potel Baranes, 2010 ; Devereux, 1990). Ma posture inclinant même vers la participation observante (Soulé, 2007), ou à plus proprement parler, vers une participation percevante. Les psychomotriciennes se sont en effet régulièrement mises en retrait pour « observer » quand, de mon côté, j’ai orchestré l’atelier et y ai systématiquement pris part, de sorte que je n’ai pu que me permettre d’entendre, avec le sens kinesthésique au moins autant qu’avec le sens visuel : je me devais d’être vraiment présente aux corps et vigilante avec mon corps propre – ce qui est sans rapport avec ma place de chercheuse théoricienne (rappelons que le grec theoria signifie « contemplation », ce qui suppose une certaine distance voire une position méta), mais bien avec la pratique de la danse-contact improvisation. Peut-être même est-ce du fait de mon implication corporelle et de l’écoute de mon corps nécessitée par la nature même de l’atelier que j’ai pu « sentir » l’attitude posturale des participantes et, en cela, la percevoir au-delà de la seule observation. En fin d’atelier, les psychomotriciennes et moi-même avons régulièrement échangé, ce qui m’a permis de mettre mes remarques ou mon expérience de la pratique avec les participantes à l’épreuve de leur observation extérieure.

II. 3. Atelier de pratique/Activité Physique Adaptée (APA)

La participation à l’atelier fait l’objet d’une prescription médicale. Huit participantes de douze à quinze ans suivent l’atelier sur six séances d’1h30. Aucune d’entre elles n’est en état de dénutrition extrême, ce qui facilite la pratique par rapport à des patientes dont la souffrance psychique s’accompagne de faiblesses musculaires et d’une vulnérabilité physique plus grande.

Compte tenu de leur pathologie, les participantes ont tendance à s’exiler de leur vécu corporel. Aussi, au début de chaque séance, les participantes remplissent-elles le questionnaire CL, puis elles sont invitées à verbaliser comment elles se sentent. L’objectif n’est pas de savoir ce qu’effectivement elles éprouvent, mais de les amener à se concentrer sur leur ressenti.

L’atelier consiste en trois temps majeurs. Dans un premier temps, allongées, les participantes sont invitées à mobiliser leur imagination pour scanner leur corps. Les trois premières séances suggèrent que chaque membre est attiré vers le centre de la Terre, soit par des ficelles, soit par la gravité, soit par une force magnétique ; puis, variant les images, je suggère soit de considérer que chaque portion de corps est liquide et s’étale au sol, soit qu’il s’agit de sacs de sable coulant au sol, etc. Lors des premières séances, les participantes ont peine à se relâcher et l’une est particulièrement prostrée ; mais, progressivement, elles apprécient ce moment qu’elles attendent avec impatience dès le début de la séance. Dès la troisième séance, des participantes s’endorment à l’issue de l’exercice, puis se réveillent en expliquant qu’elles ont pourtant grand-peine à s’endormir le soir. Dans tous les cas, elles manifestent une faculté de relâchement qui les étonne elles-mêmes et qui contraste avec ce que l’équipe soignante qualifie de tendance à l’auto-contrôle au quotidien.

Cet exercice, qui peut sembler de relaxation, mais dont l’enjeu est plutôt de favoriser la proprioception, est suivi d’une mise en mouvement progressive. Selon les séances, les participantes sont invitées à rouler sur elles-mêmes en sentant combien lâcher le poids du corps dans le sol les ouvre à davantage de mobilité ; à mouvoir bras et jambes dans l’espace, comme si elles étaient enracinées au fond des mers. Autant d’images sensorielles qui les invitent à éprouver leur corps en lien avec l’espace et le sol. Après un temps d’auto-massage, elles sont invitées à se relever pour questionner la sensation de transfert de poids, d’ancrage des pieds dans le sol et l’élan que permet l’appui au sol. Elles en viennent à procéder de même avec les murs : il s’agit de rouler contre le mur en le lestant de leur propre poids et en s’en délestant par là-même ; de prendre appui sur le mur pour y rebondir, toujours en lui confiant le poids du corps. Les surfaces d’appui varient : bassin, hanches, épaules, bras, avant-bras, fesses, têtes, joue, mains…

Le dernier temps, permis par les deux premiers, consiste à se mettre en contact avec une partenaire en cherchant le centre de gravité commun. Chacune confie à l’autre suffisamment de poids pour que le centre de gravité soit mutualisé et que le duo fasse équilibre. Cet exercice est lent car il nécessite beaucoup d’écoute. Dos-à-dos, les partenaires assises en tailleur se portent tour à tour, avant de se relever et de jouer, debout, avec le contrepoids. Face contre dos, l’une porte l’autre qui s’infléchit sur le dos de la première jusqu’à s’en laisser soulever du sol. Les duos expérimentent alors d’autres gestes, effectuant des rotations, explorant et jouant du contrepoids avec les seules paumes de main. Enfin, l’atelier laisse un temps pour la pratique et l’expérimentation des mouvements expérimentés durant la séance, seule ou à plusieurs.

Au terme de l’atelier, les participantes se réunissent en cercle ; elles sont invitées à clôturer verbalement la séance en donnant un adjectif décrivant la façon dont elles se sentent, puis à remplir de nouveau le questionnaire CL et à y comparer d’elles-mêmes la façon dont elles se sentent par rapport au début de la séance.

III. Traitement des données du questionnaire et résultats

III. 1. Une amélioration, au moins à court terme, de la relation aux autres

Les jeunes filles, souvent sur la réserve au début de l’atelier, parfois prostrées et anxieuses, sont amenées à se détendre au fil de la séance, jusqu’à entrer en contact avec les autres sans la moindre anxiété et en témoigner. Le contact est pourtant réputé difficile chez de telles patientes (Demidenko, 2010), et l’est toujours pour certaines en fin de séance comme en fin de session de six séances ; mais il est plus aisé par rapport au début de la séance.

Le témoignage d’une participante à l’occasion de ses réponses à la question libre « Qu’est-ce qui a changé pour toi par rapport au début de la séance ? » en atteste :

– Séance 1 : « Je me sens plus détendue et en confiance tout en ayant du mal à laisser l’autre me porter. »

– Séance 2 : « Je me sens mieux avec mon corps ! Bien plus ici (dans l’instant présent). »

– Séance 3 : « Ma confiance aux autres a nettement changé ! Je me sens plus en sécurité. Ça fait beaucoup de bien. J’ai aussi l’impression que les autres me font confiance. »

– Séance 4 : « Je me sens plus proche des autres. Cette fois j’ai réellement l’impression de faire un sport. »

– Séance 5 : « Je me sens bien plus confiante et rassurée. Et aussi plus proche des autres ! Je perçois de plus en plus d’intérêt au fur et à mesure des séances. »

– Séance 6 : « Comme toujours je me sens plus proche des autres ! Plus en sécurité et confiante. Je me sens mieux ! »

Le mot « autres » est souligné à l’écrit par la participante. Chez elle, du moins – mais elle n’est pas entrée seule en contact avec les autres –, la pratique a amélioré le rapport à soi grâce au rapport aux autres, non du fait d’une, mais bien de la concentration sur l’écoute gravitaire et l’équilibre : « laisser l’autre [la] porter ».

III. 2. Questionnaire CL et question libre : liberté et légèreté

On ne peut évaluer qu’une modification de comportement ou mesurer un changement de ressenti, non déterminer si ce changement est le résultat d’une modification psychique, tel un remaniement de l’image du corps par exemple. L’objectif d’un questionnaire avant et après la séance a été d’éliminer les autres facteurs d’influence : ces jeunes filles sont hospitalisées et bénéficient de soins. S’il est évident que le rapport à soi de chaque participante s’est amélioré de séance en séance, il n’est pas possible de déterminer si cette amélioration d’une séance à une autre résulte, ne serait-ce qu’un peu, de l’atelier. Voilà pourquoi le questionnaire CL est plus parlant que l’évaluation Bruchon-Schweitzer avant puis après la session de six séances, dans la mesure où le CL n’évalue que l’évolution au cours de l’atelier. Il faut noter également que les questions du BIQ / Bruchon-Schweitzer ne portent pas sur le corps tel qu’on le vit, mais sur le corps tel qu’on pense le donner à voir. La question « je considère mon corps comme érotique » laisse ainsi les adolescentes de douze-quinze ans, comme les psychomotriciennes et moi-même, assez perplexes, comme cela a déjà été évoqué. Ainsi le BIQ / Bruchon-Schweitzer évalue-t-il la représentation du corps plutôt que le vécu ; or, mon objectif a été d’évaluer le vécu corporel comme déterminant somatique du corps-propre. D’où le fait que je commence ici par en exploiter les données.

Chaque questionnaire est anonymisé. Chacune est invitée à s’attribuer un symbole, un nom, un chiffre… de telle sorte que le personnel médical, qui aura accès aux questionnaires, ne puisse pas identifier qui a dit quoi. A posteriori, je m’aperçois du caractère factice d’un tel procédé, puisqu’il n’y a pas grand-chose à cacher ; mais les participantes se sont peut-être senties plus libres de s’exprimer de la sorte.

N’étant ni sociologue ni psychologue, j’éprouve une certaine difficulté à analyser des données, et surtout à tirer de grandes conclusions à partir d’un panel comme d’un volume de séances si réduit. Des questionnaires ressortent cependant quelques points saillants. D’une part, les participantes se disent dans leur grande majorité « plus libres », « plus légères » ; dans une proportion moindre, certaines expriment le sentiment d’avoir moins peur des autres, de mieux communiquer avec elles, et d’être aussi plus apaisées intérieurement. En d’autres termes, le sentiment de sécurité interne est augmenté, la crainte de la mise en danger par autrui est diminuée, ce qui leur permet d’entrer en relation plus facilement et justifie la récurrence de l’expression « plus libre » dans leurs commentaires comme dans leurs questionnaires.

En termes numériques, le questionnaire CL évalue le différentiel allant de l’avant à l’après. Si l’analyse quantitative des données (à partir d’une gradation allant de 1 à 10) est en cours, car elle nécessite que je sois épaulée par une statisticienne de l’équipe, deux faits sont saillants :

1/ Le différentiel entre les réponses « je me sens plus libre qu’avant la séance » et « je me sens plus contrainte qu’avant la séance » est de quarante-cinq[5], soit 100 % des réponses allant dans le sens d’une plus grande liberté : toutes disent éprouver un sentiment de liberté après la séance. L’on pourrait émettre l’hypothèse que ce « je me sens plus libre » signifie plutôt « je me sens libérée de cette contrainte, en laquelle consiste l’atelier ». Les réponses à la question libre invalident d’office cette interprétation : on y lit « je me sens plus libre », « plus légère », « plus détendue et apaisée » à de nombreuses reprises (avec quelques remerciements pour l’atelier). Le sentiment de liberté après la pratique est donc très grand ; c’est encourageant, dans la mesure où le projet de recherche visait à évaluer l’évolution du sentiment d’être distincte du monde, c’est-à-dire aussi de ne pas s’y sentir engloutie. L’augmentation de la sensation de liberté pourrait être l’indice d’une amélioration de la sensation d’être séparée.

2/ Le différentiel entre les réponses « je me sens plus lourde qu’avant la séance » et « je me sens plus légère qu’avant la séance » est de vingt-cinq[6], soit 83 % des réponses allant dans le sens d’une plus grande légèreté. Si certaines ont dit « se sentir lourdes », la réponse à la question libre amène à moduler l’interprétation négative qui pourrait être faite de cet adjectif : on y lit « je me sens plus lourde, plus relâchée » et dans le même paragraphe « plus apaisée et détendue ». L’évocation de la légèreté prévaut, ce qui pourrait étonner puisque tout l’atelier s’est articulé autour d’expérimentations de la pesanteur. Le relâché ultra-vigilant propre à la danse-contact contribue, sans doute, à donner une sensation de légèreté à des personnes qui, du fait de leur propre souffrance psychique, tendent à se sentir trop lourdes. Ce n’est pas exceptionnel, mais c’est sans doute plutôt satisfaisant.

Dans les deux cas, la réponse à la question libre vaut souvent aux participantes de reformuler ce qu’elles ne savent pas être des faits saillants : sensation de liberté et de légèreté, présence dans l’instant.

Les autres différentiels sont moins marqués. S’ils vont toujours dans le sens que l’on pouvait espérer (plus confiante qu’inquiète à 71 % ; plus ici qu’ailleurs à 62 % ; plus en sécurité qu’en danger à 62 % ; plus nette que floue à 54 % et plus stable qu’instable à 53 %), ils sont moins enthousiasmants. En particulier, le distingo « nette/floue », qui visait à évaluer précisément le postulat d’origine (l’amélioration du dessin du contour des limites du corps-propre), n’a pas semblé très clair pour les participantes, sans doute parce qu’il était mal formulé. La critique du biais inductif, émise par Nathalie Godart, s’en voit, elle, justifiée : rien ne garantit que l’augmentation de la sensation de liberté et de celle de légèreté découlent de l’amélioration du dessin des contours du corps-vécu.

La question à laquelle je voulais répondre était la suivante : en augmentant la sensation de limites du corps propre, la danse-contact improvisation améliore-t-elle la sensation de liberté, et diminue-t-elle l’angoisse de la relation aux autres comme à soi ?

Il semble évident que la sensation de liberté est majorée. Cette pratique paraît améliorer la relation aux autres, si l’on en juge d’après plusieurs témoignages, et surtout d’après l’observation. Reste à déterminer si la relation à soi s’en voit améliorée, si tant est qu’il fasse sens de concevoir une « relation à soi ». Reste à déterminer, surtout, si la sensation de détour du corps, c’est-à-dire de séparation d’avec le monde, est améliorée à l’occasion de la pratique. Ce fut l’objet de nos entretiens d’inspiration micro-phénoménologique.

IV. Le contour du corps-propre. Questionnaire d’inspiration micro-phénoménologique

IV. 1. Appuis théoriques : hypothèses étiologiques et éthiques de la portance

Mon enquête repose, en partie, sur l’hypothèse que les participantes trouvent dans le comportement anorexique un remède à l’angoisse de l’empiétement de l’extérieur et du débordement hors des limites du corps propre ; de sorte que leur trouble des conduites alimentaires manifeste avant tout une souffrance en matière de limites. Ces hypothèses se fondent non sur l’apparence – en apparence, une personne anorexique veut maigrir, refuse d’être une femme ou veut mourir, selon les interprétations les plus superficielles – mais sur les recherches de ces dernières décennies relatives à la prévalence de comportements incestuels dans l’environnement proche et durant l’enfance de la personne anorexique (voir Defontaine, 2002 ; Racamier, 2010 ; Sauvaget et Smaniotto, 2013). L’hypothèse ne remonte pas à une psychanalyse freudienne ni lacanienne, sur la base desquelles on a longtemps convenu que l’anorexie relevait d’un rejet de la figure maternelle et de la féminité. Elle est plus récente, et relève d’une psychanalyse du traumatisme qui a pris ses distances par rapport à l’importance accordée par Freud au fantasme (Dupuis, 2013 ; Miller, 2015) et qui s’appuie davantage sur Ferenczi et Winnicott. Si, certes, manger ou refuser de se nourrir renvoie le plus souvent à un rapport conflictuel avec la première figure nourricière, il s’agit moins d’y voir un conflit avec la première figure féminine que le témoignage d’un besoin de se donner des limites, de se ceindre de parois faisant obstacle au franchissement réitératif – le besoin de lever le pont-levis en fermant la bouche ou en expulsant les intrus. Et c’est aussi pourquoi il y a tout lieu de convenir que les meilleures intentions – celles qui valent, parfois, d’étouffer son enfant parce qu’on l’aime peut-être un peu trop – peuvent causer les pires déboires – sans doute est-ce là ce qui cause le drame de l’anorexie : la culpabilité à l’égard de la personne parfois la mieux intentionnée qui fût.

Sur cette base, ma question exploratoire a été la suivante : la danse-contact improvisation permet-elle de mieux ceindre le corps-propre et de réduire, ce faisant, l’angoisse de l’excès de corps ou de l’empiétement ?

Si l’hypothèse de départ peut être partiellement corroborée par l’étiologie du trouble, d’après une approche a minimasemi-analytique, l’hypothèse selon laquelle la danse-contact improvisation viendrait ceindre le corps-propre de pourtours peut sembler parachutée. Pourquoi cette pratique plus que l’équitation ou la natation, le massage ou le yoga ?

Dans deux articles fondateurs ainsi que dans son dernier ouvrage, Emmanuel de Saint Aubert (2015, 2016, 2021) élabore le concept de « portance » pour décrire un phénomène d’allègement existentiel à l’occasion d’une épreuve psychomotrice : je navigue et éprouve la portance de l’eau, je fais une randonnée et, après un moment d’adaptation, je me satisfais de la portance de la terre. À chaque fois, je me tiens plus droit/droite. La portance peut également être le fait du duo : je suis avec une personne qui « m’épaule » psychologiquement : elle m’aide à « me relever » d’une épreuve, par ses mots, par sa présence, parce qu’elle-même est « portée » par des appuis. La « portance » n’est pas à entendre comme un « portage » : il s’agit plutôt, pour Emmanuel de Saint Aubert, d’une opération de sustention ontologique : toute portance est « portance de l’être ». En cela, on reconnaît l’ancrage merleau-pontien de la réflexion d’Emmanuel de Saint Aubert, même si son anthropologie de la portance y est irréductible et repose également sur son expérience de formateur auprès d’éducateurs spécialisés et de cliniciens, autant que celle du bivouac en haute montagne.

Reste que le concept de « portance » me semble faire sens dans le cadre de la pratique de danse-contact improvisation. On l’aura compris, son enjeu est éthique : l’épreuve de la « portance » permet un redressement du sujet, qui « refait surface » après s’être avachi comme objet passif ou victime.

Les enjeux somatiques concrets de l’éthique de la portance me semblent justifier l’étude de situations dans lesquelles il y a portance, et en particulier portance humaine. Il se trouve précisément qu’en danse-contact improvisation s’opère un portage comme dans l’équitation ou la natation, à ceci près que la relation intercorporelle concerne spécifiquement deux êtres humains, et non une communication interespèce (équitation) ou intermatérielle (natation). Or, il est rare que les humains se rencontrent à partir de leurs masses : le plus souvent, d’autres considérations entrent en ligne de compte, qui impliquent le langage, la socialité, la bienséance. Dans un duo de danse-contact improvisation, une confiance mutuelle se tisse en-deçà de ces niveaux habituels d’intersubjectivité (Godfroy et Bigé, 2021). Les « moments de grâce » sont nombreux. Plus fort encore est le moment où les corps se séparent, lorsque le portage a été effectué : quelque chose s’est produit, deux humains se sont rencontrés, autrement qu’en paroles et en-deçà des codes sociaux, dans l’authenticité de corps qui se sont mutuellement fait confiance autant qu’ils se sont fiés à eux-mêmes. Car, à l’instar de l’expérience du visage présentée par Levinas, le corps qui porte l’autre n’est pas dans une posture de domination : il se voit confier la responsabilité du corps de son /sa partenaire, qui, au moins partiellement, lui délègue sa propre capacité à se porter ; il se doit donc, par égard pour l’autre personne, de se faire à lui-même confiance : « je vais y arriver, je n’ai pas le choix ». Bien des participantes de l’atelier ont dit préférer porter, en particulier les moins robustes : cette expérience-là – de sentir que l’on est digne de confiance – porte. Aussi est-il possible d’envisager que si, dans la danse-contact improvisation, il est bien question de portage, au sens physique, c’est aussi de « portance » au sens éthique et anthropologique (Saint Aubert 2015, 2016, 2022 ; Bigé 2022) dont il s’agit : portance de la personne portée, mais également portance de la personne qui porte.

De l’efficience éthique de la portance en danse-contact improvisation, est-on légitime à inférer que la danse-contact improvisation peut améliorer le sentiment même de soi, celui d’être un sujet à part entière ? L’autonomisation que permet l’expérience de la portance concourt-elle à améliorer la conscience des limites entre le soi et le non-soi et, partant, de ce qui fait le propre du corps-propre ?

IV. 2. Questionnaire final : une tentative d’adaptation de l’entretien micro-phénoménologique aux conditions de l’enquête

La micro-phénoménologie est une pratique d’enquête née des entretiens d’explicitation de Pierre Vermersch[7] (Depraz, 2000, 2011 ; Petitmengin et al., 2015 ; Vermersch, 1999, 2012, 2014, 2019). Il ne s’agit pas d’entretiens psychologiques ni analytiques : les questions posées permettent à la personne interviewée de revivifier sa mémoire sensorielle en répondant à des questions centrées sur le contexte d’effectuation d’une action. Pour autant, elle n’effectue pas l’action au moment où elle la revit ; ce qui lui permet de la décrire, mieux que si elle n’était concentrée sur l’action elle-même. La micro-phénoménologie s’appuie en particulier sur les travaux de Francisco Varela, initiateur de la méditation de pleine conscience[8]. À la différence de telles pratiques, les entretiens micro-phénoménologiques n’ont aucune vocation thérapeutique, ce qui en élimine le risque d’un mésusage. Pour ce qui me concerne, n’ayant reçu pour formation qu’un enseignement théorico-pratique initial auprès de Natalie Depraz après bon nombre de lectures grâce au site de référence de Claire Petitmengin[9], et surtout compte-tenu des conditions de mon enquête : public de jeunes adolescentes, milieu de soins, le tout requérant des autorisations spécifiques et longues à obtenir de la part du Comité d’Éthique, j’ai dû adapter mon envie de procéder à des entretiens micro-phénoménologiques à la réalité logistique. Aussi ai-je prévu, au terme des six ateliers, une séance de clôture où chaque patiente est invitée à répondre librement, à l’écrit, à trois questions orientant la réponse :

– Remémore-toi un moment où tu es entrée en contact avec une autre participante. Peux-tu décrire ce que tu as vécu précisément ? Sensations physiques, émotions, sentiments.

– Remémore-toi un moment où tu t’es sentie bien. Peux-tu décrire ce moment, et décrire ce que ça faisait physiquement et émotionnellement ?

– Remémore-toi un moment où tu t’es séparée du corps de ta partenaire, notamment durant le moment final de danse libre. Peux-tu décrire ce que cela t’a fait, physiquement et émotionnellement ? Quelle sensation as-tu éprouvée ?

En première analyse, il faut bien admettre que la place indéfinie de l’atelier dans le dispositif de soins a entravé une considération réelle des besoins de la recherche. D’une part, il s’est agi de danse : l’atelier est donc rapidement devenu un « atelier danse » pour les patientes comme pour les soignantes, ce qui a fait de l’entretien (écrit) ultime une sorte d’annexe incompréhensible et de peu d’intérêt à leurs yeux, hormis affectif de la part des participantes à mon égard (puisque l’intérêt était celui de la danse, non de l’écriture). D’autre part, il s’est agi de phénoménologie, ce qui pose un problème qui en met un second en abîme : le premier étant celui de la place à accorder à la philosophie dans un dispositif de soin par le corps, le second étant celui de la place à accorder à la phénoménologie dans une approche philosophique du soin. Si la pertinence et la cohérence du processus me semble évident, en tant que phénoménologue à la croisée entre l’épreuve kinesthésique et l’histoire des idées en matière de médecine, il semble bien que l’interdisciplinarité reste un vœu pieux, tant les disciplines restent, de fait, cloisonnées.

À la lecture des réponses formulées par les participantes, j’ai pu constater combien leur expression « libre » avait été biaisée par les questionnaires, standardisés ou non, auxquels elles avaient précédemment dû répondre (le BIQ et le questionnaire CL, ainsi que ma présentation orale du projet, quoique je ne sois pas entrée dans les détails). Le profil de telles patientes est souvent celui d’adolescentes intelligentes et très aptes à s’adapter aux attentes. Elles connaissaient, ne serait-ce qu’intuitivement, ce que j’attendais, et il m’est difficile, ne les ayant pas revues, de savoir si leur réponse n’était pas influencée par ce qu’elles savaient de ma préoccupation. In fine, nonobstant mes réserves quant aux tests standardisés, force est d’admettre que les réponses au questionnaire d’inspiration micro-phénoménologique n’ont fait que confirmer les réponses aux questionnaires standards.

Sur les huit participantes, cinq ont pu rendre le questionnaire. De façon unanime, chacune souligne la joie qu’elle a eue à entrer en contact, ce qui est assez étonnant de la part de personnes dont le trouble se caractérise par une angoisse de la relation, en particulier tactile-charnelle :

« Au début, c’était difficile de faire confiance à ma partenaire mais ensuite c’est devenu plus facile. C’était un moment de partage et d’écoute. »

« Lorsque j’ai eu un contact avec une autre patiente, je me suis sentie ancrée dans le moment présent. Le contact n’était pas dérangeant, même agréable. »

« Lorsque j’entrais en contact avec une autre participante, j’avais l’impression de ne plus avoir de souci. Le monde s’arrêtait quelques instants. C’était très agréable. Pouvoir faire confiance à quelqu’un est très réconfortant, rassurant. »

« Se faire porter ou porter les autres m’a fait énormément de bien. Mes problèmes étaient loin de moi. ».

C’est donc le fait d’entrer en contact, mais aussi de pouvoir faire confiance et être portée, que retiennent les participantes comme source de joie : « je me sentais bien lorsque j’étais en fou rire avec mes amies, lorsque l’on était en contact » ; « quand on riait, je me suis sentie joyeuse et sereine ». La même patiente souligne le sentiment de « confiance », d’« écoute » et de « partage » qu’elle éprouvait à l’occasion de l’entrée en contact et de l’improvisation consécutive, à deux. La sensation la plus saisissante de l’expérimentation, sur laquelle la question 2 amène à revenir, est celle de liberté et de légèreté : « je me sentais libre comme l’air, et libérée ». À l’inverse, c’est la séparation qui cause un « sentiment tel un vide » ; « c’est perturbant » ; « je n’ai pas trouvé les moments “seule” agréables. Je n’ai apprécié ni d’être en contact avec le mur ou le sol, ni de ne pas être du tout en contact », remarque qui dit assez le profit singulier du contact charnel/humain pour cette personne. Plusieurs, enfin, soulignent qu’elles ont beaucoup apprécié le moment introductif de la séance, moment de visualisation au cours duquel je les invitais à ressentir leur poids et qu’elles ont vécu comme un moment de relaxation :

« Je me suis sentie bien lors des moments habituels de relaxation. J’étais alors allongée, reposée, et calme. J’ai suivi ma respiration et les paroles de Christine, qui m’ont détendue et apaisée. »

« La relaxation en début de séance était très relaxante et permettait de mettre un peu de distance entre nous et le monde ! ».

Fait notable : toutes les adolescentes, présentes dans la structure hospitalière pour anorexie et rapport complexe à leur propre poids comme au contact charnel, disent avoir apprécié l’atelier pour les moments de concentration sur le poids du corps, l’entrée en contact de corps à corps avec les autres, ce qui leur a procuré un sentiment de liberté.

L’échantillon de cette enquête de terrain est trop réduit pour en tirer des conclusions à large échelle. En outre, la physionomie des participantes attestait du fait que leur corps n’était pas en sous-poids extrême, de sorte qu’elles étaient en mesure d’éprouver un plaisir physique sans doute différent de celui de personnes en dénutrition extrême. Ce qui ne dit rien du vécu, puisqu’une personne est anorexique avant d’avoir perdu du poids et peut le demeurer psychiquement, même en état physiologique normal, voire en surpoids. Reste que le corps en meilleure santé s’éprouve davantage qu’en état d’inanition. Pour symboliser le paradoxe dont cette expérimentation fait état, je mentionnerai cette phrase chargée d’émotion, ajoutée à la fin d’un questionnaire par une participante : « être sur le sol pour toucher le ciel ».

Conclusion

À partir de la phénoménologie du corps-propre, mon projet était de mobiliser la danse-contact improvisation dans l’objectif de déterminer 1) si cette pratique concourt à la démarcation nette entre corps-propre et altérité ; et si, le cas échéant, 2) le dessin de cette démarcation concourait à améliorer le rapport à elles-mêmes et aux autres de personnes souffrant de troubles des limites du corps-propre. Mon projet reposait donc sur deux hypothèses emboîtées l’une dans l’autre. Les résultats actuels d’une recherche toujours en cours tendent à montrer que le sujet de 1 et le prédicat de 2 s’associent en une thèse qui est validée par l’expérience : la danse-contact improvisation améliore le sentiment de liberté, de légèreté, et plus largement le rapport à soi comme aux autres parce qu’il améliore le sentiment d’autonomie. Pour autant, rien ne garantit la validité de l’hypothèse 1 (sujet de 1 et prédicat de 1). Elle semble bien trop puiser à l’imaginaire psychanalytique, de quoi résulte la difficulté à élaborer des questions menant à une réponse validant ou invalidant l’hypothèse. Le travail est à poursuivre sous la tutelle des cliniciennes, précisément dans la mesure où la danse-contact improvisation semble apporter quelque chose de libérateur aux corps-vécus de ses participantes et dans la mesure où ce bénéfice exige une validation scientifique, laquelle ne saurait se réduire aux conclusions d’un seul questionnaire quantitatif.

Parmi les directions qui s’ouvrent, celle d’employer le questionnaire « Identity and eating disorders (IDEA) » de Giovanni Stanghellini (2012), qui interroge la jonction entre identité et embodiment, est prioritaire, dans la mesure où le questionnaire est d’inspiration phénoménologique, mais ses contours plus conformes aux attentes normatives et éthiques de la clinique. En termes de pratique, il serait souhaitable, sans doute, de mettre les hypothèses de départ à l’épreuve de davantage de participantes, sur une durée plus longue, lorsque la pandémie ne menacera plus les milieux de soin de son ressac ; dans l’optique, en particulier, de mettre davantage l’accent sur l’expérience de porter et d’être portée, expérience dont la jubilation des participantes témoigne, sans doute, d’un bienfait à court terme de l’atelier.

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[1] À ne pas confondre avec le sentiment océanique, décrit par Romain Rolland à Freud dans une lettre de 1921 (Voir, de Freud, Malaise dans la civilisation, paru en 1929) ; l’excès ici décrit confine à la mort par éclatement ou invasion, et non à l’épreuve d’une vie excédant celle de l’individualité. Pour plus d’informations concernant le sentiment océanique, écouter https://soundcloud.com/palais-de-tokyo/atteindre-le-sentiment-oceanique, podcast inspiré de la pensée de Jackie Wang (suggestion d’Emma Bigé).

[2] Pour une bibliographie exhaustive, à date de parution, quant aux fondamentaux théoriques de la danse-contact improvisation, voir Bigé 2016a.

[3] Le terme renvoie au vocabulaire de la micro-phénoménologie, et se distingue en cela du qualificatif plus commun en philosophie d’« empirique » (Vermersch, 2005).

[4] Il n’est pas possible de procéder à une enquête en milieu de soin sans l’aval d’un Comité d’Éthique. L’élaboration du document destiné au comité a été faite en équipe, notamment grâce à l’aide de Margot Bobin de la Fondation Santé des Étudiants de France. Le Comité d’Éthique statue sur une enquête restant très réduite et n’évalue pas du tout le risque physique dans l’atelier de pratique. Reste que l’atelier n’a mis aucun corps en danger, compte-tenu de la nature même des exercices auxquels j’ai choisi de procéder ; même si la danse-contact improvisation peut, quant à elle, présenter des risques.

[5] C’est-à-dire : à chaque fois qu’elles ont répondu à la question relative au sentiment de liberté, soit à quarante-cinq reprises, les participantes affirment leur sentiment de liberté a augmenté entre le début de la séance et la fin de la séance (d’où le chiffrage à 100%). Les participantes n’ayant pas toujours répondu à toutes les questions du questionnaire, il n’est pas possible de raisonner en nombre de questionnaires. Il y aurait lieu d’évaluer, comme m’y a invitée Nathalie Godart, le volume même de cette augmentation de sentiment de liberté, certaines l’éprouvant majoré par cinq, d’autres par deux, et ce de façon variable suivant les séances. Pour le moment, cette évaluation n’a pas été prioritaire car la cohorte est trop réduite et il m’a semblé, peut-être à tort, qu’un chiffrage trop précis serait in fine trop peu significatif, voire pourrait conduire à des conclusions hâtives. Mais c’est un projet en cours de maturation.

[6] En moyenne, dans 83% des questionnaires remplis, les patientes notent un mieux entre le début et la fin de la séance. Restent ainsi 17% des questionnaires où les patientes ne voient pas de différence. Rappelons qu’il s’agit de moyennes et de statistiques fondées sur une auto-évaluation, non d’anticipations prescriptives, chaque cas étant singulier et certaines patientes étant très en difficulté lorsqu’il s’agit de dire ce qu’elles ressentent ; d’où certains questionnaires aux réponses régulièrement fixes, voire sans réponse.

[7] Concernant le Groupe de Recherche en Explicitation né à l’initiative de Pierre Vermersch, voir www.grex2.com. Avant que Nathalie Godart ne me suggère de me renseigner sur les entretiens micro-phénoménologiques, j’avais pris connaissance des entretiens d’explicitation à l’occasion de l’intervention de Veronica Cohen le 16 avril 2021 au sein du séminaire « Les applications de la méthode phénoménologique » co-organisé par Luz Ascarate et Audran Aulanier. J’ai pu ensuite m’entretenir avec elle au sujet de son travail, mais n’aurais sans doute pas franchi le seuil de cette technique sans l’encouragement de Nathalie Godart et moyennant une formation initiale dispensée par Natalie Depraz.

[8] Dans un rapport publié le 25 juin 2021, la Ligue des Droits Humains a mis en garde contre l’usage malintentionné voire sectaire qui a pu être fait de telles pratiques méditatives et l’est sans doute encore. Ce n’était pas à l’origine du projet de Francisco Varela, pas plus que le yoga n’est en soi une pratique altérant le sens critique ou nuisible au sujet qui le pratique ; mais qui, comme chacun sait, peut être détournée et employée à mauvais escient.

[9]Voir https://www.clairepetitmengin.fr/ et https://www.microphenomenology.com/.

 

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