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Wittgenstein, lecteur de L’homme et la technique de Spengler ? (II)

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Dans L’homme et la technique, Spengler entend reconstruire la généalogie de la civilisation machiniste en montrant qu’elle correspond au dernier stade d’un phénomène historique au très long cours : la lente évolution du fait technique. L’ouvrage est divisé en cinq chapitres : chapitre I. « La technique en tant que tactique vitale » ; chapitre II. « Herbivores et bêtes de proie » ; chapitre III. « L’origine de l’homme : la main et l’outil » ; chapitre IV. « Le second stade : langage et entreprise » ; chapitre V. « Le dernier acte : avènement et dissolution de la culture machiniste ». Sa structure argumentative a néanmoins la forme d’un scénario apocalyptique en trois moments : 1. les origines animales du fait technique (chapitres I et II), 2. technique et hominisation (chapitres III et IV), 3. l’ère de l’aliénation machiniste (chapitre V). Comme souvent dans les essais théoriques qui adoptent une démarche généalogique, le statut du propos de Spengler dans L’homme et la technique est difficile à établir. Il n’a pas la rigueur conceptuelle de l’entreprise philosophique et sa base factuelle est par ailleurs trop pauvre et trop fantaisiste pour pouvoir prétendre à la scientificité. Il s’agit plutôt d’une spéculation vitaliste et historiciste, parfois intéressante, mais souvent caricaturale, dont l’enjeu paraît essentiellement idéologique. Inutile de dire que vue sous cet angle, la démarche de Spengler est parfaitement étrangère à Wittgenstein qui n’a pas cessé de dénoncer l’unilatéralité et le prestige indu des explications fondées sur des hypothèses d’évolution.

Il faut donc être très clair : Wittgenstein n’a pas pu être séduit par le projet formel de L’homme et la technique. C’est le moins qu’on puisse dire. L’hypothèse exégétique avancée ici suppose donc qu’on admette que Wittgenstein a pu retenir un certain nombre des développements et des motifs de cet ouvrage sans en partager l’inspiration générale ni le parti pris méthodologique. Une conduite tout à fait conforme du reste à ce que Wittgenstein déclare dans le texte déjà souvent sollicité où il liste ses influences, qui consisterait ici à lire Spengler en ignorant la trame généalogique et l’ambition explicative de son argumentation. On pourrait d’ailleurs illustrer cette politique en revenant un instant à ce qui vient d’être dit à propos de la composition générale de L’homme et la technique. Car si l’on en rompt le nerf diachronique et causal, le scénario apocalyptique en trois moments évoqué précédemment, laisse la place à un triptyque actanciel dont les trois figures sont plus que familières pour le lecteur des Recherches philosophiques et du second Wittgenstein en règle générale : l’animal, l’homme, la machine.

Cette façon très particulière de s’approprier des contenus thématiques tout en les soustrayant à la dynamique narrative qui les lient dans le texte original peut être repérée dans de très nombreux cas lorsqu’on lit L’homme et la technique en ayant à l’esprit la seconde philosophie de Wittgenstein. Le premier chapitre de l’ouvrage de Spengler pourrait ainsi donner lieu à une passionnante enquête sur les sources naturalistes et vitalistes de la conception wittgensteinienne de la technique et de l’usage. Avec le second, il permettrait peut-être aussi d’identifier la racine du thème éthologique dans la seconde partie de son œuvre et les origines de la notion de « forme de vie ». Le troisième chapitre éclairerait bien des déclarations de Wittgenstein à propos de l’importance de la pratique et de son primat. Comme ce programme est néanmoins tout à fait irréalisable à l’échelle d’un bref article, on se concentrera ici sur le quatrième chapitre parce qu’il traite directement du langage et que c’est là que les analogies entre les deux auteurs sont les plus saisissantes.

Dans ce chapitre IV de L’homme et la technique, Spengler expose en effet sa conception du langage en une petite dizaine de pages[1] qui sont certainement les plus impressionnantes de l’ouvrage lorsqu’on s’intéresse aux sources de la seconde philosophie de Wittgenstein. Le titre du chapitre, « Le second stade : langage et entreprise », rappelle la dimension généalogique de l’ensemble de l’ouvrage. Après les chapitres I et II qui insistaient dans une veine nettement naturaliste et vitaliste sur la dimension animale du phénomène technique, les chapitres III et IV s’attachent à décrire sa mutation anthropologique. Ce hiatus zoo-anthropologique qui structure la composition de l’ensemble de l’ouvrage repose sur une distinction conceptuelle que Spengler a mis en place au chapitre II en opposant « technique générique » et « technique imaginative et inventive » :

Il y a une importante différence entre l’homme et tous les autres animaux. La technique de ces derniers est une TECHNIQUE GÉNÉRIQUE. Elle n’est pas inventive et n’est susceptible d’aucun développement. Le type des abeilles, depuis qu’il existe, a toujours confectionné ses rayons comme il le fait aujourd’hui et en fera ainsi jusqu’à son extinction ; les rayons « font partie » du type, au même titre que la forme des ailes ou la coloration du corps. Les distinctions entre structure corporelle et mode de vie n’existent que dans la tête des anatomistes. Si nous prenons pour base la forme intérieure de la vie au lieu de celle du corps, la tactique vitale et la structure corporelle apparaissent comme une seule et même chose, toutes deux étant des expressions d’une réalité organique UNIQUE. « L’espèce » est une forme non point de l’apparent et du statique, mais bien de la mobilité : non point une forme de « ainsi-fait » mais bien de « ainsi-étant » et « ainsi-faisant ». La structure corporelle révèle donc le corps AGISSANT.

Abeilles, termites, castors, bâtissent de merveilleux édifices. Les fourmis connaissent l’agriculture, les travaux de voierie, l’esclavage et la conduite des opérations de guerre. L’éducation des petits, les travaux de fortification et les migrations organisées apparaissent comme très répandus. Tout ce que l’homme accomplit, un animal ou un autre l’a fait. La vie librement mouvante, dans sa généralité, comprend les tendances qui existent, latentes, en tant que POTENTIALITÉS. L’homme n’accomplit rien qui ne soit à la portée de LA VIE EN GÉNÉRAL.

Et néanmoins, tout ceci n’a fondamentalement aucun rapport avec la technique humaine. De telles techniques génériques sont INVARIABLES : voilà bien ce que signifie le terme « instinct ». La « cogitation » animale étant strictement tributaire du « ici-et-maintenant » immédiat, et ne tenant compte ni du passé ni de l’avenir, elle ne connaît pas non plus l’expérience ou l’angoisse. Il n’est pas vrai que la femelle animale « se fasse du souci » pour ses petits. Le souci est un sentiment qui sous-tend la projection d’une vision mentale dans le futur, la préoccupation de ce qui VA ÊTRE, de même que le regret implique la connaissance de ce qui FUT. Un animal ne connaît ni l’amertume ni le désespoir. Et son activité parentale est, comme tout ce dont il est question plus haut, une obscure réponse inconsciente à une instigation du même ordre que celle qui est sous-jacente à maints autres types de vie. C’est une propriété de l’espèce et non de l’individu. La technique générique est par conséquent non seulement invariable, mais également IMPERSONNELLE.

La caractéristique exclusive de la technique humaine, au contraire, est qu’elle est INDÉPENDANTE de la vie de l’espèce humaine. C’est, dans l’histoire entière du monde vivant, l’exemple unique d’un individu qui s’affranchit de la contrainte générique. Il importe de méditer longuement sur cette pensée si l’on veut en saisir les implications infinies. Dans l’existence de l’homme, la technique est consciente, arbitraire, modifiable, personnelle, IMAGINATIVE ET INVENTIVE. Elle peut s’apprendre et être perfectionnée. L’homme est devenu le CRÉATEUR de sa tactique vitale ; là est sa grandeur et là est sa perte. Et la forme intime de sa créativité est appelée culture : être cultivé, cultiver, pâtir de la culture. Les créations de l’homme constituent des expressions de ce spécimen dans une forme PERSONNELLE[2].

Il y aurait évidemment bien des points à relever dans ce texte si l’on avait choisi de s’interroger ici sur les sources de l’accent naturaliste et vitaliste qui accompagne bien souvent la référence wittgensteinienne à la technique et à l’usage. Inscription du thème technique dans une problématique d’histoire naturelle, rapport entre technique générique et instinct, enracinement des procédures techniques dans des types de vie déterminés, insistance sur la variabilité des usages techniques au niveau humain, tout ceci est en effet très présent dans la seconde philosophie de Wittgenstein. Pour bien faire, il faudrait même commencer l’enquête en revenant à la définition initiale que Spengler donne de la technique :

Car, en réalité, la technique date de temps immémoriaux et, en outre, elle n’est rien qui soit historiquement localisé, mais bien quelque chose d’immensément général. Cela va bien au-delà de l’humanité, au cœur de la vie animale, celle de tous les animaux. (…) La technique est la tactique de la vie : c’est la forme intérieure dont la procédure de conflit (conflit qui s’identifie à la vie elle-même) est la manifestation extérieure.

Ici apparaît la seconde erreur qu’il convient d’éviter. La technique ne s’interprète pas en fonction de l’instrument. Ce qui importe n’est nullement la forme des choses, ni comment on les fabrique, mais ce que l’on fait avec elles, leur utilisation : ce n’est pas l’arme, mais le combat. (…) Il y a d’innombrables techniques dans lesquelles aucun instrument n’intervient : par exemple, celle d’un lion imposant sa supériorité à la gazelle, ou celle de la diplomatie ; ou encore, la technique administrative qui consiste à maintenir l’intégrité formelle et fonctionnelle d’un État en vue des luttes de la politique. Il y a aussi les techniques de la guerre des gaz et de la guerre chimique. Toute confrontation avec un problème crée le besoin d’une technique appropriée. Il y a une technique du coup de pinceau du peintre, de l’équitation, de la navigation aérienne. C’est toujours une question de comportement intéressé, dirigé vers un but, jamais de choses ni d’objets[3].

Difficile de lire ce passage sans penser aux très nombreux textes, en particulier dans les Remarques sur les fondements des mathématiques, dans lesquels Wittgenstein rapproche les notions de « technique », d’« usage » et d’« histoire naturelle ». Il y a là une intuition générale, des concepts et même des formulations qu’il suffit de transposer au plan logique et linguistique pour se demander si Wittgenstein n’en a pas eu connaissance. Le dossier est toutefois bien trop important et bien trop passionnant pour être simplement survolé. Revenons donc au texte précédent et retenons simplement que le champ de la « technique imaginative et inventive » fournit la matière du moment proprement anthropologique de L’homme et la technique. Celui-ci comprendra cependant deux volets, car Spengler distingue ensuite, de manière somme toute assez contractualiste, entre une phase naturelle et une phase proprement sociale de l’hominisation. C’est à cette seconde phase qu’est consacré le chapitre IV.

Spengler l’associe à une crise et à une mutation technologiques de très grande ampleur qu’il décrit dans des termes qui font penser à ce qu’on peut lire en paléontologie au sujet de la révolution néolithique. L’idée centrale est que les techniques auraient alors atteint un tel degré de complexité et de connexité que les usages seraient brutalement devenus interdépendants. Se présupposant les uns les autres, ils en seraient venus à former un véritable réseau pratico-technique et le bricolage individuel de l’« homo faber » primitif aurait alors disparu :

Mais que s’est-il donc passé en réalité ? Si l’on pénètre plus profondément dans ce nouvel univers formel des activités humaines, on discerne très vite des rapports complexes et bizarres au plus haut point. Toutes ces techniques, les unes comme les autres, présupposent leurs existences respectives. L’entretien d’animaux domestiqués exige la culture d’herbes fourragères ; l’ensemencement et la récolte de végétaux comestibles demandent que des animaux de trait et des bêtes de somme soient disponibles ; et ces derniers, à leur tour, appellent la construction de parcs et d’enclos. Toute variété d’édifice exige la préparation et le transport de matériaux ; et le transport lui-même présuppose des chemins ou des routes, des animaux de bât et des bateaux[4].

De cette mutation du fait technique, de ce « nouvel univers formel des activités humaines », Spengler déduit ensuite deux phénomènes fondamentaux : la socialisation de l’action et l’émergence du langage :

Où est alors, dans tout ceci, la transformation spirituelle ? La réponse que je propose est la suivante : dans l’action collective et concertée, c’est-à-dire dans les agissements synchroniques d’individus, plus ou moins nombreux, oeuvrant consciemment en commun conformément à un plan. Jusque-là, chaque homme avait vécu sa propre vie, façonné ses propres outils, suivi sa propre tactique dans la lutte quotidienne. Personne n’avait besoin d’autrui. C’est cela qui change soudainement. Les procédés nouveaux s’étendent désormais sur de longues périodes, parfois sur des années : il suffit de considérer, par exemple, le laps de temps qui s’écoule entre l’abattage d’un arbre et le lancement du bateau à la construction duquel cet arbre a contribué. L’action se subdivise ainsi en un assortiment « d’actes » distincts bien ordonnancés et en un éventail « d’intrigues » se développant parallèlement les unes aux autres. Et, pour rendre praticable cette procédure collective, la condition préalable sine qua non est l’existence d’un medium : le langage.

Le langage articulé, expression au moyen de mots et de phrases, ne peut donc avoir apparu ni plus tôt, ni plus tard : mais juste à ce moment-là, soudainement (comme tout ce qui est décisif) et, en outre, en rapport étroit avec les nouvelles méthodes de l’homme[5].

Il faut ici veiller à bien décomposer l’argumentaire de Spengler. Tout commence par la mise en évidence d’une véritable révolution infrastructurelle. En évoluant, le fait technique se diversifie et se complexifie. À un moment donné, ce processus aboutit à la formation d’une sorte de réseau des usages et des procédures qui bouleverse l’économie matérielle de la vie humaine. De là, l’émergence d’un phénomène biface, pour ainsi dire, indissociablement social et symbolique. En premier lieu, la naissance d’un nouveau registre de l’action humaine que Spengler caractérise en parlant d’« action collective et concertée ». Parce qu’elle suppose division du travail et coopération, la nouvelle donne technique transforme en effet profondément les conditions de l’agir humain : de l’opération simple et isolée, on passe à l’action à proprement parler, laquelle est sociale et soumise de ce fait à des contraintes rationnelles plus importantes et plus complexes. En second lieu, l’introduction de la communication linguistique en guise de médiation ou d’auxiliaire afin de soutenir ce processus de socialisation et de rationalisation des pratiques, afin de permettre, autrement dit, la coordination des procédures techniques. Le langage est donc indissociable du contexte technologique et pratique qui en a d’abord suscité le besoin. Comme il l’écrit dans un passage situé un peu plus loin dans le chapitre, il existe en somme une relation de présupposition réciproque entre la communication linguistique et le contexte pratique et coopératif tout à fait spécifique du travail et des activités techniques :

Une « action collective concertée » peut être appelée plus brièvement une entreprise. Le langage et l’entreprise sont dans le même rapport qu’un couple plus ancien, la main et l’outil. Le langage s’adressant à plusieurs personnes développa sa forme intérieure (grammaticale) par la pratique de l’exécution des travaux ; et, inversement, l’habitude d’accomplir des travaux tira sa formation des méthodes de réflexion basée sur des mots[6].

Telles sont les prémisses très pragmatiques de la conception du langage que Spengler exposera dans la suite de ce chapitre IV. Dès ce niveau tout à fait initial, les échos avec la pensée de Wittgenstein sont assez nombreux. De manière encore un peu floue et générale, on pense d’abord à la notion de « jeu de langage », du moins à la dernière définition que Wittgenstein en donne lorsqu’il l’introduit, lui aussi au tout début de sa réflexion, au § 7 des Recherches philosophiques :

J’appellerai aussi « jeu de langage » l’ensemble formé par le langage et les activités avec lesquelles il est entrelacé[7].

Ainsi définie, la notion de « jeu de langage » vise en effet à mettre en évidence qu’il n’existe pas d’ordinaire de hiatus ou de dénivelé significatif entre la communication linguistique et le contexte pratique qui en est l’occasion. Elle sert, autrement dit, à montrer que langage, actions et circonstances interviennent au même niveau et sont intimement intriqués : l’énonciation n’a pas de privilège exceptionnel, elle est un acte parmi les autres au milieu d’une intrigue plus ou moins déterminée. Si, comme convenu plus haut, on laisse de côté la prétention factuelle et historique du propos de Spengler, on peut donc commencer par remarquer que les deux auteurs entament leur réflexion sur le langage de manière tout à fait convergente : tous deux commencent par replacer la communication linguistique dans l’environnement naturel des interactions et des pratiques. Le parallèle ne serait néanmoins pas très significatif s’il s’arrêtait là. En vérité, on peut montrer qu’il existe une convergence bien plus précise entre ces deux entrées en matière. Le tout est de veiller à ne pas confondre immédiatement le thème technique et le thème pratique. Car, plus qu’une vague référence à la pratique, ce qui semble transiter entre les deux auteurs, c’est bien l’extrême spécificité du thème technique. Wittgenstein y fait constamment référence au début des Recherches philosophiques. Le contexte de collaboration technique semble même constituer la matrice ou le premier modèle du concept de « jeu de langage ». C’est en tous les cas le contexte typique qui est choisi dès le second paragraphe et complété au huitième paragraphe afin de mettre à l’épreuve la conception de la signification linguistique qui sous-tend le passage des Confessions de Saint Augustin placé au seuil de l’ouvrage. Tout cela en insistant d’ailleurs sur le caractère primitif de ce contexte, d’une manière qui n’est pas sans faire écho à la spéculation spenglérienne à propos des origines de la communication linguistique :

 Ce concept philosophique de signification a sa place dans une représentation primitive de la façon dont le langage fonctionne. On peut également dire qu’il est la représentation d’un langage plus primitif que le nôtre.

Imaginons un langage pour lequel vaut la description donnée par Augustin. Ce langage doit servir à un constructeur A pour se faire comprendre de son aide B. A réalise une construction avec des pierres à bâtir : Il y a des blocs, des colonnes, des dalles et des poutres que B doit faire passer à A dans l’ordre où celui-ci les utilise. À cet effet, ils se servent d’un langage constitué des mots « bloc », « colonne », « dalle », « poutre ». A crie leur nom – B apporte la pierre qu’il a appris à apporter en réponse à ce cri. – Conçois cela comme un langage primitif complet[8].

Considérons une extension du langage §. 2. Outre les quatre mots : « bloc », « colonne », etc., il y a dans ce langage une suite de mots employés à la façon dont le marchand du §. 1 emploie les noms de nombre (il peut s’agir de la suite des lettres de l’alphabet) ; il y a aussi deux mots qui pourraient être « là-bas » et « ceci » (car cela indique déjà en gros le but de ces mots) et qui sont employés en relation avec un geste indicatif de la main ; et il y a enfin un certain nombre d’échantillons de couleur. A donne un ordre du genre : « d-dalles-là-bas ». Il montre en même temps à son aide un échantillon de couleur, et au moment où il dit « Là-bas », il désigne un certain emplacement du chantier. Pour chaque lettre de l’alphabet jusqu’à « d », B retire du stock de dalles une dalle de la couleur de l’échantillon, après quoi il la porte à l’emplacement que A lui a indiqué. En d’autres occasions, A donne l’ordre « Ceci-là-bas » ; en disant « ceci », il désigne une pierre à bâtir, etc.[9].

Comme Spengler, Wittgenstein commence donc sa réflexion en réinscrivant le langage dans le contexte primitif de la collaboration technique. Entre les deux auteurs, une seule divergence : chez Wittgenstein, la démarche a perdu toute portée historique. Dans les deux cas, l’ambition demeure néanmoins identique : il s’agit de remettre au jour la fonction anthropologique effective de la communication linguistique en montrant qu’elle est indissociable d’un type de contexte dont les enjeux pratiques ne sauraient être réalisés sans accord mutuel : pour agir ensemble, encore faut-il parvenir à s’entendre. Il se pourrait donc que Wittgenstein tienne de Spengler l’idée fondamentale que l’institution de l’accord mutuel, souci logique autant que politique, est un problème qui relève en dernier ressort d’une anthropologie philosophique du fait technique. Car, quand Spengler écrit, dans un passage cité plus haut, que l’émergence du langage accompagne l’apparition du premier système technique, il n’entend pas distinguer la communication linguistique des procédures techniques qu’elle aide à mettre en œuvre de manière « collective et concertée ». Il veut bel et bien dire que la communication linguistique est elle-même une procédure technique. Cette insistance sur la technicité de la communication linguistique n’est d’ailleurs pas absolument inédite dans l’œuvre de Spengler puisqu’on en trouve déjà la trace dans le deuxième tome du Déclin de l’Occident :

Mais ces hommes possèdent encore le côté microcosmico-animal de la vie, celui de l’être éveillé, de la sensation et de l’entendement, et la forme dans laquelle l’être éveillé de l’un entre en rapport avec celui de l’autre, je l’appelle la langue, qui n’est d’abord rien d’autre qu’une expression inconsciente du vivant, sensiblement perçue, mais qui se développe peu à peu en une technique de communication consciente reposant sur un sentiment unanime de la signification des signes[10].

Rappelons ici la différence des deux grands groupes de langues. Une langue d’expression considère autrui comme témoin et ne vise qu’à une impression sur lui ; une langue de communication le considère comme co-orateur et attend de lui une réponse. Comprendre, c’est recevoir des impressions avec son propre sentiment de la signification ; c’est là-dessus que repose l’effet produit par la plus haute des langues d’expression humaine : l’art. Se comprendre, tenir un dialogue, c’est supposer en autrui le même sentiment de la signification qu’en soi-même. Nous appelons motif l’élément d’une langue d’expression parlée devant témoin. La maîtrise des motifs est la base de toute technique de l’expression. D’autre part, on appelle signe l’impression produite en vue de l’entente, et il forme l’élément de toute technique de la communication, dans le cas suprême donc celui de la langue verbale humaine[11].

Or, on retrouve à de très nombreuses reprises la même insistance sur la technicité de la communication linguistique chez le second Wittgenstein. Il y a d’abord les textes dans lesquels Wittgenstein s’en tient à l’analogie ou à l’allusion :

Pense aux outils qui se trouvent dans une boîte à outils : marteau, tenailles, scie, tournevis, mètre, pot de colle, colle, pointes et vis. – Les fonctions de ces objets diffèrent tout comme les fonctions des mots. (Et il y a des similitudes dans un cas comme dans l’autre.)[12]

– Il est intéressant de comparer la diversité des outils du langage et de leurs modes d’emploi, la diversité des catégories de mots et de phrases, à ce que les logiciens (y compris l’auteur du Tractatus logico-philosophicus) ont dit de la structure du langage[13].

La grammaire du mot « savoir » est à l’évidence étroitement apparentée à la grammaire du mot « pouvoir », « être capable de », mais aussi à celle du mot « comprendre ». (« Maîtriser » une technique.)[14]

Mais, il en existe aussi où l’analogie cède la place à l’affirmation pure et simple :

Comprendre une phrase veut dire comprendre un langage. Comprendre un langage veut dire maîtriser une technique[15].

Le langage est un instrument. Ses concepts sont des instruments[16].

Les concepts nous conduisent à faire des recherches. Ils sont l’expression de notre intérêt et le dirigent[17].

Ce n’est que de quelqu’un qui est en mesure de faire aisément certaines applications de la figure du triangle qu’on dirait qu’il le voit tantôt comme ceci, tantôt comme cela.

Le substrat de cette expérience vécue est la maîtrise d’une technique[18].

Si c’est là ce que vous appelez « avoir une idée », c’est autre chose que ce qu’on appelle communément « avoir une idée », car ce qu’on appelle communément « avoir une idée » renvoie à la technique du mot, etc.

Nous tous ici, nous employons le mot « mort » qui est un instrument public et qui comporte toute une technique (d’emploi). Alors quelqu’un vient dire qu’il a une idée de la mort. C’est quelque chose de bizarre ; parce qu’il serait possible de dire : « Vous employez le mot « mort », or c’est un instrument qui fonctionne d’une certaine façon[19].

Si l’on a compté correctement, ceci doit être le résultat : ceci doit-il toujours être le résultat ? Naturellement.

Dans la mesure où nous sommes entraînés à une technique, nous le sommes également  un mode de considération qui est aussi solidement établi que cette technique[20].

On pourrait en citer comme cela quantité d’autres. Ces quelques exemples suffisent néanmoins pour comprendre que la notion de technique est une pièce centrale de la conception wittgensteinienne du sens. À vrai dire, il apparaît qu’elle joue dans l’œuvre de Wittgenstein un rôle analogue à celui que joue la notion d’intentionnalité chez Husserl et, de manière générale, en phénoménologie. On pourrait même avancer que le couplage entre esprit et technique constitue le cœur de l’intuition philosophique du second Wittgenstein. Impossible, par exemple, de saisir les tenants et aboutissants de la fameuse référence à l’usage, si l’on n’a pas pris conscience que Wittgenstein a tendance à considérer que la communication linguistique et les pratiques conceptuelles relèvent  de la sphère technique. Si cette façon de nouer l’une à l’autre philosophie du langage et anthropologie du fait technique vient bien de la lecture de L’homme et la technique, on voit tout ce que la seconde philosophie de Wittgenstein pourrait devoir à l’influence de Spengler.

Cette convergence générale se vérifie aussi sur des points plus précis lorsqu’on poursuit la lecture du chapitre IV de L’homme et la technique. Juste après avoir expliqué qu’il existe un lien nécessaire entre l’apparition du premier système technique et l’émergence du langage, Spengler écrit par exemple ceci :

Qu’est-ce que « le parler »[21] ? Incontestablement un processus ayant pour objet la transmission d’informations et de renseignements, activité continuellement pratiquée entre eux par de nombreux êtres humains. La « parole » ou le « langage » est seulement une abstraction à partir de cette forme intérieure (grammaticale) d’expression, et ce à l’aide de mots. Cette forme doit constituer un bien commun et bénéficier d’une certaine pérennité, si l’on veut que des renseignements puissent être réellement communiqués par son truchement. J’ai montré par ailleurs que le langage verbal est précédé par des modalités d’expression plus simples, telles que des signes visuels : signaux, gestes, appels d’avertissement et de menace. Toutes ces modalités persistent à être en usage, en tant qu’auxiliaires du langage, notamment sous la forme de modulation du langage, d’expression, de jeux de physionomie et de gestes de la main, ainsi que – dans la langue écrite – par la ponctuation[22].

Comment ne pas y reconnaître bon nombre des caractéristiques de la conception du langage du second Wittgenstein ? Tout y est ou presque : le rappel des buts effectifs de la communication linguistique entendue comme pratique sociale courante, la notion de grammaire interprétée comme sédimentation logique de l’usage[23], l’insistance sur la dimension expressive et incarnée de l’énonciation. Spengler complète en outre cette conception très réaliste du langage en y ajoutant un diagnostic où la thématique de l’ordinaire, si décisive dans la seconde philosophie de Wittgenstein, joue aussi un rôle critique tout à fait stratégique. La suite de son argumentation en témoigne. Car, selon lui, si les philosophes du langage ont régulièrement méconnu l’épaisseur réelle de la communication linguistique, c’est précisément parce qu’ils n’ont jamais su accorder suffisamment d’attention à son caractère de pratique courante et ordinaire :

Néanmoins, le fait de parler « couramment » représente, de par son contenu, un phénomène complètement inédit. Depuis Hamann et Herder, et jusqu’à ce jour, les hommes se sont posés sans cesse la question de savoir quelle en est l’origine. Mais si toutes les réponses ont été plus ou moins insatisfaisantes jusqu’ici, c’est parce que l’esprit même dans lequel la question se trouvait posée était erroné, parce que L’INTENTION même de la question était fautive[24].

Pour Spengler, cet oubli de l’usage courant et ordinaire a donné lieu à deux types de bévues philosophiques en matière de philosophie du langage : le romantisme et le rationalisme.

Car l’origine du langage verbal ne saurait être découverte dans l’exercice même de la parole. Là résida l’erreur des romantiques, comme toujours éloignés de la réalité, qui déduisirent la parole de la « poésie originelle » de l’humanité. Bien plus, ils crurent que la parole était en elle-même cette poésie – mythe, poème et invocation ne faisant qu’un – , et que la prose était seulement quelque chose de postérieur et de dégradé, destiné à l’usage quotidien banal. Mais, s’il en avait été ainsi, la forme interne du langage, la grammaire, la structure logique de la phrase, auraient revêtu un aspect tout différent ; en réalité, ce sont précisément les langages très primitifs (comme ceux des tribus de Bantous et de Turkmènes) qui montrent le plus catégoriquement la tendance à établir et à souligner les distinctions : clairement, nettement et sans possibilités d’équivoque.[25]

Ceci nous conduit à l’aberration fondamentale de ces ennemis jurés du Romantisme, les rationalistes, qui poursuivent sans cesse l’idée qu’une phrase exprime un JUGEMENT ou une PENSÉE. Ils s’incrustent à leurs tables de travail, au milieu d’un amoncellement de livres, et se plongent dans les fouilles parmi les minuties de LEURS PROPRES pensées et de leurs écrits. Partant, la « pensée » leur apparaît comme étant L’OBJET du langage. Comme ils cogitent généralement dans la solitude, ils perdent de vue que, au-delà de la bouche, il y a l’oreille, au-delà d’une question, une réponse, et, au-delà d’un Moi, un Tu. Ils disent « la parole », mais ce qu’ils sous-entendent par là est la harangue, la conférence, le discours. Leur idée de l’origine du langage s’en trouve viciée, car ils se le représentent comme un MONOLOGUE[26].

Il faudrait commenter ce texte en détail car, là encore, les éléments principaux du diagnostic wittgensteinien sont quasiment tous là. La critique spenglérienne des romantiques fait penser à la critique wittgensteinienne des perspectives empiriste et phénoménologique : critique de l’hypostase de l’énoncé linguistique, envisagé en dehors de tout contexte, croyance au caractère secondaire et dégradé de l’usage ordinaire, « l’usage quotidien banal », par rapport à une hypothétique langue primaire. Quant à la critique spenglérienne des rationalistes, elle rappelle, de manière saisissante, la critique wittgensteinienne de Frege. Elle s’achève en outre par la mise en évidence d’un présupposé monologique qui ressemble fort à une anticipation de l’argument du langage privé. Parmi les éléments précis qu’un commentaire détaillé pourrait faire apparaître, signalons simplement à titre d’exemple l’écho intrigant entre la note de Spengler et le paragraphe 20 des Recherches philosophiques qui est lui aussi entièrement consacré à la possibilité de comprendre une phrase comme un seul mot.

À cette double bévue, Spengler oppose ensuite sa propre conception du langage ordinaire :

La façon correcte de formuler la question n’est donc pas de demander comment, mais bien QUAND le langage verbal est apparu. À partir du moment où la question est posée dans ces termes, tout devient très clair. Le but poursuivi par le langage verbal sous forme de phrases, but communément ignoré ou interprété de travers, se trouve défini clairement lorsqu’on se réfère à la période durant laquelle s’établit l’usage de parler ainsi (à savoir, « couramment »), et il est distinctement mis en lumière par la forme des structures de phrases. Le langage ne naquit nullement à partir du monologue, non plus que les phrases à partir de l’éloquence : la source s’en trouve dans la CONVERSATION entre plusieurs personnes. L’objectif n’est pas la compréhension à l’aide du jugement, mais un accord mutuel résultant de questions et de réponses. Quelles sont donc les formes fondamentales de la parole ? Non pas le jugement ou la déclaration, mais le COMMANDEMENT, le témoignage d’obéissance, l’assertion, la question, l’affirmation ou la négation. Ce sont des phrases, très brèves à l’origine, INVARIABLEMENT adressées à d’autres, telle que : « Fais ceci ! », « Prêt ? », « Oui », « En avant ! » Pour autant qu’ils désignent des notions[27], les mots ne sont que des produits tributaires du BUT de la phrase : d’où le fait que le vocabulaire d’une tribu de chasseurs diffère dès l’origine de celui usité dans un village d’éleveurs de bestiaux, ou chez une population côtière de navigateurs et de pêcheurs[28].

Là aussi, le commentaire détaillé s’imposerait. Il serait néanmoins bien trop long. Qu’on compare donc simplement ce passage avec les paragraphes 23 et 27 des Recherches philosophiques :

Mais combien existe-t-il de catégorie de phrases ? L’assertion, l’interrogation et l’ordre peut-être ? – Il y en a d’innombrables, il y a d’innombrables catégories d’emplois différents de ce que nous nommons « signes », « mots », « phrases ». Et cette diversité n’est rien de fixe, rien de donné une fois pour toutes. Au contraire, de nouveaux types de langage, de nouveaux jeux de langage, pourrions-nous dire, voient le jour, tandis que d’autres vieillissent et tombent dans l’oubli. (Les changements en mathématiques pourraient nous donner une image approximative de cette situation.)

L’expression « jeu de langage » doit ici faire ressortir que parler un langage fait partie d’une activité, ou d’une forme de vie.

Représente-toi la diversité des jeux de langage à partir des exemples suivants, et d’autres encore :

Donner des ordres, et agir d’après des ordres –

Décrire un objet en fonction de ce qu’on en voit, ou à partir des mesures que l’on prend–

Produire un objet d’après une description (un dessin) –

Rapporter un événement –

Faire des conjectures au sujet d’un événement –

Établir une hypothèse et l’examiner –

Représenter par des tableaux et des diagrammes les résultats d’une expérience –

Inventer une histoire ; et la lire –

Faire du théâtre –

Chanter des comptines –

Résoudre des énigmes –

Faire une plaisanterie ; la raconter –

Résoudre un problème d’arithmétique appliquée –

Traduire une langue dans une autre –

Solliciter, remercier, jurer, saluer, prier.

– Il est intéressant de comparer la diversité des outils du langage et de leurs modes d’emploi, la diversité des catégories de mots et de phrases, à ce que les logiciens (y compris l’auteur du Tractatus logico-philosophicus) ont dit de la structure du langage[29].

Nous dénommons les choses, et nous pouvons ensuite parler d’elles, nous référer à elles en parlant. » – Comme si par l’acte de dénomination était déjà donné ce que nous faisons plus tard. Comme si « parler des choses » n’avait qu’un seul sens. Alors même qu’avec nos phrases, nous faisons les choses les plus diverses. Pense donc aux exclamations suivantes et à leurs fonctions si différentes :

De l’eau !

Va-t’en !

Aïe !

Au secours !

Magnifique !

Pas du tout !

Es-tu toujours enclin à appeler ces expressions des « dénominations d’objets » ?[30]

Voici enfin la conclusion des dix pages que Spengler consacre au langage dans L’homme et la technique :

L’OBJET originel du langage EST LA MISE EN ŒUVRE D’UNE ACTION en accord avec l’intention, le temps, le lieu et les moyens disponibles. Une structure de phrase claire et sans ambiguïté est donc une nécessité primordiale. La difficulté de transmettre un sens et d’imposer sa volonté à un autre à créé les techniques de la grammaire, des phrases, de la syntaxe, les modes corrects de commander, de questionner et de répondre, ainsi que la formation de classes de mots : le tout, non sur la base d’intentions et de desseins théoriques, mais PRATIQUES. Le rôle joué par la pensée théorique dans les premiers temps de l’expression verbale en phrases fut pratiquement NUL. Tout langage était de nature pratique et découlait de la « pensée naturelle »[31].

Comment ne pas être tenté d’y voir la source de la stratégie anti-sceptique que Wittgenstein adopte dans les si nombreux passages où il rappelle l’ancrage et les enjeux pratiques des usages linguistiques ? Parmi eux, citons pour finir cet extrait de Cause et effet : saisie intuitive et comparons-le au passage de Spengler précédemment cité :

L’origine et la forme primitive du jeu de langage est une réaction ; c’est à partir de là que peuvent se développer des formes plus compliquées.

Le langage veux-je dire est un raffinement : « Au commencement était l’action »

La construction réclame d’abord de la pierre solide et dure, et que les blocs soient posés tels quels les uns sur les autres. Après, il est bien sûr important que la pierre puisse être taillée et qu’elle ne soit pas trop dure.

La forme primitive du jeu de langage est la certitude, non l’incertitude. Car l’incertitude ne pourrait jamais conduire à l’action.

Je veux dire que c’est une caractéristique de notre langage que son développement repose sur des formes de vie stables et des actions régulières.

Sa fonction est déterminée avant tout par l’action qu’il accompagne.[32]

Insertion de la problématique logico-linguistique dans une conception naturaliste du fait technique, insistance sur la dimension sociale, pragmatique et incarnée de la communication linguistique, réhabilitation philosophique de l’usage ordinaire, critique du présupposé monologique, grammaire, primat de la raison pratique : tels sont donc pour résumer rapidement les nombreux points de rencontre entre L’homme et la technique de Spengler et la seconde philosophie de Wittgenstein. S’agit-il d’une coïncidence et faut-il se contenter de placer ces éléments de parenté conceptuelle à la base d’une simple reconstruction rationnelle ? Faut-il aller plus loin et proposer d’y voir la trace d’une influence directe ? La question est ouverte. Il est certain, quoi qu’il en soit, que cette seconde perspective exigerait un travail comparatif bien plus fouillé que celui que j’ai essayé de proposer ici à l’échelle d’un bref article. Cela étant dit, l’absence de précision et le caractère simplement suggestif des rapprochements établis plus haut conviennent assez bien à l’incertitude de l’hypothèse exégétique que j’ai voulu défendre. C’est donc aussi une façon d’inviter le lecteur à se forger sa propre opinion en lisant l’ouvrage de Spengler.

Mathieu Contou (Université Paris 1-Phico-Execo)

Mathieu Contou, agrégé de philosophie, ancien allocataire de recherche à Paris 1, rédige une thèse intitulée « Technique et signification dans l’oeuvre de Wittgenstein ». Un certain nombre de jalons de ce travail ont déjà été établis dans un cours donné en 2008 en première année de Licence à Paris 1: « La Pratique, statut et enjeux épistémologiques », dans deux communications orales : « La théorie éthologique de la signification chez J. Von Uexküll : un modèle du naturalisme de la seconde nature ? » (Séminaire de Master 2 de C. Chauviré, 2008) et « Wittgenstein et le fondement rituel de la certitude » (Journées doctorales de Paris 1, 2009), et dans un article: « La vie de l’usage. Philosophie du langage et vitalisme chez Wittgenstein » in Wittgenstein et les questions du sens, L’art du comprendre, numéro 20, Paris, 2011, p. 51-65

J. Bouveresse, « « Dans les ténèbres de cette époque » Wittgenstein et le monde contemporain », Le « déclin de l’Occident » : Heidegger, Spengler & Wittgenstein in Essais I Wittgenstein, la modernité, le progrès & le déclin, Collection Banc d’essais, Agone, Marseille, 2000, p. 63-73

– J. Bouveresse, « « L’animal cérémoniel » Wittgenstein & l’anthropologie », III. Wittgenstein & Spengler in Essais I Wittgenstein, la modernité, le progrès & le déclin, Collection Banc d’essais, Agone, Marseille, 2000, p. 162-167

– J. Bouveresse, « Anthropologie et culture : sur une dette possible de Wittgenstein envers Goethe et Spengler » in Essais I Wittgenstein, la modernité, le progrès & le déclin, Collection Banc d’essais, Agone, Marseille, 2000, p. 223-238

– S. Cavell, « Les Recherches, tableau de notre temps » in Une nouvelle Amérique encore inapprochable de Wittgenstein à Emerson, I. Décliner le déclin Wittgenstein, philosophe de la culture, collection Tiré à part, L’éclat, Combas, 1991, p. 56-77

– C. Chauviré, « Humanisme et anthropologie » in Le moment anthropologique de Wittgenstein, Kimé, Paris, 2004, p. 139-148

– R. Ferber, « Wittgenstein und Spengler », Archiv für die Geschichte der Philosophie, bd. 73, 2, 1991, p. 188-207

– R. Haller, « War Wittgenstein von Spengler beeinflusst ? », Fragen zu Wittgenstein und Aussätze zur österreichischen Philosophie (« Studien zur österreichischen Philosophie », Bd. 10, Amsterdam : Rodopi, 1986), p. 155-169

– A. Janik, « Le tournant physionomique : Spengler et Wittgenstein » in Wittgenstein et les questions du sens, L’art du comprendre, numéro 20, Paris, 2011, p. 51-65

– K. Neumer, « Wittgenstein und die « Philosophien des Lebens » oder : war Wittgenstein ein « Österreichischer » Philosoph ? » in Wittgenstein-Studien, 10, 2004

– G. H. von Wright, « Wittgenstein et son temps » in Wittgenstein, T.E.R, Mauvezin, 1986, p. 215-229



[1] O. Spengler, L’homme et la technique, Idées, Gallimard, Paris, 1958, p. 96-105

[2] Ibid., p. 69-73

[3] Ibid., p. 42-45

[4] Ibid., p. 96-97

[5] Ibid., p. 97-98

[6] Ibid., p. 105-106

[7] L. Wittgenstein, Recherches philosophiques, Bibliothèque de philosophie, Gallimard, Paris, 2004, §. 7, p. 31

[8] Ibid., p. 28

[9] Ibid., p. 31

[10] O. Spengler, Le Déclin de l’Occident Esquisse d’une morphologie de l’histoire universelle, II. Perspectives de l’histoire universelle, Bibliothèque des Idées, Gallimard, Paris, 1976, p. 104

[11] Ibid., p. 123

[12] L. Wittgenstein, Recherches philosophiques, Bibliothèque de philosophie, Gallimard, Paris, 2004, §. 11, p. 32-33

[13] Ibid., §. 23, p. 40

[14] Ibid., §. 150, p. 99

[15] Ibid., §. 199, p. 126

[16] Ibid., §. 569, p. 215

[17] Ibid., §. 570, p. 215

[18] Ibid., II – xi, p. 294

[19] L. Wittgenstein, « Leçons sur la croyance religieuse » in Leçons et conversations, Folio essais, Gallimard, Paris, 1992, p. 130

[20] L. Wittgenstein, Remarques sur les fondements des mathématiques, Bibliothèque de philosophie, Gallimard, Paris, 1983, quatrième partie (1942-1944), §. 35, p. 209

[21] « 1. Cf. Le déclin de l’Occident, II, pp. 121 et s., et p. 459 » (note de Spengler)

[22] O. Spengler, L’homme et la technique, Idées, Gallimard, Paris, 1958, p. 98-99

[23] La comparaison entre la notion spenglérienne et la notion wittgensteinienne de « grammaire » demanderait une étude à part entière. Il existe en effet dans Le Déclin de l’Occident de très nombreux passages consacrés à cette notion. Il serait très intéressant d’y regarder de plus près afin de déterminer si la notion wittgensteinienne en est inspirée.

[24] O. Spengler, L’homme et la technique, Idées, Gallimard, Paris, 1958, p. 99-100

[25] « 1. Ceci à tel point que, dans plusieurs langues, la phrase est un mot unique monstrueux, dans lequel tout ce qu’on a l’intention de dire est exprimé au moyen de syllabes classificatrices, complétées, conformément aux règles, par des préfixes et des suffixes. » (Note de Spengler)

[26] O. Spengler, L’homme et la technique, Idées, Gallimard, Paris, 1958, p. 100-102

[27] « 1. Une notion est un arrangement de choses, de situations, d’activités, en classes de généralisation PRATIQUE. L’éleveur de chevaux ne dit pas « cheval », mais « jument grise » ou « poulain bai » ; un chasseur dira, non « un sanglier », mais « un solitaire », un « ragot », un « marcassin ». » (note de Spengler)

[28] O. Spengler, L’homme et la technique, Idées, Gallimard, Paris, 1958, p. 102-104

[29] L. Wittgenstein, Recherches philosophiques, Bibliothèque de philosophie, Gallimard, Paris, 2004, §. 23, p. 39-40

[30] Ibid., §. 27, p. 41

[31] O. Spengler, L’homme et la technique, Idées, Gallimard, Paris, 1958, p. 104-105

[32] L. Wittgenstein, « Cause et effet : saisie intuitive » in Philosophica IV, T.E.R, Mauvezin, 2005, p. 99-101

 

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