2023La méthode phénoménologiqueune

La phénoménologie en boite de nuit. Une manière d’être au terrain.

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Justine Scheidegger est doctorante à l’institut des sciences du sport (ISSUL-SSP), rattachée au centre de recherche sur les parcours de vie et inégalités (LINES) et à la faculté des sciences sociales et politiques de l’université de Lausanne.


Résumé

Cet article explore la richesse de la méthode phénoménologique appliquée au sein d’un terrain ethnographique, celui des boites de nuit et plus particulièrement l’espace de la piste de danse. Il retrace quatre années d’observation au travers de deux vignettes ethnographiques. Ces vignettes permettent de rendre compte des qualités perceptives et de l’ouverture aux phénomènes que la méthode phénoménologique rend possible, mais aussi de l’impact qu’elle peut avoir dans les interactions avec les participant·e·s. C’est par la voie des conséquences empiriques de cette manière d’être au terrain que l’article ouvre sur les limites, les impasses et les apports de la phénoménologie pour une sociologie inquiète de sauver les phénomènes.

Mots-clefs : phénoménologie, ethnographie, fête, corps, observation, expérience

Abstract

This article explores the richness of the phenomenological method applied within an ethnographic field, that of nightclubs and more particularly the dance floor space. It traces four years of observation through two ethnographic descriptions. These descriptions make it possible to give an account of the perceptive qualities and the opening to phenomena that the phenomenological method makes possible, but also of the impact that it can have in the interactions with the participants. It is through the empirical consequences of this approach that the article opens on the limits, the impasses and the contributions of phenomenology for sociology worried about saving phenomena.

Keywords: phenomenology, ethnography, party, body, observation, experience

Introduction : aux portes du terrain 

Encadré n°1 : Lendemain d’une soirée en boite, une première tentative de récit – janvier 2015

Je suis avec une amie de socio devant la Fourmilière à Lausanne, il est environ 23h et nous sortons d’un apéro pris dans son appartement, avec ses colocataires. Elle a entendu parler de cette boite durant la semaine et nous sommes à présent dans la file d’attente. Il fait froid, nous sommes côte à côte, épaule contre épaule, légèrement tournées l’une vers l’autre, des gens devant nous, des gens derrière nous, quelques rapides regards dans ces deux directions sont lancés tout en discutant ensemble. Nous secouons nos corps pour lutter contre le froid au rythme du son étouffé de la boite, qui parvient jusqu’à nous. Quelques corps bien plus dépouillés d’habits que les nôtres sortent, ils fument. Nous fumons et attendons. Nos corps bougent par l’excitation, par l’écoute des basses qui percent les murs, par les verres bus ; pas seulement contre le froid. Nous jetons quelques coups d’œil par-dessus les épaules devant nous pour voir « où cela en est ». Pour voir quand nous pourrons, nous aussi, entrer à l’intérieur.

C’est à nous. Passage devant le videur, passage aux vestiaires, passage au bar. À chacune de ces étapes, les yeux sont grands ouverts sur ce nouveau lieu à découvrir. L’excitation monte et l’étonnement pointe. Ce lieu ne ressemble à rien que je ne connaisse, nulle lumière criarde, nulle petite grappe de personnes à l’intérieur. Un son presque calme malgré le volume, une luminosité plutôt obscure, un endroit plutôt miteux et malgré tout accueillant, quelques personnes éparses qui semblent seules avec la musique, alignées sur des rangées imaginaires.

Impossible d’aller plus loin. Il y avait des corps qui dansent, de la musique douce et puissante à la fois, des montées et des pieds qui sans cesse se soulèvent, les lumières avaient leur propre rythme teinté de rouge…

Que dire de cette nuit ? Qu’attendent les personnes aux portes des boites de nuit ? Est-ce cette expérience ? La suite ? Impossible de s’en souvenir, ou disons plus spécifiquement impossible de le retranscrire, de le décrire, de lui trouver des mots et une forme. Les éléments ne s’agençaient pas sur un fil temporel, ils s’amalgamaient en un bloc-souvenir. Seule demeurait l’impression d’avoir vécu une expérience forte nullement comparable à l’ordinaire des soirées passées. S’il était déjà possible à ce moment de rapprocher cette expérience d’une « expérience esthétique » (Dewey, 2010), l’impossibilité de la description peut trouver une explication dans les propos tenus par Waldenfels (2019 : 15) au sujet des « expériences fortes et innovantes » qui surprennent, qui affectent et qui entrainent un oubli originaire

dans lequel nous oublions ce que nous n’avons jamais connu, et dans lequel nous perdons ce que nous n’avons jamais eu. L’oubli originaire n’est ni effacé ni préservé ; comme tout ce qui est radicalement étranger, il est là tout en se retirant de nous (idem).

Cette soirée- était donc atteignable uniquement par deux bornes : celle de l’avant, avant que l’expérience n’advienne, le moment de l’attente ; et celle de l’après, le constat de la défaillance dans l’effort de description proposé ci-dessus [encadré n°1]. Coincée entre l’attente et le récit généralisant, cette expérience m’a incitée à me questionner sur les possibilités expérientielles des soirées technos et je me suis lancée dans une recherche exploratoire sur ce terrain. Le but de ma recherche était de mener une ethnographie au sein des boites de nuit au moyen d’une observation participante qui puisse retransmettre les activités qui constituent les expériences festives sur la piste de danse. Je me suis donc concentrée sur la piste et les actions qui s’y déroulent. Ce qu’il se passe au bar, la manière dont certaines boites produisent un « enchantement social », permis notamment par une sélection basée sur la « présentation de soi en fonction des exigences de l’institution » (Réau, 2006), ou encore la manifestation de la violence dans ces lieux (Marlière, 2011), ne m’intéresseront pas ici, et je ne m’attarderai donc pas sur la littérature dédiée aux boites de nuit.

Se saisir du monde de la nuit au niveau du faire impliquait une observation au plus proche des activités telles qu’elles apparaissent et se coordonnent. La fête n’a pas été prise comme un objet conceptuel dont il s’agissait de retrouver des occurrences dans le monde réel, mais elle a été envisagée comme étant faite d’une série d’actions, d’interactions localement produites. Ainsi,

celui qui veut les étudier ne peut donc pas faire autrement que de participer avec d’autres à la production locale d’ordre qu’implique l’effectuation concrète d’une activité : il faut que l’analyste exerce, avec les autres, sa compétence concertée, qu’il applique les méthodes pour reconnaître, identifier, suivre, manifester, décrire, etc. des phénomènes d’ordre dans la production locale de détails cohérents (Quéré, 2004b : 29).

Mais si l’ordre endogène et déployé par les agents pour constituer « la file d’attente », comme dans l’encadré n°1[1], est facilement repérable, descriptible et la participation aisée, les activités au sein des soirées technos, quant à elles, suivent des voies bien plus complexes. L’article propose de restituer les étapes méthodologiques liées à l’observation et aux descriptions en boite de nuit, de telle sorte qu’à chaque stade la recherche s’est évertuée à ne pas « perdre les phénomènes » (Quéré, 2004a ; 2004b). Si Quéré, sociologue et spécialiste de l’épistémologie des sciences sociales, met en garde ses confrères et ses consœurs contre les dommages et dangers d’une « abstraction mal placée », selon l’expression empruntée à Rawls (2004) (réduction et schématisation de l’expérience, substitution des actions et interactions par des concepts, préfigurations des données avant l’entrée sur le terrain, etc.), il ne donne que peu d’informations méthodologiques pour voir, décrire et préserver les phénomènes depuis les débuts de la recherche jusqu’à sa restitution. Les recommandations qui parsèment ses textes pourraient se résumer ainsi : pour « sauver les phénomènes », il faut prendre en compte l’apparence des choses, des êtres et des actions dans leur manière propre d’émerger, de se déployer et faire voir leurs agencements en situation. Dans l’explicitation d’une telle mise en œuvre, Quéré (2004b : 35) propose alors aux sciences sociales de « changer les précédents » :  il faut « un changement d’attitude dans l’enquête ». Le premier précédent se doit alors de se développer dans des situations réelles, et non dans « un corpus établi de concepts et de théories, de méthodes et de modèles (…) » (idem). L’enquêteur doit partir de son terrain et de ce qu’il s’y fait. Ensuite, pour ne pas perdre les phénomènes à travers leurs traitements analytiques, Quéré donne encore moins d’indications : il s’agit pour lui de se confronter à divers problèmes qui touchent « à l’analyse des régularités, à la manière dont on peut extraire des méthodes et des procédures de l’observation de pratique, à la formalisation et à la modélisation des objets » (idem).

Face à ces recommandations, je me suis tournée du côté de la phénoménologie : j’y ai puisé quelques enseignements que j’ai tenté d’appliquer sur le terrain. Cet article retrace l’application empirique de la méthode phénoménologique et ses conséquences dans et pour l’enquête. Par la présentation de deux vignettes ethnographiques, j’exposerai une démarche progressive puis comparative, qui retrace quatre années d’observation. Par son cheminement, l’article dévoile les coulisses méthodologiques de cette recherche afin de rendre compte au mieux des ratés et des ouvertures qu’offre l’application d’une attitude phénoménologique dans une ethnographie des boites de nuit. Ce texte est construit autour de reprises successives des vignettes afin de déplier au mieux l’application de la phénoménologie, en se penchant sur les modes de perceptions et les divers détails (Piette, 2020 : 22) qui émergent de cette modalité perceptive. Ces reprises permettent de prendre en compte les « restes » qui continuent d’insister au sein des vignettes ethnographiques sans qu’un phénomène soit oublié au cours du processus.

Après être resté aux portes de la boite de nuit dans le premier encadré, rentrons maintenant sur la piste de danse. Mais en ouvrant ce terrain aux lecteurs et aux lectrices, nous ne pouvons pas commencer par une description de première main : la description de l’encadré n°2 est le résultat d’une compilation des observations tout au long de la recherche et elle ne saurait être issue d’une observation directe en première personne et en situation. Elle se présente sous une description morphologique (Gauthier & Vandenbergue, 2020) de la piste de danse et des quelques zones qui la constituent. Trouver une façon de proposer des descriptions directes en dépit de ces échecs initiaux sera l’objet de l’article : après les deux encadrés présentés dans l’introduction, je tenterai d’affiner les descriptions et de pointer les conséquences de ce changement de focale à travers deux vignettes ethnographiques qui, contrairement aux encadrés, ne perdent pas les phénomènes (ou tentent de ne pas le faire).

Encadré n°2 : Morphologie de la piste de danse

En franchissant les portes d’un établissement de type boite de nuit avec une offre musicale techno, l’observateur en troisième personne, sans ancrage corporel et empirique, pourra repérer trois espaces au sein de la piste de danse, qui se configurent selon la disposition et la densité des corps en présence.

Les corps sont face à la scène qui est légèrement surélevée. Ils sont en lignes, avec un centre d’attention « explicite » similaire et partagé : celui de la scène. Cette attention partagée se rend visible par la disposition des corps, des bustes et des regards. En partant de la scène, il y a un premier espace qui se dessine. Ce premier espace est composé d’une à quatre lignes de personnes qui regardent directement le dj ; le nombre de lignes variant en fonction du nombre de personnes (plus il y a de personnes plus il y a de lignes). Ces lignes suivent un très léger arc avec la marque d’un fléchissement au centre. Le fléchissement se rend visible par l’orientation des épaules. Au centre, les épaules se positionnent frontalement à la scène, plus on s’éloigne de ce centre plus les corps s’orientent légèrement vers lui créant ainsi l’effet d’une courbe face à la scène.

Le second espace se remarque par une légère variation dans les lignes, elles ne sont pas aussi claires. Il y a plus de mouvement, des personnes qui se déplacent plus fréquemment. Les lignes restent, mais elles sont désorganisées par ces nombreux bougés. Cet espace est au centre. Il est un lieu à la fois structuré par l’orientation des corps vers la scène tout en étant un lieu de passage comme l’atteste les nombreuses « unités véhiculaires » (Goffman, 2013 ; 2015 ; Joseph, 1997) qui fendent les lignes.

Ensuite, le dernier espace est celui du fond. Ici la densité est moins grande, il y a de l’espace et du stationnement. La moins grande densité de corps permet de voir une autre modalité d’engagement au sein du rassemblement. Des grappes de corps se remarquent par l’espace vide entre celles-ci, et marquent la présence de sous unités : des groupes. Au sein de ces derniers, des activités conversationnelles se déroulent avec des orientations corporelles qui rendent compte de l’attention conjointe sous une forme d’interactions focalisées (Goffman, 2013) : les corps restent en ligne, mais ils sont moins directement orientés vers la scène. Néanmoins, bien qu’éloignées de la scène, on voit que ces grappes de personnes reproduisent l’arc fléchi des premières lignes, mais au niveau de leur propre groupe ; la fin et le début étant marqués par les personnes aux extrémités de la ligne, qui se positionnent le moins frontalement à la scène. La présence de la scène et les corps en coprésence continuent donc de produire la même modalité de gestion des corps-à-corps (Quéré, 1990), qu’il s’agisse des premières lignes du rassemblement ou des sous-unités de ce dernier.

Au-delà de la structuration physique des lieux – la scène versus l’espace du public – ces trois espaces délimités par l’orientation et la densité des corps en coprésence informent aussi sur la spécificité de l’offre musicale et la danse qui lui correspond. Il s’agit de soirées technos, une offre qui consiste à inviter plusieurs djs qui déroulent une musique dansante et répétitive pendant un certain laps de temps. La danse se base sur la répétition, l’incorporation de quelques mouvements, du simple balancement du haut du corps de droite à gauche à une grande dépense d’énergie par des gestes qui vont des pieds aux mains en passant par la tête, les hanches et les épaules, mais toujours sans qu’il y ait une mobilité spatiale du corps. Elle se fait sur place, dans une mono-orientation vers la scène, le plus souvent seul·e, c’est-à-dire que le style n’implique pas d’être rattaché·e à un ou des partenaires explicites pour produire les pas de danse.

I. Chercher les phénomènes : engager son corps et ouvrir les yeux

Vignette n°1. Cahier de terrain, Le Terroir, Lausanne, juin 2016, vers 1h

Les personnes sont principalement en lignes face à la scène où le dj fait son set. J’avance de quelques rangs et me retrouve là où la danse se fait la plus intense et où la proximité entre les corps est la plus forte. Les rangs sont compacts et pourtant les mouvements arrivent à une certaine amplitude. Tout en dansant moi aussi, la station statique rompant alors trop les mouvements, j’observe sur la rangée devant, un groupe qui se forme. Les individus se synchronisent, ils dansent sur un même rythme temporel, les couches de la musique électronique se matérialisent d’une certaine manière au sein de ce groupe qui se cale sur le bpm[2]. Prise dans le mouvement, je sens monter gentiment mes pieds, ils se soulèvent ; d’abord ils se déplacent proches du sol, changent de quelques degrés l’orientation sur le rythme de la musique, puis l’amplitude augmente, des rotations au niveau des chevilles mon corps passe à un niveau supérieur, la flexion des genoux, jusqu’à une prise totale entre flexion et extension des genoux ; une montée. Fermer les yeux, ressentir par la peau et les os, les vibrations de la musique. La tête part vers l’arrière, un sourire monte aux lèvres pendant que j’ouvre à nouveau les yeux. Je tente de voir jusqu’où le mouvement dans lequel j’ai été prise se propage, je pense d’abord aux pieds. Je me penche vers le sol, le regard tente de se frayer un chemin pour observer les pieds et leurs mouvements, je me fais surprendre par une pression sur mon épaule, je me détourne, me relève. La pression vient d’une main qui reste un moment sur mon épaule, de la pression ressentie je cherche la source, je vois ce visage qui, après un bref échange de regards, se penche vers moi et me demande alors si je n’ai pas de la MD.

Durant le temps de sa question, je suis moi aussi un peu penchée, je tends mon oreille, regarde en direction du sol. Il finit sa demande, je souris, il s’éloigne de mon oreille, je ne sens plus sa présence, je le vois se redresser, reprendre une position verticale, on se regarde. Je me penche vers lui, m’approche de son oreille, je lui dis ne pas en avoir. À la fin de ma phrase, je m’éloigne, reprends une position verticale face à lui. Entre nos deux corps, les mouvements se synchronisent, une valse s’enclenche au rythme des questions et des réponses ; je me penche, parle, reviens en position verticale, lui se penche, parle et revient en position verticale, l’ensemble est parsemé par diverses pressions des mains sur le bras ou l’épaule de l’autre. Je ne retiens pas les échanges, quelques propos sur la soirée probablement ; la musique en cours, les personnes autour de nous.

Je reprends pied dans la situation, déconnectée de mes préoccupations, confuse d’être jetée à nouveau dans les lignes, comme encombrée par mon corps, il me faut quelques instants…

Tout au long de la soirée, nos regards se recroisent et nous partageons un « quelque chose » comme un bout de soirée en commun, mais uniquement ponctuel, le temps d’un regard.

 Regardons de plus près la description et les différentes étapes et conséquences issues de ce moment. Dans un premier temps, il y a une observation et un déplacement de ma personne. L’attention est dirigée vers un espace perçu comme regorgeant d’intensité, le champ visuel et les prises s’ouvrent à mesure que mon corps et mon regard se déplacent au sein de la situation (Joseph, 1997 : 134). La synchronisation des corps se dévoile et se rend sensible par la relation entre l’ouïe et la vue. Les deux sens s’allient, donnant la possibilité de remarquer et de déduire le rythme sur lequel les personnes se calent et se fondent dans un même moment.

Le déplacement du corps dans la salle a pour conséquence de me faire passer d’une approche visuelle (de loin, il était possible de voir « là où la danse se fait le plus intensément ») à un engagement rythmique (je suis à l’intérieur et réponds par le corps). Ici, mes sens sont en éveil, ma peau devient une nouvelle zone de réception de l’environnement qui m’entoure. La sonorité élevée, les amplis dirigés sur les danseur·euse·s, participent à l’expérience de l’écoute musicale, une écoute charnelle qui passe par les vibrations du son, ressenti autant qu’écouté. Cette modalité rythmique de l’être ensemble permet « de rendre compte d’une certaine vibration, liée à une manière d’habiter le monde » (Zernik, 2010 : 89). Une manière d’habiter ce monde non pas seulement par une organisation externe du contrôle musical et lumineux, mais aussi par la réponse collective et composée qui se fait au travers des corps et dans l’espace. Une organisation d’un habiter le monde en commun vécu et saisi par ce rythme qui se déploie et dont une certaine onde accorde les corps entre eux. La participation permet de cerner au mieux ce qui réalise l’intensité. Cette qualité advient par la résolution pratique de la contradiction spatiale entre les corps et l’espace. Des mouvements amples et rythmés, puissants et un espace qui se réduit à la circonférence du corps. Les mouvements trouvent leurs propres espaces pour se déployer. Le groupe, la formation d’une sous-unité, émerge de cette contradiction qui ne peut trouver une résolution et un accomplissement pratique que si une attention mutuelle est donnée à ceux et celles qui l’entourent et par une mise en commun par et dans la musique. Cette attention non traduite par une orientation visuelle (celle-ci rejoignant principalement la scène) se fait par les corps-à-corps au niveau kinesthésique et par l’adoption d’une partie des mouvements et du rythme des autres. La formation d’un nous corporel éphémère émerge par la transmission et la transformation réciproque de mouvements et la mutualisation d’une parcelle étroite d’espace.

À l’intérieur du groupe, spatialement et dans l’adoption de son mouvement, je tente de suivre par la vue par « où prennent corps les rythmes » : la vue tente de prendre le relais, l’attention se tourne du côté des caractéristiques qui produisent la propagation ressentie. Je me « ‘quitte’ […] en ‘oubliant’ en quelque sorte les sensations corporelles ressenties » (Petitmengin, 2010 : 169). Le regard navigue entre les corps, se plonge vers le sol : mon corps s’arrête dans ses mouvements, adopte une posture qui lui permet de suivre et saisir les mouvements qui rendent possible l’émergence du groupe.

À travers cette première vignette, on perçoit que l’observation passe par diverses « strates » d’expérience (Petitmengin, 2010). Une première strate est parcourue par l’observation des phénomènes en se faisant « réception » des éléments présents, laissant advenir ce qu’il se passe (ibid : 170-171) tout en permettant une focalisation sur le ressenti ; ici, la manière dont la synchronisation des mouvements permet la formation du groupe. La seconde strate émerge de cet élément et je passe de la « modalité ressentie » à la recherche de « l’évènement physique qui est à la source » (ibid : 168) : je cherche des yeux les éléments physiques, comme ici les pieds et leurs mouvements. L’échange discursif advient au moment où se joue cette transition de l’attention, le passage de la modalité réceptive à celle d’un mode attentionnel directionnel de la recherche de la source.

« Il est vrai aussi que la vision est suspendue au mouvement. On ne voit que ce qu’on regarde » (Merleau-Ponty, 2012 : 17). Si on ne peut voir que ce qu’on regarde, le corps pris et engagé dans un environnement est lui aussi une surface matérielle accessible, un visible, une prise (Joseph, 1997). La pression ressentie sur l’épaule fait dévier mon attention, me fait bouger et regarder ailleurs. Cette pression sentie engage alors une interaction focalisée « de face » (Goffman, 2013). Le face-à-face se transforme dans cette disposition des corps et dans l’univers sonore intense. La voix ne pouvant pas porter jusqu’à l’autre, le face-à-face se modélise par un côte-à-côte de proximité, les corps synchronisent leurs mouvements afin de pouvoir maintenir l’échange discursif. L’attention mutuelle se rend visible par notre synchronisation et nos allers-retours qui sont uniquement ponctués par un court instant où nous échangeons un regard réciproque : lorsque nous sommes éloigné·e·s et que nous changeons de position, de l’auditeur·ice au locuteur·ice. Si l’engagement corporel et les jeux interactionnels qui se produisent au sein de la piste de danse sont retenus, à la fois par l’attention déployée lors de son effectuation et dans les notes descriptives, les propos échangés sont eux oubliés. Néanmoins, l’émergence de cette interaction a des conséquences pour la séquence décrite.

Tout d’abord, en restant au niveau du corps, il est possible de décrire comment l’interaction modifie l’engagement et le retour au rassemblement. Le changement abrupt suite à celle-ci montre la déprise au sein du milieu, les mouvements continuent de se propager et les corps se répondent, mais je ne suis plus dans le groupe, je suis comme jetée à l’intérieur. Si la main s’est posée sur mon épaule et qu’une certaine fluidité a eu cours jusqu’à la fin de notre échange, l’interruption s’est vécue comme telle seulement au moment du retour à l’engagement dans le rassemblement. Mon corps, resté à la même place, est encore présent, mais il a perdu la modalité dans laquelle il était : il est désaccordé. Les instants suivants doivent recomposer avec ce qu’il se passe autour et je repars comme à zéro. Le phénomène ressenti, qui a été l’objet d’une tentative de suivi, est oublié sur le moment, il n’est plus suivi, mais quelque chose de nouveau est là, un phénomène à suivre…

La seconde conséquence a trait à la constitution d’une nouvelle relation. Le moment partagé continue d’être porté même si nous ne sommes plus proches spatialement ou engagés au sein d’une discussion. Nous ne sommes plus tout à fait des inconnu·e·s l’un pour l’autre, mais (au) présent(s) les un·e·s avec les autres. Entre ces lignes et ces corps tournés vers la scène, il y a des liens qui se tissent par des activités visuelles et expressives qui maintiennent ainsi ce qui a été vécu comme un rapprochement éphémère et qui se perpétue autrement, silencieusement et avec d’autres voies. De quoi s’agit-il ?

II. Accepter les phénomènes : l’épochè et ses résultats

J’ai suivi ces phénomènes qui viennent à moi : le terrain et l’observation ont donc pris deux mouvements. D’un côté celui de la recherche de l’expérience festive comme participation au rassemblement, au cœur de l’intensité de la piste de danse ; de l’autre, celui de l’observation des engagements latéraux de ces lieux, formant les activités en leur sein. Ou, pour parler avec Pecqueux (2003 : 320), il s’agissait de « séparer ce regard : c’est-à-dire de conjointement dégager un tableau des traits significatifs de la situation et relever des détails particuliers non significatifs d’emblée ». Il fallait prendre en considération les diverses activités comprises comme complémentaires et permettant de produire un « espace de concernement » (ibid : 327) partagé qui ne repose pas uniquement sur l’attention portée à la scène. C’est-à-dire les divers micro-alignements suivant l’attention conjointe et les ajustements réciproques dans la gestion dansante des corps-à-corps, mais aussi les autres activités qui forment des engagements latéraux. L’engagement interactionnel de type discursif (et les liens qu’il instaure) peut ainsi faire partie de « toutes les activités singulières qui se développent dans un espace public latéralement à l’activité principale, celles qui contribuent à lui donner sens et consistance » (ibid : 334). Elle n’est donc pas prise comme étant un élément à sanctionner en situation ou à supprimer pour la recherche, elle fait partie des éléments qui composent l’activité principale, elles sont ancrées dans les ordres endogènes du terrain et sont les activités qui constituent aussi la fête.

Les activités dites « latérales », mais nécessaires pour la création d’un espace de « concernement », ont été accueilli avec une attitude phénoménologique, suivant la méthode de l’épochè

où le sens n’est pas donné, mais réside dans l’indécision d’une non-donation toujours possible […]. Le phénoménologue, comme le praticien, ne présume de rien, ne tient rien pour acquis, et va toujours de l’avant, en laissant ouvertes toutes les portes de l’existence (Depraz, 2012 : 14).

Les portes ouvertes, sans battant, ont fait entrer au sein de la recherche, une multitude de rencontres. J’ai suivi ces diverses demandes sans présumer ou préjuger des implicites qu’elles pouvaient contenir ; accueillir autrui, en tentant de saisir sans interpréter ce qu’il se passe au sein de ces interactions, ne pas prendre les habitudes et les routines interprétatives ordinaires, laisser de côté l’interprétation spontanée afin d’acter une attitude pratique qui privilégie l’arrivée de l’autre, ce qu’il a à dire, à demander, à donner. À force, une telle attitude a permis deux types de relations : le partenariat et le parler-de-soi.

II.1 Le partenariat 

Repartons de la dernière phrase de la première vignette : « Tout au long de la soirée, nos regards se recroisent et nous partageons un ‘quelque chose’ comme un bout de soirée en commun, mais uniquement ponctuel, le temps d’un regard. » Ici, le lien entre cette personne et moi-même n’est pas totalement clair, sans que cette ambiguïté ne pose problème. Face à la scène, nous nous reconnaissons, il n’est plus un participant anonyme pour moi, et inversement. L’échange se poursuit et se transforme sous un mode d’association et de filiation qui rejoint l’engagement principal, celui du rassemblement au sein de la piste de danse, formant alors une qualité relationnelle de partenaire : à distance, mais engagé·e·s dans une même activité.

Cette qualité relationnelle n’émerge pas automatiquement : le passage de participant·e anonyme à celui de partenaire est négocié au cours de l’interaction verbale. Celle-ci s’est faite notamment par l’application même du principe de l’épochè. En effet, parler de rencontre en boite de nuit, c’est inévitablement poser le spectre de la drague ; néanmoins cette interprétation a été suspendue, mise de côté, ce qui a radicalement changé cette forme interactionnelle ainsi que ses conséquences. Cette qualité relationnelle de partenaire émerge au fur et à mesure de l’élimination du spectre de la drague dans les échanges discursifs. En effet, la drague est une forme interactionnelle qui repose sur l’implicite : celui-ci est suffisamment visible et audible pour qu’il soit compris tout en devant se maintenir dans le silence. Elle joue sur la dynamique même des connaissances d’arrière-plan et à tout moment le plan explicite peut se faire valoir comme une possibilité de retrait. Communément, on pense la drague en fonction des finalités auxquelles elles se réfèrent, notamment un rapprochement intime (corporel). Elle est donc le plus souvent évaluée en fonction de l’échec ou de la réussite de l’interaction (l’acceptation de passer à une autre modalité interactionnelle ou non). Par la suspension de cet implicite au sein des échanges, c’est-à-dire en ne le laissant pas dans cet état – soit le contenu explicite est pris comme tel, soit, au cours de la conversation, l’implicite est remonté au niveau explicite – la forme se délite, de même que l’attente d’un horizon d’échec ou de réussite. La qualité relationnelle émerge à la fois de la suspension de la drague et de l’évaluation qui va avec (réussite/échec), elle permet que la relation ne se brise pas une fois l’interaction finie. La drague et son horizon étant éliminés, l’interaction étant réussie, la forme de partenaire est possible.

II.2 Le parler-de-soi

L’attitude phénoménologique au sein des activités latérales avec les participant·e·s a eu une seconde conséquence qui complexifie le suivi des phénomènes jusque dans leurs restitutions. Au sein d’espaces plus propices à la discussion (comme les fumoirs, l’extérieur des boites, les toilettes, le bar, en somme les lieux d’attente, de consommation ou de repos), la même attitude phénoménologique à l’arrivée d’autrui a fait émerger un autre phénomène. En suspendant jugements et prénotions, les interactions ont eu comme finalité un parler-de-soi de l’ordre de l’intime. Mon terrain devenait tout à coup très loquace, mais sans qu’il ne s’agisse de paroles en l’air propres à une sociabilité frivole, les récits ouvraient sur des questions de souffrances, d’intimité et de secrets[3].

Dans ces lieux où la parole est facilitée (par la consommation de substances notamment), outre le dévoilement de soi, le jeu sur les implicites invitait les personnes à proposer aussi de nombreuses interprétations sur ma manière d’être en soirée, renvoyant alors les contenus échangés sur ma personne… En ne posant aucune information sur moi, en rebondissant sur ce que l’autre donne, en n’imposant pas sa volonté et ses interprétations, un des termes de la relation manque et l’autre vient à combler ce manque par ses interprétations. Je devenais alors le phénomène discuté. Si je pouvais en apprendre de plus en plus sur les modalités interprétatives et les projections en situation des participant·e·s en boite de nuit, l’objet de leurs projections était entièrement lié à ma modalité de me comporter et mes notes étaient encombrées de portraits psychologiques constitués par les participant·e·s.

III. Être de la fête

Revenons à présent à notre vignette ethnographique et écoutons un peu mieux la demande qui est faite. En rapprochant les notes de terrain les unes des autres, cette demande de MDMA/ecstasy, ou alors une autre demande tout aussi signifiante, celle de posséder des chewing-gums[4], a émergé à plusieurs reprises. La MDMA a généralement comme effet d’augmenter l’empathie. Cette empathie augmentée fait advenir un vécu des relations plus intenses avec les personnes autour de soi ou qui ont elles-mêmes pris de la MDMA. La fonction sensitive du toucher est décuplée, les vibrations ressenties dues aux sons sont elles aussi démultipliées, autour tout est vu comme « beau », « intense », « subjuguant ». Elle exacerbe les sens et bouscule la perception.

La demande sous forme d’indice des interprétations produites par cette personne n’a pas pour conséquence unique de me faire voir comme « droguée » (ici, comme il s’agit d’un lieu public festif, le comportement peut être pris comme une attitude sous substance psychotrope, certaines excentricités peuvent être comprises et encaissées par le milieu festif [milieu est employé au sens de Berger, 2018] sans qu’il ressorte une situation problématique pour moi ou la recherche). En effet, le rapprochement de l’attitude phénoménologique à celle d’une attitude sous MD montre qu’acter une observation proche des phénomènes et de leurs déploiements en soirée – « pris dans le tissu du monde » (Merleau-Ponty, 2012 : 19) et dans un tissu fait de visibilité – permet, depuis une position externe, de postuler une similarité entre les propriétés de cette posture d’observation et celles induites par cette drogue (l’empathie, la perception, l’intensité, etc.). Ce rapprochement n’est pas une simple erreur d’interprétation de la part des participant·e·s, mais il indique le « mode d’être au monde » empathique de la posture phénoménologique, laquelle me fait être dans cette « attitude réceptive » (Petitmengin, 2010) reçue et comprise par autrui. L’attitude phénoménologique s’accorde avec les modifications comportementales issues de la prise d’une substance psychotrope, du moins dans ce qu’elle dégage et dans le type d’expérience qu’elle permet avec l’environnement : elle permet bien de rejoindre l’expérience esthétique de la piste de danse.

La phénoménologie, dans une application pratique, a permis de rejoindre les multiples engagements qui produisent l’expérience festive de ces lieux. L’ouverture qu’elle propose démultiplie les rencontres, sous forme de partenariats ou de dévoilement de soi. Pratiquée, elle ne tient pas uniquement à une conversion du regard : plus spécifiquement, cette conversion se rend visible sur l’ensemble du corps, par l’attitude (comprise comme droguée), par la place qu’elle provoque dans l’écologie des lieux (la multiplication des partenaires) et la qualité du lien qu’elle permet (le parler-de-soi). En interaction avec les autres participant·e·s, l’attitude phénoménologique rend possible la participation à toute une série d’interactions qui informent et provoquent l’expérience festive. Au cœur de la piste de danse, le lieu devient de plus en plus dense, les corps tout autour deviennent des individus qui ont des noms, des histoires, ces rencontres déplacent le regard. Les récits transmis ou les discussions rendent directement compte du fait

que les instants décrits cristallisent d’autres expériences, articulées à d’autres temporalités, qu’ils traduisent au présent […comme ici :] le temps biographique et l’expérience d’autres soirées musicales, le temps quotidien dans lequel s’insère l’expérience de la fête (Debruyne, 2015 : 75).

L’espace entre les corps se charge d’histoires, de récits, d’un sens extra-local, sans pouvoir rattacher ces expériences diverses aux descriptions. Mon expérience de la piste de danse prenait de l’épaisseur. Comment décrire cette épaisseur sans trahir les paroles entendues, sans en faire une lecture extérieure des événements qui se produisent ? Comment retrouver l’approche des phénomènes par les corps et les sens une fois les récits entendus ?

Il me semblait donc bien toucher du doigt ce qui constitue l’expérience festive sans que cette dernière soit abstraite, mais agencée par une multiplicité d’actions et d’engagements. Néanmoins, avec ces deux années à suivre les phénomènes, je ne pouvais développer une observation systématique sur les ordres endogènes de ces lieux qui demandent à pouvoir établir à plusieurs reprises une observation d’un même phénomène, certes toujours singulier, mais qui demande un niveau de généralité (pour les besoins d’une recherche sociologique). De phénomène en phénomène, il y avait toujours quelque chose à découvrir, propre à la surprise de sortir en boite avec pour seule assurance de s’y engager avec des forces internes et des compétences liées à l’attitude de l’épochè. Perdue dans des phénomènes toujours singuliers (les récits), perdue dans une expérience enchantée de ces lieux (les rencontres heureuses), ne pouvant les exploiter, proche de saisir le vécu de l’expérience festive, mais sans cesse poursuivant ce qui advenait dans les possibles et la latéralité de ces lieux, je me retrouvais avec une somme de récits, d’interactions, des phénomènes qui ne pouvaient trouver leurs voies d’objectivation ni même leurs régularités. La compilation des observations permettant alors seulement de décrire les formes des phénomènes, leurs dynamiques, mais pas leur concrétude empirique…

Au fond, lorsqu’il fallait prendre ces diverses descriptions, je n’étais pas tellement sûre de m’être retrouvée face aux expériences esthétiques et aux activités qui les constituent, mais bien plus face à ou dans une aventure (Simmel, 1989), où les forces internes s’allient avec le hasard des rencontres permettant, chaque soirée, de se déplier dans sa propre singularité, rejoignant un peu trop « l’humanité ». Il me semblait devoir fournir un effort d’observation supplémentaire où je devais me montrer moins impliquée et donc sortir de l’attitude phénoménologique.

IV. Faire la fête : voir l’ordinaire

Vignette n°2. Cahier de terrain, Le Vaudois, Lausanne, novembre 2018, vers 1h

Nous sommes quelques ami·e·s à nous être retrouvé.e.s dans la même boite. N. et moi venons d’arriver et nous rejoignons nos connaissances. Ensemble, mais en ligne, nous dansons tranquillement, quelques mouvements de tête et balancement des épaules, tout en échangeant de temps en temps quelques paroles et rires. Assez éloignés de la scène, nous avons une vue globale des personnes qui composent la soirée. Prise dans la joie d’être avec elles et eux, je profite de cette occasion pour laisser librement mon regard parcourir ce qui se trouve devant moi, retrouver un peu cette fête… Je tente de voir par-dessus ce qui se trouve au plus proche pour approfondir cette vue d’ensemble. Un mec se tourne plusieurs fois de 180° et se retrouve ainsi face à nous. Il est avec trois autres personnes et ils forment en demi-cercle.

Voyant ses nombreux retournements effectués et les regards tournés sur notre groupe depuis un petit moment, j’évite de porter mon regard vers lui. Il continue. Je me ferme, l’insouciance de pouvoir regarder se réduit, je sens ma mâchoire se contracter, mon regard se visser à la scène, la regarder intensément, tout en sentant mon attention prise par les mouvements de celui en face. En alerte, ma vision périphérique activée, je le vois faire quelques mouvements tout en s’approchant. Il se plante finalement face à N. et moi. À présent, détourner les yeux devient impossible, je devrais me retourner de 180° et regarder le mur. Je maintiens mon visage fermé, regard sans expression, bouche sans sourire, tête penchée sur l’épaule droite, aucun signe ne portant vers l’engagement. Il s’approche toujours gentiment avec un sourire et me dit : « C’est pas parce que tu as mis un col roulé que tu dois tirer la gueule ». Sourcils en l’air, abasourdie, je le rembarre.

IV.1 L’attitude phénoménologique comme breaching experiment

Cette maigre interaction visuelle fait ressurgir dans ces lieux une expérience bien plus générale, extra-locale : l’expérience du genre dans l’espace public. Je sens que j’active des stratégies passées, pré-réfléchies, qui consistent à éviter les rencontres ou les « gros lourds » – selon les catégories endogènes du terrain. Je renoue à ce moment avec une expérience sociale routinière, celle d’être prise, emprise et comprise, dans une catégorie et les conséquences émotionnelles et perceptives qui vont avec. Loin de l’ouverture à autrui et la suspension de jugement, se forment alors des interprétations et des projections en situation. Des projections qui se constituent à partir d’un comportement visible : des rotations de 180°, des retournements qui brisent les aménagements du rassemblement et qui rendent visible un agir, une volonté. Plane alors le potentiel de sa venue vers notre groupe, devenu un groupe cible selon l’orientation que prennent ses rotations corporelles. Je suis le phénomène de l’intérieur : mes muscles qui se tendent, ma mâchoire qui se contracte, le spectre de ma vision oculaire qui se rétrécit, mon attention entièrement prise dans l’évitement, la surveillance que je m’impose sur la production de mon apparence. Ce phénomène donc, cette production d’apparence vécue depuis l’intérieur, en observation de mon propre centre perceptif, je le vis comme un retour, retour d’une expérience de l’espace public que je n’avais plus, que l’attitude phénoménologique m’avait faite oublier. Un phénomène typique, mais vécu cette fois-ci dans toute sa dimension événementielle. Je me trouve étrangère dans mes propres habitudes retrouvées et je saisis l’implication de ces dernières : une meuf ne peut pas regarder en boite de nuit.

Face à cette expérience surgie de cette occasion sociale[5], une conséquence bien plus générale de la phénoménologie appliquée en boite de nuit apparait avec toute son acuité. Ces deux années ont permis de rendre étranger un terrain familier par l’adoption d’une posture d’observation qui ne repose pas seulement sur l’ouverture perceptive et le suivi du phénomène tel qu’il apparait et se déploie, mais aussi sur une modalité de se comporter qui dénaturalise et efface les réflexes et routines ainsi que les conséquences qui les suivent. L’attitude phénoménologique a été une voie et une méthode pour acquérir un accès à l’ordinaire, lequel ne se dévoile pas si facilement. Selon Laugier (2011 : 69), l’ordinaire ne se perçoit pas sans une certaine dose d’étrangéité, il ne se saisit qu’à l’intersection du familier et de l’étranger. Ainsi, l’expérience de deux années d’observation phénoménologique en boite de nuit peut être saisie comme une forme de breaching experiment, où je me suis moi-même fait prendre. Le breaching experiment est une expérimentation mise au point par l’équipe de Garfinkel afin de soulever les routines en déstabilisant les structures des activités quotidiennes. Les routines et habitudes se rendent visibles par l’ajout de variables qui provoquent un déséquilibre dans une situation. Néanmoins, cette forme de breaching experiment ne se donnait pas à saisir tant que l’attitude phénoménologique était actée. La raison tient au fait que les conséquences de ce breaching experiment avaient des formes heureuses d’interactions – plus difficile à saisir, à décrire et à conceptualiser que celles qui provoquent colère, embarras, honte, indignation et malaise (émotions recherchées dans les dispositifs expérimentaux produits par l’équipe de Garfinkel) – qui étaient conformes aux attentes de la situation. La situation n’était donc pas tant déstabilisée qu’amplifiée. Ce breachingexperiment a donc produit un changement dans les précédents dans l’enquête, pour reprendre les termes de Quéré (2004b). Les observations précédentes s’accumulent pour constituer une nouvelle expérience globale des boites de nuit, cette dernière est devenue l’arrière-fond expérientiel qui permet un regard sur les routines et l’ordinaire, c’est-à-dire qui les rendent perceptibles et visibles. Le retour dans des conditions de participation ordinaire, le fait d’y aller pour partager un moment avec un groupe d’ami·e·s, de vouloir regarder simplement depuis le lieu où le groupe a pris place, de me plonger à nouveau dans une situation sociale désirée soutenue par une motivation personnelle, fait émerger les ethnométhodes propres à la participation d’un rassemblement qui n’est pas uniquement festif, mais aussi public. Des ethnométhodes qui étaient avant « vues [ou vécues] sans qu’on y prête attention » selon la célèbre formulation de Garfinkel (2020 : 99).

IV.2 L’allure et la catégorie

Revenons à notre seconde vignette ethnographique et à ce que ce breaching experiment a permis. La vignette entrecroise à la fois un suivi du phénomène, de son déploiement ainsi que l’émergence d’une catégorie endogène. La description se retourne vers l’intérieur, elle suit le regard qui se détourne de l’environnement ; malgré ce champ perceptif réduit, quelques traces d’interactions avec l’environnement demeurent. L’observation oculaire ne peut en effet pas suivre des yeux « ce qu’il se passe » puisque mon comportement vise à éviter que quelque chose arrive. Prenons donc les quelques traces qui préfigurent l’événement. Il est bien question d’une allure, pour reprendre le concept de Stavo-Debauge (2021) : une certaine forme qui se phénoménalise en situation et dont nous pouvons décrire les mouvements, les gestes et le rythme. C’est une présence assez rigide au centre des mouvements des autres. Elle se rapproche de la forme d’un centre rotatif. La circulation du regard est visible sur l’ensemble du corps, puisqu’elle ne se contente pas de le balayer avec la rotation oculaire, mais avec l’ensemble de ses rotations possibles, tête et corps compris. L’allure en question se phénoménalise dans une forme verticale et rigide ; ses retournements, tête, buste et corps faisant bloc. Elle est perceptible par son détachement du fond, son agir se voit par son désengagement vis-à-vis de son ambiance proche et/ou générale. De par son orientation, elle brise l’ordre endogène issu de la gestion de la coprésence [encadré n°2].

Néanmoins, on ne peut encore saisir sa visibilité et l’émergence de l’attention sous la modalité de la méfiance si on reste « en deçà de la catégorisation » (Stavo-Debauge, 2021). L’allure ici ne devient objet d’attention qu’en prenant en compte le potentiel qu’elle laisse planer. C’est un possible qui se matérialise, un phénomène qui n’est pas encore, mais en voie de devenir. Ce possible, la venue de ce celui-ci, ne se laisse pas saisir sans les catégories d’appartenances qui constituent le caractère menaçant. La catégorie est bien immédiate, même si elle s’appuie sur des impressions sensibles, « la perception est déjà en avance sur elle-même, constituant le vu selon des schémas habituels » (Al-Saji, 2017 : 61). Je ne vois et ne suis pas ici des gestes et des mouvements qui se déploient, mais ces derniers sont directement lus aux prismes d’une lecture genrée de la situation, l’émotion, l’allure et la catégorie advenant dans un même moment.

La perception de l’allure et des propriétés sensibles sur lesquelles elle repose n’est pas située avant ou après les processus de catégorisations : il s’agit de deux modalités différentes d’accès et de constitution de la situation et de l’expérience. En accord avec le fait que nous ne percevons pas des catégories, il reste que la constitution du vu en fonction de l’action à entreprendre (ici l’évitement) et de ce qui est vécu peut résonner en termes de catégories, dans le cours même de l’arrangement du corps-à-corps, c’est-à-dire dans le processus même de constitution de la situation. Le genre fait ici office de cadre primaire (Goffman, 2009). Si l’allure a été indice d’une menace, son caractère menaçant se constitue depuis l’arrière-fond expérientiel de multiples situations extra-locales, où

ce que les gens font, ils le font en réaction à, et en fonction de ce qui s’est passé jusque-là ; chaque action à venir, en tant qu’elle est concertée avec celle d’autrui, se prolonge et se projette dans le futur […]. La structure sociale se dissout dans la réciprocité des actions, qui à l’horizon de l’histoire, ponctuent l’interaction en cours (Smith, 2018 : 121 et 124).

La catégorie genre permet de coordonner des actions entre personnes, elle est le principe qui agit dans la vignette descriptive et la perception est court-circuitée par les habitudes héritées qui constituent le vu, la situation et l’expérience. L’allure ne peut que refaire surface en tant que telle si on arrête et on laisse hésiter notre perception, permettant ainsi à « la coïncidence apparente entre les façons habituelles de voir et le visible [d’être] décentré » (Al-Saji, 2017 : 61). Entre l’allure et la catégorie, ne se joue pas un avant/après ou un dessus/dessous, mais une différence de modalité d’approche, de perspective choisie, ou des expériences générales qui informent la perception et constituent la situation.

Ainsi, en suivant les phénomènes en condition ordinaire, mais avec un arrière-plan phénoménologique, on est amené à comprendre quand, comment et pourquoi les personnes en viennent-elles à lire le monde avec des catégories génériques et au moyen de schémas classificatoires[6] ; et comment cette lecture s’actualise dans des corps, des mouvements et des rythmes. Nous pourrions aussi revenir à la phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty, en faisant advenir cette expérience comme étant le « retour du corps vu » et l’abandon d’une posture qui se faisait « corps voyant » ; rejoignant ainsi les caractéristiques d’une épochè qui communique avec la « puissance d’étonnement » sans jamais résoudre le caractère problématique de l’être au monde (Bimbenet, 2001). Néanmoins, toute la difficulté serait alors de penser une méthode phénoménologique qu’il faudrait abandonner (quand ?) pour renouer avec l’expérience du corps-vu, ou prendre en compte des catégories de sens commun et des pratiques communes comme objet d’investigation premier, ce qui nous ferait retomber dans les impasses et erreurs décrites en introduction (Quéré, 2004a, 2004b). Il est peut-être plus avantageux de revenir aux boites de nuit comme lieu public et de proposer une observation qui puisse rendre compte des asymétries au sein de la gestion de la co-présence et des configurations perceptives qui préservent la stabilité de ces asymétries sans qu’elles ne soient occultées par une attitude parfois trop ouverte.

V. Éviter, oublier des phénomènes et déstabiliser des ordres

Cette expérience ordinaire plus générale dans la vignette n°2 de ne pas vouloir rencontrer quelqu’un, de se retirer des occasions et d’amoindrir les opportunités renvoie aussi à une propriété de l’attitude phénoménologique qui ébranle les apports qu’elle peut avoir en sociologie. La suspension de la volonté, des jugements et des prénotions ouvre et invite à la rencontre heureuse. L’épochè est en elle-même une condition de félicité pour tout événement. L’épochè traduite en une attitude pratique et visible déstabilise « l’inattention civile »[7]. Pour Joseph (1997 : 137-138), à la suite de Goffman, l’inattention civile et son processus constituent « la forme élémentaire par laquelle les participants pourront contrôler leur perception mutuelle et leur disponibilité à l’engagement ». La participation et l’engagement produits par l’épochè suspendent non pas la perception mutuelle, mais le « contrôle » sur la « disponibilité à l’engagement ». En ôtant cette fonction, elle transforme alors l’ouverture même et les conditions d’interactions. Elle transforme la perception de l’espace et du rassemblement en ne laissant pas la possibilité de « préserver cette distance à l’engagement » (Joseph, 1995 : 27) nécessaire dans la possibilité même de la tenue des rassemblements.

La fonction socialisante de cette forme ‘pauvre’ d’interaction [l’inattention civile], à la limite de l’évitement et de la rencontre, s’explique d’abord par les conditions générales de la vie publique de nos sociétés […]. [L]a proximité est une mise à l’épreuve des conventions disponibles, notamment en matière d’ouverture et de signe d’hospitalité : elle produit naturellement du malaise dans les interactions et rend problématique et vulnérables ces unités sociales élémentaires que sont les rencontres (Joseph, 1997 : 138).

Cette forme pauvre est amputée de l’un de ses pôles, celui de l’évitement. L’épochè diffère donc fondamentalement des règles et des attachements propres aux rassemblements et occasions sociales. L’attitude actée en situation prend en charge l’entièreté du pôle de l’accueil en suspendant celui de l’évitement. Elle aménage alors un espace relationnel où les tensions constitutives de l’espace public disparaissent, les rencontres ne sont ni problématiques, ni vulnérables, ni source de malaise.

En suivant cette voie, dans sa modalité et son déploiement avec autrui, en supprimant le caractère vulnérable de toute interaction sociale, l’attitude phénoménologique permet un lien sûr, fort et sans risque (dont le dévoilement de soi peut être une conséquence). Elle amoindrit les risques pour les actions et les interactions en situation. Les conditions ainsi que les compétences mêmes qu’elle demande et la qualité des liens qu’elle permet modifient profondément les modalités d’engagement dans l’interaction pour soi et pour autrui. En situation, autrui est toujours en sécurité, le désaccord qui doit toujours être possible entre « la façade projetée » et le « soi réel » est lui aussi suspendu (Rawls, 2002 : 137). Celui qui agit ne se compromet pas, il ne peut se tromper. Comme le dit Laugier, « à l’origine d’une action inadéquate (légèrement, ou tragiquement) il y a un manque d’attention, une perception erronée : on passe à côté de l’aventure » (Laugier, 2011 : 82). Avec l’épochè, impossible de passer à côté de l’aventure. Le phénoménologue en action déploie des compétences pour accueillir l’autre : il ne peut donc voir chez l’autre un manque d’attention, l’autre ne peut avoir une perception erronée puisque la recherche même a pour point de départ et de finalité de percevoir ce qu’il advient, n’étant dans la situation que pour observer, sans finalité dictée par des schèmes interprétatifs et sans postuler la défense d’une « façade projetée » ou d’un « soi réel ». L’ordre de l’interaction est ainsi déstabilisé. Les interactions concrètes se déploient en diminuant leur caractère prédictible et privilégient ainsi la contingence, l’imprévisibilité et les futures impossibilités pour repérer les régularités…

Au terme de ce parcours, je voudrais revenir une dernière fois sur les deux vignettes ethnographiques et modérer mes propos sur les conséquences de l’adoption d’une méthode phénoménologique en boite de nuit. Si nous reprenons rapidement nos deux vignettes, ce n’est pas n’importe quelle observation qui est rendue impossible : il s’agit de l’observation oculaire, c’est-à-dire l’usage de la vision et du regard dans sa platitude concrète. Que mon attitude phénoménalise une ouverture ou une fermeture, une même régularité émerge de mes descriptions : celle d’une entrave au cours de l’observation. Prise comme telle, et non plus comme l’émergence d’un nouveau phénomène à suivre, il est possible de décaler la question de recherche et le regard sur les notes ethnographiques ; et de constituer des données.

En reprenant l’ensemble de mes descriptions, le traitement analytique des données pouvait se faire sur les moments, les agencements et les divers changements d’engagements au sein des lieux (groupe d’ami/rassemblements, prise dans l’expérience danse/déprise, unité véhiculaire/rassemblement, etc.) qui devenaient alors tous et toutes des infimes instants spatio-temporels qui ouvraient à la rencontre et dont le regard reste alors une composante majeure. Les boites de nuit devenaient alors un perspicuous setting (Garfinkel, 2002), un contexte malin selon la traduction d’Ogien (2011), pour analyser les rencontres comme « formes d’activités » qui s’accomplissent, se phénoménalisent avec des corps et des regards qui sont soumis à des obligations d’engagement et accomplis avec des habitudes extra-locales, ce qui implique quantité de compétences attentionnelles, interprétatives et pratiques en situation.

Conclusion

Au terme de ce parcours qui voulait retracer les conséquences et les implications d’une approche phénoménologique en boite de nuit, il apparaît qu’une observation de type phénoménologique en contexte festif, répondant au principe de l’épochè, ne peut que suivre des phénomènes heureux et occulter toutes les stratégies sociales et les apparences créées qui tentent d’éviter que certaines choses arrivent. La suspension des jugements et des projections ainsi que la liberté dont jouit le·la phénoménologue conduit à déséquilibrer les interactions publiques qui s’y déroulent. L’accueil sans jugement, la suspension de sa volonté, la strate expériencielle de la réception, en somme la réceptivité accrue de l’épochè transforme la participation aux interactions et permet parfois des phénomènes improbables. Elle ne peut être la voie unique pour une recherche sociologique. Néanmoins, cette attitude a été dans mon trajet une manière d’accéder aux possibles présents dans toute situation sociale, d’ouvrir sur des phénomènes dont l’existence ne pouvait être déduite ou anticipée : cette expérience est devenue un nouvel arrière-plan depuis lequel voir l’ordinaire – les précédents de l’enquête s’en sont bien trouvés modifiés.

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[1] Ou comme au sein des nombreuses évocations de cet exemple de la file d’attente de la part de chercheurs en ethnométhodologie (Quéré & Terzi, 2013 : 12).

[2] BPM est une abréviation pour indiquer le nombre de battements par minute, c’est une mesure qui donne le tempo de la musique.

[3] La position d’observatrice n’étant pas toujours dévoilée à chacune des interactions, l’écoute de l’autre a le plus souvent primé sur l’enregistrement des tours de paroles et l’attention sur l’émergence du phénomène… Pour des raisons éthiques, impossible de décrire ses conversations dans tous leurs détails.

[4] Le chewing-gum est amplement consommé suite à une prise de MDMA ou d’ecstasy. Un des effets de ces psychotropes étant la contraction des muscles de la mâchoire, le chewing-gum devient un allié utile pour éviter les douleurs dues à ces contractions. Parmi d’autres effets indésirables, la MDMA assèche la bouche et demande alors une grande consommation d’eau (un autre indicateur).

[5] J’utilise ici occasion sociale au sens goffmanien comme étant une « unité socio-psychologique plus large et qui fournit le cadre de référence dans lequel prend place l’engagement » (Goffman, 2013 : 204).

[6] Je tiens à remercier chaleureusement Marc Breviglieri pour ses précieux conseils, ainsi qu’Audran Aulanier pour l’ensemble de nos échanges autour de cet article qui se sont poursuivis depuis le colloque « Comment décrire les phénomènes sociaux. Autour des rapports entre enquête sociologique et pratique phénoménologique », qui a eu lieu les 4 et 5 novembre 2021 à l’EHESS.

[7] « Une première personne donne à une seconde suffisamment d’informations visuelles pour lui montrer qu’elle a reconnu sa présence (et cette dernière admet ouvertement l’avoir vue), mais l’instant suivant, elle retire son attention afin de signifier que cette seconde personne ne constitue pas une cible particulière de curiosité ou ne fait pas partie de ses plans » (Goffman, 2013 : 74).

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