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Quel équilibre pour une politique libérale du logement ? Réflexion sur l’acceptabilité des politiques de lutte contre la cherté des logements à partir de l’exemple français

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Marc Goetzmann. Maître de conférences au département Droit-Langues de l’Université de Tours. Laboratoire ICD.

Résumé

Cet article a pour but d’évaluer l’acceptabilité de mesures telles que celles prises en France et dans la ville de Paris, qui visent à lutter contre la cherté des loyers dans un cadre libéral, c’est-à-dire valorisant l’autonomie individuelle. Ces mesures ne peuvent être que limitées dans leur portée comme dans le temps. En effet, les contraintes spécifiques du milieu urbain dense et à fort patrimoine historique peuvent rendre nécessaires de telles pratiques, à la condition expresse qu’une politique de densification urbaine à long terme soit mise en place. La politique de densification de la ville de Paris peut alors être vue comme le résultat souhaitable d’un arbitrage, mené dans la continuité du contractualisme de T. Scanlon, entre les intérêts des propriétaires existants et ceux des locataires ainsi que des propriétaires potentiels.

Mots-clefs : logement, ville, Scanlon, contractualisme, propriété

Abstract

This paper evaluates the acceptability, within a liberal and pro-autonomy framework, of policies aimed at making housing more affordable, taking the example of France and of the city of Paris. I argue that these measures can only be limited in time and scope. As a matter of fact, the specific constraints of dense and historical urban environments may make such limitations necessary, but only in so far as urban densification remains the long-term goal. Following Scanlon’s contractualist method, I show how specific policies implemented by the city of Paris are the result of a justifiable balancing between the interests of existing landlords on the one hand, and of tenants and potential landlords on the other.

Keywords: housing, city, Scanlon, contractualism, property

Pour citer cet article: Goetzmann. (2023). Quel équilibre pour une politique libérale du logement ? Réflexion sur l’acceptabilité des politiques de lutte contre la cherté des logements à partir de l’exemple français. Implications philosophiques.
doi.org/10.5281/zenodo.7605732

Introduction

La thématique du logement concentre régulièrement l’attention des politiciens, qui semblent presque unanimement s’accorder sur le besoin de « corriger » les « abus » du marché. Ainsi, les diverses réformes se sont accumulées lors de la dernière décennie, en France comme ailleurs, avec pour but de lutter contre l’augmentation constante des loyers dans certaines zones. C’est notamment le but des lois dites ALUR de 2014 et la loi ELAN de 2018[1]. Pourquoi insister autant sur la possibilité, pour les individus, d’accéder au logement et à la propriété dans des villes apparemment déjà trop denses ? C’est du fait même de cette densité que la ville est synonyme d’opportunités et, à la fois, de la hausse continue des prix pour accéder à un espace limité. La densité de la ville est donc à la fois ce qui fait sa valeur, ce qui produit la diversité qui fait d’elle un espace d’opportunités et, paradoxalement, ce qui rend son accès exclusif.

C’est cette même densité pleine d’opportunités qui rend la ville essentielle pour une pensée libérale qui met l’accent sur l’autonomie des individus et leur capacité à être les auteurs de leur propre vie. C’est en sens qu’il existe une version libérale du « droit à la ville » (King, 2019). Néanmoins, cet attachement du libéralisme à l’autonomie est aussi lié à la faveur qu’il donne au marché comme processus de réalisation des préférences, le même marché qui donne lieu à une compétition acharnée pour accéder à la valeur de chaque mètre carré et qui rend la ville exclusive. Les contradictions internes se multiplient lorsque l’on considère aussi l’attachement des libéraux à la liberté de contracter ainsi qu’aux droits de propriété. Le libéralisme est alors accusé de soutenir une utilisation « abusive » des droits de propriété, dont la multiplication des locations de meublés touristiques et à la hausse constante des loyers ne sont que deux manifestations particulièrement choquantes.

Or, la compétition pour l’accès au logement fait que les prix des loyers comme de l’immobilier excluent de nombreux locataires et propriétaires potentiels. Inclure ces individus paraît non seulement être le fondement même de la ville et de sa valeur, mais c’est aussi ce que cherche à accomplir une théorie libérale centrée sur l’autonomie individuelle. Il lui faut toutefois, pour demeurer libérale, rester attachée à l’existence d’un marché du logement privé, à la liberté contractuelle et à l’existence de droits de propriété. C’est sur ce constat que se fonde le mouvement « libéral », particulièrement actif aux États-Unis ainsi qu’au Royaume-Uni, qui met en avant la nécessité de densifier la ville[2]. Pour ce faire, il s’agit alors de contrer certaines logiques clientélistes qui donnent à la voix des propriétaires existants une trop grande portée politique. Ce mouvement voit dans l’assouplissement des règlementations de zonage urbain la clef d’une densité urbaine réconciliée avec elle-même, parce que non exclusive. Il s’agit aussi d’une solution simple qui n’implique pas de limitation directe des droits de propriété des propriétaires existants, mais uniquement de réduire leur pouvoir politique au profit de propriétaires et locataires potentiels.

Cette solution a le grand mérite de révéler les conflits d’intérêts sous-jacents à l’équilibre créé par les régulations sur l’utilisation de l’espace urbain. Néanmoins, le contexte spécifique de grand nombre de grandes capitales européennes montre ses limites pratiques. D’une part, l’équilibre politique et démocratique n’est pas en faveur de tels bouleversements dans des villes qui fondent une large partie de leur attractivité sur le tourisme historique et la conservation du patrimoine. D’autre part, l’espace urbain des villes européennes est parfois déjà extrêmement dense. Le densifier davantage ne peut être que le résultat d’une politique modérée, si la solution de détruire des quartiers entiers pour les reconstruire n’est pas envisageable, bien qu’elle puisse être juste socialement. Il s’agit d’autant plus d’un exercice difficile qu’un équilibre doit être trouvé au-delà des seuls intérêts des propriétaires et des locataires : les entreprises, les promoteurs immobiliers ainsi que l’industrie du tourisme ont aussi des intérêts à faire valoir en milieu urbain dense.

Le but de cet article est donc de montrer que la prise en compte des contraintes caractéristiques d’un milieu urbain dense à fort patrimoine historique rend acceptables, dans un cadre libéral attaché au marché et à la propriété individuelle au nom de l’autonomie, des mesures affectant de façon limitée les droits des propriétaires. Pour ce faire, je m’appuierai principalement sur le contractualisme de T. Scanlon, d’une part en empruntant sa méthode de l’équilibre des intérêts et, d’autre part, en prenant appui sur l’idée que la propriété est à la fois définie et limitée par la promotion de l’autonomie individuelle (section 1). Je montrerai que les mesures qui limitent les droits des propriétaires ne sont justifiées d’une part parce qu’elles ont pour but de limiter les externalités négatives engendrées par leurs comportements et, d’autre part, parce qu’elles ont vocation à être rendues obsolètes par des politiques de densification urbaine à long terme (section 2). Enfin, pour soutenir cet argument et l’ancrer empiriquement, j’explore les politiques du logement récentes menées sur le territoire français et dans sa capitale, Paris, afin de déterminer lesquelles sont justifiées et lesquelles ne le sont pas (section 3).

I. Le contractualisme de Scanlon, d’un point de vue libéral

I.1. Cadre normatif général

La difficulté particulière que représente la densification urbaine provient, comme nous l’avons vu, du fait que les intérêts en jeu sont multiples et qu’ils ont une voix politique forte. Il suffit pour l’illustrer de prendre pour exemple l’un des nombreux collectifs de propriétaires qui s’opposent avec véhémence à la simple élévation d’immeubles déjà existants dans la ville de Paris[3]. Le problème est d’autant plus épineux que les acteurs concernés, donc les intérêts, sont multiples et régulièrement divergents : propriétaires et locataires existants et en devenir, entreprises, associations, promoteurs immobiliers, architectes, etc.

Face à la complexité de ce problème, je me propose d’utiliser le cadre normatif qu’offre le contractualisme de Scanlon, selon lequel les institutions et les droits accordés aux individus doivent être justifiables collectivement (Scanlon, 1998). Il ne s’agit pas de faire un calcul conséquentialiste, mais plutôt de s’interroger, au cas par cas, sur l’acceptabilité, par les individus touchés, des conséquences de l’utilisation effective de certains droits ou de l’existence de certaines institutions. Ce processus de justification cherche alors à atteindre un équilibre entre des intérêts potentiellement divergents. Il s’agit d’un cadre normatif minimaliste qui a le mérite correspondre aux spécificités du milieu urbain, dont le droit est le fruit d’un rééquilibrage constant d’intérêts, rendu nécessaire par le simple principe de la mitoyenneté.

La nécessité de rendre raison des institutions et des droits individuels dans ce cadre est d’autant plus compréhensible que le marché du logement peut être compris, comme tout marché, comme une construction sociale, politique et juridique dont la structure est susceptible de refléter des objectifs collectifs (Dagan et al., 2020). Je considère pour ma part, en suivant Raz (1986), que l’autonomie comme capacité d’être l’auteur de sa propre vie (self-authorship) doit dans ce cadre être une valeur cardinale. Le marché du logement doit promouvoir l’autonomie individuelle et les droits de propriété qui permettent différentes formes d’échanges marchands doivent aussi être structurés en fonction de cet objectif. C’est en ce sens qu’ils sont « libéraux » (Dagan, 2018 et 2019).

Ce cadre normatif, bien qu’il considère que la propriété individuelle a une grande valeur en soi, se distingue toutefois de la confiance qu’accorde un certain type de libertarisme à une propriété individuelle et une liberté contractuelle largement sans frein, en ce qu’il pose comme principe premier le fait que tous les individus voient leur autonomie augmenter et que l’exercice de l’autonomie des uns ne produit pas des dommages inacceptables pour l’autonomie des autres. Des droits de propriété compris comme libéraux en ce sens doivent ainsi répondre généralement à l’objectif de l’accroissement de l’autonomie qui est alors plus un bien public qu’un droit strictement individuel (Raz, 1986, chap. 10). Cela signifie qu’une perspective libérale sur le logement cherche à concilier deux objectifs potentiellement en tension : minimiser les interventions sur le marché tout en évitant de laisser les droits de certains (ici, les propriétaires existants) porter trop grandement atteinte à l’autonomie des autres (les locataires et propriétaires potentiels).

I.2. L’argument de Scanlon

Why Does Inequality Matter? de Scanlon (2018) consacre un long passage à la question du marché immobilier et du logement[4]. Le livre lui-même, suivant le paradigme contractualiste défini dans What We Owe Each Other (Scanlon, 1998, chap. 5), se focalise principalement sur les objections que les individus peuvent adresser à l’encontre des inégalités. Deux formes générales d’inégalités sont pertinentes pour le marché immobilier et locatif : celle qui donne aux plus riches un pouvoir disproportionné sur ceux qui ont moins et celle qui sape l’égalité d’opportunités économiques (Scanlon, 2018 : 8). De « simples » politiques redistributives peuvent corriger ces inégalités et leurs conséquences et viennent compenser, depuis l’extérieur, les effets négatifs que la propriété de certains individus peut avoir sur d’autres.

Néanmoins, l’argument de Scanlon diffère lorsqu’il s’intéresse en particulier au marché immobilier et locatif et se concentre davantage sur l’utilisation que les individus peuvent faire de leurs droits de propriété. En effet, la justification propre aux droits de propriété tient, selon Scanlon, dans la façon dont ils « servent » et « protègent » des « intérêts importants » (Scanlon, 2018 : 107-108). Ces intérêts, protégés spécifiquement par les droits de propriété, se résument à l’importance d’exercer un « contrôle stable » sur des « objets » qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs individuels de chacun (Scanlon, 2018 : 106). Il ne s’agit pas alors d’un critère normatif qui s’appliquerait aux droits de propriété comme une forme de contrainte externe, mais bien de leur critère interne de justification. Ce critère structurant pose des conditions à l’exercice des droits de propriété et notamment du droit de transférer ses biens (Scanlon, 2018 : 107). Si chacun de nous peut avoir besoin d’exclure les autres de l’utilisation de « l’espace dans lequel nous vivons » et des objets dont avons besoin pour « mener notre vie », cela ne veut pas dire que nous ayons un droit absolu sur nos biens puisque « me donner ce type de contrôle pourrait être incompatible avec les raisons que les autres ont de mener leursprojets à bien » (Scanlon, 2018 : 108).

Les droits de propriété sont en effet justifiés s’ils permettent à chacun d’être l’auteur de sa propre vie, ce qui permet de limiter les droits de certains pour éviter que d’autres se retrouvent privés d’opportunités de façon substantielle. Plus précisément encore, le marché immobilier et locatif a une raison d’être essentielle à l’autonomie des individus : il donne la possibilité de choisir où vivre, et ce choix doit aussi impliquer le corrélat de pouvoir exclure les autres de cet espace. Ce choix est réalisé par un marché qui permet aux individus de vendre, d’acheter ou bien de louer des biens et de réaliser ainsi leurs préférences individuelles au gré de leurs objectifs de vie (Scanlon, 2018 : 111).

I.3. Scanlon contre lui-même

J’estime néanmoins que Scanlon ne tire pas réellement les conclusions qui découlent de ce paradigme. Il se concentre en effet principalement sur la façon dont la taxation, notamment de la plus-value lors des transferts de propriété, permet de mener des politiques redistributives qui viennent corriger les conditions d’arrière-plan (background conditions) du marché plutôt que d’en redessiner la structure. Cela paraît clair dans la destination que Scanlon donne aux impôts sur la plus-value provenant de la vente de biens immobiliers (Scanlon, 2018 : 112) : le financement du logement social ainsi que la garantie d’un revenu universel, requis pour rendre le marché « justifiable » (Scanlon, 2018 : 113). Pourtant, le cadre normatif posé par Scanlon permet, selon ses propres dires, de « contrôler » les « externalités négatives » (2018 : 113) créés par l’absence de restriction de l’utilisation des droits de propriété. Scanlon se contente toutefois de recommander la fourniture d’une couverture sociale extérieure au marché, au lieu d’envisager d’en revoir les règles internes afin que certaines de ces externalités soient évitées. La justice sociale, dans ce cadre, revient à intervenir sur les conditions extérieures au marché, plutôt qu’à structurer différemment les droits de propriété des individus. Dans ce qui suit, j’envisage cette deuxième possibilité en m’appuyant sur le droit français et européen récents qui se focalisent sur de telles externalités, avant de déterminer les conditions de leur justifiabilité. Mon but est de montrer que dans un contexte aussi contraint politiquement et socialement que celui de la ville, il est acceptable, pour lutter contre la cherté du logement, de mener des politiques provisoires de limitation des externalités des actions des propriétaires, à condition que la densification urbaine par la construction privée demeure l’objectif à long terme.

I.4. Un cadre de réflexion élargi

Avant de poursuivre, précisons qu’il ne s’agit en aucun cas de faire table rase du propos de Scanlon. Bien au contraire, je considère qu’il pose les bases d’un raisonnement qui, une fois mené à son terme, fait reposer la justifiabilité du marché immobilier et locatif sur trois piliers, au nom de l’autonomie :

  1. Il faut s’efforcer de faire en sorte que l’autonomie des individus ne soit pas atteinte outre mesure par l’existence d’un marché du logement en prenant soin de protéger celles et ceux qui sont exclus du marché, ce qui justifie par exemple l’existence du logement social, mais aussi d’autres mesures redistributives. C’est la raison d’être de la présence d’un droit égal à l’aide au logement dans le droit fondamental de l’Union Européenne, réaffirmé par dans le jugement du cas « Kamberaj »[5] par la justice européenne (Bernard, 2014). Il s’agit donc de procurer un filet de sécurité aux individus à l’arrière-plan du marché, mesures que les libéraux voire les nouvellement revendiqués « néolibéraux » sont loin de rejeter systématiquement (Cowen, 2021).
  2. En intervenant directement sur la structure juridique du marché, il est possible de limiter les conséquences négatives que l’exercice de l’autonomie des uns impose à celle des autres. Au-delà de la nécessité d’imposer des conditions minimales, comme l’absence de discrimination, on s’intéresse notamment aux externalités négatives que des activités lucratives peuvent avoir sur les non-propriétaires lorsqu’elles réduisent davantage leur autonomie là où la pression immobilière est déjà écrasante. Ce constat contextuel justifie des interventions à la marge sur la liberté que les propriétaires privés ont de disposer de leurs biens, à condition que des politiques de long-terme soient menées pour augmenter l’offre immobilière.
  3. Il est essentiel que de telles politiques promeuvent l’accès général à la propriété, autant que possible par la densification des espaces déjà occupés. Il ne s’agit pas de dire que chacun doive accéder à la propriété, bien au contraire, car la propriété doit être une possibilité réelle parmi un éventail aussi large que possible d’options valables pour les individus. Un libéralisme conséquent recommande ainsi la pluralité des options possibles. En effet, il est possible de multiplier les façons même d’être propriétaires, en augmentant à la fois la quantité et la diversité des options disponibles, depuis la location simple à la propriété en co-propriété, en passant par diverses formes d’habitat participatif, au nom du « pluralisme structurel » (Dagan, 2021).

Dans la section suivante, je m’intéresse particulièrement au deuxième point, que je conditionne à une politique active de densification de la ville, dont je donne un aperçu dans la troisième et dernière partie.

II. Limiter les « externalités négatives » en milieu urbain

II.1. Un raisonnement d’urgence, à la marge

Conservant à l’esprit que le problème est en grande partie un problème d’offre, il apparaît possible, dans un cadre où le prix des logements en vient à saper la valeur même de la ville qui devient trop exclusive, de structurer le marché de manière à réorienter les propriétaires vers le parc locatif à long terme ou bien à occuper leur logement plutôt que de le laisser vacant. On cherche à rendre certaines options moins attractives, pour influencer indirectement l’usage que les propriétaires font de leurs droits de propriété.

Il s’agit alors d’un raisonnement à la marge, motivé par l’urgence qui voit dans le moindre pourcentage de logements placés en location touristique sur Airbnb ou laissés vacants un problème d’autant plus grave que le marché du logement est en tension. On considère donc, selon le point de vue normatif exposé dans la partie qui précède, que l’intérêt spécifique que les individus ont à accéder à la ville pose des conditions à l’usage des droits des propriétaires. Dans le langage économique, on s’attaque alors aux externalités créées par la façon dont les propriétaires disposent de leurs droits. Ainsi, la portée de leurs droits ne devrait pas diminuer de façon disproportionnée l’autonomie des non-propriétaires, à condition qu’il s’agisse de les pousser à opter pour une activité seulement moins lucrative qu’une autre. Dans ce qui suit, j’ai choisi de m’intéresser à des exemples de politiques qui réalisent cet impératif afin de montrer que leur acceptabilité est conditionnée à la fois à la limitation d’autres formes d’intervention comme l’encadrement des loyers et à la promesse d’une densification urbaine à venir, qui implique là encore de limiter les droits des propriétaires existants, mais au nom de propriétaires et locataires potentiels.

II.2. City of Paris v Airbnb

Parmi les pratiques les plus décriées, on trouve l’usage de plateformes de location de meublés touristiques comme Airbnb, dont l’utilisation est accusée, données à l’appui, de provoquer une augmentation significative des loyers dans les zones les plus denses (Garcia-López, et al, 2020). Conséquence, de nombreuses villes européennes ont tenté de limiter l’utilisation de ces plateformes. Du point de vue du droit européen, c’est le cas « Cali Apartments » et la décision de la Cour de Justice (CJ) de l’Union Européenne de 2020 à son sujet, qui valide le raisonnement selon lequel, dans un contexte aussi tendu que celui du marché immobilier des grandes capitales à fort patrimoine culturel, les externalités créés par les locations touristiques à court terme doivent être contrôlées (Bernard et Debroux, 2021 ; Coupechoux et Derdek, 2020). Ce jugement valide ainsi la législation française et son application par la ville de Paris.

L’autorisation de la ville de Paris, obligatoire pour tous les logements loués pendant plus de 120 jours et définie par l’article L. 324-1-1 du Code du tourisme, est conditionnée au respect de règles contraignantes, définies par le Code de l’habitat et de la construction, art. L. 631-7 et L. 631-7-1 selon lesquelles :

  1. dans les « communes du plus de 200 000 habitants » et dans d’autres cas spécifiques « le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est (…) soumis à autorisation préalable ».
  2. cette autorisation préalable peut être « subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage ».

Se saisissant de ces règles, la ville de Paris a fixé ses conditions de compensation, exigeant que pour chaque mètre carré de logement touristique à court terme créé par transformation de logements à long terme, un mètre carré à usage commercial soit transformé en mètre carré de logement à long terme[6].

Ce sont ces règles dont Cali Apartments et HX ont cherché à s’affranchir. Le Tribunal de Grande Instance de Paris les a condamnés dans un premier temps à une amende et à la reconversion des logements en locations à long terme[7]. La Cour d’appel de Paris a confirmé ce jugement en 2017[8], dont les accusés ont fait appel, avant de se pourvoir en cassation. La Cour de cassation a finalement saisi la Cour de Justice d’une question préjudicielle afin qu’elle donne son avis sur la compatibilité des règlementations françaises et parisiennes avec le droit européen[9], et notamment le principe du libre marché défini par la Directive Européenne 2006/123/EC[10].

La réponse de la CJUE a été de rappeler que, selon cette directive, la promotion du libre marché au sein de l’Union Européenne avait pour but de promouvoir un progrès social et économique durable et équilibré, tenant compte de l’intérêt général[11]. Néanmoins, la CJUE a rappelé que certains services comme le logement ne sont pas couverts par cette directive, pour protéger le droit fondamental à la dignité et à l’intégrité[12]. Ce cadre une fois posé, elle considère que les autorités locales peuvent réguler les activités économiques et exiger des autorisations spéciales en particulier dans des domaines tels que le développement et la planification urbaine[13], la protection de l’environnement urbain étant de l’ordre de l’intérêt public selon la jurisprudence de la CJUE[14]. Selon l’art. 10(2) de la directive 2006/123/EC, les autorisations requises doivent être conformes à des critères généraux de justice : être liée à une raison d’intérêt général, être proportionnelle à cet intérêt, ne pas être discriminatoire, la clarté, l’objectivité, la publicité, la transparence ainsi que l’accessibilité.

La Cour a alors jugé la réglementation parisienne comme proportionnée à l’intérêt qu’il y a à préserver le parc locatif à long terme, permettant ainsi de faire diminuer la pression immobilière, puisque la CJUE estime qu’il est prouvé que les locations de meublés touristiques ont un effet significatif sur l’augmentation des loyers[15]. Cette proportionnalité se retrouve dans l’atteinte limitée aux droits des propriétaires de locations touristiques à court terme, puisque, toujours selon la CJUE, « l’obligation de compensation (…) ne prive pas le propriétaire d’un bien (…) d’en retirer les fruits » puisqu’il lui reste possible de mener une « activité certes moins rentable », la location « à laquelle ne s’applique pas cette obligation »[16]. Il s’agit en effet d’insister sur le fait que, là où la pression immobilière est forte et a des conséquences dommageables sur les autres individus membres d’une communauté urbaine, alors il est justifié de limiter raisonnablement le droit des individus à disposer de leurs biens tout en leur laissant l’opportunité de réaliser des profits en menant une activité que l’on considère comme contribuant à l’attrait d’une ville, qui ne peut être réduit au tourisme. Dans le langage de notre cadre conceptuel, il s’agit d’accepter une limitation partielle de la liberté de certains individus au nom de l’autonomie d’autres membres de la même communauté urbaine.

II.3. Une politique contre les « externalités négatives »

D’autres mesures, que l’on trouve aussi dans le cadre juridique français et manifestées à Paris, obéissent à la même logique. Deux ensembles de lois, la loi ALUR de 2014 et la loi ELAN de 2018, sont à considérer en particulier, avec d’autres mesures qui cherchent à maximiser la taille du parc locatif, à minimiser les taux de vacance, ou à inciter les propriétaires à vivre dans leur propre appartement (ou encore à le vendre à d’éventuels propriétaires). Ces mesures se justifient donc principalement dans le cadre d’une forme de jeu à somme nulle, où tout appartement vacant ou loué sur Airbnb priverait un propriétaire ou un locataire d’un logement. Avant de revenir sur les conditions que ce postulat implique, prenons le temps d’examiner certaines des mesures en question.

Deux mesures principales visent à pousser les propriétaires à intégrer les externalités négatives que leur façon de disposer de leur logement imposent à l’ensemble du parc immobilier :

-des impôts spéciaux visent les résidences secondaires ainsi que les logements vacants. Concernant les résidences secondaires, les villes qui le souhaitent et qui sont en situation de forte pression immobilière sont en mesure d’augmenter la taxe d’habitation sur les résidences secondaires de 60% par rapport à son taux normal[17].

-pour les logements vacants, le mécanisme a un but incitatif, et vise spécifiquement ce que l’on appelle les vacances volontaires qui excluent les logements du marché sur le long terme, à distinguer des vacances temporaires qui sont le résultat de « frictions » du marché (Segú, 2020). La première année, le propriétaire est imposé à la hauteur de 12,5% du loyer potentiel qu’il pourrait toucher. À partir de la deuxième année, il est imposé à la hauteur de 25%[18]. Cet instrument a apparemment déjà montré des résultats positifs dans la région parisienne (Segú, 2020).

Néanmoins, toutes les mesures n’ont pas une telle vocation contraignante. D’autres mesures ont pour seul but d’inviter à intensifier l’utilisation de l’espace à des fins de logement de long terme :

-l’occupation temporaire à but d’habitat, qui permet aux propriétaires de locaux vacants temporairement sur le moyen au long terme de louer leurs locaux à des associations qui servent d’intermédiaires entre eux et des populations qui rencontrent des difficultés à trouver un logement[19]. Le mécanisme a aussi pour but d’éviter la dégradation de locaux du fait de leur inoccupation. Le bail d’occupation temporaire a ainsi comme avantage de participer à leur entretien.

-la facilitation de la conversion de locaux commerciaux en locaux d’habitation[20].

-la cohabitation intergénérationnelle solidaire permet à des individus de plus de soixante ans de louer ou sous-louer à des personnes de moins de trente ans tout ou partie du logement dont elles sont propriétaires ou locataires[21].

II.4. Évaluation

Nous n’avons pas encore évoqué d’autres mesures phares, comme l’encadrement des loyers, qui fait partie de la loi ELAN[22]. Avant de l’évoquer, quelques réflexions s’imposent pour évaluer la justification des mesures précédemment évoquées. Les contraintes qu’elles représentent sont ne sont justifiables que dans la mesure où elles demeurent proportionnées à l’intensité de la pression immobilière et à ses conséquences sur l’autonomie des non-propriétaires. Dans la logique de Scanlon, leur intérêt vient contrebalancer celui des propriétaires et limite le droit de ces derniers à disposer de leur bien, au sens juridique le plus strict. L’ensemble des droits d’usages ne sont pas atteints par ce rééquilibrage et le droit aux bénéfices ainsi qu’à disposer de leurs biens n’est limité que marginalement.

La justification de ces mesures vient donc de leur caractère exceptionnel et proportionné. Elles n’ont en effet de sens que dans un contexte très précis, où le parc immobilier ne peut pas être rapidement étendu de manière à relâcher significativement et immédiatement la pression immobilière. Il est acceptable, dans ce contexte, de reconfigurer les droits des propriétaires à la marge. Insistons sur cette dernière clause, tout comme la CJUE insistait sur la proportionnalité des règles d’obtention d’une autorisation pour les locations sur Airbnb. Cette clause peut rendre sceptique quant à la dureté des conditions visant les propriétaires de ces appartements : si la limite de cent-vingt jours paraît acceptable, puisqu’elle correspond à un trimestre d’une « haute saison » touristique, une interdiction complète de l’utilisation de la plate-forme ne paraît pas acceptable. Aussi, permettre aux arrondissements, comme souhaite le faire la mairie de Paris, de placer la barre encore plus bas que cent-vingt jours par référendum paraît peu acceptable, du fait du droit de veto qui est alors conféré à des intérêts très partiels. En échange, toutefois, il apparaît essentiel que les propriétaires de meublés touristiques prennent en charge systématiquement les coûts supplémentaires qu’ils font peser aux copropriétés. Là aussi, les externalités doivent avoir un coût.

Rappelons aussi que le postulat de la réflexion qui précède est celui d’une croissance très limitée du parc immobilier dans l’immédiat. Cela semble impliquer que des plans à long terme existent pour rendre les mesures évoquées aussi peu nécessaires que possible. Favoriser la construction sur le moyen et le long terme est donc essentiel pour l’acceptabilité de telles mesures. Parallèlement, d’autres paraissent moins justifiables dans ce cadre, notamment lorsqu’elles comportent un risque de contraction du marché immobilier, locatif ou à l’achat. C’est pourquoi toute forme d’encadrement des loyers doit être accueillie avec scepticisme, étant donné que peu d’éléments dans la littérature économique passée comme présente permettent de voir favorablement ces politiques[23]. Cela semble d’autant plus logique que l’apparent besoin d’encadrement est provoqué non pas par « l’appétit insatiable » des propriétaires, mais bien par la rareté de leurs biens dans un espace fini mais qui peut encore être densifié.

III. Densification et équilibres d’intérêts

III.1. Surmonter les obstacles à la densification

Une stratégie de long terme doit préférer la limitation de la capacité d’opposition des propriétaires à la densification à leur droit à disposer de leur bien. Une politique de la ville libérale doit donc s’efforcer de promouvoir la densification tout en encourageant la diversité des manières d’habiter la ville. Cette perspective est d’autant plus pertinente qu’elle oppose les intérêts des propriétaires existants à ceux des locataires comme des propriétaires potentiels, plutôt que de se focaliser de façon réductrice sur l’opposition entre propriétaires existants et leurs locataires. Il s’agit alors de limiter l’usage politique que les propriétaires existants font de leurs droits, usage sanctionné par les règles d’urbanisme et le clientélisme politique. En effet, l’activisme des propriétaires existants leur donne une influence considérable dans les processus locaux de décision politique, au point qu’il est extrêmement risqué, pour le maire et ses conseillers municipaux, de s’opposer à leurs volontés. Il s’agit de suivre les enseignements de Buchanan et Tullock et de la théorie du « public choice » (Buchanan et Tullock, 1962) afin de ne pas rester aveugle aux conflits d’intérêts et aux jeux de pouvoir qui influencent le processus démocratique.

Qui plus est, cet arbitrage est mené au nom de la possibilité de devenir propriétaire, sans que le droit des propriétaires existants à disposer de leur propriété ne soit affecté. Au lieu de réduire outre mesure la sphère de contrôle que la propriété confère aux individus, on s’affairera alors à multiplier ces sphères de contrôle. D’autant plus qu’au-delà de la simple question du contrôle et de la non-interférence, le blocage de toute densification par les propriétaires existants est inacceptable au nom de l’intérêt des propriétaires potentiels à être autonomes. Comment les intérêts des propriétaires existants peuvent s’opposer à toute construction nouvelle ou presque, si cela implique de priver tant de propriétaires et locataires potentiels d’accès à la ville et à toutes les opportunités qu’elle représente ?

Néanmoins, n’oublions pas que, dans le cas des grandes capitales historiques, plusieurs contraintes s’imposent à nous : une densité déjà importante ainsi que la nécessaire conservation du patrimoine viennent renforcer l’influence politique des propriétaires opposés à la densification. Aussi, bien qu’il ne s’agisse pas de surestimer l’importance du processus démocratique, il est important que des décisions majoritaires ou provenant des autorités ne puissent pas venir, sans conditions, écraser l’opinion des propriétaires récalcitrants minoritaires.

Dans ce qui suit, je me concentre donc essentiellement sur les aspects de la loi ALUR et d’ordonnances qui permettent de densifier progressivement les villes françaises où la pression immobilière est la plus forte en favorisant les travaux de surélévation. Les mesures en question sont tout à fait modérées : il ne s’agit pas de permettre des constructions massives, ce qui pourrait d’ailleurs tout à fait être souhaitable, mais simplement de rendre possible l’élévation d’autant de bâtiments que possible. Je choisis d’analyser cet ensemble de mesures tout d’abord parce qu’elles sont justifiables dans le cadre normatif libéral de cet article, mais surtout parce qu’elles intègrent les contraintes pragmatiques qui limitent l’application de ce même paradigme (principalement la densité déjà importante et les blocages du processus démocratique). Ainsi, ces mesures gardent un effet minime sur les intérêts des propriétaires existants, tout en servant grandement les intérêts des propriétaires et locataires potentiels. Elles sont le complément nécessaire à la politique d’urgence, centrée sur les externalités négatives, que j’ai évoquée dans la partie précédente. Notons qu’elles ne remplacent en aucun cas d’autres politiques qui permettent des constructions plus systématiques ou encore de multiplier les possibilités d’usage de l’espace.

III.2. Relever le plafond pour ne pas « pousser les murs »

En 2015, la loi ALUR a permis la suppression du « coefficient d’occupation des sols » (COS) et de la densité maximale de chaque parcelle, changement qui n’a pu être intégré par Paris qu’en 2016, et mis en application ultérieurement[24]. Qui plus est, l’ordonnance du 3 octobre 2013 habilite l’autorité chargée de délivrer les permis de construire à déroger à certaines règles des « plans locaux d’urbanisme » (PLU) ainsi qu’à certaines règles de sécurité dans la construction des logements, lorsqu’il est possible d’élever un immeuble de façon à ce qu’il s’aligne avec les immeubles voisins[25]. La ville de Paris a souhaité profiter pleinement de l’évolution du cadre réglementaire national pour se donner l’objectif de construire 10.000 logements supplémentaires par l’élévation des bâtiments parisiens déjà existants. 10% des parcelles pourraient connaître des surélévations[26].

Quel est le rapport entre ce changement législatif et l’objectif scanlonien de produire un équilibre des intérêts entre propriétaires existants d’une part et propriétaires et locataires potentiels d’autre part ? De fait, les limites règlementaires précédentes s’opposant à la surélévation étaient un acquis de la deuxième moitié du XXe siècle, qui consacrait l’intérêt des propriétaires déjà installés, et remettait en cause la tradition de densification permanente des villes comme Paris. La rareté des biens est ainsi fabriquée juridiquement, en donnant un poids disproportionné à l’intérêt de certains propriétaires à exclure d’autres propriétaires et locataires du marché.

Dans l’hypothèse où un immeuble appartiendrait à un seul propriétaire, rendre possible les surélévations et la densification apparaît même comme une extension des droits du propriétaire, qui est encore plus libre de disposer de sa parcelle. C’est à la condition, bien sûr, qu’on ne considère pas comme plus importants les intérêts que d’autres propriétaires voient à l’immobilisme, pour s’assurer de ne pas voir leur vue bloquée, ou bien pour conserver le « charme » d’un quartier. Ce problème redouble de complexité au sein d’un même immeuble, où les copropriétaires sont régulièrement en conflit, d’autant plus lorsqu’il s’agit de surélever un bâtiment.

Il y a donc là un arbitrage à faire entre les intérêts des propriétaires eux-mêmes, mais on voit qu’il est avant tout question de considérer l’intérêt à accéder à la ville des propriétaires et locataires potentiels comme suffisamment essentiel pour qu’il ne puisse être raisonnablement rejeté au nom des intérêts des propriétaires existants, vivant dans les immeubles voisins ou bien co-propriétaires dans un immeuble pouvant être surélevé. Toutefois, le nécessaire équilibrage impose de ne pas non plus nier complètement les intérêts des propriétaires et co-propriétaires existants.

Les changements règlementaires qui facilitent les surélévations me paraissent répondre à cette condition. En effet, alors que l’article 35 de la loi du 10 juillet 1965 sur les copropriétés exigeait l’unanimité pour réaliser toute surélévation, l’article 61 de la loi ALUR ne requiert plus qu’une majorité des deux tiers voire une simple majorité absolue si l’immeuble est situé en zone de droit de préemption urbain, signifiant que les collectivités locales ont un droit de préemption sur la vente des terrains et des immeubles. Qui plus est, les copropriétaires du dernier étage n’ont désormais plus de droit de veto contre la surélévation, mais uniquement un droit de priorité à exercer lors de la cession du droit à surélever par le syndicat de copropriété. Ce cadre règlementaire permet d’éviter que des intérêts minoritaires bloquent tout projet de surélévation, sans pour autant nier que ces intérêts existent, et les protègent de façon raisonnable. Il s’agit d’empêcher l’émergence de problèmes classiques de coopération, ce que la ville de Paris a d’ailleurs compris, en mettant en place un accompagnement des copropriétés, pour mettre en valeur l’ensemble des gains financiers partagés de la surélévation, qui est souvent vue à tort comme comportant des risques de dévaluation de la propriété.

III.3. Quelques mots de conclusion

Si la ville est pleine d’opportunités parce que dense, cette densité est aussi ce qui en exclut. Ce problème est d’autant plus pressant pour les capitales et autres grandes villes du « Vieux Continent », dont la densité déjà importante, combinée à un impératif compréhensible de conservation du patrimoine, impose d’être créatif pour aller chercher chaque logement potentiel dans un espace fini. L’écrasante pression immobilière autorise certaines modifications marginales des droits des propriétaires, à la condition expresse que l’intérêt supérieur des propriétaires et locataires potentiels à être autonomes s’en trouve augmenté. A cet impératif d’équilibrage s’ajoute la nécessité d’agir autant que possible pour densifier une ville déjà dense, en cherchant non pas à en « pousser les murs », mais bien à relever son « plafond ». Pour être acceptables, il faut pouvoir envisager, qu’un jour, les mesures qui pénalisent les propriétaires laissant leurs logements vacants sur le long terme ou qui limitent l’utilisation d’Airbnb puissent être obsolètes. Que cela arrive effectivement sur le moyen ou le long terme est bien sûr souhaitable, mais cet horizon est nécessaire même s’il reste virtuel, et doit s’incarner dans des politiques concrètes, pour rendre acceptable un cadre règlementaire contraignant pour les propriétaires.

Bibliographie

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[1] Loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové et loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.

[2] Leurs nombreuses associations et leurs comptes twitter peuvent être trouvés en cherchant « YIMBY », pour « Yes In My BackYard », par opposition au NIMBY, « Not In My BackYard ».

[3] Voir par exemple l’opposition à l’élévation d’un bâtiment près de la Butte Montmartre à Paris : https://asa-pne.over-blog.com/2021/10/projet-de-betonisation-sur-la-butte-montmartre-riverains-en-colere.html?s=03.

[4] L’ouvrage de Scanlon est en cours de traduction par Victor Mardellat, doctorant de l’EHESS, aux éditions Agone, collection « Banc d’essais », à paraître en 2022. Les traductions que nous utilisons sont les nôtres, l’ouvrage traduit n’étant pas encore disponible.

[5] C-571/10 Servet Kamberaj contre Social Housing Institute of the Autonomous Province of Bolzano (IPES) [2012].

[6] Art. 2 du Règlement Municipal de la Ville de Paris fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation et déterminant les compensations en application de la section 2 du chapitre 1er du titre III du livre IV du Code de la construction et de l’habitation.

[7] Décision du Tribunal de grande instance de Paris, 14 décembre 2015, N° 15/60532.

[8] Décision de la Cour d’Appel de Paris, pôle 1 – ch. 8, 19 mai 2017, n° 16/02954.

[9] Affaires jointes C‑724/18 and C‑727/18 Cali Apartments SCI (C‑724/18) HX (C‑727/18) contre Procureur général près la cour d’appel de Paris, Ville de Paris, ECLI:EU:C:2020:251.

[10] Art. 4, Directive 2006/123/EC de l’Union Européenne.

[11] Directive 2006/123/EC §1.

[12] Directive 2006/123/EC §27.

[13] Directive 2006/123/EC §9.

[14] Affaires jointes C 360/15 et C 31/16, College van Burgemeester en Wethouders van de gemeente Amersfoort contre X BV (C‑360/15) et Visser Vastgoed Beleggingen BV contre Raad van de gemeente Appingedam (C‑31/16), EU : C : 2018 : 44, ECLI:EU:C:2018:44, § 135.

[15] ECLI:EU:C:2020:251, §66-69.

[16] ECLI:EU:C:2020:251. §92.

[17] Art. 1407 ter du Code général des impôts.

[18] Art. 232 du Code général des impôts.

[19] Art. 29 de la loi ELAN.

[20] Art. 28 à 33 de la loi ELAN.

[21] Art. 117 de la loi ELAN.

[22] Art. 140 de la loi ELAN.

[23] L’encadrement des loyers a pendant longtemps été l’objet d’un consensus (rare) chez les économistes, qui le considéraient presque tous comme un exemple classique de politique inefficiente voire contreproductive, puisque limiter les gains pour les propriétaires était considéré comme le meilleur moyen de limiter l’investissement dans le logement et donc de réduire l’offre ce qui aurait pour conséquence logique de renforcer la hausse des prix. Néanmoins, quelques études timides reviennent sur cette condamnation presque unanime, mais elles n’établissent pas non plus le succès éclatant de politiques « raisonnées » d’encadrement des loyers. Voir par exemple Gilderbloom et Ye (2007), David Sims (2007), Autor, Palmer et Pathak (2014), Ambrosius et al. (2015), Diamond, McQuade, and Qian (2019). Ces études insistent sur le détail des politiques d’encadrement, en distinguant notamment des politiques de blocage des loyers et les politiques d’encadrement des augmentations.

[24] Art. 158 de la loi n°2014-366 pour l’Accès au Logement et à un Urbanisme Rénové (ALUR).

[25] Ordonnance n° 2013-889 du 3 octobre 2013 relative au développement de la construction de logement.

[26] Voir le document « Surélever son immeuble », proposé par la Ville de Paris :

https://cdn.paris.fr/paris/2020/02/26/af8e8d163e81af072c5689b78563e927.ai

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