Penser les addictionsune

La logique culturelle de l’addiction alcoolique

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Enjeux théoriques de la cure des Alcooliques Anonymes selon Gregory Bateson.

Julien Claparède-Petitpierre Phier – UCA

Introduction

D’abord anthropologue, puis cybernéticien, Gregory Bateson[1] développe dans les années soixante une théorie de l’esprit qu’il caractérise de « systémique ». Il considère en effet que le comportement des individus n’est pas compréhensible en lui-même, mais seulement lorsqu’il est replacé dans des unités interactionnelles plus larges. Tout comportement individuel est une réponse donnée à une information placée dans une situation précise. Il s’attaque ainsi à l’un des postulats des sciences du comportement qui est trop souvent admis sans autre forme de procès : la pertinence du concept de « soi ». Dans l’article de 1968[2] qu’il consacre au problème de l’addiction alcoolique, il s’intéresse à la thérapie mise en place par les Alcooliques Anonymes (AA). Celle-ci a le mérite de se détourner radicalement des méthodes traditionnelles centrées sur l’individu et sa volonté. Il interprète la réussite de la cure des AA comme la preuve de la validité d’une approche systémique du comportement. Pour Bateson, il n’y a pas de personne alcoolique en soi, ce sont les configurations interactionnelles et culturelles qui sont pathogènes. Penser que tout repose sur la seule initiative individuelle, c’est s’empêcher de comprendre le phénomène.

Malheureusement, cette erreur épistémologique n’est pas seulement dommageable pour le chercheur en sciences sociales, elle l’est également pour la personne alcoolo-dépendante elle-même. En effet, l’idée d’autonomie du soi étant une idée fondatrice de la culture occidentale, elle est ainsi partagée par le chercheur, par le thérapeute, par l’entourage du dipsomane[3] et par ce dernier également. L’exemple des AA montre que lorsqu’une personne dépendante à l’alcool cesse de chercher la guérison selon la modalité de la maîtrise de soi, les résultats sont tout à fait encourageants. Bateson y voit la confirmation de la supériorité d’une description systémique du problème.

Le travail de Bateson va donc chercher à montrer comment une configuration culturelle peut induire le développement des comportements addictifs. Il va également chercher à présenter, à travers l’exemple des AA, comment la modification des prémisses de la culture occidentale peut permettre une cure efficace de l’alcoolisme. L’objectif plus large de Bateson apparaît alors ici : il s’agit de proposer une critique de l’intérieur de la mentalité occidentale en mettant en lumière la dimension pathogène de ses prémisses.

1 Une pathologie culturelle et non individuelle

1)    L’idée de  »soi » : une prémisse culturelle occidentale critiquable

L’une des erreurs de l’analyse traditionnelle de la dipsomanie[4] consiste à croire que c’est l’individu dipsomane qui est malade. En réalité, il faudrait considérer la dipsomanie comme un élément de dysfonctionnement du système culturel auquel appartient la personne alcoolo-dépendante. La preuve qu’entend donner Bateson de la vérité de ses analyses consiste dans la réussite de la cure des AA. Il considère en effet que cette cure procède par transformation des prémisses culturelles. Une fois que les personnes dépendantes ont réussi à s’extirper de celles-ci, leur comportement addictif disparaît. Cela constitue une preuve de l’aspect pathogène, donc erroné, des prémisses culturelles occidentales comme le « soi » ou le « libre-arbitre ». Pour comprendre comment cela fonctionne, il faut d’abord saisir que, dans une culture donnée, l’expérience que nous faisons du monde est intimement liée à la manière dont nous avons appris à le décrire. Ce que nous pensons être le réel, c’est-à-dire notre ontologie, est inséparable des outils conceptuels avec lesquels nous avons appris à en rendre compte, c’est-à-dire notre épistémologie :

Dans l’histoire naturelle de l’être humain, l’ontologie et l’épistémologie sont inséparables ; ses croyances (d’habitude subconscientes), relatives au type de monde où il vit, déterminent sa façon de percevoir ce monde et d’y agir, ce qui déterminera en retour ses croyances à propos de ce monde. […] Il est cependant embarrassant d’avoir à se référer sans cesse d’une part à l’ontologie, de l’autre à l’épistémologie […]. Toutefois, il n’existe aucun mot adéquat pour couvrir la combinaison de ces deux concepts. Les approximations les plus satisfaisantes seraient : « structure cognitive » ou bien « structure caractérielle » ; mais ces termes ne suggèrent nullement que ce qui est important c’est un ensemble d’hypothèses ou de prémisses habituelles, implicites dans la relation entre l’homme et son environnement, et que ces prémisses peuvent être vraies ou fausses. J’utiliserai donc ici le seul terme d' »épistémologie » pour désigner les deux aspects de l’adaptation (ou la non-adaptation) à l’environnement humain et physique. […] Je m’intéresserai plus particulièrement au groupe de prémisses qui sous-tendent le concept occidental de soi […].[5]

L’ontologie et l’épistémologie sont les deux faces d’une même médaille. Tel est l’aspect philosophique de la méthode anthropologique selon Bateson. En effet, si j’ai appris à découper le réel d’une certaine façon, alors les objets que je manipule correspondent à ce découpage. Le cadre culturel implicite se renforce de lui-même en raison de son caractère circulaire. Pour définir ce cadre culturel implicite, Bateson décide d’éviter les néologismes tels que « structure cognitive » ou « structure caractérielle » et de procéder à une réassignation de sens du terme « épistémologie ». Désormais, pour Bateson, le terme « épistémologie » désigne les prémisses culturelles auto-validantes et implicites de la psychologie de l’individu. Et c’est l’une de ces prémisses centrales de l’épistémologie occidentale qu’il faut remettre en cause afin de comprendre le phénomène addictif : l’idée de « soi ».

Lorsque Bateson s’en prend au concept de « soi », il nous explique qu’une description aussi simple que « je coupe un arbre » est fausse. Il n’y a pas un « soi » indépendant et absolu qui coupe un arbre. En effet, à chaque coup de cognée contre le tronc, le système sensori-moteur de l’individu prend des informations afin de modifier le mouvement suivant de façon adéquate. Le cerveau humain est ainsi intégré à une boucle de rétroaction qui constitue un système cybernétique[6]. La raison pour laquelle un néophyte est incapable de couper un arbre, tandis qu’un bûcheron aguerri le peut sans difficulté, tient au fait que le système sensori-moteur humain doit prendre des informations sur son environnement pour y parvenir. Le bûcheron a reçu nombre d’informations des arbres coupés précédemment qui n’appartiennent en aucun cas au « soi », mais qui sont des calibrations de son système sensori-moteur acquises au sein d’interactions antérieures avec l’environnement. Ce n’est donc pas plus le « soi » qui coupe un arbre que « les arbres » qui se coupent par le biais du système sensori-moteur de l’animal humain. Pourtant, c’est ainsi que nous avons appris à percevoir tout action au sein de la matrice culturelle occidentale : un « soi » substantiel agissant sur un monde inerte et passif.

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Que le système sensori-moteur de l’homme soit dépositaire de calibrations[7] issues de son expérience passée fait de lui une sorte de « négatif », au sens photographique, de son environnement. Dans ses différentes temporalités, l’individu est donc constamment connecté et habité par son environnement. Agir et penser ne se font pas dans un solipsisme qui n’est qu’une prémisse erronée de l’occident.           Afin d’imposer sa lecture systémique des choses, Bateson va donc opposer les prémisses occidentales pathogènes évoquées par les termes de « soi » ou de « libre-arbitre », aux prémisses « saines » des AA. En montrant que la cure des AA est efficace et en rapprochant la thérapie AA d’une « épistémologie » systémique, il entend ainsi insister sur l’importance d’une réforme culturelle de l’Occident.

Il affirme donc être en mesure d’expliquer pourquoi les alcooliques apparaissent comme incohérents et incurables, et pourquoi les discours qui tentent de rendre compte du comportement humain sans questionner les prémisses occidentales s’embourbent dans l’obscurité et la confusion :

On ne doit pas s’attendre à ce que l’alcoolique donne une image cohérente de lui-même. Lorsque l’épistémologie de base est pleine d’erreurs, ce qui en découle ne peut fatalement qu’être marqué par des contradictions internes ou avoir une portée très limitée. Autrement dit, d’un ensemble inconsistant d’axiomes, on ne peut pas déduire un corps consistant de théorèmes. […] C’est donc la fierté de l’alcoolique que j’examinerai, pour montrer que ce principe de comportement n’est qu’une conséquence de l’étrange épistémologie dualiste qui caractérise la civilisation occidentale.[8]

Voilà donc l’objet du travail de Bateson sur la dipsomanie : vérifier la pertinence de sa théorie systémique du comportement. Il entend en effet être en mesure d’expliquer l’efficacité de la méthode des AA grâce aux nouveaux outils théoriques qu’il a forgés. La preuve sera donc thérapeutique et s’appuie sur ce postulat : si on fournit aux malades des prémisses épistémologiques correctes pour décrire le phénomène, alors la pathologie doit se résorber. Pour cette raison, une pathologie psychique est toujours une pathologie philosophique pour Bateson.

2)    Les raisons de l’addiction alcoolique

L’hypothèse de Bateson consiste à dire que la dépendance à l’alcool n’est pas explicable en termes d’opposition entre les pulsions et la résistance de la volonté. Si des sentiments vifs accompagnent ces problèmes, ils n’en sont pas la cause. Celle-ci est à chercher dans le décalage existant entre la forme systémique de l’expérience humaine et l’épistémologie individualiste de la culture occidentale. [1] En[2]  effet, l’homme occidental ne parvient pas à se penser et à se comprendre. Il est persuadé que ses actions et ses volitions proviennent de lui-même, il croit qu’il est aux commandes de son existence et interprète tout à l’aune de ce postulat. Pour lui, l’alcoolisme est une perte de contrôle parce qu’il pose comme indubitable l’idée que je suis a priori aux commandes de ma vie. Pour Bateson, cette idée est erronée. Comme tout les êtres vivants, j’agis et je réagis en réponse à l’environnement complexe dans lequel j’évolue : tel est le sens de l’approche qu’il nomme « systémique ». Ainsi, les prémisses culturelles de l’homme occidental et son expérience sont discordantes. Tandis qu’il agit au sein de différents systèmes[9], il se décrit linguistiquement comme un individu autonome. La situation peut se rapprocher de celle d’un joueur de tarot qui serait incapable de se penser comme participant à un jeu dont la logique le dépasse. Lorsque la personne alcoolo-dépendante se retrouve dans une position critique du « jeu », au lieu de l’interpréter de cette façon, elle se range au jugement d’autrui qui affirme qu’elle manque de volonté. Pourtant la poursuite du comportement addictif montre que quelque chose empêche l’alcoolique d’accepter cette description des choses. Il y a donc une forme de clairvoyance, présentée comme une sorte d’acuité philosophique, dans la dipsomanie pour Bateson :

Les alcooliques sont des philosophes, dans le sens général où tous les êtres humains (et, en fait, tous les mammifères) sont guidés par des principes hautement abstraits, dont ils sont presque entièrement inconscients, ignorant que le principe qui gouverne leurs perception et action est d’ordre philosophique. Le faux terme duquel on désigne d’ordinaire ces principes est celui de « sentiment ». Ce type de fausse nomination fleurit à l’intérieur de la tendance épistémologique anglo-saxonne à réifier ou à attribuer au corps tous les phénomènes mentaux qui sont périphériques à la conscience ; et cette appellation est certainement renforcée par le fait qu’exercer et/ou se priver de l’exercice de ces principes s’accompagne souvent de sensations viscérales ou d’autres sensations corporelles. Pour ma part, je crois que c’est Pascal qui était dans le vrai en disant : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. »[10]

Bateson ne se trompe pas ici dans l’interprétation du « cœur » pascalien qui désigne bien un ensemble de prémisses rationnelles inaccessibles à la conscience de l’homme[11]. En identifiant le « cœur » pascalien et l’inconscient[12] à ce qu’il nomme les « prémisses culturelles », l’anthropologue pose les fondements méthodologiques d’une approche nouvelle du problème. Il ne s’agit pas de la faiblesse de la volonté face à la force des passions. Il s’agit plutôt d’une difficulté nichée au sein de ces prémisses culturelles, ou « algorithmes du cœur ». En insistant sur la standardisation des dispositions cognitives et émotionnelles des individus au sein d’une culture, il affirme que l’addiction est l’effet visible d’un système inconscient et partagé de postulats. Aussi, ce que révèle le problème de l’addiction alcoolique, ce n’est pas l’échec d’une personne, c’est l’échec d’une certaine interprétation du problème.

L’étude sur la dipsomanie est alors explicitement rattachée au projet d’élaboration d’une science positive de la culture. L’affirmation, volontairement provocante, qui fait de l’alcoolique un philosophe signifie que l’alcoolique est dans une situation de critique immanente de l’épistémologie qui est la sienne. Ce que révèle l’expérience de l’alcoolisme, c’est que les idées de libre-arbitre, de responsabilité individuelle et de volonté sont inefficaces. Or c’est justement à ces postulats fondateurs du jugement moral occidental que Bateson entend s’en prendre. Si ceux-ci sont au cœur de notre configuration culturelle, ils n’en sont pas moins faux. Ils sont pathogènes car leur description des choses est inadéquate.

Démonstration de la fausseté des prémisses culturelles occidentales par l’analyse de la logique dipsomaniaque

1) Crise existentielle et crise culturelle

Dans la culture occidentale, le soi est pensé comme une substance qui se tient sur soi-même et qui est capable d’initier des suites causales linéaires en fonction d’objectifs clairement identifiés. Cela est le résultat d’une certaine « épistémologie » atomiste, substantialiste et téléologique qui est inattentive aux aspects non maîtrisés de la vie humaine. Tout est affaire d’objectif, de planification et de contrôle. C’est encore en ces termes que l’alcoolo-dépendant est invité à se « remettre en selle », à redevenir maître de soi. Toutes les manifestations de la dimension inconsciente et systémique de l’expérience sont  minorées jusqu’à être ignorées. Mais il n’y a pas de fatalité à cela, chez les peuples de Bali qui pratiquent la transe[13], les prémisses épistémologiques doivent nécessairement être différentes car leur comportement insiste plus sur la communion intime des êtres qui s’unissent dans une sphère qui ne correspond pas à celle d’une individualité atomisée et autonome. Et c’est justement une expérience similaire que fait l’alcoolique quand il boit. Il fait l’expérience d’une communion avec autrui et d’une forme de « lâcher-prise » qui est normalement refusée à la personne occidentale :

On pourrait suggérer que l’alcoolique en état de sobriété est en quelque sorte plus sain d’esprit que ceux qui l’entourent  et que cette situation lui est intolérable. […] Une remarque faite par Bernard Smith, représentant légal non-alcoolique de « AA » peut cependant éclairer mieux ce point : « les membres de ‘AA’, disait-il, n’ont jamais été les esclaves de l’alcool. Il leur a servi simplement comme moyen pour échapper aux faux idéaux d’une société pragmatique’. Il ne s’agit donc pas, pour l’alcoolique, d’une révolte contre les idéaux aliénants de son milieu, mais plutôt d’une tentative d’échapper aux prémisses malades de sa propre vie, prémisses continuellement renforcées par son environnement social. Il est néanmoins possible que l’alcoolique soit à certains égards plus vulnérable ou plus sensible que l’homme dit normal du fait que ses propres prémisses malades (mais conventionnellement admises) conduisent à des résultats insatisfaisants.[14]

L’addiction est, étymologiquement[15] et quotidiennement, présentée comme un esclavage. Pourtant le propos de Smith rapporté par Bateson insiste sur le fait qu’il s’agit d’une erreur descriptive. Penser en termes d’esclavage, c’est encore penser en termes de maîtrise de soi, de domination de l’âme sur le corps. À cette description « classique » des choses on peut en substituer une autre : l’expérience alcoolique permet résoudre les tensions d’un psychisme qui ne parvient pas à une intégration harmonieuse de son expérience. Pour Bateson, le problème de la dépendance à l’alcool vient du fait que les outils conscients de description de l’expérience sont en inadéquation avec certains aspects inconscients de la pensée. La personne alcoolo-dépendante est peut être alors plus sensible aux aspects systémiques de l’existence et ressent une souffrance psychique qui tient à l’incapacité qui est sienne à exprimer, décrire et finalement prendre conscience de ce phénomène. Cela elle ne peut le manifester que par le comportement alcoolique car les mots et les idées qui constituent le socle de son identité culturelle jouent contre elle.

L’alcoolique n’est alors plus présenté comme un malade mais malicieusement comme un philosophe, car ce sont les prémisses de la culture occidentale qui sont malades. En revanche, contrairement aux individus dits « normaux », il se trouve dans une situation de fragilité qui l’amène à ne plus être en mesure de supporter une telle contradiction. Le modèle de sobriété qu’on lui présente est le modèle d’une individualité conquérante. Ce modèle de réussite prôné par la société occidentale apparaît dénué de sens car, d’une certaine façon, la personne alcoolo-dépendante sent[16] qu’il est incorrect. Il ne s’agit pas d’un « sentiment » mystérieux mais de la perception confuse d’une forme de discordance cognitive. L’absence d’expression culturelle de la communion, des continuités inconscientes de la cognition et de l’affectivité produit chez le dipsomane un fort sentiment de malaise. Voilà aussi pourquoi « l’alcoolique est un philosophe », parce qu’il vit ce qu’on pourrait appeler une crise existentielle. Toutefois la crise existentielle de l’alcoolique n’est pas liée au fait que la vie humaine n’a aucun sens, mais au fait qu’il est impossible de comprendre le sens de la vie humaine au moyen des prémisses occidentales. Les idées de finalité, de but, d’individualité et de maîtrise de soi résonnent de façon absurde pour le dipsomane. Le problème c’est que ce sont ces mêmes idées qui sont utilisées dans la cure traditionnelle. On essaye de guérir la personne alcoolo-dépendante en lui intimant de reprendre le contrôle sur lui-même, sur sa vie et sur le destin de réussite qui devrait lui apparaître comme l’image la plus exacte du bonheur. On l’engage à revenir dans une position de défi symétrique face à l’alcool qu’il doit écraser pour sortir victorieux du combat. C’est donc en renforçant la cause de la dipsomanie, c’est-à-dire l’usage de prémisses pathogènes, que l’on souhaite « guérir » la dipsomanie. La rechute est alors inévitable :

Le passage de la sobriété à l’intoxication correspond aussi à un passage du défi symétrique à la complémentarité, et, même lorsque ces données existent, elles sont toujours brouillées par les déformations du souvenir ou la toxicité complexe de l’alcool. Mais certaines chansons et histoires indiquent nettement que c’est ainsi que s’opère le passage : dans les cérémonies rituelles, le partage du vin a toujours signifié l’agrégation sociale des individus, unis dans une « communion » religieuse ou dans une Gemütlichkeit (cordialité) séculière. En un sens très littéral, l’alcool est supposé donner à l’individu la possibilité de se considérer et d’agir comme un élément du groupe ; ce qui revient à dire qu’il facilite la complémentarité dans les relations.[17]

La situation de cordialité, d’absence de maîtrise de soi, de laisser-aller à quelque chose de plus fort que soi est ce qui satisfait l’alcoolique. Et cette satisfaction, loin d’être illégitime, est beaucoup plus correcte  »épistémologiquement » que celle qu’est censée procurer la maîtrise de soi. L’expérience de l’intoxication alcoolique est une expérience à travers laquelle l’individu accepte de se laisser saisir par le groupe et par une substance stupéfiante, c’est-à-dire une expérience au sein de laquelle il découvre la nature élargie de son expérience.

2) La logique de l’addiction : description et résolution

Comme nous l’avons vu en introduction, la cure traditionnelle fondée sur les prémisses « malades » de l’Occident « correspond à une acceptation obsessionnelle du défi, au refus complet de l’autre alternative : ‘je ne peux pas’ « [18]. Il est interdit d’échouer car l’échec est alors considéré comme la cause de la maladie. N’être pas maître de soi, n’être pas « le capitaine de son âme », voilà ce qui est jugé à la fois comme une pathologie médicale et une faillite morale. Au contraire, la cure des AA consiste à renoncer aux prémisses pathogènes de l’Occident et à promouvoir l’expérience de l’échec comme le rappelle Bateson :

Les deux premières étapes de « AA » affirment :

1° Nous reconnaissons que nous sommes sans défense devant l’alcool et que nous ne pouvons plus gouverner nos vies.

2° Nous croyons que seul un Pouvoir plus grand que le nôtre peut nous rendre la santé.

De la combinaison de ces deux étapes, il résulte une idée extraordinaire et à mon sens correcte : à savoir que l’expérience de l’échec ne sert pas seulement à convaincre l’alcoolique qu’un changement est nécessaire, mais elle est elle-même la première étape de ce changement. Être vaincu par la bouteille et en être conscient constitue en ce sens une première « expérience spirituelle ». Le mythe de la maîtrise de soi du sujet est ainsi démoli par la mise en place d’un pouvoir supérieur.[19]

Puisque la dipsomanie est une pathologie de la culture occidentale, seule une « expérience spirituelle », qui est aussi une « expérience culturelle », peut permettre de sortir de l’addiction. Ce premier moment de reddition est essentiel, il vise à prouver à l’alcoolique ce qu’il est dans l’incapacité d’admettre : il n’est pas maître de soi. Mais il ne s’agit en aucun cas d’un problème ici, simplement d’une nouvelle description des choses selon des prémisses tout à fait différentes. Bateson note d’ailleurs que dans les brochures des AA « on peut lire ceci : ‘Essayer d’user du pouvoir de la volonté, c’est tenter de se soulever soi-même par les tirants de ses bottes’ « [20]. C’est une façon imagée de dire que personne n’est une « substance » : personne n’est son propre socle absolu. Ainsi, la cure des AA commence par justifier la dépendance du dipsomane en lui expliquant qu’il a raison, même s’il ne peut l’avouer. Il est incapable de s’arrêter de boire. Mais il ne s’agit ni de faiblesse ni de dissimulation. Ce n’est pas un faute morale car la volonté n’existe pas comme telle. La volonté n’est qu’une façon de décrire une logique de défi qui, loin d’être individuelle, suppose toujours au moins deux termes.

En effet, pour Bateson, l’idée de fierté de l’alcoolique tend à induire un rapport de rivalité symétrique entre l’alcoolique et l’alcool. Toutefois il y a un problème dans ce type de comportement parallèle : la force de détermination d’une partie est fonction de la force de détermination de l’autre. S’il n’y a pas d’autre mécanisme de d’apaisement, le conflit atteint un paroxysme qui aboutit à la reddition définitive de l’un des deux. Alors, le conflit disparaît. Si l’on reprend les termes de cette description, après une période de forte alcoolémie, l’alcoolique se trouve face à un adversaire redoutable et se voit doté d’une volonté bien trempée afin d’en découdre avec lui. Encouragé à vaincre par ses proches et son thérapeute, il s’engage dans une lutte résolue contre l’alcool. Mais une fois que la bataille est gagnée, l’ennemi se trouve vaincu, affaibli et dominé. Finalement la volonté bien trempée, qui est proportionnelle au degré d’exacerbation du rapport symétrique, est elle aussi réduite à peu de chose.

De plus, si la situation de l’alcoolique est symétrique à celle de son rival l’alcool, celle-ci est revanche devenue très complémentaire avec celle de son thérapeute, de son patron, de son épouse ou encore de ses amis. Alternant les positions de menace et de soin, ils le mettent dans une situation de soumission. Or cette situation est très désagréable et correspond au retour du sentiment de malaise « existentiel » décrit précédemment. Une fois la lutte apaisée, les buts absurdes et contingents de l’existence humaine en Occident, les idéaux de pouvoir, de domination et de réussite sociale apparaissent bien peu désirables pour le dipsomane.

Pour l’entourage de la personne alcoolo-dépendante, l’addiction est une preuve de faiblesse. Au contraire pour le dipsomane, être sain et normal, consiste en un jeu absurde, pénible et cruel de domination. Progressivement, elle se sent éloignée de ses proches par les postures irréconciliables et asymétriques qu’ils ont adopté vis-à-vis d’elle. Se sentant jugé, infantilisé et donc rejeté du cercle des pairs, le dipsomane décide de faire la paix avec celui qui était autrefois son ennemi, mais qui, dès lors qu’il apparaît comme inoffensif, s’avère être son seul ami : l’alcool. Le résultat d’une telle attitude de défi est sans appel. Si pendant un temps le dipsomane pense avoir remporté la victoire, il n’a en réalité que renforcé les bases d’une reprise fatale de son comportement addictif. Son ennemi déclaré est réduit à un état de faiblesse qui le rend inoffensif en apparence. La « volonté » de défi s’en trouve réduite à néant. En même temps, les proches apparaissent dans une posture de domination et de promotion d’idéaux honnis qui les rend détestables. Seul l’alcool et le compagnonnage alcoolique se présentent désormais comme des expériences réconfortantes.

La conclusion de Bateson est celle-ci : par sa rechute inévitable, le dipsomane nous invite à changer notre épistémologie, c’est-à-dire notre caractérisation du phénomène. Il vient de réduire à néant l’hypothèse de la « maîtrise de soi » :

Cette hypothèse est confirmée par un fait incontestable : mettre à l’épreuve la  »maîtrise de soi » conduit à nouveau à la boisson. Et, comme je l’ai dit plus haut, l’épistémologie de la maîtrise de soi, que les amis infligent à l’alcoolique, est en elle-même monstrueuse. L’alcoolique a raison de la rejeter. De cette façon, il parvient à une reductio ad absurdum de l’épistémologie conventionnelle.[21]

Les termes sont forts ici : cette « hypothèse » est « confirmée » par un « fait incontestable ». Pourtant, les oscillations du comportement addictif de l’alcoolique peuvent être expliquées de deux manières : volonté chancelante d’un « soi » qui est jugé versatile, peu fiable ; ou mise à l’épreuve rigoureuse de prémisses culturelles inadéquates. Certes la description systémique est neuve est séduisante, mais est-elle incontestable ? Parce qu’il croit encore à sa volonté, l’alcoolique s’en trouve dépourvu. Parce qu’il encourage l’alcoolique à la maîtrise de soi, l’entourage de celui-ci l’infantilise, l’humilie et le pousse dans les bras de l’alcool. Comment cette lecture élargie, pour intéressante qu’elle soit, peut échapper à la critique relativiste affirmant qu’il ne s’agit que d’une façon de décrire les choses parmi d’autres ? Et pourquoi Bateson nous parle-t-il de « reductio ad absurdum »[22] ?

Ce qui est décisif, c’est que Bateson déplace la question du terrain moral vers le terrain épistémologique. L’humilité n’est pas une vertu morale pour lui, c’est une vertu épistémologique. Telle est la clef de voûte de son raisonnement. Il sait qu’on peut être séduit par la description systémique mais que rien, jusque-là, ne permet de prouver sa supériorité explicative par rapport aux descriptions en termes de volonté et de maîtrise de soi. La difficulté tient au fait que les prémisses culturelles sont infalsifiables. En effet, il est toujours possible dans le cas de l’alcoolisme de chercher une étiologie conforme aux prémisses occidentales. Deux choix sont donnés au dipsomane : il a été déréglé par un entourage social nuisible dont il est victime, ou il est coupable d’avoir une volonté mauvaise. Dans le premier cas, l’alcoolique se pose en victime, dans le second cas en fautif. Mais dans les deux cas, il continue à valider implicitement l’éthique de la responsabilité individuelle qui sous-tend la toute-puissance arrogante du « soi » :

De même dans le domaine de la psychiatrie, la famille fonctionne comme un système cybernétique[23] comparable, et d’habitude, lorsque apparaît une pathologie systémique, ses membres s’accusent mutuellement, ou prennent tout sur eux-mêmes. En vérité, ces deux choix s’avèrent également et fondamentalement arrogants. Car chacun suppose que l’être humain exerce un pouvoir total sur le système dont il (ou elle) n’est en fait qu’une partie […] ; nous ne sommes jamais les capitaines de notre âme.[24]

Nous retrouvons ici les modalités juridiques traditionnelles qui président à l’analyse du comportement individuel en Occident. Le problème à régler est celui de la culpabilité. On ne veut pas savoir si on est maître de soi, on veut savoir qui est responsable, en prenant pour acquis qu’il doit y avoir un responsable. La critique batesonienne semble finalement impuissante face à ce modèle. Mais si le cas de l’addiction intéresse tant Bateson c’est que, s’il peut se décrire selon les prémisses occidentales, néanmoins il les éreinte insidieusement.

En effet, l’accusation de défaillance de la volonté de l’alcoolique – que ce soit par faiblesse ou vice– produit un fonctionnement paradoxal que Bateson a nommé une « double contrainte ». Prenons le célèbre paradoxe d’Épiménide le Crétois qui affirme :  »tous les Crétois sont menteurs » S’il est crétois, il ment, donc tous les Crétois ne sont pas menteurs. Mais si tous les Crétois ne sont pas menteurs, alors peut-être ne ment-il pas… auquel cas tous les Crétois sont menteurs. Et le raisonnement reprend au début[25]. Le problème ici vient du fait que l’énoncé se présente à la fois comme un élément du jeu de langage et comme une règle qui fonde ce jeu de langage[26]. Nous avons une situation énonciative et logique qui préside à l’énoncé de tout paradoxe et qui est de la forme : « toute règle que j’énonce est invalide ». Pragmatiquement j’énonce une règle dont sémantiquement je récuse la possibilité. Le paradoxe logique repose sur cette particularité énonciative qui fait du législateur le sujet de la loi qu’il énonce et qui détruit son statut de législateur. En effet, c’est parce que celui qui prononce la règle appartient à la catégorie de ceux auxquels la règle s’applique que le paradoxe apparaît. Seule une règle énoncée par une entité qui ne peut pas être concernée par celle-ci est à l’abri du paradoxe.

L’alcoolique se trouve dans une situation proche du cas d’Épiménide. En effet, il connaît la prémisse qui pose  que « tous les alcooliques manquent de volonté », ou encore que « tous les alcooliques ne sont pas fiables ». Ainsi pour l’entourage, comme pour le dipsomane lui-même, tout ce qu’il dit est indécidable. Dire « j’arrête l’alcool » signifie « je deviens fiable ». Autant demander à Épiménide le menteur s’il est sincère le jour où il déclare : « j’arrête de mentir ». La clef de la thérapie des AA consiste à débusquer la double contrainte pathologique par une double contrainte thérapeutique. On demande donc à l’alcoolique de faire la preuve de sa fiabilité et de sa volonté. Le but est d’amener l’alcoolique a admettre qu’il ne peut pas se faire confiance :

Nous préférons ne pas décréter que tel ou tel individu est alcoolique. Il est facile de se donner à soi-même un diagnostique : entrez dans le bar le plus proche et essayez de boire, tout en vous contrôlant ; essayez de boire et de vous arrêter brusquement, essayez plusieurs fois ; si vous êtes honnête envers vous-même, vous aurez tôt fait d’en tirer une conclusion ; et le jeu en vaut la chandelle, si vous parvenez ainsi à en apprendre un bout sur votre condition réelle.[27]

La thérapie peut alors se mettre en place en articulant une démarche « négative » de reconnaissance de l’illusion de l’idée du « soi » maître en sa maison, et une démarche « positive » consistant dans la reconnaissance d’un « pouvoir supérieur » auquel appartient l’individu. L’expérience spirituelle recherchée dans le premier moment est donc celle de la « panique » qui consiste à « toucher le fond ». Bateson commente ainsi le petit test proposé par les AA :

On peut comparer ce test à une autre situation : celle d’un conducteur auquel on demanderait de freiner sec sur une route glissante : il découvrira que son contrôle sur sa voiture est limité.  […] La panique de l’alcoolique qui a touché le fond est comparable à celle de l’homme qui pensait avoir le contrôle sur son véhicule et qui se rend brusquement compte qu’en fait il n’est que le prisonnier de sa voiture qui dérape et l’emporte ; s’il appuie sur ce qu’on appelle communément le frein, il a soudainement l’impression que la voiture accélère. Sa panique est due à la découverte que ça (c’est-à-dire le système : soi-même plus le véhicule) le dépasse.[28]

À partir de cette expérience, le dipsomane ne cherche plus à lutter car il sait qu’il ne peut pas se faire confiance. Il comprend que toute démarche qu’il assumera en son nom propre sera frappée de nullité car il est dépendant à l’alcool. En reconnaissant cette addiction, il reconnaît qu’il est impuissant. Sa parole et sa détermination n’ont aucune valeur, ni auprès des autres ni auprès de lui-même. Il doit admettre qu’il ne lui appartient pas de décider d’arrêter de boire et de dissimuler. Seule une  puissance qui le dépasse peut modifier cela, aussi il doit accepter de s’en remettre au groupe et jamais à soi-même[29]. Mais, il découvre aussi autre chose auprès des AA, c’est que cette impuissance est « normale ». Il découvre que tous les hommes sont impuissants à se changer, toutefois ceux qui ne sont pas dépendants de l’alcool ne font pas l’expérience de leur impuissance. Ils ont été éduqués pour croire au libre-arbitre et à l’autonomie de la volonté qui sont des illusions. Finalement, la pathologie alcoolique est réévaluée comme l’occasion de faire preuve de clairvoyance philosophique.

Conclusion

Pour les AA, la personne alcoolo-dépendante découvre à l’issue du processus de transformation de ses prémisses culturelles qu’elle appartient à un pouvoir plus vaste qu’elle. Quoique les AA ne statuent aucunement sur la nature de ce pouvoir, ils admettent qu’il se produit comme une sorte de révélation spirituelle. Pour Bateson, il s’agit des premiers pas vers une compréhension élargie et systémique de l’existence. En sortant des illusions conjointes de solitude, de maîtrise de soi et de finalité égoïste de l’existence promues par les prémisses occidentales, l’alcoolique évacue alors l’intoxication alcoolique du fonctionnement systémique de sa vie. Puisque la souffrance existentielle et le défi symétriques disparaissent, c’est tout le dispositif de l’addiction qui disparaît. Plus fondamentalement, la thérapie des AA détruit les paradoxes paranoïaques générés par l’idée de « volonté ». En cessant de se mortifier et de se méfier de « so », l’alcoolique accède ainsi à la compréhension élargie des choses. Cette épreuve est donc l’occasion d’une réforme radicale dans la compréhension de l’existence humaine.


[1]   1904-1980.

[2]   « La cybernétique du  »soi » : une théorie de l’alcoolisme » [1968] in Vers une écologie de l’esprit, I, Paris, Seuil, 1977 [1972], p. 278.

[3]   Personne alcoolo-dépendante.

[4]   Il s’agit de l’ancien nom, utilisé par Bateson, pour désigner l’addiction alcoolique.

[5]   « La cybernétique du  »soi » : une théorie de l’alcoolisme » in op.cit., p. 270-271.

[6]   Une telle action peut donc tout à fait être décrite dans les termes de l’article de Bigelow, Rosenblueth et Wiener de 1943 concernant les systèmes auto-correcteurs qui constitue l’acte de naissance de la cybernétique.

[7]   Le terme « calibration » est utilisé de façon technique par Bateson afin de désigner les réflexes et autres adaptions inconscientes qui, chez un organisme, sont le résultat d’expériences souvent réitérées.

[8]   Idem, p. 278.

[9]   Des systèmes simples comme celui du bûcheron (cerveau-bras-cognée-bras-cerveau…), ou plus complexes comme les systèmes économiques décrits par la théorie des jeux de Von Neumann. Dans les  »jeux » de Von Neumann, chacun agit en fonction d’interprétations sur les intentions d’autrui. Ainsi chacun réfléchit aussi à la façon dont autrui interprète son comportement et essaye d’anticiper son interprétation. Dans un tel modèle systémique, il est évident qu’on ne peut rien comprendre si on se focalise sur un participant sans élargir le spectre d’analyse à l’ensemble des acteurs présents. Les  »jeux » économiques comme les jeux de carte sont un exemple de choix pour saisir l’importance de la dimension systémique de tout agir.

[10] « La cybernétique du  »soi » : une théorie de l’alcoolisme » [1968] in Vers une écologie de l’esprit, I, Paris, Seuil, 1977 [1972], p. 278.

[11] Ce texte fait écho au passage d’un article de 1967. Dans celui-ci, Bateson cherchait à clarifier l’aspect scientifique et positif de son travail en jouant un certain rationalisme français contre le sentimentalisme anglo-saxon :« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » Les Anglo-Saxons voient généralement dans les « raisons » du cœur ou de l’inconscient des forces inchoatives, des pulsions ou des poussées – ce que Freud a appelé Trieben. Pascal, le Français, considérait la question différemment : il pensait sans aucun doute aux raisons du cœur comme à un corpus logique, ou de calcul, aussi précis et complexe que les raisons de la conscience. (J’ai remarqué que, dans ce même ordre de raisons, les anthropologues anglo-saxons se méprennent quelquefois sur les écrits de Claude Lévi-Strauss. Ils disent qu’il met trop l’accent sur l’intellect et qu’il occulte les « sentiments ». Ce qu’il affirme, en fait, c’est que le cœur a ses algorithmes précis.) Ces algorithmes du cœur ou, comme on dit, de l’inconscient, sont toutefois codés et organisés d’une manière totalement différente de celle des algorithmes du langage. » « Style, grâce et information dans l’art primitif » [1967] in Vers une écologie de l’esprit, I, op.cit.

[12] Dans une acception qui est ici éloignée de Freud qui en fait un lieu de pulsions irrationnelles.

[13] Cf. Bateson, G., « Quelques composantes de la socialisation pour la transe » [1974] in Une unité sacrée, op.cit.

[14] « La cybernétique du « soi » : une théorie de l’alcoolisme » in op.cit., p. 267.

[15] En latin ad-dicere signifie « dit de », c’est-à-dire rapporté par le nom à un propriétaire. Cette formule désignait donc, durant l’antiquité romaine, une situation d’esclavage effectif.

[16] Au sens pascalien du « sentiment » du cœur, c’est-à-dire d’une forme d’aisance ou de malaise ressentis en fonction de la concordance ou la discordance entre les prémisses inconscientes de la pensée et l’expérience. Une partie des données du problème étant inconsciente, ce « sentiment » est donc un symptôme. Le dipsomane « sent » que quelque chose ne va pas sans pouvoir faire de diagnostique. Le travail de Bateson ici consiste justement à proposer un tel diagnostique : la prémisse inconsciente qu’est l’idée de « soi » bloque toute compréhension adéquate de l’existence humaine. Elle génère ainsi des comportements pathologiques et des sentiments douloureux chez certaines personnes, posant par là le cadre de l’addiction alcoolique.

[17] Idem, p. 287-288.

[18] Idem, p. 279.

[19] Idem, p. 269.

[20] Idem, p. 269.

[21] Ibid.

[22] Une réduction à l’absurde est forme de réfutation qui procède par continuation d’un raisonnement jusqu’à l’épuisement de celui-ci dans l’auto-contradiction et l’absurde. En montrant que la cure traditionnelle de l’addiction alcoolique pousse la personne dans les bras de l’alcool, Bateson décrit la rechute du dipsomane comme une réduction à l’absurde de cette thérapie.

[23] La cybernétique de Norbert Wiener et la systémique de Von Foerster sont des pensées cousines. Von Foerster est d’ailleurs l’éditeur des conférences Macy sur la cybernétique qui eurent lieu dans les années 1940 et 1950. La différence entre les deux est plutôt d’ordre focal : le problème du cybernéticien est de montrer par quels procédés de causalité circulaire un système s’autorégule ; tandis que le spécialiste de systémique va se demander comment fonctionne une « système ouvert », c’est-à-dire un système cybernétique en tant qu’il est connecté à un environnement. Pour le dire autrement, la cybernétique s’occupe la logique interne des systèmes auto-régulés alors que la systémique s’occupe des couplages entre plusieurs systèmes cybernétiques de niveaux différents.

[24] « But conscient ou nature », op.cit., p. 231.

[25] C’est identique avec l’affirmation « je mens ». Si je mens, alors je ne mens pas, mais si je ne mens pas, je mens.

[26] Il appartient à la fois à la  »métalangue » et à la  »langue-objet » selon la terminologie de Rudolph Carnap.

[27] AA cités par Bateson in « La cybernétique du  »soi » : une théorie de l’alcoolisme » in op.cit., p. 288.

[28] Idem, p. 289.

[29] Bateson rappelle ainsi que la clause d’anonymat est un élément essentiel du dispositif thérapeutique.

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