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Dossier – Les droits humains : Introduction / Human Rights: Introduction

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Marc Lamballais est coordinateur de ce dossier. Il est juriste et chercheur en philosophie du droit au sein de l’Institute for Globally Distributed Open Research and Education (IGDORE).


[English version below]

Depuis le XVIIIe siècle, les droits humains ont évolué de façon remarquable. Aux droits originaux, d’inspiration individualiste, de nombreux autres se sont ajoutés au fil du temps, de sorte qu’il existe aujourd’hui une pluralité de droits humains assez divers et souvent contradictoires les uns avec les autres.

Parallèlement, le nombre de défis que la philosophie des droits humains a eu à affronter n’a cessé de croitre. Alors que certaines des vieilles critiques faites contre les droits humains n’ont toujours pas reçu de réponse définitive, de nouvelles évolutions – comme les progrès réalisés en médecine et en biologie, l’émergence de l’intelligence artificielle et le développement récent du champ de l’éthique animale – ont fait apparaître de nouveaux problèmes qu’il semble difficile de résoudre dans le cadre théorique de la philosophie des droits humains.

Malgré toutes ces difficultés, l’autorité morale et politique des droits humains semble n’avoir jamais été aussi grande. Les politiciens continuent à les invoquer de façon très fréquente, les journaux dévoilent régulièrement des pratiques qui en constitueraient des violations graves et les juridictions suprêmes fondent nombre de leurs décisions les plus importantes sur ce type de droits.

Tout ceci fait des droits humains un objet philosophique particulièrement intriguant et intéressant, qu’il n’est certainement pas vain d’examiner plus attentivement. L’objet de ce dossier spécial est de mener à bien cette tâche, en examinant certains des problèmes les plus importants que les droits humains contemporains posent et en cherchant de quelle manière il est possible de les résoudre[1]. Le dossier est composé de neufs articles. Chacun d’eux propose une réflexion autour de l’un de ces problèmes.

Le sujet des droits humains

Qui est le sujet des droits humains et en quoi consiste la relation unissant ce sujet à ses droits ? C’est le premier problème qui sera examiné dans le dossier. Deux articles du dossier traitent de ce problème.

Le premier article, Le soi relationnel, sujet des droits humains, est une traduction en français par Camille de Vulpillière, d’un article de Jennifer Nedelsky originellement publié en anglais sous le titre The Subject of Human Rights[2]. Cet article présente la théorie du soi relationnel développée par l’auteure et cherche à proposer une approche des droits humains fondée sur cette théorie.

Le second article, Whose Rights Are They Anyway?, rédigé par Helen Ryland, propose une analyse critique de la théorie de la personnalité développée par le célèbre théoricien des droits humains James Griffin.

L’évolution des droits humains

Comprendre la manière dont les droits humains ont évolué jusqu’à aujourd’hui et continueront à évoluer à l’avenir est une des tâches les plus importantes de la philosophie contemporaine des droits humains. Deux articles du dossier proposent une analyse centrée sur ces évolutions.

Aurélia Lamiroy montre, dans son article L’intérêt de nouveaux concepts philosophiques dans la protection des droits humains : l’exemple du concept de “personne vulnérable” devant la CEDH, comment le développement de nouveaux concepts philosophiques peut irriguer la pratique des droits humains et influer sur la direction qu’elle prend, à partir de l’exemple du concept de personne vulnérable, auquel la Cour européenne des droits de l’homme se réfère de plus en plus souvent dans ses décisions.

Dans son article Between Law and Values: Why Soft Law Reinforces the Hybrid Nature of International Human Rights Law, Charlotte Piveteau analyse, quant à elle, les liens entre le droit international des droits humains et la soft law, et montre que ces liens sont assez uniques si on les compare à ceux qui existent dans d’autres sphères du droit. Elle fait ainsi observer que la soft law a toujours été une composante essentielle du droit international des droits humains pour des raisons qui sont étroitement liées à la nature « hybride » de ce dernier – qui inclut des règles formelles mais également un nombre très important de standards basés sur des valeurs dont l’interprétation est difficile.

Les défis que doit surmonter la philosophie contemporaine des droits humains

Comme nous l’avons indiqué plus haut, la philosophie contemporaine des droits humains fait aujourd’hui face à de nombreux défis. Deux de ces défis sont examinés dans ce dossier.

Simon Fouquet s’attache, dans son article Le droit du travail est-il réductible aux droits humains ? : Éléments de réflexion à partir de la question démocratique, à analyser les interactions entre le champ juridique des droits humains, d’une part, et celui du droit du travail, d’autre part. Ce faisant, il montre qu’il existe une tension entre ces deux champs qui renvoient à deux conceptions différentes de la démocratie.

Niall Coghlan propose, dans son article Heritable human genome editing: the bioethical battle for the basis and future of human rights, une réflexion très intéressante sur les difficultés qu’il peut y avoir à chercher, dans le cadre théorique des droits humains, des réponses à des questions bioéthiques complexes comme celle consistant à savoir si l’édition du génome humain est éthiquement justifiée.

La critique des droits humains

Pour finir, il semblait intéressant d’examiner quelques-unes des critiques adressées à l’idée de droits humains. Le dossier s’attarde sur trois d’entre elles.

Dans son article, Simone Weil : du droit à l’obligation, Benjamin Boccara examine la thèse avancée par Simone Weil de la primauté des devoirs sur les droits et la critique des droits humains qu’elle développe sur cette base.

Dans son article Insuffisance des droits, ambivalence des obligations : Onora O’Neill et la justice globale, Juliette Monvoisin analyse, à la lumière de la philosophie morale kantienne, la critique que la philosophe Onora O’Neill adresse aux droits sociaux.

Enfin, dans son article, The Possibility of a Failed Promise, Patrick Ahern examine les critiques adressées par les premiers théoriciens de l’Ecole de Francfort contre les droits humains et analyse la manière dont ces critiques peuvent déboucher sur des réflexions fructueuses sur l’émancipation humaine.

 

[English version]

Since the 18th century, human rights have evolved in a remarkable way. To the original individualistic rights, many new rights were successively added over time; leading to a plurality of rights often contradicting each other.

At the same time, the number of challenges that the philosophy of human rights must face have not ceased to increase. While some of the old criticisms made against human rights still have not received a definitive answer, new evolutions – such as the progress made in medicine and biology, the emergence of artificial intelligence and the recent development of the field of animal ethics – have raised new problems, which seem difficult to address within the theoretical framework of human rights.

Despite these various challenges, the political and moral authority of human rights seems as strong as it has ever been. Politicians and activists continue to invoke them frequently, newspapers regularly expose practices that they claim violate them and supreme courts base many of their most important decisions on them.

In this context, human rights seem like a very intriguing and interesting philosophical object, that is certainly worth examining more closely. The aim of this special issue on human rights is to try to clarify some of the most important problems that contemporary human rights seem to raise and how to solve them[3]. The issue is comprised of nine articles. Each of them focuses on a specific problem and tries to solve it in a specific manner.

The subject of human rights

Who is the subject of human rights and what does the relationship between that person and his or her rights consist in? This is the first problem that is examined in the issue. This problem is examined in two articles, but from very different perspectives.

The first paper, Le soi relationnel, sujet des droits humains, is a translation into French, by Camille de Vulpillière, of an article written by Jennifer Nedelsky and originally published under the title The Subject of Human Rights[4]. This article presents Nedelsky’s theory of the relational self and tries to propose a new approach of human rights based on this theory.

The second paper, Whose Rights Are They Anyway?, written by Helen Ryland, critically assesses the influential theory of human personhood developed by James Griffin, one of the most famous human rights theorist.

The evolution of human rights

Understanding the way in which human rights have evolved to this day and will continue to evolve in the future is one of the main tasks of contemporary human rights philosophy. Two articles reflect on these evolutions.

In her paper L’intérêt de nouveaux concepts philosophiques dans la protection des droits humains : l’exemple du concept de “personne vulnérable” devant la CEDH (The interest of developing new philosophical concepts for better protecting human rights: the example of the concept of a vulnerable person), Aurélia Lamiroy shows how the development of new philosophical concepts can influence the practice of human rights law, based on the example of the concept of a vulnerable person, which is used more and more often in the decisions of the European Court of Human Rights.

In her contribution, Between Law and Values: Why Soft Law Reinforces the Hybrid Nature of International Human Rights Law, Charlotte Piveteau tries to analyze the links between human rights law and soft law. She notices that soft law has always been an essential component of international human rights law, which makes it quite unique in comparison to other legal fields, where soft law has developed much later. She argues that this unique status is closely linked to the fact that international human rights law is ‘hybrid’ by nature – comprising formal rules but also many value-laden standards, which are not easy to interpret.

Challenges for contemporary human rights philosophy

As I already mentioned contemporary human rights philosophy faces many challenges. The issue focuses on two of these challenges.

In his paper, Le droit du travail est-il réductible aux droits humains ? : Éléments de réflexion à partir de la question démocratique (Is labour law reducible to human rights?), Simon Fouquet reflects on the interactions between human rights and labour rights and tries to show that both fields are linked to two different conceptions of democracy.

In his paper, Heritable human genome editing: the bioethical battle for the basis and future of human rights, Niall Coghlan proposes a very interesting reflection on the interaction between human rights law and complex bioethical issues, such as the question of heritable human genome editing.

The critique of human rights

Finally, it seemed interesting to examine the various criticisms that could still be addressed to human rights. Three of these criticisms are presented in this issue.

In his paper, Simone Weil : du droit à l’obligation (Simone Weil: from right to obligation), Benjamin Boccara reflects on Simone Weil’s thesis of a primacy of duties over rights and her subsequent critique of human rights.

In her article, Insuffisance des droits, ambivalence des obligations : Onora O’Neill et la justice globale (Insufficiency of rights, ambivalence of obligations: Onora O’Neill on global justice), Juliette Monvoisin tries to assess Onora O’Neill’s criticism of universal rights in the light of the moral philosophy of Immanuel Kant.

Lastly, in his paper, The Possibility of a Failed Promise, Patrick Ahern examines the criticisms made by the early Frankfurt School writers against human rights and the way in which these criticisms could lead to fruitful reflections on human emancipation.

 

[1] Bien entendu, tous les problèmes philosophiquement intéressants que posent les droits humains ne sont pas examinés dans ce dossier. Pour ne citer qu’un seul exemple, le développement impressionnant, dans les dernières décennies, du champ de l’éthique animale menace sans aucun doute beaucoup des postulats sur lesquels les théoriciens des droits humains assoient leurs réflexions. La manière dont ce conflit peut être résolu est une question philosophique importante pour les droits humains. Cette question n’est toutefois pas examinée dans ce dossier. Sur ce point on renverra, par exemple, au très intéressant ouvrage de Valéry Giroux Contre l’exploitation animale : un argument pour les droits fondamentaux de tous les êtres sensibles (Lausanne, L’Age d’Homme, 2017). On peut également mentionner l’article d’Alasdair Cochrane “From Human Rights to Sentient Rights” (in Critical Review of International Social and Political Philosophy, 16(5), 2013, pp. 655-675)

[2] Jennifer Nedelsky, “The Relational Self as the Subject of Human Rights”, in Celermajer (D.), Lefebvre (A.) (dir.), The Subject of Human Rights, Stanford University Press, 2020.

[3] Of course, not all interesting questions about human rights are examined in the issue. To give just one example, the impressive development of the field of animal ethics during the last few decades undeniably threatens many of the main philosophical assumptions on which many human rights theorists have based their views. The way in which this conflict could be solved is an important philosophical question about human rights that is nonetheless not examined in the issue (on this see e.g., Alasdair Cochrane, “From Human Rights to Sentient Rights” in Critical Review of International Social and Political Philosophy, 16(5), 2013, pp. 655-675; Valéry Giroux, Contre l’exploitation animale : un argument pour les droits fondamentaux de tous les êtres sensibles, Lausanne, L’Age d’Homme, 2017).

[4] Jennifer Nedelsky, “The Relational Self as the Subject of Human Rights”, in Celermajer (D.), Lefebvre (A.) (dir.), The Subject of Human Rights, Stanford University Press, 2020.

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