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Dossier – Philip Roth

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Margaux Merand, rédactrice en chef adjointe de la revue Implications Philosophiques et coordinatrice du dossier Philip Roth.

 

Ce dossier consacré à Philip Roth consiste en une série d’études, indissociablement philosophiques et littéraires, des différents thèmes à travers lesquels Roth a exploré, dans son œuvre, le problème de la contingence et des torsions qu’elle fait subir à l’existence humaine.

Ainsi que l’écrit Canguilhem dans Le normal et le pathologique,au chapitre IV : « Maladie, guérison, santé », le milieu « cosmique, le milieu de l’animal en général » est bien réglé par un système de « constantes mécaniques, physiques et chimiques ». Il est constitué « d’invariants » et régi par une régularité nomologique. Mais les lois qui l’organisent, écrit encore Canguilhem, sont « des abstractions théoriques » en ceci que le vivant ne vit pas directement parmi elles, mais parmi « des êtres et des événements qui [les] diversifient » :

« Ce qui porte l’oiseau c’est la branche et non les lois de l’élasticité. Si nous réduisons la branche aux lois de l’élasticité, nous ne devons pas non plus parler d’oiseau, mais de solutions colloïdales. […] De même, ce que mange le renard c’est un œuf de poule et non la chimie des albuminoïdes ou les lois de l’embryologie. Parce que le vivant qualifié vit parmi un monde d’objets qualifiés, il vit parmi un monde d’accidents possibles. Rien n’est par hasard, mais tout arrive sous forme d’événements. Voilà en quoi le milieu est infidèle. Son infidélité c’est proprement son devenir, son histoire. »

L’existence n’est ainsi pas « une déduction monotone, un mouvement rectiligne », elle ne relève pas d’une « rigidité géométrique », mais est nécessairement traversée par des « fuites, des trous, des dérobades et des résistances inattendues ». Cela ne signifie pas que le milieu ne soit pas objectivement organisé par des lois, ni que la science ne puisse les mettre en évidence : Canguilhem ne professe aucun « indéterminisme ». Mais si « la science explique l’expérience », « elle ne l’annule pas pour autant ». Aussi, subjectivement – affectivement, dit l’auteur –, et plus généralement empiriquement, la vie est-elle vécue comme inconstante ; la santé étant corrélativement décrite comme la capacité qu’a le vivant à faire des « infractions » à ses normes d’existence et à en générer de nouvelles – qui soient supérieures aux précédentes – selon les exigences changeantes de son milieu et les défis qu’il l’oblige à relever. À l’imprévisibilité et aux effractions dont le milieu est susceptible répond l’aptitude plus ou moins élevée du vivant à transgresser et dépasser ses normes d’existence. 

Nous pourrions alors dire que l’œuvre de Roth est une narration multiple, éclatée en différentes « situations » sartriennes, des accidents possibles et variations que le milieu impose au vivant, auxquels ce-dernier s’adapte ou non. Les personnages de Roth n’incarnent en effet pas tous la santé de Canguilhem et, pour certains, se laissent anéantir ou déchoient dans des normes d’existence inférieures dont ils ne parviennent plus à s’extirper. Il en est ainsi de Seymour « Swede » Levov – personnage dont la jeunesse n’est pas sans rappeler « l’athlète, lanceur de poids » tenant lieu d’allégorie de la santé chez Leriche puis Canguilhem – dans le roman American Pastoral

Les articles suivants ont pour ambition d’approfondir le thème de telles métamorphoses existentielles et, pour certaines, métaphysiques, suscitées ou imposées par la présence irréductible de l’événement défini comme surgissement dans le cours ordinaire des choses, à travers la question du corps, de l’histoire, de la morale, de l’inconscient et de la sexualité.

 

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