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La peur chez Hobbes

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La peur chez Hobbes

Quelques pistes pour penser autrement l’Europe d’aujourd’hui

 

Afin de démarrer l’année de façon plus légère, Implications Philosophiques vous propose une série d’essais et d’articles volontairement « décalés », qui sont autant de réponses à notre appel à contribution « L’inattendu ». Ce troisième essai propose d’analyser les tendances de la politique européenne contemporaine au prisme de la philosophie hobbesienne, et notamment de sa conception de la peur.

Anne Staquet. Agrégée de l’Enseignement Supérieur. Université de Mons

Résumé: La notion de peur joue un rôle prépondérant dans la constitution de la société chez Hobbes. En effet, c’est la peur – considérée comme une des passions fondamentales – qui justifie le passage de l’état de nature à la société civile, par l’instauration d’un souverain. Pour garantir leur sécurité, l’ensemble des habitants transfère leur droit de se gouverner soi-même à un souverain, lequel à pour mission première d’assurer la paix et la sécurité de chacun. La peur joue donc un rôle absolument déterminant mais aussi positif. En outre, c’est notamment par la peur des sanctions que le souverain peut maintenir le peuple dans l’obéissance. La peur n’est donc pas une passion qui a été utile à un moment donné et qui peut être purement et simplement supprimée une fois que l’État a été constitué. Comment cette conception peut nous amener à penser autrement l’Europe d’aujourd’hui ?

Mots-clés : Hobbes, peur, liberté, paix, sécurité

Abstract: The notion of fear plays a preponderant role in the constitution of society in Hobbes. Indeed, it is fear – considered as one of the fundamental passions – that justifies the transition from the state of nature to civil society, by the establishment of a sovereign. To guarantee their security, all the inhabitants transfer their right to govern themselves to a sovereign, whose primary mission is to ensure peace and security for everyone. Fear plays an absolutely decisive but positive role. In addition, it is especially by the fear of sanctions that the sovereign can keep the people in obedience. Fear, then, is not a passion that has been useful at one point in time and can be simply removed once the state has been constituted. How can this conception lead us to think differently of Europe today ?

Keywords: Hobbes, fear, freedom, peace, security

 

Introduction

La thèse selon laquelle la pensée de Hobbes est fondamentale dans la pensée philosophique et politique de l’Europe moderne n’a rien d’inattendu. Elle est aujourd’hui suffisamment répandue pour qu’il ne soit même pas nécessaire de la rappeler en détail. On sait en effet que la peur représente un des fondements majeurs de la politique hobbesienne, que la société politique et la souveraineté nationale découlent de ce désir de sécurité. Par ailleurs, la peur est souvent sur le devant de la scène dans les discours concernant l’Europe que ce soit dans la bouche de certains politiques ou dans les médias en général. La crise des migrants et le terrorisme font continuellement l’actualité et dans un cas comme dans l’autre, il ne fait aucun doute que, même si ce ne sont pas les seules, les émotions de l’ordre de la crainte sont convoquées. Pourtant, la peur est presque systématiquement connotée négativement. Il pourrait donc être intéressant de retourner chez Hobbes pour voir autrement le rôle politique que joue la peur. Celui-ci permettra peut-être de décaler le regard par rapport aux schémas politiques auxquels on fait sans doute trop facilement recours.

Quelques précautions s’imposent cependant d’emblée en préambule à cette réflexion. Il faut garder à l’esprit que la pensée de Hobbes ne peut servir purement et simplement de grille d’analyse pour penser l’Europe. Il y a en effet des présupposés tout à fait irréconciliables entre l’évolution de l’Union européenne et la manière dont Hobbes conçoit la politique. Que l’on pense simplement aux faits que les démocraties occidentales se sont construites sur la séparation des pouvoirs et sur les droits de l’homme. Or, ces derniers sont davantage de l’ordre des valeurs qui devraient être partagées que des droits traduits dans des lois. Alors que la démarche de Hobbes va à l’encontre d’un renforcement des valeurs. En effet, il insiste fortement sur le fait que le pouvoir ne peut que commander aux actes et nullement aux pensées et aux croyances.[1] Et il ne fait aucun doute que, dans la perspective du philosophe, il est extrêmement profitable qu’il en soit ainsi, car la pensée est de ce fait entièrement libérée. Et il n’est sans doute pas besoin de rappeler qu’un des fondements essentiels de la pensée politique de Hobbes est justement la concentration des pouvoirs et nullement leur séparation. Il faut que le Souverain détienne à la fois le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel pour que règne la paix. Sans cela, non seulement les sujets ne savent à quel maître obéir, mais tous les détournements du peuple sont possibles et des guerres civiles peuvent aisément être fomentées.

Ensuite, gardons à l’esprit que la perspective de Hobbes est évidemment celle d’une nation, pas d’un ensemble de pays. Dans son système, les souverains des différents pays sont les uns à l’égard des autres dans la même situation que les hommes dans l’état de nature. Cela n’empêche évidemment pas l’établissement de pactes, mais il n’y a pas de pouvoir suprême pouvant garantir le respect de ces conventions. On pourrait bien sûr se demander si l’Union européenne telle qu’elle se construit actuellement n’est pas en train de passer à la constitution d’un État européen, avec l’instauration d’une constitution commune et la volonté d’une force commune de maintien de la paix[2], mais cela nous entraînerait trop loin de l’analyse du rôle joué par la peur. Toutefois, cette possibilité de voir l’Europe dans une perspective hobbesienne montre qu’on n’est pas dans des conceptions incommensurables.

Enfin, il ne sera pas possible en quelques lignes à la fois de présenter, même de manière synthétisée, le rôle joué par la peur chez Hobbes et son apport à la manière dont la peur fonctionne aujourd’hui dans l’Union européenne. Il faudrait, d’ailleurs, rien que pour cela distinguer de manière un peu fine entre les discours sur la peur, la peur proprement dite (et réfléchissant aux marqueurs qui peuvent en témoigner) et la manière dont la peur est excitée que ce soit par des images, des récits ou d’autres moyens. Rien que cet aspect mériterait à lui seul un article. Les propos sur l’Europe d’aujourd’hui seront donc sans doute quelque peu schématiques, voire caricaturaux. L’auteur s’en excuse par avance et demande au lecteur de ne pas s’attarder à cela, mais de se concentrer sur le but de cette réflexion, qui vise à donner quelques pistes, quelques suggestions pour permettre à partir de Hobbes de déplacer le regard habituel posé sur la peur dans la politique européenne.

Pour ce faire, l’analyse se développera en trois étapes. La première consistera à présenter la peur dans ce qu’elle est fondamentalement chez Hobbes, c’est-à-dire une passion. Il aurait peut-être été tentant de sauter immédiatement à la seconde partie, consistant à montrer le rôle joué par la peur dans la vie politique de hobbesienne. Mais ce serait aller à l’encontre de la philosophie de l’auteur. En effet, non seulement il a construit un système, mais il a veillé à insister dans son œuvre majeure sur le fait que la politique elle-même n’est qu’un élément du système. Même si Hobbes est avant tout connu comme penseur politique, son œuvre est bien plus complète et, dans le Léviathan, la vision politique proprement dite ne comprend que la deuxième des quatre parties de l’ouvrage. Il s’agira donc d’abord de présenter la peur chez Hobbes comme lui-même présente sa politique, en montrant comment elle s’ancre dans une anthropologie et combien elle est fondamentalement de nature passionnelle. On comprendra ainsi autrement comment elle intervient comme un élément essentiel de la vie politique. Ce n’est que dans un troisième et dernier temps que je proposerai quelques pistes pour réfléchir différemment à la notion de peur dans la perspective politique de l’Union européenne.

I. L’homme est un être de passions

« Moi et la peur nous sommes jumeaux », écrit Hobbes tout à la fin de sa vie dans son Autobiographie en vers.[3] Il n’est certainement pas indifférent qu’il accorde à la peur une telle importance pour lui. Certes, Hobbes fait allusion tant à sa naissance précipitée par la crainte qu’aurait eue sa mère en apprenant l’appareillage de l’Invincible Armada, qu’au rôle joué par la passion de la peur dans son système philosophique. Il faut toutefois se garder d’en faire un philosophe timoré. Dans ses écrits, au contraire, Hobbes n’a cessé de s’approcher de la limite entre l’acceptable et l’inacceptable et s’est à plusieurs reprises retrouvé du mauvais côté de la ligne de démarcation. Pour ne citer qu’un exemple, rappelons que, nonobstant le couronnement de Charles II en 1661, monarque qui le soutient, le Parlement ouvre en 1666 une procédure contre le Léviathan. Hobbes est considéré comme responsable tant de la grande peste de 1665 que de l’incendie de Londres de 1666. Par ces événements, Dieu punirait le peuple anglais d’avoir toléré un ouvrage aussi impie. Le 31 janvier 1667, une loi est votée permettant de prendre des mesures contre les athées et les sacrilèges[4] et le Léviathan y est cité. Hobbes se voit donc désigné comme l’ennemi de la nation, celui dont il faut avoir peur. Ses soutiens puissants, la lenteur des procédures et l’instabilité politique de l’époque le sauveront. Mais le roi lui interdit désormais « de rien publier sur les sujets où sa pensée pouvait apparaître comme subversive[5] ». Hobbes s’y soumet et renoncera à publier en Angleterre et ne le fera plus que sur le continent, comme ce sera le cas pour la traduction latine du Léviathan en 1668. À ce stade, on serait tenté d’imaginer que le philosophe, effrayé par sa désignation officielle comme ennemi public, ait cédé à la peur. Ce serait cependant doublement erroné. D’une part, l’obéissance est un élément essentiel de la science politique de Hobbes ; d’autre part, loin d’adoucir le ton, les appendices qu’il ajoute à sa traduction latine du Léviathan renforcent le caractère radical et inacceptable de son œuvre.[6]

Pour comprendre combien chez Hobbes la peur est au cœur de la vie politique, il faut d’abord y saisir le rôle qu’y jouent les passions, car la peur est de nature passionnelle. Fondamentalement, l’homme est un être de passions, de désirs. Hobbes va même jusqu’à affirmer que « c’est être mort que de n’avoir aucun désir[7] ». Et pour comprendre la nature des passions, il faut remonter à la physiologie.[8]

Hobbes part d’une conception radicalement matérialiste du monde : tout ce qui existe est nécessairement de nature corporelle et le seul principe des corps est le mouvement. Les objets extérieurs créent une pression directe ou indirecte sur les organes des sens, qui réagissent à leur tour par un mouvement inverse du nerf au cerveau ou au cœur, constituant la sensation. La sensation n’est donc pas passive, mais elle correspond à un mouvement du cerveau, donc à une action du sujet. L’imagination ne s’oppose pas aux sensations. Elle n’est rien d’autre qu’une sensation en voie de dégradation. Les passions sont aussi de nature corporelle et elles sont des mouvements : il s’agit de mouvements internes qui précèdent les actions. La passion de base est le désir, qui rapproche l’homme de l’objet convoité. L’opposé est l’aversion. L’amour est un désir accompagné de la présence de l’objet désiré, la haine l’aversion accompagnée de la présence de l’objet. À partir de là, il recompose une espèce de tableau de tous les émotions et sentiments. La peur y est définie comme : « L’aversion jointe à l’opinion d’un dommage causé par l’objet[9] ». Si on ignore le pourquoi ou l’objet, on parlera alors de terreur panique.

On passera à côté de la pensée de Hobbes si on oppose les passions aux idées. La volonté déjà est de l’ordre des passions : il s’agit simplement du dernier désir ou de la dernière aversion, autrement dit un mouvement interne portant ou non à l’action. Certains objets peuvent produire à la fois du désir ou de l’aversion. La volonté n’est donc rien d’autre que ce qui arrive en dernier.

Remarquons que, dans la perspective de Hobbes, il n’y a pas de différence entre les hommes et les animaux : les uns comme les autres sont capables d’éprouver des passions et d’exercer une volonté. La convergence va même plus loin, puisque les animaux sont aussi capables de penser, la pensée étant simplement un enchaînement de sensations, d’imaginations, de volontés et de passions. Ce qui n’est pas accessible aux animaux, c’est le raisonnement, ce calcul qui passe par le langage et qui, de ce fait, peut établir des liens nouveaux entre les idées.

Contrairement à la conception chrétienne de l’époque, qui faisait des passions des élans problématiques qui devaient être contrôlés par la raison, les passions ne sont pas mauvaises pour Hobbes. Il ne rejoint pas, pour autant, la vision courante aujourd’hui qui considère certaines passions comme bonnes et d’autres comme mauvaises, la peur étant, bien entendu, du côté des passions négatives. Il renverse purement et simplement le point de vue : rien n’est bien ou mal en soi ; mais l’homme nomme bon l’objet de son désir du moment et mauvais l’objet de son aversion. Selon chacun et les désirs du moment, telle ou telle chose sera considérée comme bonne ou mauvaise.

II. Le rôle de la peur dans la vie sociale

Venons-en maintenant à la vie en société et au rôle qu’y joue la peur. Notons tout d’abord que Hobbes n’envisage pas un système politique qui serait idéal ou fonctionnerait pour autant que les hommes se comportent bien. Il part au contraire des hommes tels qu’ils sont, sans le moindre jugement de valeur, et essaie de montrer comment la société fonctionne et quelle fiction peut expliquer son élaboration. On y trouve tout au plus quelques pistes pour l’améliorer et lui permettre d’éviter les guerres civiles.

On a, on le sait, deux états[10] : l’état de nature et la société civile. Les passions, qui constituent la nature profonde des êtres humains, font que chacun va prendre ce qu’il désire. Bien sûr, les désirs des uns vont se confronter aux désirs des autres. Le plus fort parviendra donc à s’accaparer davantage. Pourtant, on ne peut non plus imaginer une hiérarchie basée sur la force, car même les plus forts doivent dormir et les femmes et les enfants peuvent provisoirement s’unir pour vaincre le plus fort. On est donc dans un état de guerre de tous contre tous, où personne ne peut être sûr d’avoir ce qu’il veut ni même d’être en sécurité. Ce n’est pas bien ou mal en soi, puisque le bien et le mal sont relatifs à chacun ; ce n’est pas davantage injuste, car il n’y a pas de loi ni d’accord sur la justice. Il s’agit simplement de la description neutre d’un état de fonctionnement.

Rapidement, les hommes vont remarquer qu’il peut être avantageux d’établir quelques conventions entre eux, celles-ci constituant les lois de nature. Il s’agit de règles découvertes par la raison, aucunement de lois au sens juridique du terme. Puisque l’état de guerre menace ma vie, il est plus avantageux d’établir des alliances pour vivre au mieux. C’est pourquoi la première loi naturelle consiste à viser la paix : « que tout homme doit s’efforcer à la paix, aussi longtemps qu’il a un espoir de l’obtenir ; et quand il ne peut l’obtenir, qu’il lui est loisible de rechercher et d’utiliser tous les secours et tous les avantages de la guerre[11] ». Évidemment, cela n’a de sens que si les autres font de même. La seconde loi de nature précise donc :

que l’on consente, quand les autres y consentent aussi, à se dessaisir, dans toute la mesure où l’on pensera que cela est nécessaire à la paix et à sa propre défense, du droit que l’on a sur toute chose ; et qu’on se contente d’autant de liberté à l’égard des autres qu’on en concéderait aux autres à l’égard de soi-même[12].

Comme on le voit, les désirs des hommes et la peur jouent un rôle déterminant dans l’instauration des premiers pactes entre les hommes.

Toutefois, rien ne garantit que tous jouent le jeu et, dans l’état de nature, il n’y a aucune manière d’imposer à chacun de respecter les contrats passés ni même les lois de nature. Motivés par leurs désirs et par la peur pour leur propre vie, les hommes vont donc aller plus loin et instaurer la société civile, c’est-à-dire mettre en place une instance supérieure capable d’imposer le respect des pactes :

c’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière[13].

Hobbes nomme « souverain » cette instance. Selon qu’il s’agit d’un individu, d’un groupe ou de toute la société, la société civile sera une monarchie, une aristocratie ou une démocratie. Il n’existe pas d’autres formes de républiques. En effet, tyrannie, oligarchie ou anarchie ne représentent « pas d’autres formes de gouvernement : ce sont les mêmes qu’on appelle ainsi, quand on ne les aime pas[14] ». Le pouvoir absolu dont il est question chez Hobbes ne signifie donc nullement, comme on l’entendrait aujourd’hui, une forme de dictature, mais simplement le fait que, pour assurer la paix, le souverain ne doit pas avoir d’instance au-dessus de lui. Il n’y a donc pas un pouvoir spirituel au-dessus du pouvoir temporel et susceptible de lui faire concurrence, mais, comme le montre le frontispice de l’ouvrage qu’a fait dessiner Hobbes, le souverain – composé de l’ensemble des citoyens –, a en main le sceptre et le goupillon. Il est en effet impossible d’obéir à deux maîtres, et c’est au souverain, et uniquement à lui, que les hommes ont transféré le pouvoir de se gouverner.

Le fait que la peur est à la source de la vie civile n’implique pas que les citoyens doivent vivre dans la peur. En effet, on vient de le voir, la notion de pouvoir absolu a un tout autre sens chez Hobbes. En outre, la République[15] a été instaurée pour garantir la sécurité de tous.[16] Il faut donc que les hommes ne vivent pas dans la crainte et l’insécurité pour que le renoncement en vaille la peine. Enfin, au départ, il y a bien sûr la peur, mais aussi les désirs. Certes, en République, il faut renoncer à son droit légitime sur toute chose, mais il n’est pas question pour autant de renoncer à la satisfaction de tous les désirs au profit de la sécurité. D’ailleurs, Hobbes le précise très explicitement :

La fonction du souverain (qu’il s’agisse d’un monarque ou d’une assemblée) est contenue dans la fin pour laquelle on lui a confié le pouvoir souverain, et qui est le soin de la sûreté du peuple : il y est obligé par la loi de nature, et il est obligé d’en rendre compte à Dieu, auteur de cette loi, et à nul autre. Notez que par sûreté, je n’entends pas ici la seule préservation, mais aussi toutes les autres satisfactions de cette vie que chacun pourra acquérir par son industrie légitime, sans danger ni mal pour la République.[17]

Ce n’est donc pas par la peur que le souverain doit accomplir sa mission, mais par l’instauration des bonnes lois et par l’éducation. Après avoir rappelé que la fonction principale du souverain est d’assurer la sûreté, il précise que celle-ci doit être maintenue tant par les lois que par l’instruction :

On n’attend pas, en vérité, que ce résultat soit obtenu par une sollicitude qui s’exercerait à l’endroit des individus (sinon pour ce qui est de les protéger des traitements injustes quand ils portent plainte), mais plutôt qu’on y pourvoie par des mesures générales, consistant d’une part dans un enseignement officiel (dispensé à la fois par des leçons et par l’exemple) et de l’autre dans la confection et l’application de bonnes lois, auxquelles les personnes individuelles peuvent rapporter leur propre cas.[18]

Étonnamment, l’éducation est même citée avant les lois. On voit donc apparaître une tout autre vision de la philosophie politique de Hobbes : si son système requiert bien un pouvoir absolu, le souverain ne doit pas tant se maintenir par la force – même s’il ne peut y renoncer, car en dernière instance, c’est ainsi qu’il peut garantir le respect des lois – que par l’éducation, afin que les citoyens comprennent combien l’obéissance au souverain est essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité de tous.

C’est en ce sens qu’on peut comprendre sa célèbre formule selon laquelle, dans l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme et, dans la République, l’homme est un Dieu pour l’homme :

À coup sûr, l’une et l’autre formule sont vraies, qui déclarent : l’une que l’homme est un Dieu pour l’homme, l’autre, que l’homme est un loup pour l’homme. Celle-là est vraie si l’on considère les concitoyens entre eux, celle-ci si l’on considère les cités. Là, l’homme accède à la ressemblance avec Dieu par la justice et la charité, les deux vertus de la paix. Ici, en raison de la dépravation des méchants, même les bons doivent avoir recours, s’ils veulent se défendre, aux deux vertus de la guerre, la force et la ruse, c’est-à-dire à la rapacité des fauves.[19]

Même si les hommes peuvent s’apporter des bienfaits équivalents ou supérieurs à ce que Dieu offre, cela ne signifie pas non plus que la peur disparaît entièrement dans la vie civile. En effet, les hommes sont des êtres de passions et de désirs, pas uniquement de raison. Il serait donc illogique de penser que chacun va systématiquement agir de manière rationnelle et se comporter de manière idéale, même grâce à l’éducation. Si une telle perspective était envisageable, il n’y aurait pas eu besoin d’instaurer un souverain pour garantir le respect des pactes ; les lois de nature, comprises et respectées par tous, auraient suffi. L’instauration de sanctions pour le non-respect des lois civiles est donc un principe important : il faut que les citoyens puissent craindre des représailles s’ils ne respectent pas la loi.

En outre, il n’y a pas que la justice à être basée sur la peur. C’est le cas également de la religion, que Hobbes définit de la sorte :

La crainte d’une puissance invisible feinte par l’esprit ou imaginée à la suite de récits qui bénéficient d’une permission officielle, est appelée religion ; là où cette permission fait défaut, on parle de superstition. Si la puissance imaginée est en vérité telle que nous l’imaginons, c’est là la vraie religion.[20]

La passion de la peur joue donc un rôle important non seulement pour l’instauration de la République, mais également pour le maintien de la paix au sein de celle-ci, car la religion n’est pas avant tout la relation personnelle avec un être transcendant. La religion est essentiellement un instrument dont le souverain peut se servir pour maintenir l’obéissance.[21] Comme on le voit, malgré son rôle déterminant, tout est mis en place pour que la peur ne soit pas l’unique moteur du pouvoir. En effet, si tel était le cas, les hommes ne tireraient pas de bénéfices du passage à la vie civile.

III. Apports de la pensée de Hobbes pour une réflexion sur l’Europe

Voyons maintenant comment la pensée de Hobbes peut offrir quelques pistes originales pour penser l’Europe actuelle et le rôle qu’y joue la peur.

L’idée de peur est fortement associée, dans l’imaginaire collectif, à une tendance politique de droite[22]. On ne compte plus les études et les articles, plus ou moins sérieux, qui défendent l’idée selon laquelle, dans le monde occidental, plus on est sujet à la peur, plus on vote à droite par désir de défendre l’ordre établi. Or, non seulement il est absurde de prétendre que la gauche est contre l’ordre établi et la droite pour celui-ci, mais l’idée même d’associer la peur à la droite commence à être remise en question. Philippe Breton, par exemple, a montré que la gauche a tenté dans les débats radiophoniques et télévisuels de recourir aux mêmes méthodes démagogiques basées sur la peur face aux intervenants d’extrême droite que ne le fait la droite pour d’autres thématiques.[23] Dans cette perspective, ce qui distingue les discours de droite de ceux de gauche, ce n’est sans doute pas tant le fait de jouer ou non sur la peur, mais ce qui est désigné comme source de danger.[24]

Or, Hobbes remet encore bien plus fondamentalement en cause cette association de la peur à un type de partis. En effet, si la peur est une passion et que donc elle fait partie de la nature humaine, il est absurde de la réserver à certaines personnes, tout comme il l’est de la nier, de la diaboliser ou de la moraliser. La peur n’est ni bonne ni mauvaise en soi, elle est juste une donnée des hommes dont il s’agit de tenir compte.

Là où Hobbes est peut-être particulièrement intéressant pour penser les discours politiques dans l’Union européenne, c’est sans doute justement face à la peur. Non seulement, il insiste sur l’absurdité de faire comme si la peur n’existait pas, mais il insiste aussi sur le fait que le rôle du Souverain est d’assurer la sûreté de tous et de permettre à tous de vivre le mieux possible. Un tel projet peut aussi bien être intégré aux politiques de droite que de gauche. En effet, face au dernier grand objet de crainte actuellement dans l’Union européenne – l’immigration – les gouvernements peuvent réagir en intégrant les immigrés ou en protégeant leurs frontières pour les repousser au-dehors. Il s’agira alors de voir quelle procédure permet aux citoyens de bien ou de mieux vivre.

Par contre, Hobbes insiste aussi sur le fait que si le Souverain ne permet pas de bien vivre, l’instauration même de la République n’a pas de sens, ayant surtout des inconvénients et perdant sa raison d’être. Or, en permettant d’amplifier la peur, dans les discours politiques et dans les médias, l’intérêt même du transfert de ses droits à un Souverain (qui peut être une assemblée) s’en trouve réduit. Comme par ailleurs, le Souverain a le droit, voire le devoir, de contrôler les discours, il faudrait, dans la perspective de Hobbes, contrôler ces discours, afin – sans nier les craintes des citoyens – de ne pas les développer. On pourrait donc imaginer, au sein des pays de l’Union européenne, que ce ne soient pas seulement les incitations à la haine qui seraient condamnables, mais aussi les incitations à la peur. Dans cette optique, l’immigration ne pourrait être, comme c’est habituellement le cas aujourd’hui, l’enjeu des discours électoraux. Il ne s’agirait pas de nier la crainte qu’elle peut susciter, mais de tenter de rassurer la population par des mesures concrètes et non pas d’en jouer pour attirer le vote de la population.

Parallèlement, la pensée de Hobbes rappelle que bien vivre, ce n’est pas seulement vivre en sécurité, c’est aussi profiter de tous les bienfaits qui peuvent s’acquérir par son travail et par la vie en commun. Autrement dit, des politiques qui se concentreraient exclusivement ou de manière prépondérante sur la sécurité au détriment des autres avantages de la vie en commun perdaient aussi leur intérêt. On peut ici rappeler la réponse attribuée à Churchill, à qui on proposait de couper dans le budget de la culture pour soutenir l’effort de guerre : « Mais alors pourquoi nous battons-nous ? » Cela va même plus loin. En effet, si, pour éviter certains dangers – réels ou imaginaires –, la vie en commun en perd une part importante de son intérêt, l’instauration même de la société civile perd son sens. Autrement dit, dans la mesure où les actions du souverain doivent être considérées à l’aune de l’objectif pour lequel la République a été instaurée, s’il ne garantit pas la sûreté des citoyens et la possibilité de bénéficier de tous les avantages de la vie en commun, il perd son fondement. Des Souverains qui profiteraient, par exemple, de la peur face aux actes terroristes pour remettre en question les avantages de la société devraient légitimement être considérés comme inopérants. La société se retrouverait donc en état de nature. Que ce soit la culture ou les autres bienfaits de la vie en commun, ceux-ci sont des éléments importants et qui ne peuvent être négligés au profit de la sécurité.

De manière plus générale, la pensée de Hobbes conduit aussi à envisager la politique en dehors de toute moralisation. Or, il est clair que la tendance actuelle de l’Union européenne   consiste à renforcer l’éthique, au point qu’on peut parfois se demander si la politique n’est pas en train de se dissoudre dans la morale ou à s’assujettir à elle.[25] Or, la perspective de Hobbes est exactement inverse : il dissout la morale et même la religion dans la politique. En effet, si le bien et le mal ne peuvent être absolus et dépendent de chacun à chaque moment, il faut, dans la société civile, une règle pour définir le bien et le mal. C’est évidemment le souverain qui va le déterminer par les lois. En effet, il ne définit pas une morale en soi, à laquelle il faudrait croire, mais uniquement des règles déterminant les actions préconisées et celles qui sont interdites. Pour Hobbes, même Dieu ne peut ordonner ce que les hommes doivent penser ou croire : « En effet, les croyances et pensées intérieures des hommes ne sont pas soumises aux commandements de Dieu[26] ». De la sorte, le souverain ne peut commander les opinions et les croyances et ne peut commander qu’aux actions.

Il est sans doute très difficile aujourd’hui d’envisager les choses sous une telle perspective. Même le droit s’est partiellement dissout dans la morale, comme en témoigne la déclaration des droits de l’homme, qui est un référent essentiel de l’Union européenne. En effet, cette charte, quasi unanimement considérée comme l’idéal de nos démocraties, bien que réalisée à des degrés divers, se fonde sur des valeurs auxquelles on est prié de croire plutôt que sur des règles à respecter. C’est la voie inverse qui est suggérée par Hobbes.


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[1]     J’y reviendrai dans la troisième partie de cette réflexion.

[2]     L’expression mériterait une analyse linguistique dans l’esprit de ce qui est fait dans l’ouvrage dirigé par Pascal Durant, Les nouveaux mots du pouvoirs. Abécédaire critique, Bruxelles, Aden, 2007. Notons toutefois que parler de  l’armée en terme de paix est sans doute significatif d’une peur à l’égard de la guerre dans l’opinion publique.

[3]     « Ma mère en conçut alors une si grande crainte / Qu’elle accoucha en même temps de deux jumeaux, de moi et de la crainte. ». Jean Terrel, Hobbes. Vies d’un philosophe, Rennes, Presses Universitaires de Rennes 2008, pp. 134-135, vers 25 et 26.

[4]     Il s’agit exactement d’un Act for punishing and preventing Atheism, Profaneness, and profane Cursing and Swearing.

[5]     François Tricaud, « Introduction », in Thomas Hobbes, Léviathan, tr. fr. de François Tricaud. Paris, Dalloz, 1999, p. XII.

[6]     J’ai développé ce point dans mon article « Comment Hobbes tente de rendre son matérialisme acceptable dans les appendices du Léviathan », Littérature classique, 2017, n° 93, pp. 95-115 ainsi que dans mon ouvrage La ruse du Léviathan, Paris, Hermann, 2013.

[7]     Thomas Hobbes, Léviathan, tr. fr. de Tricaud François. Paris, Dalloz, 1999, p. 70.

[8]     J’ai montré dans « Hobbes, d’Holbach et la théorie des passions : importance du passage par la physique et la théorie de la connaissance » [Revue de métaphysique et de morale, 2011, n° 3, pp. 385-404] comment d’Holbach s’éloigne de la morale de Hobbes à partir du moment où il renonce à comprendre les passions sur ce modèle.

[9]     Léviathan, op. cit., p. 51.

[10]   Ces deux états sont de l’ordre d’une fiction explicative.

[11]   Léviathan, op. cit., p. 129.

[12]   Idem, p. 129.

[13]   Ibidem, p. 177. C’est moi qui souligne.

[14]   Ibidem, p. 193.

[15]   Le terme anglais original est Common-Wealth, les termes latins utilisés : Civitas ou Republica.

[16]   « La cause finale, le but, le dessein, que poursuivirent les hommes, eux qui par nature aiment la liberté et l’empire exercé sur autrui, lorsqu’ils se sont imposés ces restrictions au sein desquelles on les voit vivre dans les Républiques, c’est le souci de pourvoir à leur propre préservation et de vivre plus heureusement par ce moyen […] » Léviathan, op. cit., p. 173.

[17]   Ibidem, p. 357.

[18]   Idem.

[19]   Hobbes Thomas (1982) « Épitre décicatoire ». In Hobbes Thomas. Le Citoyen ou les fondements de la politique, tr. fr. de S. Sorbière, Paris : Garnier-Flammarion, p. 83]. Je reprends ici la traduction de Tricaud.

[20]   Léviathan, op. cit., p. 53.

[21]   « C’est pourquoi les premiers fondateurs et législateurs des Républiques ; parmi les Gentils, dont le but était seulement de maintenir les hommes dans l’obéissance et dans la paix, ont pris soin, dans tous les pays : premièrement d’imprimer dans les esprits une croyance telle que ces préceptes qu’ils donnaient au sujet de la religion ne fussent pas considérés comme procédant de leur propre invention, mais au contraire comme édictés par quelque dieu ou quelque esprit ; ou encore selon laquelle ils étaient eux-mêmes d’une nature tout autre que de simples mortels, de façon que leurs lois fussent d’autant plus facilement reçues. […] Deuxièmement, ils ont eu soin de faire croire que les mêmes choses qui étaient interdites par les lois déplaisaient aux dieux… Troisièmement, de prescrire des rites, des supplications, des sacrifices et des fêtes capables, d’après ce qu’il fallait croire, d’apaiser la colère des dieux ; de faire croire que les revers militaires, les grandes épidémies, les tremblements de terre et l’affliction que chacun pouvait connaître personnellement venaient de la colère des dieux, cette colère venant à son tour de la négligence apportée à leur culte, ou encore d’un oubli ou d’une erreur touchant quelque article des rites exigés. » Ibidem, p. 114.

[22]   Ces notions de droite et de gauche mériteraient un questionnement approfondi, afin de savoir si elles ont jamais été pertinentes et si elles le sont toujours aujourd’hui. Vu la brièveté de cette réflexion et le grand nombre de fois que ces catégories sont évoquées, on continuera à les employer ici, tout en gardant à l’esprit l’idée qu’elles ne sont sans doute que fort peu pertinentes.

[23]   « Face à cette brutalité d’accompagnement et de présentation du discours, la gauche française avait cru bon, à une certaine époque, de mobiliser en son sein ceux qui pouvaient user des mêmes méthodes brutales et démagogiques. On fit ainsi appel à des hommes comme Bernard Tapie, dans des débats télévisés contre l’extrême droite, dans un rôle symétrique. Ce genre de tentative n’est pas exempte d’effets pervers, car, au bout du compte, le procédé critiqué s’en trouve légitimé et renforcé. » Philippe Breton, La parole manipulée, Paris, La Découverte, 2000, p. 88.

[24]   Alalouf affirme qu’à l’époque où la pensée néo-libérale domine, même à gauche, c’est l’attitude face à certains combats particuliers, comme ceux pour les droits des homosexuels, qui départagent la droite et la gauche. Cf. Contre la pensée molle. Dictionnaire du prêt à penser II, Mons, Couleur Livres, 2014, pp.153-154.

[25]   Cf. François Schreurer, « Ne laissons pas le moralisme remplacer la politique », le Soir du 20 juin 2017 : http://www.lesoir.be/100580/article/2017-06-20/ne-laissons-pas-le-moralisme-remplacer-la-politique.

[26]   Ibidem, p. 307.

1 Comment

  1. Quelques remarques. Sur l’évocation suivante : « On peut ici rappeler la réponse attribuée à Churchill, à qui on proposait de couper dans le budget de la culture pour soutenir l’effort de guerre : « Mais alors pourquoi nous battons-nous ? »  » C’est hélas erroné et probablement inventé : http://theconversation.com/the-budget-the-arts-and-the-limits-of-marketplace-thinking-26736

    Concernant le fait que « la pensée de Hobbes rappelle que bien vivre, ce n’est pas seulement vivre en sécurité, c’est aussi profiter de tous les bienfaits qui peuvent s’acquérir par son travail et par la vie en commun », il me semble que ce n’est ni la sécurité, ni les bienfaits qui intéresse l’homme selon Hobbes, mais la garantie d’acquérir encore et toujours la puissance quelque soient les conditions : « « Par MŒURS, […] j’entends ces qualités du genre humain qui concernent le fait de vivre ensemble dans la paix et l’union. A cette fin, nous devons considérer que la félicité en cette vie ne consiste pas dans le repos d’une âme satisfaite. En effet, il n’existe rien de tel que cette finis ultimus (fin dernière) ou ce summum bonus (bien suprême), comme on le dit dans les livres de la morale vieillie des philosophes. Nul ne peut vivre non plus si ses désirs touchent à leur fin, non plus que si ses sensations et son imagination s’arrêtent. La félicité est une progression ininterrompue du désir allant d’un objet à un autre, de telle sorte que parvenir au premier n’est jamais que la voie menant au second. La cause en est que l’objet du désir d’un humain n’est pas de jouir une fois seulement, et pendant un instant, mais de ménager pour toujours la voie de son désir futur. Et donc, les actions volontaires et les penchants de tous les humains ne visent pas seulement à procurer une vie heureuse, mais encore à la garantir ; et ils diffèrent seulement dans la voie qu’ils suivent. Ce qui provient pour une part de la diversité des passions existant chez diverses personnes, et, pour une autre part, de la différence de connaissance ou d’opinion que chacun a des causes produisant l’effet désiré. C’est pourquoi je place au premier rang, à titre de penchant universel de tout le genre humain, un désir inquiet d’acquérir puissance après puissance, désir qui ne cesse seulement qu’à la mort. Et la cause de cela n’est pas toujours que l’on espère une jouissance plus grande que celle qu’on vient déjà d’atteindre, ou qu’on ne peut se contenter d’une faible puissance, mais qu’on ne peut garantir la puissance et les moyens de vivre bien dont on dispose dans le présent, sans en acquérir plus. » (Hobbes, Leviathan, chapitre 11)

    Pour ce qui est enfin de « L’instauration de sanctions pour le non-respect des lois civiles est donc un principe important : il faut que les citoyens puissent craindre des représailles s’ils ne respectent pas la loi. » Il me semble qu’il faut préciser que les sanctions ou représailles n’ont pas d’autres réalités chez Hobbes que la « représentation ». Et c’est bien le sens de la citation qui illustre votre propos « La crainte d’une puissance invisible feinte par l’esprit ou imaginée à la suite de récits qui bénéficient d’une permission officielle, est appelée religion ; là où cette permission fait défaut, on parle de superstition. Si la puissance imaginée est en vérité telle que nous l’imaginons, c’est là la vraie religion »

    Ce n’est donc pas la sanction réelle mais sa représentation (que ce soit dans l’état civil ou de nature), point sur lequel Foucault insiste : « Ce qui se rencontre, ce qui s’affronte, ce qui s’entrecroise, dans l’état de guerre primitive de Hobbes,ce ne sont pas des armes,ce ne sont pas des poings,ce ne sont pas des forces sauvages et déchaînées. Il n’y a pas de batailles dans la guerre primitive de Hobbes, il n’y a pas de sang, il n’y a pas de cadavres. Il y a des représentations,des manifestations,des signes,des expressions emphatiques, rusées, mensongères; il y a des leurres, des volontés qui sont travesties en leur contraire, des inquiétudes qui sont camouflées en certitudes. On est sur le théâtre des représentations échangées, on est dans un rapport de peur qui est un rapport temporellement indéfini; on n’est pas réellement dans la guerre » (cf. Foucault, Michel, « Il faut défendre la société » in Cours au Collège de France, 1976, 1977) https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RDES_077_0052

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