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Recension – L’Observation scientifique. Aspects philosophiques et pratiques

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Réformer l’observation

À propos de Vincent Israel-Jost, L’Observation scientifique. Aspects philosophiques et pratiques, Paris, Classiques Garnier, 2015, 284 pages, livre broché : 29€.

  par Youna Tonnerre, CAPHI (Centre Atlantique de Philosophie), Université de Rennes 1

Vous pouvez lire la réponse de Vincent Israel-Jost à cette adresse

Vincent Israel-Jost se propose, dans cet ouvrage tiré de sa thèse de doctorat, d’élaborer une nouvelle conception épistémologique de l’observation scientifique. Ce faisant, il entend s’affranchir d’une conception traditionnelle qui, malgré de nombreuses critiques, continue de structurer les débats, tout en prenant acte des pratiques réelles des scientifiques.

La conception traditionnelle de l’observation

L’auteur présente la conception de l’observation qu’il entend réformer dans le chapitre 2 de la première partie. Née dans les années 1930 avec les travaux des empiristes logiques, et notamment de Rudolf Carnap, cette conception traditionnelle se caractérise par un empirisme fondationnaliste qui fait de l’observation le socle à partir duquel l’ensemble des connaissances scientifiques se doit d’être élaboré. Elle est ce à partir de quoi les connaissances doivent être produites et ce à l’aune de quoi elles doivent être mises à l’épreuve. Si l’observation peut et doit jouer ce rôle de fondement absolu et de critère ultime de la connaissance en science, c’est parce que, selon la conception empiriste fondationnaliste, elle donne lieu à des connaissances au statut particulier : elles sont indubitables car auto-justifiées. L’autonomie épistémique de ce type singulier de connaissances est garantie, dans ce cadre, par le caractère essentiellement direct, a-théorique, passif et neutre de l’observation. Celle-ci n’est obtenue ni par inférence, ni par réflexion, ni par comparaison, ni finalement par quelque processus constructif que ce soit. Elle est directement donnée à la conscience et ne repose sur rien d’autre qu’elle-même.

Ainsi définie, l’observation semble ne pouvoir relever que de l’expérience perceptive d’un sujet qui observe passivement et directement le monde et qui se garde bien de dénaturer l’information dont il acquiert une connaissance immédiate par quelque attente, désir ou croyance préalable. L’ensemble des instruments dits d’observation ou de détection, tels que les télescopes, les microscopes ou encore les spectroscopes à infrarouge, qui rendent l’expérience indirecte et chargée de théorie, se trouve, en conséquence, exclu de toute entreprise observationnelle authentique. Observer quelque chose, c’est en être le témoin direct et seuls les sens non assistés semblent le permettre.

Héritage contemporain

L'Observation scientifiqueIl est intéressant de constater avec Vincent Israel-Jost que, près d’un siècle après, cette manière de concevoir l’observation continue de structurer les débats en philosophie des sciences. Ainsi, lorsque les réalistes et les anti-réalistes s’opposent sur la réalité des entités inobservables postulées par nos meilleures théories – i.e. celles qui sont acceptées par la majorité des scientifiques aujourd’hui –, la frontière entre le domaine de ce qui est observable et de ce qui ne l’est pas continue d’être tracée en référence à ce qui peut être directement perçu par nos sens. Ainsi, protons, électrons, neutrinos, molécules d’ADN, ondes gravitationnelles, se retrouvent, bien souvent, exclus du champ de l’observable. De même, lorsque l’on s’affronte, en philosophie, pour savoir si certains instruments peuvent, ou non, servir à des fins d’observation, on continue de se demander dans quelle mesure les résultats obtenus par ces instruments sont épistémiquement autonomes, ou encore dans quelle mesure les processus instrumentaux en question se rapprochent de la perception humaine ou ne font que l’assister sans la dénaturer.

Pourtant, rien de moins étonnant. C’est, en effet, ce que met parfaitement en évidence, en premier lieu, l’auteur. Deux raisons sont invoquées dans l’ouvrage. (1) La première est d’ordre pratique. Cette conception traditionnelle de l’observation est tout bonnement incompatible avec les pratiques d’investigation empirique contemporaines. Force est de constater, en effet, qu’en matière de récolte de données, les machines ont, à présent, largement remplacé les hommes. Quid, de nos jours, des données perceptuelles – i.e. des données obtenues par l’intermédiaire de nos cinq sens sans que ceux-ci ne soient assistés de quelque façon par un instrument – au sein des « rapports d’observation »? Les données qui les constituent sont pour l’essentiel d’origine instrumentale. Ainsi, que l’on puisse considérer une entité comme « inobservable » du simple fait qu’il nous est impossible de la percevoir, et que l’on puisse douter, à ce titre, de son existence, étonnerait n’importe quel scientifique contemporain. Lorsque les chercheurs des collaborations LIGO et Virgo annoncent, le 11 février 2016, la détection des ondes gravitationnelles prédites cent ans auparavant par Einstein, il s’agit bien, à leurs yeux, d’une « observation »[1]. Tout comme, il ne faisait aucun doute pour Le Verrier que Galle avait obtenu la preuve observationnelle de l’existence de Neptune en pointant son télescope à l’endroit calculé par ses soins, il ne fait aucun doute pour les scientifiques de la collaboration LIGO-Virgo d’avoir obtenu, par le biais de cette détection, la preuve observationnelle de l’existence des ondes gravitationnelles et d’avoir en leur possession un instrument d’observation permettant de les étudier. Le fait que ces ondes ne soient, en aucun cas, accessibles à l’œil nu n’y change rien. (2) Le second argument de Vincent Israel-Jost est d’ordre épistémologique. Comme il le montre dans le chapitre 3 de la première partie, cette conception n’a pas résisté à la vague de critiques qui a déferlé à partir du milieu des années 1950, en provenance notamment des philosophes post-positivistes. Ce sont, en particulier, les notions de neutralité et d’autonomie épistémique qui se sont trouvées contestées, et avec elles, la thèse selon laquelle il serait possible de faire reposer l’ensemble des connaissances scientifiques sur un socle de connaissances observationnelles indubitables et auto-justifiées. Les travaux de deux auteurs se sont révélés particulièrement déterminants à cet égard. D’une part, ceux de Norwood Russell Hanson[2] qui ont contribué à mettre en évidence la « charge théorique » des énoncés d’observation. D’autre part, ceux de Wilfrid Sellars[3] portant sur la notion de « donné » (the Given). Ce que ces travaux mettent en évidence, c’est qu’il n’existe rien de tel qu’une connaissance directement donnée à la conscience qui serait épistémiquement efficace, autrement dit qui pourrait servir de fondement au savoir scientifique. Qu’une telle chose puisse exister, il s’agit là d’un mythe et la connaissance observationnelle n’échappe pas à ce principe : en science, rien n’est donné, rien n’est immédiatement justifié, tout est chargé de théorie.

Pour un empirisme non fondationnaliste et une conception de l’observation cohérentiste et itérative

La conception traditionnelle se révélant aussi peu viable sur le plan pratique qu’épistémologique, Vincent Israel-Jost conclut qu’elle échoue à rendre compte de manière adéquate du concept d’observation. En conséquence, il se propose d’en élaborer une nouvelle. Pour ce faire, il devra relever maints défis. C’est qu’il entend ne pas renoncer à un empirisme relativement fort au sein duquel l’observation tient un rôle indispensable et privilégié, tout en refusant cependant de défendre tout fondationnalisme – les critiques à l’encontre de celui-ci ayant, selon l’auteur, définitivement eu raison de lui. Cela l’amènera alors à découpler le problème de la justification des énoncés d’observation de celui de leur privilège. Si, en cas de conflit avec des énoncés d’origine non observationnelle, les énoncés d’observation doivent être privilégiés, ce ne sera pas parce qu’ils possèdent un mode de justification particulier qui leur garantirait l’infaillibilité. Une fois résolus le problème de la justification et celui du privilège – autrement dit une fois expliquée la manière dont les énoncés d’observation en viennent à être justifiés et déterminée la source de leur privilège, sans recourir pour cela à un fondationnalisme – l’auteur entend être en mesure de proposer une nouvelle définition du concept d’observation, bien loin de celui fantasmé par la conception traditionnelle.

Le chapitre 4, qui clôture la première partie, est sans aucun doute le plus précieux de l’ouvrage. Consacré à la résolution du problème de la justification et celui du privilège, il aboutit à une conception intensionnelle originale de l’observation et jette les bases d’une épistémologie novatrice[4].

Rejetant tout fondationnalisme, Vincent Israel-Jost propose de se placer au sein d’un cadre cohérentiste. Si celui-là attribuait un statut épistémique particulier aux énoncés d’observation, celui-ci ne discrimine pas entre les différents types d’énoncés. Tous les énoncés, sans exception, trouvent alors leur justification dans la relation cohérente qu’ils entretiennent avec le système de croyances au sein duquel ils s’insèrent. En recourant au cadre cohérentiste, l’auteur se donne ainsi la possibilité d’assurer la justification des énoncés d’observation sans que ceux-ci n’aient à correspondre au parangon indépendant des empiristes fondationnalistes. Souhaitant, néanmoins, ne pas renoncer à un empirisme relativement fort, l’auteur se retrouve confronté à deux problèmes : celui dit de l’isolement[5], d’une part et celui du privilège, d’autre part. Le premier, qui interroge la nécessité de recourir à l’observation dans un cadre cohérentiste où seule compte la cohérence interne du système, est rapidement écarté par l’auteur qui se range du côté de ce qu’il estime être la réponse la plus convaincante à ce jour et affirme que si le problème se pose effectivement en principe, il ne se pose tout bonnement pas en pratique, dans la mesure où nous recourrons, de fait, toujours à l’observation lorsqu’il s’agit de construire nos systèmes de croyances. Le second problème – celui du privilège – se révèle, quant à lui, plus sérieux. Comment, en effet, rendre compatible un tel cohérentisme – qui ne semble permettre aucune discrimination entre différents types d’énoncés – avec une épistémologie empiriste qui fait de l’observation un élément non seulement indispensable, mais également privilégié de la connaissance ? Autrement dit, comment, dans ce cadre, exiger qu’en cas de conflit avec des énoncés d’origine non observationnelle, la priorité soit systématiquement accordée aux énoncés d’observation ? Afin de répondre à cette question, Vincent Israel-Jost va spécifier ce qu’il entend par « observation ». Pour ce faire, il va introduire la notion d’ « investigation empirique » et distinguer deux phases en son sein. L’une d’entre elles, seulement, correspondra à la phase proprement observationnelle. Par « investigation empirique », Vincent Israel-Jost désigne l’entreprise itérative et généralement collective, « visant à acquérir une connaissance factuelle sur le monde » (p.107). La première phase, qu’il nomme « phase expérimentale » se caractérise par son instabilité. Les instruments à utiliser afin de sonder un pan particulier du monde ainsi que la manière de le faire n’ont pas encore été fixés. La perspective des scientifiques, et plus précisément leur cadre conceptuel et leurs croyances, sont encore controversés et sujets au changement, tout comme la façon d’interpréter les résultats qu’ils obtiennent. Celle-ci se modifie et se transforme au gré des modifications et transformations de la perspective. Mais il arrive un moment où les éléments se stabilisent. On entre alors, affirme l’auteur, dans la phase observationnelle. La stabilisation des éléments en jeu dans la formulation des résultats expérimentaux aboutit à une stabilisation des résultats. Ceux-ci ne sont alors plus hypothétiques mais posés de manière catégorique. Si tel est le cas, c’est parce qu’une fois la « condition de stabilité » remplie, une fois la perspective fixée et non plus controversée et les moyens matériels ainsi que la manière de les utiliser acceptés et considérés comme fiables, il ne subsiste plus aucune raison de mettre en doute les résultats obtenus. Cela ne signifie pas que les résultats observationnels ne peuvent, en principe, être remis en cause – l’histoire des sciences en témoigne – mais simplement qu’au moment où ils sont établis, rien ne semble indiquer qu’on puisse le faire. Nous avons alors, d’après l’auteur, la « contrainte rationnelle » de les accepter et de leur accorder la priorité sur d’autres énoncés. De là découle leur autorité.

Ces différentes considérations amènent Vincent Israel-Jost à définir l’observation de la manière suivante:

Un investigateur ou un groupe d’investigateurs V observent X en utilisant les moyens Y si V entame une investigation concernant X, en choisissant les moyens Y, et Y est stable. De plus, les concepts et propositions qui sont utilisés pour formuler un rapport d’observation sur X ont été stabilisés et ne sont pas controversés. En conséquence, il faut accorder la priorité aux rapports d’observation stables en cas de conflit avec d’autres propositions. (p.117)

Ceci étant posé, une définition extensionnelle du concept émerge : tout moyen de sonder le monde afin d’en obtenir une connaissance factuelle peut être utilisé à des fins d’observation, à condition, cependant, qu’il puisse fournir des énoncés stables. N’étant plus question d’autonomie ni de ressemblance avec la perception humaine, mais simplement de stabilité, Vincent Israel-Jost défend, à la suite de Paul Humphreys[6], une conception de l’observation étendue et non anthropocentrique dans laquelle les instruments de détection et de mesure sont, en principe, tout aussi légitimes que la perception humaine lorsqu’il s’agit d’observer le monde. Quels instruments le sont effectivement, en pratique, cela ne peut, pour l’auteur, qu’être déterminé au cas par cas. Seule compte la capacité effective de l’outil à fournir des énoncés factuels stabilisés. Réciproquement, pour Vincent Israel-Jost, on ne peut alors parler que d’entités ou de propriétés encore inobservées et non inobservables per se. Par conséquent, les limites extensionnelles effectives de l’observation comme de l’observable se retrouvent en constante évolution, au gré des progrès technologiques et de la capacité des scientifiques à élaborer des instruments à même de fournir des connaissances empiriques stables.

La seconde partie de l’ouvrage a pour but de donner corps à cette conception de l’observation. On quitte ainsi le domaine purement épistémologique pour entrer dans celui de la pratique concrète des scientifiques. L’objectif est multiple. Il s’agit, en premier lieu, de mettre en évidence l’adéquation de la conception proposée avec les pratiques effectives des chercheurs et de préciser la manière dont les femmes et les hommes de science arrivent à stabiliser leurs investigations empiriques, à l’issue d’un processus dynamique et itératif, afin d’obtenir des énoncés d’observation stables qui feront autorité. On ne peut qu’admirer ici la précision de l’étude de cas présentée dans le dernier chapitre et, plus généralement, le panel d’exemples employés tout au long de la seconde partie qui relèvent aussi bien de la physique que de la biologie et de la médecine. Il s’agit, enfin, d’esquisser les limites de l’observation en précisant quels types d’outils employés de nos jours par les chercheurs sont susceptibles d’être utilisés à cette fin. Les chapitres 3 et 4 sont, plus précisément, consacrés à l’examen de cette question. Ils aboutiront à la thèse selon laquelle tous les instruments de détection et de mesure, même ceux comprenant un traitement informatique des données, peuvent être considérés comme des moyens d’observation. Ce ne sera, par contre, pas le cas des simulations numériques, auxquelles l’auteur refusera tout statut observationnel.

Conclusion

Vincent Israel-Jost réussit, ainsi, avec brio son pari. Il parvient à fournir une nouvelle conception de l’observation en adéquation avec les pratiques scientifiques contemporaines, tout en jetant les bases d’une épistémologie novatrice et prometteuse. Renvoyant dos à dos néo-fondationnalisme et post-positivisme, il esquisse une autre voie. Celle-ci prend la forme d’un empirisme itératif et cohérentiste qui permet de réattribuer aux énoncés d’observation une réelle autorité épistémique hors de tout cadre fondationnaliste, et de redonner un statut observationnel à l’ensemble des outils utilisés quotidiennement par les scientifiques pour sonder le monde, à l’exclusion, toutefois, des simulations numériques.

On regrettera cependant que ce dernier point, ayant trait aux limites extensionnelles de l’observation, n’ait été abordé en recourant à l’empirisme itératif nouvellement élaboré et en particulier, à la condition de stabilité, qui constitue, probablement, le plus grand apport de cet ouvrage. Si, contrairement aux sens non assistés et aux instruments de détection et de mesure, les simulations sur ordinateur ne peuvent prétendre être utilisées à des fins d’observation, c’est, pour l’auteur, en raison d’un principe posé à la fin du chapitre 2 qu’il nomme « principe de localisation spatio-temporelle de l’observation » (p.186). Ce principe exige que l’observation soit rattachée à un « ici » et un « maintenant » correspondant au lieu et à l’instant où les données ont été produites par l’intermédiaire d’une interaction causale avec le phénomène considéré. Il découlerait, selon l’auteur, directement du fait que l’observation a pour caractéristique essentielle de fournir des informations factuelles et donc singulières sur le monde. Or, de ce fait ne s’ensuit que l’exigence que les données observationnelles soient rattachées à un endroit x et un instant t, caractéristique que les données obtenues par l’intermédiaire des simulations numériques remplissent bien ! Que cet endroit x et cet instant t se cantonnent à un « ici » et un « maintenant » ne semble, de prime abord, nécessaire que dans le cadre de la conception traditionnelle où l’observation doit être immédiatement accessible à la conscience, et, en aucune façon inférée à partir d’autres croyances. N’étant pas tiré de sa propre conception, ce principe apparait, alors, bien plutôt comme un reste de la conception traditionnelle dont l’auteur s’encombre alors qu’il n’en a plus besoin et amène à penser qu’il aurait peut-être été mieux avisé de défendre, à l’instar de Margaret Morrison[7] ou encore Anouk Barberousse, Sara Franceschelli et Cyrille Imbert[8], l’idée selon laquelle il serait possible d’utiliser les simulations à des fins d’observation.

L’empirisme itératif ouvre, cependant, de nouvelles perspectives afin de traiter la question. Il invite, en effet, les épistémologues à s’interroger sur la capacité des simulations numériques à fournir des informations factuelles stables faisant autorité. Qu’elles en possèdent la capacité ou non, les deux réponses semblent défendables lorsque nous refermons l’ouvrage de Vincent Israel-Jost. L’auteur donne néanmoins des indices qui permettraient de répondre par la négative à cette question et de continuer à rejeter les simulations hors du domaine de l’observation. Dans ce but, on pourra rappeler que l’une des conditions qui doit nécessairement être remplie pour qu’une investigation empirique soit stabilisée et que ses résultats soient considérés comme observationnels est que ces derniers puissent faire autorité. Pour cela, il faut qu’aucune raison de les remettre en cause ne subsiste au moment de leur formulation. Or, il semble possible de défendre que les données obtenues par l’intermédiaire d’une simulation ne sont jamais à l’abri d’une contradiction expérimentale, et ce, même lorsque le modèle de simulation à partir duquel elles ont été calculées a fait ses preuves. Les données issues des simulations garderaient alors, en vertu de ce risque irréductible, un statut hypothétique qui les empêcherait d’être posées de manière catégorique et d’être systématiquement privilégiées en cas de conflit avec d’autres énoncés. L’on pourrait alors réintroduire le principe de localisation spatio-temporelle de l’observation, qui ne serait plus ici défendu en vertu de l’exigence de singularité mais de celle de stabilité. Pour cela, il faudrait mettre en évidence que les données avec lesquelles les résultats de simulation sont toujours susceptibles d’entrer en conflit sont précisément celles issues d’une interaction avec le système cible et dont l’information n’a pas été délocalisée.

Je conclurai ainsi, malgré ce point critique, en soulignant l’intérêt de la nouvelle conception de l’observation proposée dans cet ouvrage, qui ouvre, de toute évidence, des pistes prometteuses de recherche et ne peut qu’enrichir et renouveler les débats les plus actuels, à commencer par ceux qui portent sur le statut épistémique des simulations numériques.



[1]Benjamin P. Abbott et al. (LIGO Scientific Collaboration and Virgo Collaboration), « Observation of Gravitational Waves from a Binary Black Hole Merger », Physical Review Letters 116, 061102, 2016, pp. 1-16.

[2] Norwood Russell Hanson, Patterns of Discovery, Cambridge University Press, 1958.

[3] Wilfrid Sellars, « Empiricism and the Philosophy of Mind », Minnesota Studies in the Philosophy of Science, vol. I., éd. H. Feigl et M. Scriven, University of Minnesota Press, 1956, pp. 253-329.

[4] Un concept peut être défini de différentes manières. En intension, il s’agit de lister toutes les propriétés communes aux entités qui tombent sous le concept. En extension, il s’agit d’énumérer l’ensemble des entités (objets, individus…) qui tombent sous le concept et qui possèdent de manière nécessaire et suffisante un ensemble de propriétés communes définies en intension. Dans le cas de l’observation, une définition intensionnelle permettra donc de déterminer quelles sont les propriétés nécessaires et suffisantes de l’observation et, par là même, celles que doivent posséder toutes les entités auxquelles le concept s’applique. (Remarque: L’ « intension » est un concept logique. A ne pas confondre avec « intention ».)

[5] On le retrouve dans la littérature cohérentiste sous différentes appellations telles que « the input objection » ou encore « the isolation objection ». Voir par exemple Laurence BonJour, The Structure of Empirical Knowledge, Harvard University Press, 1985, p.108 ou Keith Lehrer, Theory of Knowledge, Westview Press, 1990, pp. 143-144.

[6] Paul Humphreys, Extending Ourselves. Computational Science, Empiricism, and Scientific Method, Oxford University Press, 2004.Voir en particulier le chapitre 2: « Scientific empiricism », pp. 9-49.

[7] Margaret Morrison, « Models, measurement and computer simulation: the changing face of experimentation », Philosophical studies 143, no1, 2009, pp. 33-57.

[7] Anouk Barberousse, Sara Franceschelli et Cyrille Imbert, « Simulations numériques et expérimentation », Matière première. Revue d’épistémologie et d’études matérialistes, n°3, 2008, pp. 71-88.

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