Politique

L’Etat doit-il réglementer la représentation du corps féminin dans la publicité ? (2)

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Pour une régulation féministe active de la publicité

L’Etat ne doit pas traiter le sexisme publicitaire comme une cause principale de l’inégalité entre les hommes et les femmes mais il devrait par-contre faire en sorte que le sexisme publicitaire ne retarde pas la traduction de l’égalité des droits dans l’égalité vécue et représentée.             La façon dont les femmes sont représentées dans la publicité reflète le plus souvent le regard dominant et la structuration générique de notre société : la femme est alors esclave du regard masculin qui l’objective soit en produit marchand, soit au contraire en idéal type. La publicité participe d’une mise en image culturelle quotidienne de la féminité. A ce titre, la surabondance des femmes dans la publicité ne témoigne en aucune façon d’une progression de l’égalité mais au contraire de la traditionnelle omniprésence masculine dont la domination se révèle dans sa mise en objet du corps féminin. Les femmes ne sont pas les  destinataires de la publicité, elles en sont davantage la matière première ou l’opérateur parce que la publicité doit séduire[1] et que dans des sociétés encore marquées par la  domination masculine, c’est l’homme qu’il faut séduire. En continuité avec la prostitution et la pornographie[2], la publicité institutionnalise l’exhibition illimitée du corps des femmes aux fantasmes masculins.

Le principe de concurrence des discours et de sanction par le marché que les publicitaires invoquent ne fonctionne pas en société de monopole décisionnel ou marquée par un abus de position dominante. Nous retrouvons le concept de domination mis en lumière par le libéralisme multiculturel et le féminisme libéral critique. Il suppose que, sans protection spécifique de la diversité, la culture majoritaire exerce une domination injustifiée sans prendre la forme d’une discrimination explicite. Le fait qu’une publicité ne porte pas de tort à une majorité du public ne signifie pas que cette publicité n’est pas discriminante mais seulement qu’elle est compatible avec les valeurs de la culture majoritaire. En ce sens, la publicité hypersexualisant le corps féminin occupe une fonction de parole dominante. Elaborées par des hommes[3] pour des hommes, il est impossible que des publicités  soient identifiées comme sexistes et soient sanctionnées par le marché. Sans prise en compte de la diversité sexuelle des destinataires comme des destinateurs de la publicité, l’encadrement de celle-ci n’apparaît pas spontanément nécessaire parce que la publicité paraît compatible avec la culture majoritaire, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle n’est pas injuste. On voit donc les limites d’une neutralité complète à l’égard des représentations publicitaires et la nécessité de reprendre le débat en matière d’encadrement législatif[4] et de délimitation de la responsabilité des publicitaires.

Pour permettre la sanction des atteintes à l’image des femmes en rendant possible par exemple qu’une association engage des poursuites, il faudrait établir des critères objectifs pour identifier une représentation discriminante. La majorité des campagnes publicitaires, si elles véhiculent les stéréotypes sexistes, ne sont pas explicitement attentatoires à la dignité humaine. C’est la raison pour laquelle il est difficile d’évaluer et de démontrer l’impact des représentations publicitaires, sauf à établir des critères contraignants, comme ne pas montrer de corps féminin par exemple, auquel cas on s’oppose au principe de libre-disposition du corps  que les femmes ont légitimement obtenu et on renforce  les représentations sexistes en considérant les femmes comme de faibles victimes incapables de se défendre par elles-mêmes Une piste combinant une amélioration de l’autorégulation par les professionnels et un encadrement relatif par l’Etat semble plus appropriée pour limiter les effets discriminants de la publicité sur le corps et l’identité féminine.  En effet, il est possible de faire converger la perspective de la réglementation publique et le principe de l’autorégulation. Mais s’il ne faut pas abandonner le principe de la déontologie professionnelle conçue comme la détermination de règles de conduite collectives, il faut renforcer la responsabilisation des professionnel en cherchant notamment à augmenter le nombre de publicitaires soumis à l’obligation d’un avis du BVP .

Cette perspective d’organisation de la régulation interne doit intégrer une réflexion sur les moyens de prise en compte de la diversité qui caractérise le public. Elle passe notamment par la féminisation du milieu professionnelle de la publicité lui-même. C’est dans cet esprit que le BVP s’est doté d’un comité interne exclusivement féminin[5] qui a été chargé de réactualiser le chapitre de son code de déontologie consacré à l’image de la femme. On pourrait aussi imaginer de rendre obligatoire une formation à l’égalité des sexes dans les écoles de commerce et de publicité. Si les femmes sont victimes d’une injustice spécifique dans la sphère des représentations publicitaires, il est aussi vrai que celle-ci résulte indirectement des injustices dans les autres sphères de la société. D’une manière générale, les politiques publiques en faveur de l’égalité des opportunités sur le marché du travail et les efforts de féminisation des postes à responsabilité doivent conduire à une présence plus importante des femmes parmi les acteurs et les clients du secteur publicitaire.

Par ailleurs, il s’agit d’encourager le pluralisme dans la relation entre la diffusion publicitaire et le public destinataire puisque la neutralité de l’Etat à l’égard du marché de la publicité et de la consommation n’entraîne pas spontanément  le pluralisme, mais plutôt la domination du groupe d’individus qui hérite de l’histoire et des structures sociales une position dominante[6]. Il existe en France des associations féministes, des associations contre l’omniprésence de la publicité, et des associations de consommateurs qui luttent contre les publicités sexistes[7]. L’action de ces associations a des effets limités parce qu’elle s’effectue essentiellement par des lettres aux professionnels, des appels au boycott, ou une promotion de la consommation engagée et responsable, autant d’engagements qui sont peu relayés publiquement. Il faudrait développer une culture du lobbying ainsi que des dispositions juridiques pour permettre l’expression de groupes représentatifs. Dans le cas contraire, l’omniprésence de grands groupes des médias et de la communication empêche que ces associations jouent un rôle de contre-pouvoir démocratique réel. Il est évident qu’il n’est pas facile d’accéder à une visibilité  médiatique lorsqu’on s’oppose aux mécanismes de la publicité. Par définition, les publicitaires sont mieux structurés que les associations féministes pour donner une visibilité aux intérêts qu’ils défendent. C’est pourquoi on pourrrait rendre obligatoire la consultation d’associations défendant la dignité des femmes et faciliter la remontée des plaintes des individus s’estimant atteints par une publicité[8]. Comme l’efficacité de ces actions passe par la représentativité de ces groupes en même temps que leur puissance d’action et de mobilisation, la visibilité de ces associations doit être assurée par la reconnaissance publique qui découle notamment du rang de partenaire dans les procédures consultatives.

Pour conclure, l’encadrement de la liberté d’expression et de la sphère des représentations peut prendre une autre forme que celle de simple réglementation où la loi incarne la transcendance par le politique. La combinaison de l’intervention de l’Etat et du mouvement ascendant de la revendication sociale reprend en fait les principes de transparence, de libre discussion et d’égalité entre les partenaires professionnels tels qu’ils sont mis en place par Habermas dans l’éthique de la discussion, réactualisant la maxime kantienne de l’usage public de la raison. Il s’agit d’organiser un espace critique, ouvert et pluraliste, pour une discussion juste où sont élaborées des règles revêtues d’une validité suffisante pour être acceptées par tous. Il est nécessaire d’obtenir un consensus préalable sur les procédures organisées du dialogue par lequel une norme valide doit être discutée et argumentée. C’est seulement à cette condition que l’intérêt et les droits des partenaires en discussion peuvent être respectés et combinés : la liberté d’entreprise des publicitaires comme la protection des individus menacés de discrimination en raison de leur identité sexuelle. Prise dans sa singularité, une publicité est rarement explicitement discriminatoire. C’est seulement au sein du système  complet des inégalités entre les hommes et les femmes qu’un message publicitaire humoristique ou anodin est blessant pour l’identité féminine. Il ne peut donc être question ni d’interdire la représentation du corps féminin dans la publicité, ni même de préconiser une réglementation drastique. Il vaut mieux encadrer le marché publicitaire comme un véritable marché pluraliste en protégeant la diversité de ses composantes. Il y a bien une voie médiane entre l’absence de régulation et la réglementation totale.

Matthieu Lahure


[1] Le discours publicitaire se caractérise par l’hypertrophie sexuelle qu’il fait subir à la réalité. La publicité fait de la sexualité le centre obsessionnel de l’existence pour dynamiser le désir de consommation. La publicité exacerbe le désir en le déplaçant du mode relationnel et interpersonnel à un mode individuel de consommation d’objets marqué par l’alternative absolue entre sujet et objet, sans intersubjectivité possible.

[2] De nombreuses publicités fondées sur la suggestion et l’implicite présentent le langage féminin sur un mode antiphrastique: « vous avez beau dire non, on entend oui », ce qui est exactement le schéma que C. Mac Kinnon attribue sur des modes différents au violeur, au harceleur et au discours pornographique.

[3] Le personnel de direction des entreprises de publicité comme celui de tous les autres secteurs de l’économie est encore très largement masculin.

[4] En France, un rapport de juillet 2001 sur l’image des femmes dans la publicité, commandé par le Secrétariat d’Etat aux droits des femmes,  comprend un point relatif à la valorisation des femmes dans l’univers culturel. Il est le fruit de l’audition du BVP, d’associations féministes, d’universitaires, de l’Observatoire de la Parité.

[5] TEYSSIER J-P., Frapper sans heurter, quelle éthique pour la publicité ?, pp 167-173.

[6] Dans les sociétés démocratiques comme les USA où la société civile est structurée par des groupes d’intérêts (associations féministes, association de consommateurs ou de protection de la famille) la .publicité est plus encadrée qu’en France où il existe peu de corps intermédiaires entre les individus  et l’Etat.

[7] Les Chiennes de Garde et la La Meute pour les associations féministes, l’ Association Européenne contre les Violences faites aux Femmes,  Publiphobe et Résistance à l’agression publicitaire pour les associations publiphobes ; l’Union Féminine Civique et Sociale pour les associations de consommateurs.

[8] Le BVP a signé un accord avec le ministère de la Parité en 2003. Cet accord vise à faciliter la remontée des plaintes du public à l’encontre de publicités attentoires à l’image des femmes.

1 Comment

  1. Bonjour,
    En tout cas moi ça me choque toujours autant de voir un défilé de femmes (filles ?) dénudées dans les couloir du métro. Un peu, ok mais là, c’est trop.
    Suis-je la seule à avoir cet avis ?
    Julie.

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