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La philosophie des sciences au prisme des séries télévisées

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Le format des séries rend possible l’immersion dans un monde social, urbain, professionnel, la familiarisation avec ses figures, ses pratiques, ses normes. Or, l’une des tâches des philosophes des sciences est de concevoir la science en tenant compte des modalités concrètes de sa pratique. D’où la question  : que nous enseignent les séries sur la science ou, plus généralement, sur la manière dont on établit la vérité  ? Sur les procédures d’établissement de la preuve  ? Sur l’interaction entre les enjeux sociaux et les décisions scientifiques  ? Sur les effets de la science  ? Sur les différentes pratiques scientifiques  ? Les problèmes pourraient être plus précis  : comment un problème de philosophie de la logique, des mathématiques, de la biologie, de la physique, des probabilités, de l’histoire, des sciences humaines, peut-il être posé au travers d’une série  ?

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Les trois articles retenus explorent différentes manières dont les séries télévisées peuvent enrichir notre réflexion sur la science. Ce dossier envisage la science dans les trois composantes de son existence  : la science comme institution sociale, comme pratique d’enquête et comme contenu théorique.

Raphaël Faon, dans «  l’Impossible de Flash  », en étudiant la manière dont les métahumains sont traités dans le STAR Lab., montre comment la série interroge la science comprise comme institution sociale. En effet, selon lui, l’originalité de la série télévisée de 2014 est l’accentuation de l’enquête en laboratoire sur Flash lui-même, plutôt que sur l’enquête de Flash sur le meurtrier de sa mère. Le caractère futuriste de la série fonctionne comme une loupe, permettant de rendre plus saillants les traits sociaux et politiques de la science actuelle. La dimension fantastique des super-pouvoirs représente ce qui est à l’origine de toute enquête (au moins selon Peirce), à savoir le constat d’un fait étonnant. Non seulement ce fait étonnant semble ici miraculeux, mais, en outre, il a une forme humaine. Selon Faon, la confrontation entre ces «  êtres anormaux  » et le laboratoire permet d’interroger quelles sont les différentes attitudes possibles entre la science et l’anormalité. Ce qui est mis en évidence, c’est la multiplication des fonctions du laboratoire  : accélérateur de particules, lieu d’étude, d’entraînement, hôpital, tribunal, prison, État. Cette polymorphie perverse du laboratoire dans son traitement des humains dotés de super-pouvoirs indiquerait que la science serait un superpouvoir, que le laboratoire serait un métahumain. Faon permet ainsi de comprendre pourquoi Flash, missionné par le laboratoire pour traquer les métahumains, devait finir par se retourner contre celui-ci.

La dimension narrative des séries permet de mettre en scène des enquêtes, entendues comme activité orientée vers la recherche de la vérité, comme enquête. Julien Page a eu la bonne idée d’interroger Twin Peaks de ce point de vue. Le projet de l’article est ambitieux. L’enquête de l’agent Cooper sur l’assassin de Laura Palmer a beaucoup intrigué les spectateurs, car Lynch y met en scène un mélange de routines policières et de rituels chamaniques. De la même manière que cette enquête se déploie selon deux modalités incommensurables et pourtant associées, la ville aux «  twin peaks  » existe à la fois dans notre monde et notre monde parallèle et l’auteur du meurtre est doté d’une identité à la fois ordinaire et fantastique. Pour clarifier cette situation, Julien Page s’appuie sur l’oeuvre de Galois pour distinguer deux types d’enquêtes mathématiques de manière à pouvoir appliquer ces concepts à l’enquête de l’agent Cooper  : il distingue dans la pratique mathématique de résolution de problèmes une méthode systématique, positive, et une méthode intuitive, inventive. Grâce à cette analyse, il s’efforce ensuite de dépasser un certain nombre de dualismes, celui de l’art et des mathématiques, de la série comme divertissement et comme oeuvre d’art, le dualisme hégélien opposant les mathématiques comme pensée demeurée dans l’extériorité à la pensée philosophique, des mathématiques comme produit ou comme œuvre.

Enfin, la science existe comme contenu cognitif consistant notamment (mais pas uniquement) en des théories. L’une des tâches de la philosophie des sciences est d’explorer les concepts fondamentaux des théories scientifiques, d’en interroger la cohérence et les conséquences concernant notre représentation du monde. Cette tâche est notamment celle de la métaphysique scientifique dont l’un des instruments est l’expérience de pensée. Il est de ce point de vue pertinent d’utiliser les œuvres de fiction pour déterminer, par opposition, le contenu des théories physiques actuelles. Ainsi, dans un article ludique et stimulant, Francisco Saez de Adana nous propose de traiter les séries de Abrams comme une nature dont nous devrions dégager les lois. La question fondamentale est de savoir quelles sont les lois qui régissent les voyages dans le temps, thème récurrent des œuvres d’Abrams. Il met en évidence les spécificités des voyages dans le temps dans cet univers. Cela lui permet non seulement d’éclairer certains des épisodes les plus énigmatiques de Lost ou de Fringe, mais également ne nous amener à prendre conscience à quel point les lois de «  notre  » nature sont contingentes.

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