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Labyrinthe

By : Steffen Mannchen

Par Thibaud Zuppinger

Un labyrinthe ça nous perd, ça égare. C’est hostile. Ça ne sert à rien, au mieux c’est ludique. On l’explore un week-end ensoleillé et on espère en sortir avant la nuit, mais au delà de ces labyrinthes tangibles, il existe aussi les labyrinthes de l’esprit. Parmi ces-derniers, il faut distinguer les labyrinthes choisis de ceux qui nous sont imposés. Il y a les labyrinthes dont on doit sortir et ceux au contraire où il nous faut entrer, à la recherche du centre caché. N’oublions pas non plus le labyrinthe-passage, renvoyant à l’initiation. Chaque trajet y sera alors unique. L’impétrant en sortira autre car il sera devenu authentiquement lui. Le labyrinthe sera l’occasion de sa découverte, c’est à dire la découverte de qui il est.

Le labyrinthe est un mythe aussi ancien que l’humanité. Un mythe qui la hante, qui ne disparaît que pour mieux resurgir, plus impénétrable et riche que jamais. Il faut prendre des décisions et on ne voit pas quelles seront les conséquences : logique de labyrinthe qui apparaît dès que les liens de causalités qui parcourent le monde semblent se dissoudre sous nos pas.

Ainsi c’est la question du libre-arbitre qui commence à se dessiner. Choix d’y entrer, mais aussi, et surtout, choix de la direction. A chaque carrefour le choix est là. En fin de compte, le labyrinthe représente cette capacité de l’homme à prendre des décisions, dans des situations qu’il ne choisit pas, sans pouvoir en mesurer les conséquences. Chacun, dans sa vie, fait des choix dont il ne peut qu’esquisser la véritable destination. C’est cette même logique qui anime le livre de A. Robbe-Grillet, dans le labyrinthe.

Un constat désespérant ?

Le labyrinthe est une pensée désespérante, sans cesse présente à nos côtés pour nous rappeler notre finitude. Notre rapport au monde ne peut faire l’économie du labyrinthe car il représente les angoisses de tout homme devant l’incompréhensible. Le labyrinthe est un constat d’échec : on aspire à une compréhension du monde qui nous est impitoyablement refusée. Il nous force à choisir, et nous ne savons même pas ce que nous choisissons. Situation tragique.

En réalité, le labyrinthe qui désespère est celui qui nous est imposé, celui dans lequel on se débat pour sortir, avec lequel on se mesure ; notre intelligence face à sa complexité. «Le test labyrinthique met en action cette capacité humaine à vaincre les difficultés des situations nouvelles et de s’y adapter» (Le livre des labyrinthes p. 379). Logique de duel, d’affrontement. C’est la pensée de l’optimiste, celle qui pose qu’il y a une sortie, ou un but, donc qui ne conçoit le labyrinthe que comme un obstacle à la réalisation rapide de son dessein.

La figure du labyrinthe peut-elle disparaître de nos vies ? Sans doute, à condition de postuler que notre maîtrise du monde est/sera absolue, que notre décision ne se perdra plus dans le lointain des conséquences, là où tremble l’horizon du prévisible. Peut-on agir en sachant avec certitude toutes les conséquences qui vont en découler ? Si tel n’est pas le cas, alors nous sommes dans le labyrinthe et nous y resterons.

Quelle serait la position de l’homme dans le monde s’il substituait à cette logique d’exclusion une logique d’acceptation, si, au lieu de chercher à sortir à toute force du labyrinthe-prison, on acceptait que ce soit notre habitat naturel ? L’homme, un animal labyrinthique ? Mais cela suppose un labyrinthe à sa mesure, un labyrinthe sans entrée, sans sortie, sans limite extérieure ni centre. Ainsi, pas d’erreur, pas d’échec relatif à un but pré-existant, mais le choix le plus pur. Le labyrinthe contribue à nous forger car il est une perpétuelle accumulation. Les erreurs n’y existent pas. Même le retour sur nos pas appartient toujours à notre chemin, celui que nous aurons choisi.

Un constat, non , un programme !

Renoncer au savoir absolu, non comme idéal de la science, mais comme lieu naturel de l’homme. Le labyrinthe ne serait plus un piège, le résultat d’une chute, d’une insuffisance de la raison. Au contraire, le labyrinthe n’apparaît que sous la lueur de la raison. Raisonner, c’est faire le choix difficile d’arpenter le labyrinthe. Accueillir l’incertitude et le doute au cœur même de nos vies et de nos pensées. En effet, «il faut une toute autre vigueur et une tout autre mobilité pour se maintenir à l’intérieur d’un système inachevée, aux perspectives libres et indéfinies, au lieu d’un monde dogmatique.»[1] Le labyrinthe est également une acceptation : celle d’avoir renoncer à la maîtrise du tout parce qu’on s’occupe d’en agencer un fragment.

A proprement parler, les parois du labyrinthe ne sont visibles qu’à la lueur de la raison. Raisonner, c’est calculer, prévoir, instiller un décalage dans le mécanisme action/réaction. C’est le fondement même de la liberté humaine. Cette capacité à rompre la nécessité de l’enchaînement des causes et des conséquences fonde notre liberté et instaure le labyrinthe. Celui dans lequel nous errons n’est finalement que celui que nous secrétons nous-même chaque fois que nous prenons le temps de réfléchir avant d’agir, «dans la solitude de l’homme, le labyrinthe se reforme toujours». (Le livre des labyrinthes p. 398)

Le labyrinthe représente sous une forme concevable l’indétermination fondamentale du monde. L’humanisme tragique repose entièrement sur cette conception du monde parcourue par la contingence, où l’indétermination des conséquences rompt sans cesse les chaînes de causalités, tant celles de la nécessité que celles des projets humains. Fortement présent dans les écrits de Nietzsche, l’humanisme tragique s’enracine dans la pensée éthico-métaphysique d’Aristote et, plus en amont encore, dans la pensée tragique des pré-socratiques. Sans doute est-il en fait aussi vieux que la figure du labyrinthe elle-même.

La pensée du labyrinthe n’est pas une pensée apte au système. Au contraire elle est une perpétuelle éclosion de nouveautés. A cet égard, cette description de la pensée de Lévi-Strauss rend remarquablement bien compte de ce que peut être une exploration du labyrinthe : «c’est une pensée multidimensionnelle, plus qu’un système, une « façon de voir les choses » avec ses thématiques et ses affects»[2].

Ainsi informé de notre situation, cesserons-nous enfin de donner de la tête contre les murs pour commencer à élucider ce que peut signifier «habiter les labyrinthes» ? La suite de cette thématique s’essaiera, par touches et fragments, à apporter quelques éclairages sur cette posture.

Prolongements :

P. Caye, Morale et chaos. Principes d’un agir sans fondement. Ed. du Cerf, « La nuit surveillée », Paris, 2008.

P. Santarcangeli, Le livre des labyrinthes, histoire d’un mythe et d’un symbole, Ed. Gallimard, « Nrf », trad. de l’italien par M. Lacau, Paris, 1974.


[1] Nietzsche, la volonté de puissance, Tome II, Livre III, aphorisme 379.

[2] Sciences Humaines, Hors série spécial n°8, « Comprendre Levi-Strauss », nov-dec 2008, « Claude Levi-Strauss, le tourneur de pages »N. Journet, p. 8.

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