Société/Politique

Féminisme, misogynie et misandrie dans la société contemporaine

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Tour d’horizon de l’actualité

Tour d'horizon

Tour d’horizon

Cette catégorie inaugure un exercice un peu particulier. Il s’agit de dresser le panorama d’un thème qui fait l’actualité, sans prétendre à l’exhaustivité, et d’en proposer un décryptage philosophique. Cette présentation est commentée par un ou plusieurs membres de la rédaction spécialisés sur le sujet. Ce tour d’horizon est également l’occasion de remettre en avant certains articles précédemment parus sur le site, et qui prennent un relief nouveau à la lumière de l’actualité. Mais cet exercice offre également la possibilité d’interroger différemment ce qui fait notre quotidien. Un moment pour prendre du recul, examiner les enjeux, les non-dits, les valeurs engagées et les moyens mis en œuvre pour les réaliser.

Le tour d’horizon est avant tout conçu comme un moment de débats et d’échanges. Aussi, vous pouvez prolonger la réflexion en participant au forum de discussion dédié à ce sujet sur la page du groupe.

De la misogynie « à la mode »

Ces derniers temps, plusieurs événements sont venus enrichir les débats sur la parité. Il y a d’abord eu le film La Domination Masculine de Patrick Jean. Cet objet cinématographique est pour le moins particulier et, il faut bien l’admettre, quelque peu militant. Caractéristique que son auteur assume pleinement, comme on peut s’en rendre compte à la lecture de son blog. Curieux en quête d’objectivité, passez votre chemin…

Cependant, il serait dommage de condamner le fond sur la forme. Militant, certes, mais le fond du problème ne demeure-t-il pas ? Sa façon de traiter le sujet de l’égalité hommes-femmes et de faire entendre la voix des femmes n’a-t-elle pas pour but de faire évoluer les mentalités ?

La question se fait plus pressante encore lorsque l’on consulte en parallèle les résultats de l’étude sur la répartition des tâches ménagères de l’Ined (en pdf). Cette étude ne nous apprend rien de très nouveau. « L’arrivée d’un enfant accentue le déséquilibre du partage des tâches domestiques entre les hommes et les femmes, les ajustements touchant essentiellement les femmes : ce sont elles qui s’éloignent du marché de l’emploi, elles aussi qui prennent davantage en charge le tâches domestiques ». Oui, c’est un fait qui a été souligné maintes et maintes fois, et après ? On aurait apprécié, par exemple, une études des formes de pression sexuelles ignorées et qui participent de ce que l’on nomme communément l’invisibilité sociale.

La parution de l’étude et la sortie en salle du film ont de fait contribué à éclipser de la scène médiatique d’autres actualités tout aussi pertinentes sur le sujet. Il y a eu par exemple les trente ans de la Ligue des Droits de l’Homme le 13 décembre dernier. On notera aussi la parution du Hors-séries H&L dont vous pourrez lire l’éditorial  ici (en pdf)

Parité et inégalité dans le monde du travail

L’égalité des hommes et des femmes sur le marché du travail est évidemment un des grands combats d’aujourd’hui, et sans doute encore de demain. « Si la question identitaire traverse sans arrêt les différents domaines de la vie sociale ce n’est pas à cause d’une mode passagère mais bien parce qu’elle est au centre de notre vie morale contemporaine » (C. Abrieux, politique de l’identité). Ainsi, le problème ne doit pas nécessairement être traité par des campagnes d’analyses et d’évaluations ponctuelles voire mondaines ou modeuses, mais engager plutôt une authentique réflexion de fond. Se méfier de ceux qui instrumentalisent les débats pour susciter l’intérêt autour de leur ego.

Inégalité sexuelles devant  les droits sociaux

Les discriminations en fonction du genre dans le traitement de l’état providence contribuent aussi à maintenir un état d’inégalité, ainsi que le met en lumière  l’article de Diane Sainsbury :  Les droits sociaux des femmes et des hommes. Comme le souligne justement Nolwenn Picoche dans la recension qu’elle propose de cet article, il semble y avoir un lien entre l’idéologie « l’homme chef de famille » et le traitement de la pauvreté. Une idéologie qui occupe une place importante dans la conception des rôles publics et privés touche, par définition, toutes les strates de la société.

Cependant il faut également être attentif à la formulation employée par le législateur au moment de la rédaction. « Promulguer des lois qui protègent les femmes parce qu’elles sont femmes n’est pas cohérent parce que cela implique qu’elles sont en partie responsables de ce qui leur est arrivé du fait qu’elles sont femmes ». (C. Abrieux, Le genre et la loi) De fait il s’avère que mettre l’accent sur l’agression même est en fait beaucoup plus efficace parce que cela permet de souligner l’origine du problème au lieu de souligner les victimes de ce problème.

Modèles et contre-modèles de revendications féministes

La construction philosophique des revendications féministes est un point central pour d’une part appréhender la parité, et d’autre part proposer des moyens cohérents et efficaces pour changer les choses. Or toutes les approches ne se valent pas.

L’éco-féminisme, à l’heure du sommet de Copenhague, s’est révélé être un courant d’opinion, contestataire et minoritaire certes, mais que l’on ne pouvait négliger. L’analyse éco-féministe se donne à bien des égards les prétentions d’un système philosophique complet, avec la variété de champ d’application que cela suppose. La question est pourtant de savoir si un champ d’étude prétendant sauver la femme ne l’embarque pas (de gré ou de force) dans la naturalisation qu’elle dénonce. On peut se demander, à la suite de P-E Brugeron,  « si l’écoféminisme propose finalement autre chose à la femme qu’une nouvelle sorcellerie ».

Dérives et misandrie

Si l’égalité des rapports hommes femmes est une exigence non-négociable, il faut prendre garde également à une possible instrumentalisation des débats.  » la discrimination positive par les quotas est particulièrement dangereuse : elle promeut la stigmatisation en fonction du genre en promouvant les femmes du seul fait qu’elles sont femmes et en n’insistant pas sur leur qualification appropriée au poste. » (C. Abrieux, l’auto-dépréciation)

Une dérive possible de ce type d’approche est l’idée de revanche. Faire payer aux hommes des siècles de dominations. C’est renoncer à toute idée de parité, d’égalité. On sombre alors dans la misandrie, qui n’a rien à envier à la misogynie. Cette dérive n’a pas été seulement observer par des hommes soucieux de défendre leurs privilèges. Elisabeth Badinter s’est notamment exprimée longuement sur la question (XY, de l’identité masculine. Odile Jacob, 1992). On peut se reporter à cet article de Wikipédia qui traite de façon assez précise  de ces dérives, relativement invisible dans le paysage médiatique.

La véritable parité devra aussi affronter ce versant de la question. L’égalité de droit doit prendre en compte les différences et inégalités de faits. « notre insistance sur la nécessité d’ouvrir le champ des possibles au groupe féminin n’enlève rien à la permanence de différences qu’il sera difficile de faire disparaître, mais qui prises en compte pourraient voir leurs conséquences allégées en terme de coût professionnel. » (C. Abrieux, l’auto-dépréciation)

La voie du modèle et de la réforme

L’étude attentive de l’actualité révèle une deuxième voie qui porte les mêmes revendications, mais d’une manière qui, par définition, est beaucoup plus discrète.

Un canal médiatique des revendications féministes passe également par la mise en avant des grandes figures intellectuelles de ce mouvement. A cet égard, on peut saluer l’hommage rendu par la BNF à la philosophe Simone Weil, dont nous célébrons le centenaire de sa naissance cette année.

Certains ont même dû se rendre à l’évènement en empruntant un chemin fort symbolique, traversant la Seine grâce la passerelle Simone-de-Beauvoir. Même avec les meilleures intentions du monde, les clichés persistent manifestement. Personne ne s’est-il jamais demandé pourquoi ce pont, baptisé du nom d’une grande féministe,  était réservé aux modes de transports dits « doux » (piétons, vélos). N’y a-t-il pas quelque chose d’insidieusement pervers à vouloir enfermer insensiblement la femme dans les vertus maternelles. La femme est douce, respectueuse de l’environnement. La douceur pour les femmes, la violence et la pollution pour les hommes. Ne sommes nous pas reconduit, invariablement, vers l’éco-féminisme ?

Quoiqu’il en soit, redécouvrir et réinvestir l’engagement intellectuel de grand figure féministe peut être extrêmement fécond pour le débat sur la parité. L’engagement intellectuel se traduit dans les faits, c’est une évidence, mais aussi et surtout, dans une œuvre littéraire majeure. Or, là aussi on constate de grandes inégalités. Les prix littéraires restant avant tout une propriété masculine.

Rester vigilant

Cette problématique de l’égalité ne pourra évidemment pas trouver de solution viable si le débat en reste aux pétitions de principes et aux déclarations de bons sentiments. Une perspective politique, une action institutionnelle est requise. On ne peut traiter la question seulement en théorie, les enjeux sont avant tout concrets, incarnés dans des vies et des parcours. C’est pourquoi il faut saluer à cet égard le rôle joué par des observatoires indépendants, tel que l’observatoire des inégalités qui met à la disposition de tous des éléments concrets pour comprendre la situation, et consacre notamment une partie de ses efforts à la question de la parité.

En guise de conclusion, nous pouvons regretter que ce qui se dégage avant tout de ce rapide panorama, c’est que le sujet est trop souvent traité de façon superficielle, en allant bien trop rarement au fond des concepts et des systèmes de pensée qui supportent l’inégalité hommes-femmes.

Pour aller plus loin, nous vous proposons en complément de ce premier tour d’horizon, trois articles inédits qui étudient avec le regard philosophique l’influence des mesures législatives sur les inégalités hommes/femmes dans la société. Le premier article (L’égalité homme-femme et l’utilité de la loi) est d’ors et déjà en ligne, les deux autres le seront dans les jours à venir.

Bonne lecture !

Claire Abrieux et Thibaud Zuppinger

6 Comments

  1. Au Québec on vit définitivement dans une société matriarcale, les féministes persistent toujours à nous faire croire le contraire alors qu’elle occupent des postes clés dans la haute sphère que ce soit des jobs de ministres ou présidente de banque(desjardins) et d’autre lobby. Donc arrêter de vous plein bande de princesses.

  2. Merci, François, de confirmer par ce simple commentaire l’utilité d’un tel tour d’horizon!

  3. Il vous faut lire Michel Houellebecq pour comprendre la question de la misogynie.

  4. Juste quelques chiffres…
    Les hommes, c’est :
    75% des accidents du travail,
    90% des morts au travail,
    75% des suicidés,
    90% des alcooliques,
    92% des SDF,
    66% des cancéreux,
    70% des morts sur la route, y compris à pied!!
    Dommage que le service militaire ait été suprimé, je me sentais
    vraiment privilégié!

  5. Je pense qu’il est évidemment nécessaire de se poser la question sur le réel statut des deux sexes aujourd’hui dans nos sociétés, car après de nombreuses luttes pour obtenir des droits , on a parfois tendance a vouloir TROP gommer chaque forme d’identité des sexes afin que l’on soit égaux, alors que nous sommes malgré tout différents.
    Pour une réflexion beaucoup plus neutre et objective,  » XY, de l’identité masculine » par Elisabeth Badinter est une très bonne lecture à conseiller.

  6. Quand une expression devient slogan ou est reprise en boucle, il faut toujours se méfier. Ou reprendre l’argument lâche d’un écologiste de haut vol qui répondait au problème de l’accroissement de la population mondiale et de ses répercussions : c’est plus compliqué que cela. On ne peut pas prétendre à l’honnêteté quand on ne parle que ‘des violencesfaitesaixfemmes ».
    7136. C’est le nombre d’hommes en souffrance victimes des violences volontaires de leur conjointe en 2013, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Ce qui représente 11 % des cas de violences conjugales. D’ordinaire plus suspects que victimes, ils sont en moyenne 26 à mourir chaque année sous les coups de leur femme, soit environ un tous les treize jours. Souvent, les hommes battus restent murés dans le silence, trop honteux d’être dominés par des femmes. D’ailleurs, ils ne représentent que 2,5 % des 13.834 personnes à avoir composé le numéro d’urgence (3919) en 2013.
    La différence de nombre ne gomme pas la réalité.
    La violence dans le couple ? ? C’est plus compliqué que ça !

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